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Décisions

CA Caen, ch. réunies, 15 février 1994, n° 1056-91

CAEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Angdis (SA)

Défendeur :

Parfums Christian Dior (SA), Parfums Lanvin (SA), Parfums Givenchy (SA), Parfums Nina Ricci (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Chilou

Présidents :

MM. Peureux, Bonne

Conseillers :

MM. Le Henaff, Sadot

Avoués :

Me Grandsard, SCP Dupas-Trautvetter-Ygouf, SCP Duhaze Mosquet Mialon

Avocats :

Mes Revel, Jourde, Casalonga.

T. com. Angoulême, du 26 mars 1987

26 mars 1987

LA COUR statue, après cassation et renvoi, sur l'appel interjeté par la société Angoulême Distribution de 4 jugements rendus le 26 mars 1987 par le Tribunal de commerce d'Angoulême dans un litige l'opposant à la société anonyme des Parfums Christian Dior, à la société à responsabilité limitée des Parfums Nina Ricci, à la société anonyme des Parfums Lanvin et à la société anonyme des Parfums Givenchy.

La société des Parfums Christian Dior, la société des Parfums Nina Ricci, la société des Parfums Givenchy et la société des Parfums Lanvin (les fabricants), faisant valoir qu'elles commercialisent leurs produits par des réseaux de distribution sélective, ont assigné devant le Tribunal de commerce d'Angoulême, pour concurrence déloyale et publicité mensongère, la société Angoulême Distribution (Angdis) laquelle, sans avoir été agréée par leurs réseaux, offrait cependant leurs produits à la vente, revêtus d'une mention selon laquelle ils n'étaient vendus que par des distributeurs agréés par le fabricant.

Le tribunal, par les 4 jugements déférés rendus le 26 mars 1987, a fait droit aux prétentions des fabricants en condamnant la société Angdis à leur payer, à chacun, la somme de 60 000 F à titre de dommages-intérêts, en ordonnant la publication des décisions dans trois quotidiens et en interdisant, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée, la réitération des agissements reprochés.

Par arrêt du 18 décembre 1990 la Cour de cassation (Chambre commerciale, financière et économique) a cassé l'arrêt confirmatif rendu par la Cour d'appel de Bordeaux en énonçant :

" Vu les articles 1382 du Code civil, et 44 de la Loi du 27 décembre 1973

- que pour accueillir ces demandes la cour d'appel retient que la société Angdis a commis une faute en vendant les parfums des fabricants en dépit du système de distribution sélective adopté par ces derniers, dont elle connaissait l'existence, et qu'elle s'est en outre rendue coupable de publicité mensongère en laissant croire qu'elle avait la qualité de distributeur agréé par le fabricant

- qu'en statuant ainsi, alors que le seul fait d'avoir commercialisé des produits relevant des réseaux de distribution sélective des fabricants, ne constituait pas en lui-même, en l'absence d'autres éléments, un acte fautif, et que la société Angdis était étrangère à l'opposition de la mention figurant sur l'emballage du produit, la cour d'appel a violé les textes sus-visés "

La société Angdis a conclu à l'infirmation des décisions en prétendant que les fabricants ne rapportaient pas la preuve de la licéité de leur réseau de distribution sélective qui avait pour seule justification le maintien d'un niveau de marge bénéficiaire élevé et pour seul effet de fausser la concurrence ; que ces réseaux étaient contraires à l'article 85 du traité de Rome et à l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 ; que la mention interdisant la vente par un distributeur non agréé était illicite ; qu'en application de l'article 30 du traité la mise en vente de produits, dont elle justifiait les avoir régulièrement acquis auprès de sa centrale d'achat, était licite alors même qu'ils étaient revêtus de la mention incriminée.

Les fabricants ont conclu à la confirmation des décisions, les sociétés Givenchy et Nina Ricci demandant toutefois que le montant des dommages-intérêts alloués par les premiers juges fût porté à 200 000 F et que la publication de l'arrêt à intervenir fût faite dans 10 journaux ou revues de leur choix ; les fabricants ont apporté les éléments propres à démontrer la licéité de leur réseau et ont fait valoir que l'approvisionnement de la société Angdis avait été réalisé par des moyens illicites tenant au fait qu'il n'avait été rendu possible que par la violation par des distributeurs agréés, en France ou à l'étranger, de leur engagement de ne vendre qu'à des consommateurs ou à des distributeurs d'un autre Etat membre ; qu'ils ont en outre soutenu que la vente de leurs produits s'était réalisée dans un " cadre dénigrant " et que la société Angdis s'était rendue coupable de parasitisme économique en n'assumant aucune des charges importantes liées à la vente de produits de luxe.

Attendu qu'il appartient aux fabricants, dont les réseaux de distribution sélective porteraient atteinte, selon la société Angdis, au principe de la libre concurrence, de rapporter la preuve de leur licéité au regard des dispositions des articles 85 du traité instituant la communauté économique européenne (dit traité de Rome) et 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, en vigueur au moment des faits.

Attendu en premier lieu que l'examen des contrats de distributeur agréé et des conditions générales de vente versés aux débats révèle que le distributeur est choisi en fonction de critères précis et objectifs tels que sa qualification, la qualité du point de vente, l'environnement, les possibilités de stockage des produits, ces critères assurant un meilleur service à des clients d'autant plus exigeants qu'ils achètent un produit de luxe jouissant d'une renommée mondiale ; qu'en outre les revendeurs ont une entière liberté pour fixer les prix de vente de leurs produits.

Attendu en deuxième lieu qu'il existe une vive concurrence entre les fabricants dont aucun n'a réussi à s'approprier une part prépondérante du marché ; que le classement entre les 15 premiers, qui se partagent environ 70 % des ventes de parfums, varie régulièrement ; que sont par ailleurs enregistrées la création de grandes surfaces de vente spécialisées, la constitution de chaînes de magasins, qui pratiquent des prix attractifs de nature à favoriser la concurrence.

Attendu en troisième lieu que la qualité des locaux ouverts aux clients, la fraîcheur exigée des produits offerts, la formation du personnel, la part importante du budget publicitaire (environ 40 % du chiffre d'affaires des fabricants) et le lancement régulier sur le marché de nouveaux produits élaborés, justifient les prix pratiqués.

Attendu que les fabricants rapportent ainsi la preuve, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, de la licéité de leurs réseaux de distribution sélective.

Attendu que, si le fait de commercialiser des produits relevant d'un réseau de distribution sélective ne constitue pas en lui-même un acte fautif, l'achat de marchandises dans des conditions illicites ou frauduleuses, constitue un acte de concurrence déloyale.

Attendu que la société Angdis, après s'y être pendant 8 années refusée, a communiqué aux débats au mois de février 1993 des factures d'achat des produits par elle commercialisés, émises en 1984 par la société d'importation pétrolière Leclerc (SIPLEC), ainsi que des factures émises à l'ordre de cette dernière société par une société Becklodge ayant son siège à Londres, une société Continental ayant son siège à Panama, une société Mardo ayant son siège à Lokeren (Belgique) et une société Daycom ayant son siège à Milan.

Attendu qu'il résulte des renseignements fournis par les fabricants - non contestés par la société Angdis - que la société SIPLEC a acquis les produits à la suite d'annonces passées dans la presse étrangère par le Groupement d'achats des Centres Leclerc (GALEC) ; que la société Becklodge, qui a vendu la plus grande partie des produits à la société SIPLEC est une société créée à Jersey en 1983 par des actionnaires inconnus puis gérée par une autre société dont les actionnaires et les organes de direction sont demeurés inconnus, que les recherches entreprises n'avaient permis de découvrir, ni son siège social réel ni l'endroit où elle exerçait une activité commerciale, alors qu'elle n'avait réalisé en 1983 aucune opération et n'avait pas déposé ses comptes sociaux pour l'année 1984 ; que la société des parfums Christian Dior fait en outre à juste titre valoir qu'en raison du temps écoulé depuis l'établissement des factures elle n'est pas en mesure de faire une enquête sur les activités des autres sociétés citées par la société Angdis.

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments des présomptions suffisantes permettant de considérer que l'acquisition des produits s'est faite à la suite de procédés déloyaux, qui incitaient les distributeurs à enfreindre leurs obligations contractuelles, et par l'intermédiaire de société de " façade ", dont la création ne permet pas aux fabricants d'identifier les distributeurs fautifs et de remédier aux failles enregistrées dans les réseaux; que de tels agissements constituent des actes de concurrence déloyale, peu important que les produits, au regard de l'article 30 du traité de Rome, aient été régulièrement importés en France.

Attendu en outre que la mention apposée sur les emballages, non démentie par le vendeur, suivant laquelle les produits ne peuvent être vendus que par un distributeur agréé, était de nature à laisser croire à la clientèle que la société Angdis avait la qualité de distributeur agréé des fabricants;que de tels agissements constituent des actes de publicité mensongère.

Attendu qu'eu égard au préjudice subi par les fabricants durant un mois et demi environ - soit entre la date du constat établi par l'huissier et celle à laquelle l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Bordeaux faisant défense à la société Angdis de vendre les produits incriminés a été exécutée - la somme de 60 000 F allouée par le tribunal à chacun des fabricants à titre de dommages-intérêts est justifiée ; qu'il en est même en ce qui concerne la publicité de la décision ordonnée dans 3 quotidiens au choix des fabricants ; qu'il convient en conséquence de confirmer les jugements entrepris, sans qu'il y ait lieu de faire droit à l'appel incident formé par les sociétés des parfums Givenchy et Nina Ricci.

Attendu que les sociétés des parfums Christian Dior - Givenchy et Nina Ricci ont exposé des frais irrépétibles dont la cour fixe en équité le montant, pour chacune d'elles, à la somme de 10 000 F qui s'ajoutera à celle de 8 000 F allouée par les premiers juges ; qu'en revanche la société des parfums Lanvin supportera équitablement les mêmes frais exposés par elle en cause d'appel.

Par ces motifs : confirme les jugements déférés en toutes leurs dispositions, déboute la société Angoulême Distribution de ses demandes, déboute les sociétés des parfums Givenchy et Nina Ricci de leur appel incident, condamne la société Angoulême Distribution à régler aux trois sociétés de parfums Christian Dior - Givenchy et Nina Ricci, la somme complémentaire, à chacune, de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, déboute la société des parfums Lanvin de sa demande fondée sur cette même disposition légale, condamne la société Angoulême Distribution aux dépens ; accorde à la SCP Duhaze Mosquet Mialon et à la SCP Dupas-Trautvetter-Ygouf, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.