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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 10 février 1994, n° 93-17979

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Minerstone (SA), Amonit (Sté), Dumont, Vannitsen

Défendeur :

Weber et Broutin (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerrini

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Fanet, SCP Lagourgue

Avocats :

Mes Bernard, Corouge.

T. com. Créteil, 5e ch., du 1er juin 199…

1 juin 1993

La Sté Weber et Broutin, venant aux droits de la Sté des Ciments Métalliques (SCM) qu'elle a absorbée, fabrique et commercialise un matériau à base de granulats calcaires, d'oxyde de zinc et d'eau métallique dénommé Gaystone (poudre et liquide) et destiné au revêtement ou au rattrapage d'ouvrages en pierre.

La société SCM avait pour agents commerciaux MM. Dumont et Vannitsen dont les contrats prirent fin le 15 juin 1990 pour le premier et courant septembre 1990 en ce qui concerne le second.

En septembre 1990 était constituée en France la société anonyme Minerstone, avec pour objet social l'importation, l'exportation, la fabrication, la commercialisation de matériaux et de procédés destinés à la construction, la restauration et la reconstruction de bâtiments anciens ou historiques et toutes opérations accessoires ou connexes. Il est à noter que 68 % du capital social est détenu par la société Artikon (dirigée par M. Mahieu, et qui était le correspondant en Belgique de la Sté SCM dont elle commercialisait le produit Gaystone), M. Mahieu et d'anciens salariés ou agents commerciaux de la Sté SCM, à savoir MM. Dumont et Vannitsen précités, M. Faller, lequel avait dénoncé son contrat avec SCM à effet du 15 septembre 1990 et M. Yaouncq, qui avait démissionné en avril 1990. M. Mahieu en est le président directeur général, MM. Faller et Dumont en sont administrateurs.

La société ainsi créée commercialise en France un ciment métallique sous l'appellation Amonit Minerstone, fabriqué par la société de droit belge Amonit, constituée en août 1990 avec pour principaux actionnaires la Sté Artikon, MM. Mahieu et Vannitsen.

S'estimant, du fait de cette commercialisation, victime d'agissements constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire, la Sté SCM a assigné les sociétés Minerstone et Amonit, MM. Dumont et Vannitsen en vue d'obtenir l'indemnisation de son préjudice et des mesures d'interdiction et de publication. Les défendeurs ont formé des demandes reconventionnelles en dommages-intérêts pour procédure abusive.

Par jugement du 1er juin 1993, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Créteil a dit que la Sté SCM avait fait l'objet d'une concurrence déloyale de la part des défendeurs, auxquels il a fait interdiction de fabriquer et de diffuser les produits Amonit Minerstone sous astreinte de 5 000 F par infraction révélée à compter du jugement ; il a autorisé la publication du jugement dans des conditions précisées et en ce qui concerne l'évaluation du préjudice, ordonné une expertise. La somme de 10 000 F était allouée à la Sté SCM au titre de l'article 700 du NCPC.

Appelants à jour fixe, les sociétés Amonit et Minerstone, MM. Dumont et Vannitsen concluent à l'infirmation de la décision déférée dans toutes ses dispositions et au débouté de la Sté Weber et Broutin de ses demandes. Ils prient la Cour d'allouer à chacun d'entre eux, à titre reconventionnel, la somme de 100 00 F de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi que, en application de l'article 700 du NCPC, celles de 30 000 F à la société Minerstone, 20 000 F à la Sté Amonit et 8 000 F à MM. Dumont et Vannitsen, pour chacun d'eux.

Sur ce, LA COUR, qui pour plus ample exposé se réfère au jugement et au écritures d'appel,

Considérant que les appelants reprochent aux premiers juges de leur avoir fait grief d'avoir mis sur le marché une copie servile du produit Gaystone et de s'être indûment appropriés le savoir-faire de la Sté SCM, en fondant leur appréciation sur les conclusions, selon elles erronées, de l'expert Venuat, désigné par le juge des référés, alors que le produit en cause et sa technique de mise en œuvre sont connus de longue date ; qu'ils critiquent encore le tribunal pour avoir retenu la possibilité d'une confusion entre les produits Gaystone et Minerstone, en refusant d'écarter des débats ainsi que les défendeurs l'y invitaient, une étiquette d'origine douteuse par laquelle la Sté SCM cherchait à prouver que pour entretenir une confusion volontaire avec son produit Gaystone, les sociétés Minerstone et Amonit auraient vendu le matériau interdit sous une dénomination commerciale qui avait pu être dans le passé utilisée par la Sté Artikon lorsqu'elle représentait les produits de la Sté SCM ; que ce faisant, les premiers juges auraient renversé la charge de la preuve en reprochant aux défendeurs de n'en apporter aucune à l'appui de leur formelle dénégation ; que c'est encore à tort que les juges du premier degré, suivant en cela la thèse de la Sté SCM, ont estimé que les anciens agents commerciaux de cette société et son distributeur belge avaient agi de concert pour reconstituer l'ancienne force de vente de la Sté SCM, au profit d'entreprises concurrentes, alors pourtant qu'il n'était nullement justifié de la violation prétendue par MM. Dumont et Vannitsen de leur clause de non-concurrence, et que par ailleurs les sociétés nouvellement créées n'avaient aucun besoin de capter un savoir-faire que leur dirigeant fondateur maîtrisait bien avant que la Sté SCM voie le jour ; qu'enfin, les baisses de chiffres d'affaires imputées par la Sté Weber et Broutin à la concurrence déloyale des appelants, trouvent en réalité leur origine dans la qualité du produit Gaystone non exemptE de critiques et reflètent les aléas de la conjoncture dans le domaine du bâtiment ;

Considérant que la Sté Weber et Broutin soutient l'argumentation des premiers juges ;

Considérant, cela exposé, qu'il ressort du rapport d'expertise de M. Venuat, conforté par les productions des parties, que si le principe général du ciment métallique est connu depuis le 19e siècle, le Gaystone fait néanmoins figure de produit spécifique dont la formule exacte n'était pas donnée dans la littérature, prêt à l'emploi, et sans concurrent avant 1991 en France ; que l'expert note que ce produit résulte d'une longue pratique et a été amélioré afin d'aboutir à la formulation actuelle ; que les examens ont fait apparaître que le produit Amonit Minerstone avait une composition identique, comme illustré d'ailleurs par les notices destinées à la clientèle, celle du Minerstone mentionnant exactement les mêmes caractéristiques que celles du Gaystone, et reprenant, l'expert le souligne, les techniques de mise en œuvre avec les précautions décrites relatives au Gaystone ; qu'à juste titre, le tribunal a relevé que les équipes dirigeante et commerciale de la Sté Minerstone et convient-il d'ajouter de la Sté Amonit, ont distribué le produit Gaystone avant de créer les nouvelles sociétés en cause ; qu'elles ont fait profiter ces sociétés du savoir-faire qu'elles avaient acquis pour l'emploi du produit copié; qu'il ne saurait être sérieusement soutenu que les aptitudes techniques de M. Mahieu l'auraient seules conduit à concevoir le matériau Amonit Minerstone, alors que celui-ci ne l'avait jamais diffusé antérieurement au deuxième semestre 1990, c'est à dire à l'époque du regroupement des anciens agents commerciaux et du directeur technique de la Sté SCM au sein des deux nouvelles sociétés; que l'appréciation des premiers juges appelle donc approbation sur ces points ;

Considérant qu'il est soutenu par l'intimée que les Stés Amonit et Minerstone auraient, pour capter sa clientèle dans le Nord de la France et en Belgique, conservé la marque Amonit sous laquelle le produit Gaystone aurait été diffusé antérieurement par la Sté Artikon, opérant à terme un glissement entre Amonit et Minerstone ; que la tromperie résulterait selon elle de différents documents qu'elle verse aux débats et tout d'abord un courrier adressé par la Sté Artikon le 5 mai 1990 à la Sté NRT qui ferait apparaître que les matériaux livrés par la Sté SCM, l'étaient sous la dénomination Amonit ; que cet élément serait conforté par la correspondance de la Sté NRT du 26 avril 1990, des facturations de la Sté SCM des 12 et 16 février 1990 et une affichette portant les mentions Amonit et Gaystone ;

Considérant cependant que le contenu des correspondances invoquées n'est pas conforme à la relation qu'en donne la société intimée ; qu'il n'est nulle part fait mention de l'appellation Amonit dans celle datée du 5 mai 1990 ; que la lettre de la société NRT à la Sté Artikon du 26 avril 1990, au demeurant non traduite, comporte la seule appellation Gaystone ; que les factures produites, en date des 16 et 26 février ne sont pas traduites et font mention exclusivement du terme Amonit, sans qu'il soit possible de savoir si le produit visé correspond au Gaystone ; que l'affichette, d'ailleurs contestée par une attestation de M. Mahieu, doit être écartée des débats, en l'absence de précision quant à son origine et son utilisation ; que le tribunal ne pouvait dans ces circonstances retenir une recherche de confusion à travers l'utilisation de la dénomination Amonit ;

Considérant qu'est dénué de pertinence l'argument des appelants tiré de l'absence de preuve d'une violationpar MM. Dumont et Vannitsende la clause de non-concurrenceles liant à la Sté SCM dès lors qu'il ne serait pas démontré qu'ils auraient prospecté pour le compte des nouvelles sociétés les secteurs qui leur étaient dévolus dans le cadre de leur activitéauprès de la SCM ; que le Tribunal a exactement relevé l'action concertée des intéressés qui ont reconstitué au profit des sociétés appelantes l'ancienne force de vente de la société aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui l'intimée; que ce regroupement, ainsi que l'observe à juste titre cette dernière, rend indifférente la prise en considération des territoires respectifs de prospection, susceptibles de transfert dans le cadre des nouvelles associations, les Stés Minerstone et Amonit n'étant tenue à aucune limitation territoriale pour la commercialisation de leur produit ; que compte tenu de la personnalité de leurs actionnaires et dirigeants, ces sociétés ne pouvaient ignorer ces éléments, qui leur ont d'ailleurs été vainement rappelés par sommation délivrée en avril 1991 ;

Considérant qu'il s'ensuit de ce qui précède l'existence d'une concurrence déloyale et parasitaire de la part des appelants dont la société Weber et Broutin peut se prévaloir ; que le jugement sera donc confirmé ;

Considérant qu'au vu des justifications d'ordre comptable fournies par la Sté Weber et Broutin relatives à la baisse de son chiffre d'affaires à partir de 1990, il convient de lui allouer une provision sur dommages-intérêts de 200 000 F ;

Considérant que la demande de dommages-intérêts des appelants est par voie de conséquence mal fondée et sera rejetée ;

Considérant qu'il y a lieu, en équité, d'allouer à la société intimée la somme ci-après mentionnée au titre de l'article 700 du NCPC, à la charge des appelants in solidum ;

Par ces motifs : Et ceux non contraires des premiers juges, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés Minerstone et Amonit et MM Dumont et Vannitsen à payer à la société Weber et Broutin une indemnité provisionnelle de 200 000 F, à valoir sur les dommages-intérêts lui revenant, La somme de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC, Les condamne in solidum aux dépens, que la SCP d'avoués Fanet pourra recouvrer dans les conditions de l'article 699 du NCPC.