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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 10 mars 1994, n° 90-16874

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pluri Publi (SA)

Défendeur :

Bouchayer

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

MM. Bouche, Le Fevre

Avoués :

Me Baufume, SCP Bernabe

Avocats :

Mes Lapeyrere, Dolan.

T. com. Paris, 7e ch., du 12 avr. 1988

12 avril 1988

Faits et procédure

Le 21 avril 1982, la société Pluri Publi, exerçant sous la marque Hestia une activité consistant à faciliter, par diffusion d'un bulletin d'annonces à des abonnés payants, les transactions immobilières entre particuliers, a conclu avec Monsieur Layral un contrat de franchise pour la ville de Grenoble et le département de l'Isère. Le contrat a été cédé à Monsieur Yves Bouchayer le 28 décembre 1984 avec l'accord de la société Pluri Publi.

Ce contrat était conclu pour cinq ans et renouvelable par tacite reconduction de 5 ans en 5 ans sauf dénonciation 6 mois avant la fin de la période en cours.

La date d'expiration de la première période quinquennale étant le 23 avril 1987 la dénonciation du contrat devait intervenir au plus tard le 21 octobre 1986.

La société Pluri Publi a adressé le 17 octobre au domicile personnel de Monsieur Bouchayer, 3 avenue Felix Vialat à Grenoble, une lettre recommandée avec accusé de réception, datée du 16 octobre. Cette lettre a été présentée sans succès au domicile du destinataire le 20 octobre et finalement retirée le 23 octobre 1986,

Monsieur Bouchayer a contesté la validité de la dénonciation du contrat et continue à exercer son activité sous la marque " Hestia " ;

Une clause du contrat attribuant compétence au Tribunal de commerce de Paris pour connaître de tous les litiges, une procédure a été engagée devant cette juridiction.

Par jugement en date du 12 avril 1988, le Tribunal de commerce de Paris a constaté que le contrat avait cessé d'exister le 20 avril 1987 à minuit, a ordonné à Monsieur Bouchayer de cesser d'exploiter la franchise Hestia, d'arrêter de publier son bulletin bi-hebdomadaire " les offres des propriétaires ", de faire disparaître toute publicité et signes d'identification à la marque Hestia et de restituer tous matériels et documents Hestia sous contrôle d'huissier et sous astreinte de 1 000 F par jour de retard à compter de la signification, a donné acte à la société Pluri Publi de ce qu'elle s'engageait à rembourser à Monsieur Bouchayer le prix des matériels et documents qu'il avait payés, et a ordonné l'exécution provisoire. Le Tribunal a cependant débouté la société Pluri Publi d'une demande de dommages et intérêts de 200 000 F.

La société Pluri Publi a interjeté appel par acte du 8 juin 1988, en limitant son recours au rejet de la demande de dommages et intérêts.

Demandes et moyens des parties

Par conclusions signifiées le 16 août 1990, l'appelante demande à la Cour de condamner Monsieur Bouchayer à lui payer à titre provisionnel 200 000 F de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'utilisation de son savoir-faire et de sa marque, " sauf à parfaire " à l'aide d'une expertise, ainsi qu'une somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir que le contrat a été dénoncé parce que Monsieur Bouchayer s'était mis à délaisser la franchise au profit d'une autre activité professionnelle et contestait les décisions stratégiques du franchiseur, et que le bureau était tenu par son épouse qui n'avait pas reçu de formation. Elle soutient que le contrat a été valablement dénoncé et le préavis respecté, que cette dénonciation n'est que la régularisation d'une décision connue de Monsieur Bouchayer dès juillet 1986, que l'élection de domicile au 46 boulevard Maréchal Foch à Grenoble que Monsieur Bouchayer aurait voulu voir préférée à son domicile personnel, ne concernait que les éventuelles difficultés d'exécution du contrat de vente du fonds de commerce conclu entre Messieurs Layral et Bouchayer ; que la société Pluri Publi n'était tenue que par le contrat de franchise, qui ne comportait aucune élection de domicile ; que la dénonciation a donc étévalablement notifiée au domicile de Monsieur Bouchayer. Elle ajoute que le contrat de franchise prévoyait la faculté de dénonciation unilatérale et que l'envoi de la lettre de dénonciation et non sa réception détermine la date de la dénonciation. Elle maintient qu'elle a subi des dommages du fait du maintien sans droit de l'exploitation de la franchise par Monsieur Bouchayer.

Par conclusions en réponse signifiées le 29 octobre 1990, Monsieur Bouchayer demande à la Cour de débouter l'appelante et sur appel incident de dire que le contrat de franchise n'a pas été valablement résilié par la lettre du 16 octobre 1986, et qu'il s'est en conséquence renouvelé par tacite reconduction pour cinq ans. Il sollicite la condamnation de la société Pluri Publi à lui payer 162 540 F en réparation d'une perte du chiffre d'affaires, 200 000 F de dommages et intérêts au titre de la perte de son fonds de commerce et 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il fait valoir qu'il a contribué à augmenter la notoriété de la franchise Hestia, qu'il a participé en tant qu'orateur à des manifestations organisées par le franchiseur, que son épouse était son employée et avait reçu une formation et que la véritable raison de la rupture réside dans son refus de la proposition faite par le franchiseur à tous les franchisés de signer un nouveau contrat moins favorable pour eux ;

Il prétend également que le contrat n'a pas été valablement résilié, la lettre de résiliation ayant été adressée à son domicile personnel rue Félix Viallet et non boulevard Maréchal Foch comme le prévoyait le contrat de vente dont la société Pluri Publi avait accepté toutes les clauses en y intervenant pour agréer le cessionnaire ;

Il ajoute que la société Pluri Publi a ouvert à proximité du sien un bureau Hestia concurrent dès octobre 1987 et que ce faisant, elle a violé ses engagements en particulier l'offre qu'elle avait faite dans sa lettre de résiliation du 16 octobre 1986, de revendre sa franchise et d'agréer l'éventuel acheteur. Il précise que le société Pluri Publi a repris l'intégralité du fichier dont il disposait et a pillé sa clientèle.

Par conclusions en réponse signifiées le 20 décembre 1993 l'appelante reprend son argumentation antérieure et soutient qu'elle a subi un préjudice considérable du fait de l'utilisation illicite de sa marque par l'intimé.

Sur quoi, LA COUR

Sur les demandes de l'appelant

Considérant que le contrat de franchise autorise sa dénonciation unilatérale avec préavis de six mois au moins avant l'achèvement de sa durée ; qu'il était conclu pour cinq ans ; qu'il n'est pas contesté que la dénonciation devait être notifiée au plus tard le 21 octobre 1986 ;

Que la lettre de dénonciation a été postée quatre jours avant la date limite ; qu'il importe peu qu'elle ait été reçue postérieurement, le contrat ne faisant pas de la date de la réception effective de la lettre celle de la manifestation unilatérale de volonté qu'il exige ; que la lettre a d'ailleurs été présentée au domicile du destinataire avant le 21 octobre 1986 ce qui suffirait à soi seul à établir que la dénonciation est intervenue à bonne date s'il convenait de s'en tenir à l'arrivée et non à l'envoi de la lettre ;

Considérant que le rapport fondamental liant le franchiseur au franchisé est le contrat de franchise ; que la société Pluri Publi n'est tenue par les dispositions de l'acte de vente intervenu entre l'ancien et le nouveau franchisé, qu'en ce qu'elle a accepté la cession ;

Que les clauses d'élection de domicile ou d'attribution de compétence juridictionnelle insérées dans cet acte de vente ne concernent que les éventuelles difficultés d'exécution de la cession ; qu'elles ne remettent pas en cause le contrat de franchise lui-même, objet de la cession ; que le président du Tribunal de commerce de Grenoble s'est d'ailleurs, par ordonnance de référé du 9 octobre 1987 non contestée, déclaré incompétent dans le présent litige parce qu'une clause du contrat de franchise attribuait compétence aux juridictions parisiennes alors que le contrat de vente conclu entre Messieurs Layral et Bouchayer attribuait compétence à celles de Grenoble ;

Considérant que le contrat de franchise ne comportait aucune élection de domicile ; que la lettre de dénonciation a donc été valablement adressée au domicile personnel de Monsieur Bouchayer ; qu'elle l'a été en temps utile, que le contrat de franchise a cessé, en conséquence, de lier les parties à compter du 21 avril 1987 ; que c'est donc sans droit ni titre que Monsieur Bouchayer a continué à utiliser pendant plusieurs mois la marque Hestia ;

Considérant que la société Pluri Publi qui réclame 200 000 F de dommages et intérêts ne fournit pas de justifications sérieuses à l'appui de sa demande ;

Qu'il n'appartient pas à la Cour de suppléer sa carence en désignant un expert d'autant qu'il serait désormais trop tard pour réunir des éléments d'une suffisante pertinence ;

Considérant que la société Pluri Publi a ouvert un nouveau bureau dès octobre 1987 ; que Monsieur Bouchayer a continué à remplir à son égard les obligations découlant du contrat initial qu'il estimait à tort irrégulièrement résilié et donc reconduit ; qu'il n'apparaît pas que la société Pluri Publi ait refusé de recevoir les redevances dues à ce titre ;

Qu'elle a certes été privée du profit direct que Monsieur Bouchayer a pu tirer de la poursuite d'activité ; qu'elle a pris à l'inverse peu à peu la clientèle de son ancien franchisé ; que le préjudice est faible et ne justifie pas plus que 100 000 F de dommages et intérêts ;

Sur les demandes de l'intimé, appelant incident

Considérant que Monsieur Bouchayer, qui a continué à exploiter sans droit ni titre la marque Hestia, ne peut reprocher à la société Pluri Publi la diminution de son chiffre d'affaires résultant de la création par le franchiseur d'un bureau concurrent à proximité du siège de son entreprise ;

Considérant que Monsieur Bouchayer avait acquis cependant son fonds de commerce de Monsieur Layral premier franchisé, que ce fonds de commerce conservait toute sa valeur dès lors que la société Pluri Publi s'était engagée à ne pas faire obstacle à sa cession ; que la raison de la rupture du contrat de franchise résidait en effet non pas dans des fautes de Monsieur Bouchayer mais dans son refus d'accepter un nouveau contrat modifiant les conditions de la franchise ainsi que cela résulte d'une lettre de la société Pluri Publi à Monsieur Bouchayer du 10 mars 1987 ;

Que la société Pluri Publi avait bien réalisé la précarité de sa position puisque, dans sa lettre du 16 octobre, elle s'engageait à donner à Monsieur Bouchayer la possibilité de revendre sa franchise afin de ne pas le spolier de son investissement, reconnaissant ainsi à la fois la réalité et la rentabilité de cet investissement ; que par lettre en date du 13 janvier 1987, la société Pluri Publi avait même proposé d'agréer Madame Bouchayer, à condition que celle-ci accepte le nouveau contrat et avait précisé qu'elle autorisait en cas de désaccord, son ancien franchisé a céder à un tiers son fonds de commerce de Grenoble.

Considérant qu'en ouvrant un bureau concurrent à proximité immédiate de celui de Monsieur Bouchayer, sans attendre le résultat qui n'était pas évident de procédures judiciaires et en s'efforçant de capturer la clientèle par une campagne de publicité, la société Pluri Publi a vidé de toute sa valeur le fonds de commerce de Monsieur Bouchayer et profité gratuitement des efforts de ce dernier; qu'elle n'a pas respecté ainsi la promesse qu'elle avait faite et doit réparation de sa faute ;

Considérant que le prix d'acquisition du fonds de commerce par Monsieur Bouchayer en 1984 était de 80 000 F ; que la valeur en a été sensiblement augmentée entre 1984 et 1987 ; qu'il convient à l'inverse de relever que Monsieur Bouchayer a quelque peu participé à la disparition du fonds en préférant son maintien en définitive irrégulier à une cession salvatrice et de chiffrer à 100 000 F le préjudice qu'il a subi ;

Considérant qu'eu égard aux circonstances et à la solution du litige, il n'y a pas lieu de prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et qu'il y a lieu de partager les dépens ;

Par ces motifs Constate que la Cour n'est plus saisie que de demandes de dommages et intérêts, Dit n'y avoir lieu à expertise, Dit que Gilles Bouchayer doit 100 000 F de dommages et intérêts à la société Pluri Publi, Constate l'extinction par compensation de ces deux obligations, Déboute les parties de toutes leurs demandes contraires ou complémentaires, Dit n'y avoir lieu à prononcer de condamnation en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en ce qui concerne les frais irrépétibles engagés en cause d'appel, Confirme le jugement déféré en ce qui concerne qu'il a condamné Gilles Bouchayer aux dépens de première instance. Laisse à chacune des parties la charge des dépens engagés par elle en cause d'appel.