Livv
Décisions

CA Versailles, 12e ch., 31 mars 1994, n° 305-92

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

France Fibres (SARL), Amarger

Défendeur :

Appli 5 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Belleau

Conseillers :

MM. Assié, Limoujoux

Avoués :

SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Gas

Avocats :

Mes Guillaumond, Sfez.

TGI Nanterre, 2e ch., du 30 sept. 1991

30 septembre 1991

Faits et procédure :

La Société Appli 5 est propriétaire en France de sept modèles déposés à l'INPI, sous le numéro d'enregistrement 893530 le 31 mai 1989, régulièrement publiés sous les numéros 275033 à 275039, portant sur des éléments d'architecture du type corniches, bandeaux ou moulures décoratives, qu'elle fabrique et vend.

Prétendant avoir appris que la Société France Fibres, constituée le 4 octobre 1989 par un de ses anciens salariés, Monsieur Jean-Claude Amarger, fabriquerait et commercialiserait des moulures d'architecture qui seraient la copie servile d'un de ses propres modèles référencé CL1 et publié sous le numéro 275038, la Société Appli 5 a sollicité et obtenu en référé l'autorisation de faire procéder, sur le fondement de la Loi du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles, à des saisies contrefaçons.

Trois procès-verbaux de saisies contrefaçon ont été dressés par ministère d'huissier le 28 septembre 1990.

S'appuyant sur ces constatations, la société Appli 5 a, par assignations des 12 et 15 octobre 1990, saisi le Tribunal de Grande Instance de Nanterre aux fins d'obtenir :

- la destruction du moule de la Société France Fibres servant à la réalisation des éléments contrefaisants et ce, sous astreinte de 10.000 F par jour de retard,

- l'interdiction faite à la Société France Fibres et à Monsieur Jean-Claude Amarger de fabriquer et de vendre le modèle contrefait,

- la condamnation solidaire de Monsieur Jean-Claude Amarger et de la Société France Fibres à lui payer la somme de 46 535 F HT correspondant aux recettes réalisées par la Société France Fibres au moyen de la vente des éléments contrefaisants au profit des Sociétés ERPE et FUMA,

- la condamnation solidaire de Monsieur Jean-Claude Amarger et de la Société France Fibres à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts complémentaires pour contrefaçon de modèles et atteinte aux droits tirés de la Loi du 11 mars 1957, ainsi que 300 000 F en réparation des actes de concurrence déloyale,

- la publication du jugement à intervenir aux frais avancés de Monsieur Jean-Claude Amarger et de la Société France Fibres.

Par jugement en date du 30 septembre 1991, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, faisant droit partiellement aux prétentions de la Société Appli 5 a :

- ordonné la destruction du moule utilisé par la Société France Fibres pour la réalisation des éléments de corniche contrefaisants et ce, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard, à compter du jour où le jugement sera devenu définitif,

- a fait interdiction à la Société France Fibres et à Monsieur Amarger de fabriquer et vendre le modèle contrefait sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée à compter du jour où le jugement sera devenu définitif,

- condamné solidairement Monsieur Amarger et la Société France Fibres à payer à la Société Appli 5 la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour la contrefaçon de modèles, ainsi que la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour les faits de concurrence déloyale,

- ordonné la publication du jugement par extrait ou par résumé aux frais des défendeurs dans trois journaux choisis par la société Appli 5, le coût de chaque insertion ne pouvant excéder 10 000 F,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné solidairement Monsieur Amarger et la Société France Fibres à payer à la Société Appli 5 la somme de 15 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Appel de cette décision a été relevé par la Société France Fibres et par Monsieur Amarger.

A l'appui de leurs recours, ces derniers soutiennent tout d'abord que le modèle prétendument contrefait ne présentait aucun caractère d'originalité et de nouveauté et qu'il n'est pas, en tant que tel, protégeable. Ils en déduisent que la contrefaçon n'est pas constituée et qu'il y a lieu à infirmation de ce premier chef.

Ils font ensuite valoir qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut leur être reproché dès lors que Monsieur Amarger n'était lié par aucune clause de non-concurrence à son ancien employeur et que le modèle de moulure dont s'agit ne constitue en rien une copie servile de celui commercialisé par la Société Appli 5.

Ils sollicitent également, en conséquence, l'infirmation du jugement déféré de ce deuxième chef et le rejet de l'ensemble des demandes formées à leur encontre.

Ils réclament enfin la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, ainsi que celle de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile.

La Société Appli 5 conclut, pour sa part, à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions. Elle fait cependant valoir que, depuis le prononcé du jugement, la Société France Fibres et Monsieur Amarger ont continué à commercialiser le modèle contrefaisant et à se livrer à des actes de concurrence déloyale. Elle sollicite, en conséquence, dans le cadre d'un appel incident, une mesure d'expertise pour permettre à la Cour de chiffrer le nouveau préjudice qui lui a été ainsi occasionné.

Discussion

Sur la contrefaçon :

Considérant que le modèle revendiqué par la Société Appli 5 est à usage de corniche de façade ; que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, ce modèle ne présente aucun caractère d'originalité ou de nouveauté.

Considérant, en effet, que ses formes géométriques n'incarnent aucun effort créateur en raison de leur banalité ; qu'elles correspondent simplement à des exigences fonctionnelles nécessaires pour permettre l'écoulement de l'eau et la fixation de la corniche en façade, exigences qui se traduisent comme dans des modèles de même type, par un plan incliné avec nez en façade revenant vers le plan vertical de départ au moyen d'une contre-pente ; que la seule fioriture ornementale constituée par un léger décrochement entre le nez et la contre-pente, ne saurait, à elle seule, témoigner d'une originalité créatrice susceptible d'entraîner la protection du modèle revendiqué et ce d'autant que les nombreuses références historiques, graphiques et photographiques produites aux débats, établissant que ce type de corniche, assortit d'ornements les plus divers, a été utilisé depuis l'antiquité en Egypte et qu'on le retrouve dans les architectures grecques, romaines, gothiques, comme celles des renaissances italienne et française et même dans l'architecture moderne et contemporaine.

Considérant que, dans ces conditions, faute d'originalité et de nouveauté, le modèle ne peut bénéficier d'aucune protection ; que le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a retenu la contrefaçon.

Sur la concurrence déloyale :

Considérant qu'il est de principe que ne peut être poursuivi pour concurrence déloyale un salarié non lié à son ancien employeur par une clause de non-concurrence qui, après la fin de son contrat de travail, entre aussitôt au service d'un nouvel employeur concurrent du précédent où exerce, pour son compte personnel, une activité concurrente de celle de son ancien employeur, même s'il visite les clients de ce dernier et leur offre, à qualité égale, de meilleurs prix; qu'il ne pourrait en aller autrement que si ce salarié dénigrait son ancien employeur, s'il entretenait une confusion avec ce dernier ou s'il débauchait ses salariés, étant observé qu'aucune critique n'est invoquée de ces derniers chefs à l'encontre de Monsieur Amarger.

Considérant que, de même, il ne peut être reproché à Monsieur Amarger et à la Société France Fibres d'avoir réalisé une copie servile du modèle revendiqué par la Société Appli 5 alors, d'une part, que les éléments fabriqués par la Société France Fibres présentent des différences notables de formes, de taille et de décoration avec le modèle concurrent et que, d'autre part, s'agissant d'un produit banal destiné à être produit en série pour le bâtiment, il relève d'une fabrication standard sur laquelle nul ne peut prétendre disposer d'un monopole.

Considérant enfin que le grief invoqué selon lequel la Société France Fibres aurait démarché une cliente de la Société Appli 5 dès novembre 1989, soit dès avant son inscription au Registre du Commerce de Meaux, le 11 janvier 1990, est démenti par le fait que cette immatriculation a été précédée par une immatriculation au Registre du Commerce de Paris en date du 4 octobre 1989.

Considérant qu'il suit de là que le jugement entrepris sera encore infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de réparation formée par la Société Appli 5 du fait de prétendus actes de concurrence déloyale et que seront rejetées l'ensemble des prétentions formées par cette dernière.

Sur les demandes complémentaires formées par les appelants :

Considérant que Monsieur Amarger et la Société France Fibres ne justifient pas du caractère abusif de l'action engagée à leur encontre par la Société Appli 5 ; qu'ils seront déboutés de la demande en dommages et intérêts qu'ils ont formée à ce titre.

Considérant en revanche qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge les sommes non répétibles qu'ils ont été contraints d'exposer pour faire valoir leurs droits ; que la Société Appli 5 sera condamnée à leur payer une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile.

Considérant enfin que la société intimée, qui voit ses prétentions rejetées, supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit Monsieur Amarger et la Société France Fibres en leur appel, Le dit fondé pour l'essentiel, Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré et, statuant à nouveau : Déboute la Société Appli 5 de l'ensemble de ses demandes, Rejette la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive formée par les appelants, Condamne, en revanche, la Société Appli 5 à payer à ces derniers une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile, La condamne également aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés directement par la SCP Fievet-Rochette-Lafon, Avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de Procédure Civile.