CA Toulouse, 2e ch., 13 avril 1994, n° 18-93
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Suchet (Consorts)
Défendeur :
Saint-Théodard (Association)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Milhet
Conseillers :
M. Schiex, Mme Ignacio
Avoués :
SCP Boyer-Lescat, SCP Nidecker-Prieu
Avocats :
SCP Conquet-Massol, SCP Levi-Beauté.
L'association Saint Théodard, qui administre l'école, le collège et le lycée de Saint Théodard à Montauban, a fait assigner Gaston Suchet, en sa qualité d'exploitant d'une auto école dénommée " Saint Théodard " en lui reprochant d'utiliser une raison sociale appartenant à autrui et protégée par la loi du fait du dépôt du nom de " Saint Théodard " effectué le 4 décembre 1991 et en exposant que l'utilisation de cette dénomination était de nature à opérer une confusion dans l'esprit du public et à porter atteinte aux droits de l'institution et a sollicité la condamnation de son contradicteur à modifier, sous astreinte, sa dénomination.
Le Tribunal de Grande Instance de Montauban a, par jugement du 20 octobre 1992, fait droit à cette demande.
Gaston Suchet a régulièrement interjeté appel de cette décision puis son fils Alain Suchet est intervenu volontairement à la procédure d'appel en indiquant qu'il exploitait seul l'auto école concernée et que son père devait, en conséquence, être mis hors de cause.
Alain Suchet conclut au rejet des demandes de l'intimée et à l'allocation de la somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée et de celle de 6 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile en faisant valoir que l'inscription au registre du commerce ne peut suffire à constituer un droit, que la dénomination doit être arbitraire et de fantaisie pour être protégée, que le nom de Saint Théodard fait partie du patrimoine public et ne peut faite l'objet d'une quelconque appropriation, que la protection du nom est assurée par l'action en concurrence déloyale qui ne saurait prospérer en l'espèce à défaut d'un risque de confusion dans l'esprit du public, que les activités respectives des parties ne présentent aucune similitude et que l'intimée ne bénéficie pas d'une notoriété exceptionnelle et ne justifie d'aucun préjudice.
Il réplique, par écritures subséquentes, que le nom de Saint Théodard ne peut pas être attaché au lieu où l'association exploite son activité et qu'aucun détournement de clientèle n'est possible.
L'Association Saint Théodard sollicite la confirmation de la décision déférée ainsi que l'octroi de la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles.
Elle soutient que le nom de Saint Théodard a toujours désigné le séminaire, l'école puis le collège et n'a jamais été étendu à la rue ou au quartier, que ce nom a été déposé au Tribunal de Commerce de Montauban le 4 décembre 1991 et constitue, donc, la marque officielle de l'établissement qui doit être protégée, que les consorts Suchet ont voulu créer dans l'esprit de leurs clients un parallèle entre leur commerce et le prestigieux établissement privé et laissent planer une confusion entre les activités des parties et que l'existence de son préjudice est établie.
Sur quoi, LA COUR
Attendu qu'il convient, à titre préliminaire, de déclarer recevable l'intervention volontaire en cause d'appel de Alain Suchet dès lors que celui-ci y a intérêt ;
Attendu, également, qu'il y a lieu de mettre Gaston Suchet hors de cause dès l'instant qu'il est justifié du fait que l'auto école concernée est exploitée par son fils Alain ;
Attendu, au fond, que l'association Saint Théodard, qui ne précise guère le fondement juridique de sa demande, semble exercer l'action en contrefaçon dès lors qu'elle fait état du dépôt du nom Saint Théodard à titre de marque ;
Mais, attendu qu'une action en contrefaçon n'est possible que si la marque (ou le nom) a été enregistrée après l'examen préalable fait par l'administration;
Attendu, en effet, qu'il est admis que seul l'enregistrement (et non pas le dépôt) confère le droit d'agir en contrefaçon ;
Or attendu que si l'association intimée justifie d'un dépôt de marque opéré le 4 décembre 1991 au Greffe du Tribunal de Commerce de Montauban, elle ne produit aucun document établissant l'enregistrement de cette marque (et ne prétend d'ailleurs pas que cet enregistrement aurait été à ce jour régularisé);
Attendu qu'à défaut de ce faire, ladite association ne peut exercer l'action en contrefaçon ;
Attendu que le déposant dont la marque n'a pas encore été enregistrée et qui se dit victime de faits de contrefaçon peut, dans ce cas, signifier son dépôt au contrefacteur lequel engagera sa responsabilité, s'il poursuit ses agissements, sur la base de l'article 1382 du Code Civil, mais seulement lorsque la marque aura été enregistrée (ce qui n'est pas soutenu en l'espèce ) ;
Attendu, certes, que l'absence d'enregistrement ne met pas obstacle à l'exercice de l'action en concurrence déloyale(non expressément invoquée par l'intimée) ;
Attendu, à cet égard, que s'il est de principe que le nom patronymique, mais aussi le nom de lieu ou à connotation historique, est susceptible d'ouvrir le droit de s'opposer à toute appropriation indue par un tiers, il est nécessaire lorsque le nom est utilisé à des fins commerciales ou professionnelles que le demandeur justifie de l'existence d'une confusion possible à laquelle il a intérêt à mettre fin, ainsi que la faute commise par le débiteur de réparation;
Attendu, quant au dommage ressenti par le créancier de réparation, qu'il ne résulte d'aucune des pièces du dossier que le nom de Saint Théodard serait lié exclusivement aux établissements gérés par l'association intimée et bénéficierait en tant que tel d'une notoriété particulière ;
Attendu, au contraire, qu'il appert de l'examen des pièces produits par A. Suchet que le vocable de Saint Théodard n'est pas indissociable du lieu (ou des immeubles) où sont installés les établissements scolaires dont l'intimée assure la gestion ;
Attendu, ainsi, que l'utilisation de ce nom par le susnommé ne risque pas d'entraîner une confusion dans l'esprit du public, et ce d'autant que les domaines d'activités des parties sont différents;
Attendu, en outre, que l'intimée ne caractérise pas le caractère fautif des agissements de son contradicteur ;
Attendu, ainsi, que l'action en concurrence déloyale ne saurait, non plus prospérer ;
Que la décision déférée se trouve, donc, en voie d'infirmation, l'association Saint Théodard étant déboutée de ses demandes ;
Attendu que la demande de dommages-intérêts formée par A. Suchet sera rejetée, la procédure diligentée par son contradicteur ne paraissant pas abusive ;
Que la Cour estime, par contre, équitable de lui allouer la somme de 6 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Que l'intimée, qui succombe, supportera les dépens ;
Par ces motifs, LA COUR, Reçoit, en la forme, l'appel jugé régulier ; Reçoit Alain Suchet en son intervention volontaire ; Infirme la décision déférée et statuant à nouveau : Déboute, pour les causes sus énoncées, l'Association Saint Théodard de ses demandes ; En tant que de besoin met Gaston Suchet hors de cause. Dit n'y avoir lieu à dommages intérêts ; Condamne l'Association Saint Théodard à payer à Alain Suchet la somme de 6 000 F (six mille francs) en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Boyer-Lescat, Avoués, conformément à l'article 699 dudit code.