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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 11 mai 1994, n° 92-1530

GRENOBLE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Starnège (SA)

Défendeur :

Delas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Berger

Conseillers :

M. Baumet, Mme Brenot

Avoués :

SCP Calas, Balayn, SCP Perret, Pougnand

Avocats :

Mes Fagot, Marec.

T. com. Grenoble, du 21 févr. 1992

21 février 1992

Les faits et la procédure

La Société Anonyme Delas distribue en France un matériel canadien de production de neige artificielle dénommé Turbo Crystal.

La Société Anonyme Starnege distribue avec exclusivité pour la France le canon à neige Lenko construit en Suède.

Estimant que la lettre d'information n° 5 que la Société Anonyme Starnege a adressé aux Maires et Directeurs de stations de sports d'hiver constitue un acte de concurrence déloyale et de publicité comparative illicite, la Société Anonyme Delas l'a assignée devant le Tribunal de Commerce de Grenoble en paiement de dommages et intérêts et publication du jugement à intervenir.

Par jugement du 21 février 1992 ce Tribunal :

- a condamné la Société Anonyme Starnege à verser à la Société Anonyme Delas, la somme de 100.000 F à titre de dommages et intérêts

- a dit que le dispositif de ce jugement fera l'objet d'une seule publication aux frais de la Société Anonyme Starnege dans les revues " Aménagement et Montagne " et " News Montagne "

- a condamné la Société Anonyme Starnege à payer à la Société Anonyme Delas la somme de 10.000 F en vertu de l'article 700 du NCPC.

- A dit n'y avoir lieu de prononcer l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 6 avril 1992, la Société Anonyme Starnege a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Les moyens des parties

La Société Anonyme Starnege expose au soutien de son appel que dans son graphique présenté sous forme de jeu, elle a diffusé une information et non un message publicitaire, qu'il ne s'agit donc pas d'une publicité comparative entrant dans le champ d'application de la concurrence déloyale et qu'elle s'est bornée à ne publier que des informations exactes qui ne peuvent en aucun cas porter un dénigrement à la Société Anonyme Delas.

La Société Anonyme Starnege ajoute qu'elle n'a pas cité le nom d'un concurrent, ni les produits concurrents dans le graphique incriminé, ni encore le moindre logo, marque commerciale ou signe quelconque distinctif, qu'il n'y a donc pas eu publicité comparative ou dénigrement indirect comme le prétend la Société Anonyme Delas.

La Société Anonyme Starnege fait valoir que la Société Anonyme Delas ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un quelconque préjudice puisque la perte de nombreux marchés invoquée par l'intimée n'est pas établie.

La Société Anonyme Starnege sollicite l'infirmation du jugement et la condamnation de la Société Anonyme Delas à lui payer la somme de 500.000 F à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

La Société Anonyme Delas demande la confirmation du jugement sauf à la Cour de constater que les moyens employés par la Société Anonyme Starnege constituaient un dénigrement indirect invitant la clientèle à choisir les produits Starnege plutôt que ses produits.

Elle demande que son préjudice soit évalué à la somme de 1.000.000 F et qu'une nouvelle indemnité de 20.000 F lui soit allouée en application de l'article 700 du NCPC.

Motifs de la décision

La Société Anonyme Starnege a diffusé aux Maires et Directeurs de station d'hiver une lettre d'information n° 5 en Septembre 1990 contenant le paragraphe suivant : " Le jeu de l'été : choisir un canon BP ".

La publicité comparative est interdite mais pas les jeux de piste. Un client attentif nous a adressé le graphique suivant sur lequel sont reportés les performances des principaux canons BP du marché, telles qu'elles figurent sur les documents techniques des constructeurs.

Après les avoir vérifiés, nous publions ces courbes ... en supprimant les noms des marques - Amusez vous à les remettre - Lenko est en bonne place ". Suit une abaque présentant en abscisse et en ordonnée une échelle de capacité de production de neige des canons en 110 heures et une échelle des températures inférieures à 0°.

Le graphique positionne les performances numérotées de 5 canons concurrents à température - 4° pour une hygrométrie retenue de 60 % et une densité de neige produite de 400 kg/M3.

Il est ensuite indiqué dans ce graphique que d'autres critères doivent être pris en compte et exemple est pris des nombreuses caractéristiques qu'examine habituellement l'acheteur d'un véhicule automobile avant sa décision.

Ce document ne peut constituer une publicité comparative illicite, en effet, il ne peut être qualifié à proprement parler de publicité puisque les noms des différents canons à neige n'apparaissent pas, rendant impossible toute comparaison.

En effet, la Société Anonyme Starnege n'a cité ou représenté aucune marque, raison sociale, dénomination sociale ou nom commercial, les courbes contenues dans son graphique n'étant identifiables que par des numéros.

S'il est vrai que sur leurs demandes les directeurs des stations du Corbier et de Puy Saint Vincent ont pu connaître le nom des constructeurs des canons à neige correspondant aux différentes courbes, les différents constructeurs n'étaient pas aisément identifiables sans ces révélations et le graphique ne permettait pas d'orienter le jugement au premier regard comme l'a à tort retenu le Tribunal.

Au surplus, ainsi que ne le conteste pas la Société Anonyme Delas, la Société Anonyme Starnege ne s'est appuyée que sur des renseignements exacts pour établir son graphique. Elle n'a à aucun moment faussé les résultats et a puisé son information dans les documents émanant de ses concurrents.

S'il est certain que la Société Anonyme Starnege a choisi des paramètres qui lui étaient favorables, elle a en averti ses lecteurs puisque son graphique est suivi de l'avertissement suivant : " Juger sainement un canon à neige exige de prendre en compte d'autres critères que la courbe de production et ce n'est pas forcément aisé ".

Enfin, le fait que les Directeurs des stations du Corbier et de Puy Saint Vincent aient connu sur leur demande le nom des constructeurs correspondant aux numéros figurant sur le graphique, n'a eu aucune incidence pour la Société Anonyme Delas, puisque cette dernière à finalement été choisie par la station du Corbier et que la Société Anonyme Starnege a été retenue par la station de Puy Saint Vincent en raison de son prix plus bas que celui de la Société Anonyme Delas.

Il n'y a eu donc ni dénigrement, ni publicité comparative illicite constitutifs de concurrence déloyale de la part de la Société Anonyme Starnege à l'encontre de la Société Anonyme Delas.

Au surplus, cette dernière ne démontre pas l'existence d'un quelconque préjudice.

La Société Anonyme Starnege ne prouve pas le caractère abusif de la procédure engagée par la Société Anonyme Delas, sa demande de dommages et intérêts sera rejetée.

Il convient par contre de fixer à la somme de 10.000 F, le montant des frais irrecouvrables qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la Société Anonyme Starnege.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau : Dit que le graphique diffusé par la Société Anonyme Starnege en Septembre 1990 n'est pas constitutif de concurrence déloyale, Déboute la Société Anonyme Delas de ses demandes, Rejette la demande en paiement de dommages et intérêts présentée par la Société Anonyme Starnege, Condamne la Société Anonyme Delas à payer à la Société Anonyme Starnege la somme de 10.000 F (dix mille francs) en application de l'article 700 du NCPC, Condamne la Société Anonyme Delas aux dépens de première instance et d'appel, Autorise la SCP d'Avoués Calas et Balayn, à recouvrer directement les dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.