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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 14 mars 1994, n° 4465-93

POITIERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Garage Gauvin (SARL), Garage Relais de Chauray (Sté), Syndicat des professionnels européens de l'automobile

Défendeur :

Conseil national des professions de l'automobile, Garage St-Christophe (SA), Genève Automobiles (SA), Niort Automobiles (SA), Sodan (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Saint Arroman

Conseillers :

Mme Albert, M. Andrault

Avoués :

SCP Gallet, SCP Musereau Drouineau Rosaz

Avocats :

Mes Doury, Milchior, Fourgoux.

T. com. Poitiers, du 22 nov. 1993

22 novembre 1993

Le 21 septembre 1993, le Syndicat dénommé " Conseil National des Professions de l'Automobile " (CNPA), la société Garage Saint Christophe, la société Niort Automobile, la société Diffusion automobile Niortaise et la société Genève automobile ont assigné à jour fixe, devant le Tribunal de Commerce de Poitiers, la SARL Garage Gauvin et la SARL le Relais de Chauray, pour voir juger que celles-ci avaient, à l'occasion de leur activité de vente de voitures automobiles, commis à leur préjudice des actes de concurrence déloyale ayant entraîné pour elles un dommage dont elles demandaient réparation, et pour voir prononcer à leur encontre l'interdiction sous astreinte de poursuivre l'activité critiquée.

Elles produisent à l'appui de leur demande un constat d'huissier et des extraits d'annonces réalisées par voie de presse tendant à établir que ces deux sociétés proposaient à la vente des voitures neuves de marque Renault, Peugeot, Citroën et Ford, avec lesquelles elles-mêmes demanderesses étaient liées par des contrats de concession exclusive pour la région de Niort, soutenaient qu'ainsi ces deux sociétés méconnaissaient les dispositions de l'article 85-3 du Traité de Rome, ainsi que de celles du règlement 123-85 et de la communication du 4 décembre 1991, textes européens pris pour l'application du premier cité, et se livraient à leur détriment à une concurrence déloyale et mensongère en proposant lesdits véhicules neufs à des prix nettement inférieurs à ceux qu'elles mêmes pouvaient consentir en raison des charges qui grèvent leur propre activité du fait des contrats de concession les liant aux dites marques.

Elles exposaient que le préjudice qu'elles avaient subi, avait consisté en la perte de certains clients et en l'obligation de consentir des rabais anormaux pour conserver les autres, faits générateurs d'une baisse de leur chiffre d'affaire et de leurs résultats.

Pour leur défense, les sociétés Garage Gauvin et Garage le Relais de Chauray exposaient :

- que les véhicules qu'elles proposaient à la vente n'étaient pas neufs selon la définition donnée par la Cour de Justice des Communautés Européennes, selon laquelle est neuf un véhicule qui n'a jamais été immatriculé et n'a jamais été mis en circulation,

- que le règlement 123-85 devait être interprété restrictivement et son application limitée aux relations entre les concessionnaires et les mandataires,

- qu'elles n'agissaient pas en qualité de mandataires,

- que la communication du 4 décembre 1991 n'avait pas force de loi.

- qu'elles ne présentaient pas les voitures qu'elles vendaient comme des voitures neuves, mais comme des voitures d'occasion de faible kilométrage, de sorte qu'il ne pouvait leur être reproché de se livrer à une publicité mensongère.

- que les SA Genève Automobiles et Niort automobile proposaient également au moyen d'annonces publicitaires des voitures de faible kilométrage en les qualifiant véhicules d'occasion.

- que la liste de clients prétendument détournés présentée par les demanderesses n'était ni exacte ni probante de la réalité du détournement.

Ces sociétés avaient présenté une demande reconventionnelle tendant à ce qu'il sait fait interdiction aux demanderesses de vendre comme voitures d'occasion des voitures de moins de trois mois ou de moins de 3 000 F, ainsi que de vendre de telles voitures de marques autres que celles dont chacune était concessionnaire, ainsi que de les vendre hors les limites territoriales de leur concession.

Par jugement du 22 novembre 1993, le Tribunal a jugé que les contrats de concession exclusive étaient conformes à la législation européenne, que les sociétés Garage Gauvin et Garage le Relais de Chauray ayant vendu des véhicules dont la vente était réservée aux concessionnaires, s'étaient livrées à une concurrence déloyale et mensongère, ayant détourné la clientèle des demanderesses.

Il a estimé inopportun d'ordonner une expertise pour fixer le préjudice qu'il a évalué à 50 000 F par la société demanderesse, et à un franc pour le CNPA, après avoir admis la recevabilité de l'action de celui-ci ;

Il a prononcé contre les défenderesses sous astreinte de 50 000 F par infraction, la vente de voitures neuves à tout commerçant qui ne soit pas un utilisateur final sans être préalablement muni d'un mandat dans les conditions prévues par les textes européens.

Il a omis de statuer sur la demande reconventionnelle.

La société Garage Gauvin et Garage le Relais de Chauray ont régulièrement interjeté appel de ce jugement et ont été autorisées par ordonnance de Monsieur le Premier Président du 29 décembre 1993 à assigner à jour fixe.

Devant la Cour, les sociétés appelantes, aux côtés desquelles intervient un syndicat dénommé Syndicat des professionnels Européens de l'automobile (SPEA) reprochent au Tribunal :

- d'avoir reçu l'action du CNPA sans qu'ait été produit un mandat autorisant son président à attaquer un de ses membres, alors que l'extrait de ses statuts ne donne pas expressément compétence au CNPA pour intervenir en justice.

- d'avoir, pour définir un véhicule neuf, utilisé des critères retenus par la Cour de Poitiers et par la Cour d'Angers dans des affaires analogues, alors qu'il convenait d'utiliser un critère adopté par la Cour de Justice des Communautés européennes dans un arrêt du 16 janvier 1992 selon lequel un véhicule immatriculé pour les seuls besoins de l'importation peut être qualifié de neuf, seule la mise en circulation, et non l'immatriculation faisant perdre à son véhicule le caractère de véhicule neuf.

- d'avoir fait une mauvaise application des textes communautaires :

Elles relèvent à cet égard que le règlement 123-85 n'établit aucune obligation à l'encontre des signataires de contrat de concession ou de tiers à ce contrat, mais se borne à définir les conditions qui, si elles sont remplies, font échapper ces contrats à la nullité prévue par l'article 85-1 et 2 du traité, de sorte que ni ce règlement ni les contrats de concession auxquels elles sont liées ne peuvent leur être opposées ;

Elles relèvent aussi que les communications des 18 janvier 1985 et 4 décembre 1991 ne peuvent leur être opposées puisque, selon l'article 189 du Traité de Rome, les recommandations et avis ne tiennent pas.

Elles font valoir que le règlement 123-85 ni aucun texte n'indique que doit être considéré comme neuf un véhicule qui n'a pas plus de trois mois ou plus de 3 000 kilomètres.

Elles affirment que les véhicules dont la présence a été constatée sur leurs parkings sont des voitures acquises auprès de tiers et vendues comme des voitures d'occasion récentes, et ne peuvent être confondues avec les voitures neuves vendues par les intimées, de sorte qu'il n'a pu y avoir concurrence déloyale, les uns et les autres ne pouvant être considérés comme interchangeables.

Elles soutiennent aussi qu'à supposer que ces voitures puissent être considérées comme des voitures neuves, elles ont pu les acheter aux usines, certains contrats de concession autorisant les fabricants à vendre les véhicules neufs directement, et qu'en ce qui concerne les voitures achetées à des tiers, elles ont pu les acheter à des tiers ne faisant pas partie du réseau.

Elles font valoir que le Tribunal ne pouvait prononcer à leur encontre l'interdiction de vendre des voitures neuves d'autres marques que celles que représentent les intimées.

Elles reprochent au Tribunal d'avoir alloué des dommages intérêts alors qu'aucune demande chiffrée n'était présentée et que la liste des voitures achetées par des clients qui auraient été détournés comporte des inexactitudes et n'est pas probante.

Elles réitèrent leur demande reconventionnelle tendant à ce qu'il soit interdit aux intimées de vendre des voitures de moins de trois mois en ayant parcouru moins de 3 000 kilomètres de marques autres que celles dont elles ont la concession, ainsi que de vendre même des voitures d'occasion d'autres marques lorsque les contrats de concession le leur interdisent, ce qui est le cas des agents du réseau Citroën.

Elles demandent enfin une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC

Les intimées, par conclusions du 26 janvier 1994, après avoir exposé l'économie et la finalité des contrats de concession, et en particulier les bénéfices qui en résultent pour les consommateurs ainsi que pour la sécurité routière, rappellent que leur conformité aux dispositions de l'article 85-3 du Traité de Rome est admise, et qu'a été pris un règlement 123-85 pour préciser à quelles conditions il en est ainsi.

Elles rappellent qu'en vertu de ce règlement des revendeurs n'appartenant pas au réseau des concessionnaires ne peuvent obtenir la vente de véhicule neufs en qualité d'intermédiaires que s'ils agissent en vertu de mandats d'achat individualisés d'acheteurs utilisateurs finaux, et qu'en vertu de la communication du 4 décembre 1991, ces intermédiaires ne peuvent être que des mandataires prestataires de services, et doivent le préciser à leurs mandants.

Elles estiment que les sociétés Garage Gauvin et Garage Relais de Chauray, qui exercent une activité de revendeurs, avaient constitué des stocks sans disposer de mandats, et se présentaient dans leurs publicités comme des négociants disposant de stocks très importants de voitures n'ayant parcouru que quelques dizaines de kilomètres, ont exercé une activité interdite par la communication du 4 décembre 1991 et ont effectué une publicité illégale et au surplus mensongère en ce que cette publicité a fait état d'une garantie usine, alors que celle-ci ne peut être mise en œuvre que par les concessionnaires des constructeurs.

Les intimées font valoir aussi que l'activité des sociétés Garage Gauvin et Garage Relais de Chauray leur cause un grave préjudice en les privant de ventes alors que cependant elles assument la lourde charge du service après-vente.

Elles soutiennent que l'action du CNPA est parfaitement recevable puisque son objet est de favoriser l'extension du commerce et de la réparation automobile et qu'à cet effet, il a intérêt à faire respecter la réglementation qui régit cette activité, et ce même par ses membres.

Elles demandent à la Cour de reprendre la définition du véhicule neuf exposée dans son arrêt du 31 mars 1993, et selon laquelle peut être considéré comme neuf un véhicule de moins de trois mois ou qui a parcouru moins de 3 000 kilomètres, même s'il a été immatriculé pour les seuls besoins de son importation.

Elles font valoir que les appelantes ne peuvent être admises à soutenir que les contrats de concession leur seraient inopposables alors qu'en leur qualité de professionnels de la distribution automobile, elles ne peuvent ignorer ni l'existence, ni le contenu de ces contrats, et en particulier l'exclusivité qu'ils accordent aux concessionnaires.

Elles contestent l'affirmation des appelantes selon lesquelles celles-ci auraient acheté les voitures aux usines elles-mêmes, ces usines ne vendant plus à des revendeurs les voitures neuves depuis la loi de juillet 1992, et affirment que ces voitures ont été importées de Belgique et d'Italie.

Elles approuvent le Tribunal en ce qu'il a interdit aux appelants la vente de voitures neuves de toutes marques puisqu'il s'est agi par là de faire respecter la réglementation européenne qui vaut pour toutes les marques.

Sur le préjudice, elles demandent à la Cour de reprendre l'évaluation retenue par le Tribunal, ce préjudice résultant :

- de la captation de clientèle.

- de l'obligation pour elles, en ce qui concerne la clientèle, de lui consentir des remises.

Elles demandent enfin une somme de 25 000 F en réparation du préjudice causé par l'appel abusif de la société Garage Gauvin et garage Relais de Chauray, et une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Par conclusions du 25 janvier, les appelantes demandent à la Cour de faire injonction sous astreinte aux intimées de communiquer l'intégralité de leurs contrats de concession et les statuts du CNPA, de fixer un délai postérieur à l'audience pour la production d'une note en délibéré des appelants ou à défaut de fixer une nouvelle date de plaidoirie.

Elles demandent aussi de poser à la Cour de Justice les deux questions préjudicielles suivantes :

- la définition du véhicule neuf comme étant un véhicule immatriculé depuis moins de trois mois, ou ayant parcouru moins de 3 000 kilomètres et éventuellement étant en parfait état, est elle conforme au droit communautaire ?

- un contrat de concession peut-il bénéficier d'un règlement d'exemption par catégorie et être considéré comme apportant un bénéfice au consommateur alors qu'il existe des différences de prix allant jusqu'à 40 % et 32,2 % selon les pays ?

- au vu de ces divergences de prix, le règlement CEE 123-85 répond il toujours aux conditions édictées par l'article 85-3 du Traité ?

Elles demandent à la Cour, dans l'attente des réponses de la Cour de Justice, soit de les autoriser à revendre des voitures de moins de trois mois et de moins de trois mille kilomètres, soit d'interdire aux intimées de revendre des voitures de mêmes caractéristiques de marques dont elles ne sont pas concessionnaires.

Par conclusions du 28 janvier, les intimées demandent à la Cour de déclarer irrecevable l'action du syndicat SPEA tant qu'il n'aura pas justifié de sa capacité et de son intérêt à agir, et produit ses statuts, exposent qu'elles ont fait le nécessaire pour que le débat soit contradictoire, et s'opposent à ce que soient posées les questions préjudicielles en affirmant que la première et inutile et qu'il n'est pas dans les attributions de la Cour de Justice de statuer sur la validité de règlements.

Motifs :

Sur la nature des voitures mises en vente :

Le litige soumis à la Justice étant en litige en matière de concurrence, il convient essentiellement de déterminer si la mise en vente par les sociétés Garage Gauvin et Garage le Relais de Chauray des véhicules décrits dans le constat d'huissier et dans les documents publicitaires sur lesquels les concessionnaires ont fondé leur action a pu constituer une activité concurrente de l'activité des intimées définie dans les contrats de concessions, c'est à dire la vente de voitures neuves.

Or, il est établi par les pièces produites que ces voitures présentaient au compteur des kilométrages inférieurs à 100, et le plus souvent compris entre 10 et 20.

A l'évidence, de tels véhicules n'avaient pas circulé, si ce n'est pour les besoins de leurs déplacements en vue de leur mise à la disposition des acheteurs finaux.

A l'évidence aussi, de tels véhicules présentent le même intérêt économique et technique pour des acheteurs éventuels que des véhicules neufs vendus par les concessionnaires puisqu'ils ne présentent aucune usure et n'ont pu souffrir d'aucune mauvaise utilisation par des acheteurs finaux.

Ils présentent également le même attrait psychologique dans la mesure où n'ayant jamais été mis en circulation ni manipulés par de précédents propriétaires utilisateurs finaux, ils n'ont en rien perdu le charme et le pouvoir de séduction du neuf.

Par ailleurs, les sociétés appelantes n'établissent ni n'allèguent que ces véhicules aient présenté quelques défectuosités intrinsèques aux particularités d'ordre commercial, telles que des imperfections de fabrication, de menues dégradations subies en cours de transport de nature à les différencier des modèles standards, ou encore qu'il se soit agi de modèles périmés, circonstances qui justifieraient leur appellation de véhicules d'occasion en dépit d'un kilométrage faible ou nul, la notion de véhicule d'occasion devant être distinguée de celle de véhicule usagé, diverses circonstances de nature de celles ci dessus citées à titre d'exemple permettant de considérer comme véhicule d'occasion un véhicule n'ayant pas circulé.

Certes, les appelantes produisent devant la Cour des factures d'achat au " département occasion " de l'usine Citroën, ou encore au garage Citroën Félix Faure, ou à la succursale véhicules occasions des Automobiles Peugeot, de voitures présentant de très faibles kilométrages, mais il est à observer que la plupart de ces factures font état de particularités telles que :

- " Vendu dans l'état et sans garantie ",

- ou " Véhicule d'exposition déjà immatriculé ayant parcouru 10 kilomètres vendu d'occasion ",

- ou " Véhicule accidenté réparé dans le réseau "

- ou " Véhicule inondé ".

Mais elles ne font nullement la preuve, ni n'offrent de la faire, que l'ensemble des quelques 140 véhicules exposés et cités dans leurs publicités aient eu de telles origines et particularités ; qu'en tout cas qu'elles ne signalaient pas aux acheteurs éventuels, par plus qu'elles ne les avertissaient d'une absence de garantie.

Il en résulte que si les appelantes ont pu vendre quelques voitures acquises dans ces conditions et pouvant à ce titre être considérées comme voitures d'occasion, il convient de considérer que la grande majorité de celles mises en vente présentant un kilométrage compris entre 10 et 20 étaient des voitures achetées neuves dans un réseau parallèle.

Le fait que certaines de ces voitures aient déjà été immatriculées en Espagne ou en Italie, qui est établi par des documents versés aux débats par les appelantes, ne saurait par ailleurs les faire considérer comme véhicules d'occasion dans la mesure où ces formalités ont pu n'être effectuées que pour les besoins des déplacements et non en vue de la mise à la disposition d'un utilisateur final qui les aurait effectivement utilisés.

Sur le caractère de l'activité au regard du droit européen :

Le principe affirme que l'article 85-1 du Traité de Rome est la libre concurrence et la prohibition des ententes qui pourraient avoir pour effet de restreindre cette concurrence et de cloisonner le marché, mais l'article 85-3 établit une dérogation en faveur des ententes conclues entre constructeur et distributeur de voitures automobiles sous la forme des contrats de concession exclusive.

Il en résulte que ces contrats sont licites et lient réciproquement et valablement ceux qui y sont parties.

La solution du présent litige dépend de la réponse qui peut être donnée à la question de savoir si ces contrats peuvent être opposés à des tiers dans le contexte juridique général du droit européen qui est celui de la liberté.

Il convient en premier lieu de considérer que la communication européenne du 4 décembre 1991, en précisant que des négociants non concessionnaires peuvent acquérir des voitures neuves en vertu de mandats émanant d'acheteurs utilisateurs finaux individualisés, ne fait que confirmer cette licéité et de plus consacre implicitement l'opposabilité à tous de ces contrats dans la mesure où un mandataire n'étant dans ses rapports avec les tiers que le représentant de son mandant lui-même, qui est un utilisateur final, c'est ce dernier qui est juridiquement l'acheteur de sorte que les dispositions qu'elle contient ne constituent en réalité ni une dérogation ni une exception à la règle.

Il convient en second lieu de considérer que si l'opinion émise par Monsieur Temple Long, selon laquelle " au plan des principes, il va sans dire que, si un revendeur indépendant parvient à se procurer licitement des véhicules neufs au sein d'un réseau, ni le Règlement 123-85, ni la jurisprudence de la Cour de Justice ne justifient que le constructeur ou son importateur dans un Etat-Membre s'opposent à ce que ce revendeur les importe et les revende dans un Etat membre au seul motif qu'il n'est pas un revendeur agréé ou qu'il n'est pas un mandataire " s'inscrit exactement sur le plan théorique dans le contexte de la liberté du commerce affirmé par le Traité de Rome, elle méconnaît tant le droit des constructeurs de protéger leurs fabrications, que celui des concessionnaires de bénéficier de contrats régulièrement conclus.

En effet, les voitures automobiles ne constituent pas des produits ordinaires dont le fabricant peut se désintéresser dès qu'il en a opéré la délivrance à l'acheteur, mais des produits de haute technicité qui ne peuvent durablement donner à l'acheteur les satisfactions qu'il en entend que si, dans la période qui suit de près sa mise en service, il fait l'objet d'une certaine surveillance, et que si, au long de son existence qui atteint fréquemment 10 ans, les pièces de rechange nécessaires sont fournies dans de brefs délais, ce qui justifie pleinement que les fabricants prennent des dispositions propres à atteindre ces objectifs en réservant par des contrats de concession, leur agrément à des professionnels qu'ils ont sélectionnés et qu'ils surveillent et qu'ils puissent inversement refuser cet agrément aux autres, le bon fonctionnement du système nécessitant une concentration de moyens en appareillages et en stock auprès d'un nombre limité de concessionnaires.

Méconnaissant ce droit des fabricants, les sociétés appelantes ont nécessairement aussi méconnu le droit des concessionnaires à tirer tous les bénéfices de l'agrément que leur ont accordé les premiers d'être les seuls habilités à commercialiser leurs produits.

La circonstance que les réseaux de ces fabricants ne seraient pas étanches, c'est-à-dire qu'en d'autres lieux, soit dans la CEE, soit ailleurs dans le monde, ceux-ci ne réserveraient pas la vente de leurs produits à des concessionnaires exclusifs, ne saurait faire disparaître la faute ayant consisté de la part des appelants, à méconnaître les droits de ces fabricants et de leurs concessionnaires dans la région de Niort, aucun texte de droit européen, ni aucun principe de droit ne faisant obligation aux fabricants de ne procéder en tous lieux à la vente de leurs produits que par l'intermédiaire de concessionnaires, et des nécessités d'ordre juridique ou économique pouvant les conduire, voire les contraindre, à adopter légitimement un système dans certains pays et un autre dans d'autres.

Il sera donc jugé qu'elles se sont livrées à une concurrence déloyale et qu'elles doivent être condamnées à réparer le préjudice qui en est résulté et à cesser leur activité illicite, le tout en application des dispositions de l'article 1382 du Code Civil.

Sur le préjudice subi par les sociétés intimées :

Eu égard aux explications fournies et aux pièces produites, il doit être tenu pour constant que l'activité de vente de véhicules neufs à laquelle se sont livrées les sociétés appelantes, a détourné une partie de la clientèle qui revenait normalement aux concessionnaires, et ont pu contraindre celle-ci à consentir des remises anormales pour retenir des clients.

Une idée du préjudice peut être suggérée par le nombre de voitures ayant parcouru de 10 à 20 kilomètres trouvées par l'huissier dans les locaux des sociétés appelantes ou offertes à la vente par voie d'annonces au cours des mois de janvier 1992, décembre 1992, mars 1993, mai 1993, août 1993, soit 35 + 109 = 144 au vu des tableaux récapitulatifs figurant aux conclusions des intimées et que ne contestent pas les appelantes.

Son ordre de grandeur peut être déduit de l'augmentation du résultat de ces sociétés à une époque où les ventes de voitures par les concessionnaires étaient en baisse.

Eu égard à l'impossibilité de procéder de façon fiable à l'évaluation de ce préjudice par voie d'expertise, faute de certitude sur les motifs de décision de la clientèle, c'est à bon droit que le Tribunal a procédé par voie d'estimation, et les chiffres qu'il a retenus étant en rapport avec les constatations de fait, ils seront repris.

Sur la demande tendant à ce qu'il soit fait interdiction aux appelantes de poursuivre leur activité de vente de voitures neuves :

Dans la mesure où les sociétés appelantes ne soutiennent pas avoir agi en qualité de mandataires, la demande tendant à ce qu'il soit fait interdiction d'agir autrement qu'en cette qualité est sans objet.

C'est à bon droit que le Tribunal leur a fait défense de vendre, en qualité d'acheteur revendeur, des voitures neuves des marques représentées par les intimées, mais la Cour précise que par voiture neuve il faut entendre, une voiture récemment fabriquée ne présentant aucune particularité par rapport au modèle standard qui en diminue la valeur marchande, ni aucune défectuosité résultant d'un incident de fabrication ou d'un incident ultérieur, qui n'a pas été immatriculée au nom d'un utilisateur final, mise à la disposition de celui-ci et effectivement utilisée par lui de bonne foi.

Sur l'interdiction faite par le Tribunal aux appelantes de vendre des voitures neuves de marques autres que celles des marques représentées par les intimées :

Dans le mesure où ne sont en la présente cause que les concessionnaires des marques Citroën, Peugeot, Renault, et Ford, il n'est pas juridiquement possible à la Cour de statuer au sujet de la vente par les appelantes de voitures d'autres marques.

Sur la demande reconventionnelle tendant à ce qu'il soit fait interdiction sur le fondement des contrats de concession aux concessionnaires intimés de vendre des voitures neuves, ou même, dans le cas de Citroën, des voitures d'occasion, de marques autres que celles de leurs concédants ;

Il convient de constater que le Tribunal a omis de statuer sur cette demande.

Celle-ci ne paraît toutefois pas devoir être accueillie dans la mesure où les contrats de concession n'ont pas pour but de protéger des tiers mais de définir les droits et obligations réciproques des parties, et où celles-ci seules peuvent s'en prévaloir.

Sur la recevabilité de l'action du CNPA :

L'intervention de ce syndicat aux côtés des sociétés intimées étant conforme à son objet statutaire, et aucune disposition des statuts n'établissant de restriction en ce qui concerne une action à l'encontre de ses membres, elle devait être admise. C'est à bon droit qu'il lui a été alloué un franc de dommages et intérêts.

L'intervention du syndicat des professionnels européens de l'automobile doit être également admise, cette intervention étant conforme à son objet social.

Sur les questions préjudicielles :

Il n'y a pas lieu d'interroger la Cour de Justice des Communautés Européennes sur la définition du véhicule neuf dans la mesure où le présent arrêt adopte une définition conforme à celle précédemment retenue par la juridiction européenne.

Il n'est pas justifié de demander à cette Cour, si les contrats de concession exclusive doivent bénéficier d'un règlement d'exemption comme apportant un avantage équitable au consommateur dans la mesure où les différences de prix pouvaient aller jusqu'à 40 % en général et 32 % pour les marques en cause ; en effet, cette question est une question d'ordre général et la réponse qui pourrait y être apportée ne servirait pas à la solution du litige dans la mesure où les appelantes tout en soutenant qu'elles ne vendent que des véhicules d'occasion, ne précisent ni les lieux ni les prix où et auxquels elles les ont achetées.

Enfin, la question de l'opportunité de maintenir le règlement 123-85 ou de l'abroger ne relève pas de la compétence de la Cour Européenne, et au demeurant la réponse à cette question ne pouvait influer sur la solution d'un litige antérieur à une éventuelle abrogation.

Il est équitable d'allouer à chacune des parties intimées une somme de 5 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs, LA COUR, Reçoit les SARL Garage Gauvin et Garage le Relais de Chauray en leur appel. Reçoit l'intervention du Syndicat Européen des Professionnels de l'Automobile ; le déboute de ses demandes. Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré que ces sociétés se sont livrées à une concurrence déloyale au préjudice des intimées. Le confirme sur l'évaluation du préjudice et la condamnation à le réparer. Le confirme en ce qu'il a interdit aux appelantes sous astreinte de 50 000 F par infraction de vendre des voitures neuves. Y ajoutant, précise que par voiture neuve il faut entendre une voiture récemment fabriquée ne présentant aucune particularité par rapport au modèle standard qui en diminue la valeur marchande, ni aucune défectuosité résultant d'un incident de fabrication ou d'un accident ultérieur, qui n'a pas été immatriculée au nom d'un utilisateur final, mis à la disposition de celui-ci et effectivement utilisée par lui de bonne foi. Et précise que cette interdiction ne concerne que les voitures de marques dont les intimées ont la concession exclusive. Constate que le Tribunal a omis de statuer sur la demande reconventionnelle des sociétés Garage Gauvin et Garage le Relais de Chauray tendant à ce qu'il soit fait interdiction aux sociétés Garage Saint Christophe, Genève Automobiles, Niort Automobiles et Sodan de vendre des voitures neuves des marques dont elles n'ont pas la concession, et, en ce qui concerne le concessionnaire Citroën, des véhicules d'occasion d'autres marques, mais dit cette demande non fondée et les en déboute. Dit n'y avoir lieu de poser des questions préjudicielles à la Cour de Justice des Communautés Européennes. Confirme le jugement en ce qu'il a condamné les appelantes à verser 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, et les condamne sur le même fondement à leur verser 5 000 F au même titre pour les frais exposés en appel. Condamne les appelantes aux dépens et autorise la SCP Gallet à recouvrer ceux dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision.