CA Colmar, 2e ch. civ., 13 mai 1994, n° 4456/91
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Schiffer Food BV (Sté), Lidel (SARL)
Défendeur :
Compagnie Française de Produits Orangina
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Jardel-Lescure
Conseillers :
M. Meyer, Mme Lowenstein
Avocats :
Mes Perrad, Bueb, Heichelbech, Eder.
FAITS CONSTANTS
Depuis de nombreuses années, la SA Compagnie française des produits Orangina, dite CFPO, fabrique et commercialise des boissons gazéifiées au jus et à la pulpe d'orange, acquérant une place prépondérante sur le marché français des boissons et se forgeant une notoriété incontestable ;
Pour promouvoir ses marques et produits, la SA Compagnie française des produits Orangina consent des efforts financiers importants en s'attachant les services d'un artiste qui, depuis 1963, créé pour elle des dessins et vignettes ayant pour constante l'usage de fonds bleus et de motifs oranges figurant souvent l'épluchure d'une orange ou son zeste stylisé en volutes ;
Le 29 juillet 1979, la SA Compagnie française des produits Orangina déposait à l'INPI une marque complexe faite du mot " Orangina " et du dessin de la bouteille de cette marque associé à une volute pour des "eaux minérales et gazeuses et autres boissons non " alcooliques " notamment jus de fruit, sirops "...
Le 1er septembre 1986, la SA Compagnie française des produits Orangina déposait à l'INPI une représentation en couleur de la même bouteille mais en revendiquait la propriété pour des produits étrangers au domaine de la boisson (outils, coutellerie, produits textiles, etc) ;
Le 4 novembre 1987, la SA Compagnie française des produits Orangina déposait à l'INPI un dessin représentant une volute pour des " boissons non alcooliques ", sans indication de couleur ;
Le 11 janvier 1989, la SA Compagnie française des produits Orangina déposait à l'INPI la même volute en revendiquant un " fond dégradé allant de l'orange vif au jaune. L'aspect dégradé des couleurs devant constituer une caractéristique revendiquée de la marque ";
Par contrat non enregistré, en date du 11 avril 1989, M. Bernard Villemot cédait à la SA Compagnie française des produits Orangina, tous les droits patrimoniaux (reproduction, représentation et adaptation) relatifs aux œuvres :
- réalisées entre le 1er mars 1953 et le 31 décembre 1979 ;
- réalisées en 1989 (femme au grand chapeau et femme en petites bouteilles rondes) ;
Il était précisé à ce contrat que la SA Compagnie française des produits Orangina était " libre de ... poursuivre à son profit les imitateurs et contrefacteur, même pour des faits antérieurs à la présente cession et non prescrits ".
Par ordonnance du Président du Tribunal de Colmar, en date du 26 avril 1989, la SA Compagnie française des produits Orangina était autorisée à faire procéder à une " saisie-contrefaçon " au magasin Lidel sis à Colmar, 156, rue Ladhof ;
Le 16 mai 1989, Me Stanger, Huissier de Justice à Colmar, dressait procès-verbal de saisie-contrefaçon puis procès-verbal de dépôt au Greffe d'objet contrefait " ;
L'huissier constatait la présence dans le magasin de 456 bouteilles de 1,5 l portant l'étiquette arguée de contrefaçon, à savoir : " une étiquette bleu outre-mer allant en dégradé jusqu'au bleu clair en haut de l'étiquette avec losange orange aux extrémités supérieures et inférieurs jaune vif "
Le responsable du magasin déclarait à l'Huissier que ce produit lui était livré par son siège sis à Schiltigheim ;
PROCEDURE :
Par acte du 23 mai 1989, la SA Compagnie française des produits Orangina assignait la SARL Lidel devant le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, en demandant à cette juridiction :
- de dire que la SARL Lidel s'est rendue coupable de contrefaçon ou d'imitation illicite ou, pour le moins de concurrence déloyale ;
- d'interdire à la SARL Lidel de faire usage des produits contrefaits, sous astreinte de 2.000 F par infraction commise ;
- de condamner la SARL Lidel à lui payer :
* les sommes de 300.000 F et 200.000 F à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi ;
* les dépens.
* une somme de 25.000 F au titre de l'art. 700 du NCPC ;
- d'ordonner la publication du jugement à intervenir, aux frais de la SARL Lidel, dans différents journaux ;
La SARL Lidel avait conclu à l'irrecevabilité et au débouté de la demande ;
La SARL Lidel avait subsidiairement appelé en garantie la Société Schiffer Food BV, fabricant de la boisson litigieuse et sollicitait en outre la condamnation de cette dernière au paiement :
- des dépens ;
- d'une somme de 25.000 F au titre de l'art. 700 du NCPC ;
La Société Schiffer Food BV avait également conclu à l'irrecevabilité et au débouté de la demande, ainsi qu'à celui de l'appel en garantie ;
DECISION FRAPPEE D'APPEL :
Par jugement en date du 21 mai 1991, le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg a :
Sur la demande principale :
- déclaré nulle la saisie-contrefaçon du 16 mai 1989 ;
- déclaré la demande en contrefaçon et imitation illicite irrecevable ;
- déclaré recevable l'action en concurrence déloyale (tacitement, dans les motifs) ;
- condamné la SARL Lidel au paiement :
* d'une somme de 100.000 F, à titre de dommages et intérêts ;
* des dépens ;
* d'une somme de 8.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;
- rejeté le surplus des prétentions de la SA Compagnie française des produits Orangina ;
Sur l'appel en garantie :
- condamné la Société Schiffer Food BV à garantir la SARL Lidel des condamnations mises à sa charge au bénéfice de la SA Compagnie française des produits Orangina ;
- condamné la Société Schiffer Food BV aux dépens ;
- rejeté toutes conclusions plus amples ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Les motivations du jugement étaient les suivantes :
- la SA Compagnie française des produits Orangina ne saurait utilement se prévaloir des marques déposées en 1976 et 1987 (aucune couleur revendiquée), ni de celle déposée en 1986, laquelle désigne d'autres produits ;
- la SA Compagnie française des produits Orangina ne rapporte pas la preuve que la marque déposée le 11 janvier 1989 a été publiée avant la saisie ou qu'elle a été notifiée à la SARL Lidel ;
- faute d'atteinte aux droits de la marque, la saisie-contrefaçon est nulle et la demande en contrefaçon et imitation illicite irrecevable ;
- il n'y a pas concurrence déloyale par imitation, faute de confusion dans l'esprit de la clientèle ;
- il y a concurrence déloyale par parasitisme, à l'origine d'un préjudice pour la SA Compagnie française des produits Orangina ;
- la Société Schiffer Food BV, fabricant, doit supporter seule, en définitive, le poids du dédommagement ;
- la nature du préjudice subi ne nécessite pas de faire droit aux demandes de publication et d'interdiction ;
CONCLUSIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Le 26 novembre 1991, la Société Schiffer Food BV a relevé appel du jugement susvisé en intimant la SA Compagnie française des produits Orangina et la SARL Lidel ;
En sollicitant l'infirmation dudit jugement, la Société Schiffer Food BV a demandé à la Cour de :
- déclarer la SA Compagnie française des produits Orangina irrecevable et mal fondée en sa demande ;
En conséquence :
- déclarer sans objet l'appel en garantie de la SARL Lidel à l'encontre de la Société Schiffer Food BV ;
- mettre en conséquence la Société Schiffer Food BV hors de cause ;
- condamner la SA Compagnie française des produits Orangina au paiement :
* des dépens des deux instances, y compris ceux afférents à l'appel en garantie de la société Schiffer Food BV ;
* d'une somme de 15.000 F par application de l'art. 700 du NCPC .
A l'appui de ses conclusions, la Société Schiffer Food BV fait valoir que :
- la saisie-contrefaçon du 16 mai 1989 est nulle puisque pratiquée antérieurement à la publication de la marque intervenue, selon la SA Compagnie française des produits Orangina, le 23 juin 1989 ; cette nullité n'étant d'ailleurs plus sérieusement contestée ;
- la SA Compagnie française des produits Orangina n'a jamais justifié de la publication de la marque ;
- en tout état de cause, à la date de son assignation, soit le 23 mai 1989, la SA Compagnie française des produits Orangina était sans droit puisque la publication invoquée ne serait, selon la demanderesse même, intervenue que le 23 juin 1989, de sorte que cette assignation est irrecevable ;
- les couleurs fondamentales ainsi que l'association de deux couleurs complémentaires ne peuvent faire l'objet d'une appropriation ;
- en matière d'étiquette de boissons non alcoolisées, le dégradé se pratique depuis fort longtemps, de sorte que, là aussi aucune appropriation n'est possible ;
- les étiquettes des boissons diffusées par la Société Schiffer Food BV et celles utilisées par la SA Compagnie française des produits Orangina ne sont pas identiques :
* l'étiquette incriminée n'a nullement recours au dégradé des couleurs : l'orange et uniforme et tranche avec la couleur jaune figurant aux sommets des deux triangles ;
* la teinte bleue se caractérise par une succession de rayures et non pas d'un dégradé ;
* l'étiquette de la Société Schiffer Food BV porte la mention " fabriqué par Schiffer Food, Heerlen, Holland " ;
- l'action en concurrence déloyale n'est pas une action subsidiaire de l'action en contrefaçon, le demandeur devant faire la preuve d'autres moyens, différents de l'imitation non admise ;
- la SA Compagnie française des produits Orangina fonde son action en concurrence déloyale sur les mêmes faits que celle en contrefaçon, à savoir la similitude des étiquettes ;
- le fabricant ou le vendeur d'un produit ne peut être condamné à des dommages et intérêts pour une prétendue intention de créer dans l'esprit du public une confusion alors que tout risque de confusion est exclu ;
- l'unique attestation produite par la SA Compagnie française des produits Orangina démontre qu'une confusion n'est pas possible pour un consommateur moyen mais uniquement pour celui anormalement inattentif ;
- il n'y a pas fraude puisque la Société Schiffer Food BV fait clairement apparaître sur les étiquettes qu'il s'agit d'un soda et indique tous les ingrédients composant la boisson ;
- la société Schiffer Food BV est tenue de commercialiser ses boissons à un prix inférieur à ceux pratiqués par la SA Compagnie française des produits Orangina car elle traite avec la clientèle très particulière des discounters, ce qui n'est pas le cas de la demanderesse ;
- à défaut de situation de concurrence, il ne saurait y avoir parasitisme ;
- empêcher la Société Schiffer Food BV de pratiquer des prix bas serait contraire à la liberté du commerce ;
- la SA Compagnie française des produits Orangina ne subit aucun préjudice, la clientèle des deux boissons étant distincte ;
La SARL Lidel interjetait de son côté appel provoqué à l'encontre de la SA Compagnie française des produits Orangina, en présence de la Société Schiffer Food BV, le 20 mars 1992, et, sollicitant l'infirmation du jugement entrepris, demandait à la Cour de :
- déclarer la demande formée par la SA Compagnie française des produits Orangina irrecevable et mal fondée ;
- condamner la SA Compagnie française des produits Orangina au paiement ;
* des dépens des deux instances ;
* d'une somme de 15.000 F en application de l'art. 700 du NCPC ;
A l'appui de ses conclusions, la SARL Lidel soutient que :
- les faits reprochés à la Société Schiffer Food BV et à la SARL Lidel étant antérieurs à la publication alléguée du 23 juin 1989, il ne saurait y avoir atteinte aux droits de la marque, de sorte que la saisie-contrefaçon doit être considérée comme nulle et non avenue ;
- il n'y a pas de risque de confusion, d'où il découle qu'il ne saurait y avoir de pratique parasitaire ;
- la caractéristique de la marque " Orangina " n'est pas la couleur mais les volutes ;
- l'association du bleu (le ciel) et de l'orange (le fruit) constitue une normalisation, c'est-à-dire une ressemblance nécessaire et non reprochable ;
- la demande présentée par la SA Compagnie française des produits Orangina ne saurait être retenue, sous peine de créer pour elle un monopole de fait de l'utilisation des couleurs bleue et orange ;
- les montants réclamés ne sont subsidiairement pas justifiés, le produit fabriqué par la Société Schiffer Food BV ne saurait jeter un quelconque ombrage sur la boisson vendue par la SA Compagnie française des produits Orangina, leader dans sa branche ;
La SARL Lidel a, subsidiairement, appelé en garantie la Société Schiffer Food BV en demandant sa condamnation :
- à la décharger de toute condamnation en principal, intérêts, dommages et intérêts et dépens, de toutes sortes et de toutes instances ;
- à payer les dépens ;
La Société Schiffer Food BV a conclu au rejet de l'appel en garantie de la SARL Lidel ;
La SA Compagnie française des produits Orangina a conclu au rejet de l'appel principal de la Société Schiffer Food et de l'appel provoqué de la SARL Lidel ;
Elle conclut à la confirmation du jugement entrepris en tant qu'il a condamné la SARL Lidel et la Société Schiffer Food BV pour concurrence déloyale ;
Elle sollicite pour le surplus l'infirmation du jugement entrepris en demandant à la Cour ;
- de dire que la SARL Lidel s'est rendue coupable de contrefaçon ou d'imitation illicite ou, pour le moins, de concurrence déloyale ;
- d'interdire à la SARL Lidel de faire usage des produits contrefaits, sous astreinte de 2.000 F par infraction commise ;
- de condamner la SARL Lidel à lui payer :
* une somme de 300.000 F à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi par suite de l'atteinte portée à la marque ;
* une somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice commercial, notamment de la perte partielle de marchés ;
* les dépens.
* une somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;
- d'ordonner la publication du jugement à intervenir, aux frais de la SARL Lidel, dans " Les Dernières Nouvelles d'Alsace " et dans " Le Point ", à raison de 25.000 F par insertion, au besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires ;
A l'appui de ses conclusions, la SA Compagnie française des produits Orangina fait valoir que :
- il y a eu acquiescement implicite au jugement puisque, en cours de procédure d'appel, la SARL Lidel et la Société Schiffer Food BV ont diffusé un produit dont l'étiquette s'éloigne soigneusement de la combinaison litigieuse ;
- dès 1953, et de façon exclusive, elle a associé sa dénomination à la couleur bleue pour commercialiser une boisson à l'orange ;
- le dépôt du 11 janvier 1989 est complémentaire des dépôts antérieurs et a été publié au BOPI le 23 juin 1989 ;
- l'art. 1er de la loi du 31.12.64 confère aux combinaisons de couleurs originales la protection accordée aux marques ;
- si la saisie-contrefaçon est nulle pour être postérieure à la publication, elle ne constitue qu'un mode de preuve parmi d'autres et sa nullité ne peut entraîner celle de l'action ;
- il n'est pas contesté que postérieurement à la publication au BOPI, soit postérieurement au 23 juin 1989, la SARL Lidel et la Société Schiffer Food BV ont poursuivi la commercialisation du produit litigieux ;
- l'étiquette du produit vendu par la SARL Lidel reproduit presque à l'identique les couleurs revendiquées comme déterminantes puisqu'elle comprend également un fond dégradé bleu très clair, puis bleu roi, puis bleu outre-mer ;
- si la volute n'est pas reprise sur cette étiquette, elle est suggérée par un motif central en forme de losange, lui-même dégradé allant également de l'orange vif au jaune ;
- la similitude d'ensemble résulte de la combinaison des couleurs - fond bleu, motif central orange, lettres blanches- avec la dénomination " orange à la pulpe " ainsi que de la proximité de cette appellation avec celle " orangina à la pulpe d'orange ", utilisée par la SA Compagnie française des produits Orangina de très longue date ;
- il n'y a aucun déterminisme économique à commercialiser une boisson à l'orange sous la couleur bleue puisque d'autres possibilités sont utilisées par des concurrents ;
- le risque de confusion résulte d'une attestation de Mme Gérard ;
- il y a pour le moins concurrence déloyale, la SARL Lidel et la Société Schiffer Food BV ayant profité des investissements publicitaires et de la notoriété de la SA Compagnie française des produits Orangina, contribuant ainsi à une dérive de la clientèle et vendant de surcroît leur produit à un prix beaucoup plus faible que celui du produit original ;
- il y a également fraude au sens de la loi du 1er août 1905, du décret du 7 décembre 1984 sur l'étiquetage et de l'instruction du 23 août 1985, puisque le produit intitulé " orange à la pulpe " est en réalité une boisson au jus et non pas un pur jus d'orange ;
La Société Schiffer Food BV a conclu au rejet de l'appel incident de la SA Compagnie française des produits Orangina ;
Vu le dossier de la procédure, les pièces introduites et les écrits auxquels la Cour de réfère pour plus ample exposé des faits et des moyens ;
Sur ce :
I - QUANT A L'ACTION DE LA SA COMPAGNIE FRANCAISE DES PRODUIS ORANGINA A L'ENCONTRE DE LA SARL LIDEL :
A. QUANT A L'EXISTENCE D'UN ACQUIESCEMENT AU JUGEMENT :
Attendu que l'acquiescement implicite doit toujours être certain, c'est-à-dire résulter d'actes incompatibles avec la volonté de former un recours et démontrant avec évidence l'intention de la partie à laquelle on l'oppose d'accepter la décision intervenue (2e Civ 26/11/75, B II N° 311, p. 249) ;
Attendu qu'en l'espèce, le premier juge a rejeté la demande d'interdiction d'utiliser les étiquettes litigieuses, de sorte qu'en modifiant spontanément ses signes publicitaires (ce qui n'est d'ailleurs pas démontré), la SARL Lidel et la Société Schiffer Food BV n'ont pu " exécuter sans réserve un jugement non exécutoire ", tel qu'il est prévu par l'art. 410 du NCPC ; qu'en outre, le changement d'étiquette, à le supposer établi, n'est intervenu qu'après que la Société Schiffer Food BV ait diligenté appel ;
Attendu en conséquence que le moyen tiré de l'acquiescement au jugement doit être rejeté ;
B. QUANT A L'ACTION EN CONTREFACON OU EN IMITATION FRAUDULEUSE
Attendu qu'aux termes de l'art. 25 de la loi du 31 décembre 1964, modifié par la loi du 30 juin 1975, alors applicable :
" Les faits antérieurs à la publication de la marque ne sont pas considérés comme ayant porté atteinte aux droits attachés à la marque " ;
Attendu que, du propre aveu de la SA Compagnie française des produits Orangina, seul le dépôt du 11 janvier 1989, qu'elle allègue complémentaire des précédents, aurait fait l'objet d'une publication au BOPI, le 23 juin 1989 ;
Attendu qu'il découle du texte susvisé que seul le dépôt du 11 janvier 1989 peut être constitutif de la protection prévue par la loi du 31 décembre 1964, dans la mesure toutefois où il est établi que ce dépôt a été suivi d'une publication au BOPI ; (Cass. Com. 16/5/84, Com 8/12/92, B IV N° 403 p. 282) ;
Attendu que, même à hauteur de Cour, la SA Compagnie française des produits Orangina n'a pas justifié de la publication au BOPI du dépôt du 11 janvier 1989 ;
Attendu qu'il découle de cette absence de preuve de la publication que :
- la saisie-contrefaçon est nulle, comme étant datée du 16 mai 1989, (Com 16/5/84) ;
- l'assignation du 23 mai 1989 est irrecevable (Versailles 1/3/82, Juridial) ;
étant observé que ces deux actes sont même antérieurs à la date de publication alléguée par la SA Compagnie française des produits Orangina mais non prouvée, du 23 juin 1989 ;
Attendu que l'art. 25 de la loi du 31 décembre 1964 ne constitue pas un défaut de qualité du demandeur mais un défaut de réalisation de la contrefaçon, de sorte qu'aucune régularisation n'est possible en cours de procédure et qu'il importe peu que la SA Compagnie française des produits Orangina ait procédé à la publication litigieuse le 23 juin 1989 ;
Attendu par ailleurs qu'à supposer même que la nécessité de publication au BOPI puisse s'analyser comme une fin de non recevoir susceptible de régularisation en cours de procédure, et que les faits se soient poursuivis postérieurement au 23 juin 1989 (ce qui résulte d'une unique attestation), une telle régularisation ne peut en l'espèce être admise à défaut de justification de la dite publication ;
Attendu dès lors qu'il y a lieu, confirmant sur ce point le jugement entrepris, de rejeter la demande en contrefaçon sans qu'il soit nécessaire et ni même possible d'examiner le fond du litige (Cass 2e Civ 20/6/85, B II N° 123) ;
C. QUANT A L'ACTION EN CONCURRENCE DELOYALE
Attendu que l'action en concurrence déloyale peut être engagée subsidiairement à l'action en contrefaçon si à la reproduction d'un signe (par définition non protégé) se joint une faute distincte : recherche ou danger de confusion, pratiques contraires aux usages du commerce, manœuvres etc (Cass Com 24/5/76, 25/1/77, Ann. Prop. ind. 1977 p 63 et 245) ; que le cumul des deux actions est même possible lorsque le préjudice subi est distinct de celui résultant de la contrefaçon (Cass Com. 21/4/92 n° 781) ;
Attendu qu'il convient donc de rechercher, outre la reproduction du signe, si une faute, distincte, est établie ;
Attendu que sur les deux étiquettes :
- la couleur bleue est associée à la couleur orange ;
- la couleur bleue et foncée dans le bas de l'étiquette et claire dans la partie supérieure ;
- la couleur orange se transforme en jaune sur la partie supérieure de l'étiquette ;
- le motif central, plus ou moins ovale, est de couleur orange ;
- les mots " Orangina ", respectivement " orange " et " pulpe " sont écrits en grandes lettes blanches sur fond bleu et orange ;
Attendu que s'il n'y a pas copie servile, il y a des similitudes dans les caractéristiques essentielles des étiquettes qui ne sont pas imposées par des contraintes techniques(notamment en ce qui concerne l'emplacement et l'utilisation des couleurs et l'utilisation de la couleur bleue laquelle n'est normalement pas de nature à suggérer une boisson à l'orange)
Attendu que le fait de se rattacher, de manière directe ou indirecte à l'entreprise d'un concurrent à la notoriété incontestable, en profitant du courant d'achats établi en faveur d'articles commercialisés par ce denier et en dérivant à son bénéfice une initiative commerciale impliquant diverses dépenses et la prise d'un risque, constitue un agissement parasitaire, même si la confusion n'est pas spécialement recherchée(Paris 24/11/88) ;
Attendu que si la vente d'un produit à un prix inférieur à celui pratiqué par un concurrent n'est pas en elle-même constitutive d'une faute, il en est autrement si cette situation a été favorisée par le profit tiré des efforts ou des investissements dudit concurrent(Cass Com 19/11/91) ;
Attendu qu'il existe donc une faute distincte de la simple reproduction des signes publicitaires du concurrent et que c'est à bon droit que le premier juge a, dans ses motifs, déclaré la SARL Lidel responsable de ces agissements constitutifs de la concurrence déloyale ;
Attendu qu'il convient d'ajouter au dispositif du jugement entrepris en déclarant l'action de la SA Compagnie française des produits Orangina en concurrence déloyale recevable ;
Attendu que les autres moyens de la SA Compagnie française des produits Orangina, notamment ceux relatifs à la fraude, sont superfétatoires ;
Attendu qu'il résulte d'études économiques que les comportements ci-dessous stigmatisés portent atteinte à l'image de la marque et entraînent quasi mécaniquement des transferts d'achats conscients ou inconscients, d'où un manque à gagner tangible(Jean-Noêl Kapfere, Professeur au Groupe HEC et Jean-Claude Thoenig (Professeur à l'INSEAD) ;
Attendu que toutes les parties vendant des boissons à l'orange, elles sont en situation de concurrenceet il importe peu que l'une attire davantage une clientèle attachée à la notoriété d'une marque et l'autre une clientèle recherchant les prix les plus bas, alors surtout qu'en période de faible croissance une partie de la clientèle de la marque notoire est nécessairement attirée par un prix anormalement bas pour un article ressemblant à l'article original ; (Comm. 19/11/91) ;
Attendu qu'en fixant le préjudice ainsi subi par la SA Compagnie française des produits Orangina à 100.000 F, toutes causes confondues, le premier juge a correctement apprécié le dommage subi et que le jugement entrepris doit également être confirmé sur ce point, l'appel incident de la SA CFPA étant rejeté ;
Attendu que le dommage d'une créance indemnitaire s'appréciant au jour de la décision, il n'y a pas lieu, comme le demande la SA Compagnie française des produits Orangina, de fixer le point de départ des intérêts au jour de l'assignation ; qu'en l'espèce le point de départ des intérêts doit être, en ajoutant à la décision du premier jour, fixé au jour du jugement entrepris, date d'appréciation du dommage ;
Attendu que la SARL Lidel et la Société Schiffer Food BV ayant, du propre aveu de la SA Compagnie française des produits Orangina, créé une " nouvelle marque et un nouveau logo dont les éléments s'éloignent soigneusement de la combinaison " litigieuse, il n'y a pas lieu de prononcer une condamnation à l'interdiction d'utiliser les étiquettes en cause et à la publication de l'arrêt dans différents journaux et périodiques ;
Attendu que le jugement entrepris doit donc également être confirmé sur ce point et que l'appel incident de la SA Compagnie française des produits Orangina doit être rejeté ;
II. QUANT A L'APPEL EN GARANTIE DILIGENTE PAR LA SARL LIDEL A L'ENCONTRE DE LA SOCIETE SCHIFFER FOOD BV :
Attendu que la Société Schiffer Food BV ayant pris l'initiative de diffuser le produit litigieux, c'est à juste titre que le premier juge l'a condamnée à décharger la SARL Lidel de la condamnation prononcée à l'encontre de cette dernière, qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris sur ce point.
III. QUANT A L'ARTICLE 700 DU NCPC
Attendu que l'équité commande de condamner la SARL Lidel à payer à la SA Compagnie française des produits Orangina sur le fondement de l'article 700 du NCPC la somme de 5000 F ;
Attendu que toutes les autres demandes au titre du même texte doivent être rejetées ;
Attendu que la société Schiffer Food BV doit également êre condamnée à décharger la SARL Lidel de la condamnation ci-dessus prononcée à l'encontre de cette dernière en application de l'article 700 du NCPC.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement : Reçoit la Société Schiffer Food BV en son appel principal ; Reçoit la Société Lidel en son appel provoqué ; Reçoit la SA Compagnie française des produits Orangina en son appel incident ; Au fond rejette les dits appels ; Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ; Y ajoutant : Déclare recevable l'action en concurrence déloyale intentée par la SA Compagnie française des produits Orangina à l'encontre de la SARL Lidel ; Dit que le point de départ des intérêts légaux sur la somme de 100.000 F est le 21 mai 1991 ; Fait masse des dépens et condamne à leur paiement la Société Schiffer Food BV ; Condamne la SARL Lidel à payer à la SA Compagnie française des produits Orangina au titre de l'art. 700 du NCPC, une somme de 5.000 F ; Condamne la Société Schiffer Food BV à décharger la SARL Lidel de la condamnation ci-dessus prononcée en application de l'art. 700 du NCPC ; Rejette toutes autres conclusions des parties.