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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 9 mai 1994, n° 92-008373

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Décor (SA)

Défendeur :

IPA Peintures Gauthier (SA), Papiers Peints du Vaucluse Parimidi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouge

Conseillers :

Mme Mandel, M. Brunet

Avoués :

SCP Teytaud, Me Huyghe

Avocats :

Mes Gervy, Leonis.

T. com. Paris, 11e ch., du 10 févr. 1992

10 février 1992

Faits et procédure

Suivant acte sous seing privé du 21 juin 1977, la SA IPA Peintures Gauthier (ci-après IPA) a concédé à la SA Le Décor l'exclusivité de la vente de ses produits de peinture pour le bâtiment ainsi que des revêtements muraux Suwide pour le département de l'Hérault et le Canton du Vigan (Gard), ledit contrat étant conclu pour une durée indéterminée avec faculté pour chacune des parties d'en "demander la résiliation à toute époque à l'expiration d'un préavis de 6 mois".

Par lettre recommandée avec avis de réception du 28 juin 1989, IPA, alléguant des dysfonctionnements du contrat, a déclaré user de cette faculté, le préavis courant à compter du 1er juillet 1989 pour prendre fin le 31 décembre suivant.

Des difficultés sont survenues entre les parties au cours de cette période au sujet notamment du règlement de traites et, par lettre du 14 novembre 1989, IPA a annoncé sa décision de faire application, pour ce motif, de la clause de résiliation de plein droit stipulée au cas d'inexécution par l'une des parties de ses obligations.

En application de l'article 5.4° alinéa 2 du contrat, le litige a été soumis à deux "arbitres" - il s'agissait, en réalité, d'une procédure de conciliation préalable à une instance judiciaire - qui, par une sentence du 27 juillet 1990, ont constaté le montant des créances réciproques tel que reconnu par les parties mais pris acte de l'absence de conciliation sur le surplus du litige et notamment sur les griefs de résiliation abusive et de concurrence déloyale articulés à l'encontre d'IPA, laquelle, selon Le Décor, aurait invoqué des prétextes fallacieux pour résilier l'accord de concession, tenté en vain de racheter son fonds à vil prix et créé par l'intermédiaire d'une filiale dénommée Papiers Peints du Vaucluse Parimidi (PPV) un magasin concurrent sous une enseigne (Magidécor) susceptible de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle, cette société ayant, en outre, débauché une partie du personnel de l'ancien concessionnaire.

Après l'échec de la procédure amiable, IPA a, le 4 octobre 1990, assigné Le Décor en paiement du solde dégagé par la sentence, soit 1.182.521,76 F augmentée des intérêts légaux à compter du 16 janvier 1990 et d'une indemnité de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Le Décor a, le 19 décembre 1990, assigné en intervention forcée PPV pour la voir condamner solidairement avec IPA à lui payer 2.990.000 F à titre de dommages-intérêts, outre 50.000 F pour frais irrépétibles d'instance. Elle a ensuite sollicité la jonction des procédures, élevé sa demande de dommages-intérêts à 3.290.000 F, à compenser avec le solde de sa dette, et majoré sa demande au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

IPA et PPV ont conclu au débouté, augmenté à leur tour leurs demandes accessoires et sollicité, à titre subsidiaire, la désignation d'un expert financier pour apprécier le préjudice allégué par Le Décor.

Elles ont encore, ultérieurement, demandé qu'il soit mis fin sous astreinte à la parution d'annonces publicitaires dans lesquelles Le Décor aurait fait usage de leurs marques.

Par jugement du 10 février 1992, le Tribunal, après avoir constaté que la jonction des instances était intervenue en cours de procédure, a :

- donné acte à IPA de ce qu'elle garantissait PPV de toute condamnation,

- condamné Le Décor à payer à IPA la somme de 1.182.521,76 F,

- condamné solidairement IPA et PPV à payer à Le Décor 100.000 F à titre de dommages-intérêts et ordonné, entre ces deux sociétés, la compensation de leurs créances réciproques, les intérêts étant dus à compter du 16 janvier 1990,

- rejeté le surplus des demandes et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le Décor a interjeté appel le 20 mars 1992 et conclu le 17 juillet suivant à l'infirmation du jugement sur le montant des dommages-intérêts mis à la charge d'IPA et PPV, dont elle sollicite l'élévation à 3.455.216 F, demandant en outre que la compensation prenne effet à la date de la rupture du contrat et que la créance d'IPA, qu'elle ne conteste pas quant au principal, ne produise, en conséquence, pas d'intérêts.

Elle réclame au surplus une indemnité de 40.000 F hors taxes au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

IPA et PPV ont déposé, le 18 février 1993, des conclusions communes de confirmation, sauf en ce qui concerne la condamnation à dommages-intérêts prononcée à leur encontre, sollicitant le débouté de l'appelante de ce chef et sa condamnation à leur payer une somme de 4.000 F pour leurs frais non taxables d'instance.

Cela exposé, LA COUR,

Considérant que la créance d'IPA au titre du solde des dettes réciproques nées en cours d'exécution du contrat de concession, fixée d'un commun accord sous l'égide des arbitres à 1.182.521,76 F (1.594.786,73 - 412.264,97) ne donne pas lieu à discussion quant au principal, la Cour n'étant saisie que d'une contestation relative aux intérêts ;

Considérant, à cet égard, que les intérêts moratoires sont dus, conformément à l'article 1153 du Code Civil, à compter de la mise en demeure, dont il n'est pas contesté qu'elle résulte d'une sommation du 16 janvier 1990 (la date du 16 février 1990 mentionnée en page 4 des conclusions de l'appelante résultant, semble-t-il, d'une erreur matérielle) ;

Que, par suite, la réponse à la question de la compensation dépend exclusivement du point de départ des intérêts sur les dommages-intérêts au cas où il en serait alloué à l'appelante ;

Considérant d'autre part qu'IPA ne reprend pas en appel sa demande incidente relative aux annonces par lesquelles Le Décor aurait fait un usage illicite de ses marques ;

Considérant que la Cour se trouve donc exclusivement saisie de la demande relative au caractère prétendument abusif de la résiliation du contrat de concession et aux faits de concurrence déloyale qui auraient accompagné ou suivi la rupture des relations contractuelles ;

Sur la résiliation du contrat de concession

Considérant que Le Décor fait grief à IPA d'avoir, après dix années de collaboration ininterrompue, mis fin à la concession de manière brutale, sans aucune mise en garde préalable et pour des motifs fallacieux ;

Considérant qu'il convient d'observer que cette demande ne peut être utilement dirigée que contre IPA, PPV n'ayant jamais eu de relations contractuelles avec Le Décor, sauf à admettre qu'elle se soit rendue complice d'IPA dont il n'est pas contesté qu'elle est une filiale ;

Considérant, cela observé, que la lettre de résiliation du 28 juin 1989, après avoir fait référence à de " récents différends d'ordre commercial " dont la nature n'est pas précisée, énonce notamment " Il me semble en effet que le contrat de concession qui nous lie depuis 1977 ne fonctionne plus, ni dans l'esprit ni dans la lettre " ;

Qu'elle mentionne, " à titre d'exemples "

- le refus de Le Décor de distribuer la gamme de revêtements muraux Suwide et Sari,

- sa décision de régler les factures à une échéance différente de celle convenue,

- sa réticence à faire figurer sa qualité de concessionnaire exclusif sur ses documents commerciaux,

- son refus d'accepter des objets promotionnels livrés à des prix préférentiels ;

Considérant que l'appelante conteste point par point ces allégations et produit différentes pièces desquelles il résulte que celles-ci sont, pour le moins, fortement discutables ;

Considérant notamment qu'en ce qui concerne les délais de paiement, IPA avait, par une lettre du 23 juin 1977, expressément accepté que, pour l'année 1978, les règlements, pour les produits Gauthier, soient faits à " 90 jours le 10 du mois " au lieu de 60 jours fin de mois + 10 jours ;

Que, si cette lettre ajoutait qu'elle reviendrait, dès l'année 1979, à cette dernière échéance, qui était initialement convenue, il résulte de l'examen de relevés de factures des années 1989 et 1990 que la pratique des paiements à " 90 jours + 10 jours " avait, perduré avec l'agrément d'IPA puisque c'est celle-ci même qui a établi les relevés en question et qu'elle ne justifie pas la moindre initiative pour y mettre fin ;

Considérant, sur la mention de la qualité de concessionnaire, que l'appelante produit un spécimen de facture sur lequel apparaît très nettement, en haut à droite, la mention " Distributeur Peintures Gauthier " encadrant le logo de cette marque ;

Considérant qu'IPA ne rapporte aucune preuve d'un refus par Le Décor des quotas d'achats annuels et qu'il résulte de plusieurs documents datés de 1987, 1988 et 1989, que des ristournes avaient été accordées, ce qui laisse à penser que les volumes d'achats étaient globalement satisfaisants ;

Considérant que, si une difficulté paraît être survenue en 1989 à propos des objets promotionnels, les éléments fournis par Le Décor ne permettent pas de conclure à une faute de sa part et que, par ailleurs, IPA ne verse rien aux débats sur ce point ;

Considérant, plus généralement, que l'on comprend mal, si IPA avait eu à formuler des griefs sérieux à l'encontre de son concessionnaire, qu'elle ne soit pas en mesure de justifier de mises en garde antérieures à sa lettre de résiliation ;

Considérant que ce n'est donc sans quelque raison que Le Décor estime que les motifs invoqués par celle-ci ne constituent pas la véritable explication de la décision de rupture ;

Mais considérant qu'en réalité, l'article V 1° du contrat, en stipulant que celui-ci était à durée indéterminée avec faculté pour chaque partie d'en demander la résiliation à toute époque à l'expiration d'un préavis de 6 mois, n'imposait nullement que cette décision fût motivée;

Considérant qu'en vain, Le Décor soutient que l'expression " en demander la résiliation " impliquait que celle-ci fût acceptée par l'autre partie ;

Qu'en effet, ainsi interprétée, la clause en question serait à la fois inutile, les parties pouvant toujours mettre fin à leurs conventions d'un commun accord et sans qu'il soit besoin de respecter un préavis, et incomplète, puisqu'elle n'évoque même pas les conséquences d'une refus par l'autre partie ;

Considérant que, malgré l'emploi d'un terme assurément impropre, c'est donc bien une faculté de résiliation unilatérale qui était ainsi ouverte au concédant comme au concessionnaire ;

Qu'IPA, qui n'a fait qu'user de cette faculté en respectant le préavis conventionnel, ne peut donc, en dépit de l'inanité des motifs invoqués dans sa lettre du 28 juin 1989, être condamnée du seul fait de sa décision de mettre fin aux effets du contrat, rien, dans les circonstances de la cause, ne permettant d'affirmer que cette décision constituait un abus de droit;

Sur le grief de concurrence déloyale

Considérant qu'il n'est pas contesté qu'à la suite de la décision de résiliation du 28 juin 1989, IPA a manifesté le désir d'acquérir le fonds de commerce de la société appelante, désir qu'elle a, en particulier, exprimé de façon formelle par une lettre du 13 octobre 1989, mais qu'aucun accord n'a pu être trouvé sur ce point, ses propositions ayant été jugées par Le Décor manifestement insuffisantes et même ridicules ;

Considérant que, selon l'appelante, IPA s'est alors livrée à plusieurs manœuvres déloyales en vue de déprécier ce fonds, notamment en lui faisant perdre sa clientèle et en le désorganisant ;

Qu'il lui est notamment reproché, à ce titre,

- d'avoir tenté de semer la confusion par la création d'un autre commerce (a)

- d'avoir débauché du personnel (b)

- d'avoir refusé des livraisons au cours du préavis (c) ;

a) Considérant qu'il est constant que PPV a, au printemps 1990, ouvert à Pérols, route de Carnon, un fonds de commerce de gros, demi-gros et détail de peintures, papiers peints, revêtements de sols et murs et fournitures de bâtiment, ainsi qu'il résulte notamment d'un extrait K bis du 17 octobre 1990 ;

Considérant qu'il ressort d'un constat de Me Nekadi, huissier de justice à Montpellier, du 11 septembre 1990 que ce fonds a pour enseigne " Magidécor " suivie de l'inscription, sur son fronton : " Peintures Gauthier ", un plan des lieux versé aux débats indiquant qu'il est situé à 1000 mètres à peine de celui de l'appelante ;

Considérant qu'outre les liens étroits existant entre PPV et IPA, les deux sociétés ayant notamment pour dirigeant commun M. Jean-Pierre Walser, il est significatif qu'IPA ait, au début de l'année 1990, tenté d'acquérir le pas de porte d'un local situé précisément en face de celui du magasin Le Décor (lettre de la société Connexion à M. Salles, PDG de Le Décor, du 16.2.1990) ;

Considérant que l'emploi de l'enseigne Magidécor associée à la mention très apparente Peintures Gauthier était de nature à susciter une confusion dans l'esprit de la clientèle de l'appelante ;

Que le seul fait qu'IPA ait été titulaire de la marque complexe Point Décor ne suffit pas à exclure sa faute à cet égard, étant ici observé que le mot " Décor " ou ses dérivés ne sont que très rarement utilisés comme enseigne par les distributeurs des peintures Gauthier, dont une liste est produite aux débats ;

Considérant que l'intimée se borne à répliquer, sur ce point, que l'ouverture du magasin Magidécor est postérieure à la résiliation du contrat de concession puisque datant du mois d'avril 1990, mais que cette circonstance ne saurait exclure l'existence de faits de concurrence déloyale ;

b) Considérant, en second lieu, qu'il est également constant que PPV a embauché, dans son nouveau magasin six anciens salariés de Le Décor dont deux représentants, MM. Gauthier et Soulie, deux vendeuses, Mmes Aube et Fargues, et deux magasiniers MM. Martin et Frayssinhes, après que ceux-ci aient démissionné, la plupart entre le 8 décembre 1989 et le 10 janvier 1990 ;

Que Le Décor affirme sans être contredite qu'ils ont bénéficié de rémunérations nettement supérieures à celles qu'elle leur versait (de 30 à 40 % de plus) et que, de plus, le Tribunal de Commerce de Montpellier, par jugement du 14 mai 1991, a dit que M. Gauthier avait abusivement rompu son contrat et ordonné une expertise pour déterminer le préjudice qui en était résulté ;

c) Considérant que Le Décor fait encore grief à IPA d'avoir, avant la prise d'effet de la résiliation du contrat, refusé de lui livrer des marchandises en prenant prétexte du non paiement de fournitures antérieures et alors même qu'elle offrait de les lui régler comptant ;

Considérant que, si ce dernier reproche n'apparaît pas réellement pertinent dans la mesure où Le Décor devait effectivement à IPA des sommes considérables, ce qui pouvait autoriser cette dernière à lui opposer l'exception d'inexécution, il reste que la création, par société interposée, d'un magasin concurrent de son ancien concessionnaire, dans des conditions propres à créer au détriment de celui-ci un risque de confusion, et surtout l'embauche groupée de plusieurs anciens salariés après qu'ils aient démissionné dans des conditions pour le moins suspectes constituent des actes de concurrence déloyale dont Le Décor est fondée à demander réparation;

Considérant qu'il résulte de diverses attestations de la société Fiduciaire Madar, expert comptable de Le Décor, que le chiffre d'affaires de celle-ci, qui avait progressé régulièrement de 1987 à 1989 (23.504.108 F, 25.173.790 et 27.007.770 F HT), a accusé une chute importante en 1990 (22.958.687 F) avant d'amorcer une remontée en 1991 (24.308.384 F) ;

Que, sur ces sommes, la part correspondant aux produits IPA était légèrement inférieure à 5.000.000 F, soit environ 20 %, la marge brute dégagée atteignant environ 1.500.000 F ;

Considérant cependant que, s'il n'est guère douteux que cette baisse temporaire d'activité soit en relation avec la rupture du contrat de concession, il convient de rappeler que celle-ci n'est pas en elle-même fautive, seuls les actes postérieurs ci-avant spécifiés étant de nature à justifier une indemnisation à raison uniquement de leurs conséquences propres ;

Considérant qu'eu égard à l'ampleur de celles-ci, telle qu'on peut l'apprécier au vu des éléments de preuve produits et à l'importance des faits eux-mêmes, la somme de 100.000 F arbitrée par le Tribunal constitue une réparation équitable et que le jugement sera donc confirmé de ce chef ;

Considérant d'autre part que, compte tenu des liens déjà soulignés existant entre les sociétés IPA et PPV et du fait qu'elles ont, en la circonstance, manifestement agi de concert en vue d'un objectif commun, il y a lieu également de confirmer le jugement en ce qu'il les a condamnées solidairement envers Le Décor, sauf à corriger le motif erroné des premiers juges selon lequel le seul fait qu'IPA garantissait PPV suffisait à justifier cette disposition ;

Considérant que, du fait de la confirmation qui va être prononcée, les intérêts courront sur le montant des dommages-intérêts à compter du jour du jugement, conformément à l'article 1153-1 du Code Civil, et qu'il en sera tiré les conséquences quant à la compensation avec la créance d'IPA ;

Sur les frais de l'instance

Considérant qu'en raison de la disproportion existant entre les condamnations prononcées à l'encontre d'IPA et de Le Décor, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné cette dernière aux dépens ;

Que, Le Décor succombant sur l'appel dont elle a pris l'initiative, les dépens en seront également mis à sa charge ;

Considérant toutefois qu'eu égard aux fautes commises également par IPA et PPV, il n'est pas inéquitable que chacune des parties garde à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés ;

Par ces motifs : Statuant dans les limites de l'appel, Confirme, par des motifs partiellement substitués à ceux des premiers juges, le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Condamne la SA Le Décor aux dépens d'appel et admet Me Huyghe, Avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC. Dit n'y avoir pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du même code.