Cass. crim., 8 février 1994, n° 90-85.699
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumont
Rapporteur :
M. Guerder
Avocat général :
M. Amiel
Avocats :
MM. Vincent, Jacoupy.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre correctionnelle, en date du 25 juillet 1990, qui, dans les poursuites exercées à sa requête contre Y, épouse Z, pour diffamation publique envers un particulier, l'a, après relaxe de la prévenue, débouté de son action civile. - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué relaxe la prévenue ;
" aux motifs que l'auteur de l'article paru dans le périodique Cuisine et Vins de France de septembre 1989 se borne à relater avec ses commentaires l'expérience d'un dîner dans le restaurant de la partie civile ; qu'il s'agit de l'avis donné par un critique gastronomique renommé ; qu'il s'inscrit dans le cadre de comptes rendus périodiques de visites dans divers établissements de restauration et dans l'optique de la mise à jour annuelle d'un guide de ces établissements ; que les documents produits par le plaignant reprochant à l'article incriminé les erreurs qu'il contient quant aux prix pratiqués, à l'existence du personnel féminin, aux heures d'ouverture au public et à la nature du sol de l'établissement, sont postérieurs de plus d'un an à la date de visite des lieux par l'auteur, qui s'est déroulée à la mi-1988 ; que les documents produits portent sur la situation au courant du deuxième semestre 1989 ; que le plaignant n'apporte aux débats, en particulier sur la propreté des lieux, aucun élément contemporain de ladite visite ; qu'ainsi, l'inexactitude alléguée des éléments contenus dans l'article n'est pas établie ; que l'auteur a procédé à un travail de critique sans parti pris, ni malveillance, afin d'informer au mieux les lecteurs et futurs consommateurs et sans omettre de mentionner dans son article tous les éléments que le devoir d'objectivité commandait d'y insérer ;
" alors, d'une part, que l'arrêt attaqué ne rapporte pas les termes de l'article incriminé, se bornant à relever qu'il est paru en septembre 1989 ; que cet article énonçait :" Méfiez-vous : cette winstub folklorique donne le sentiment de concourir pour le titre d'établissement le plus sale d'Alsace. Rien n'est net, du parquet aux toilettes, en passant par l'assiette. L'autre jour, c'est l'assiette d'"escargots de viandes" ("fleischnecke") qui avait l'air d'un bouillon de culture. Quant à la schiffala manifestement recuite, servie avec des pommes de terre racornies, elle inspirait plus de pitié que de dégoût. Le service féminin est assez aimable et les prix suffisamment peu élevés pour qu'on ne parte pas en croisade contre ce monument de propagande anti-mulhousien. Menus : 36 à 150 francs. Carte : 130 francs. Fermé dimanche. Ouvert le soir seulement. Jusqu'à 1 h 30 du matin. " ;
" alors, d'autre part, que l'arrêt attaqué constate que ledit article est paru en septembre 1989 ; que l'arrêt relève ensuite, pour écarter les documents versés aux débats par le plaignant, qu'ils sont postérieurs de plus d'un an à la date de visite des lieux par l'auteur qui s'est déroulée à la mi-1988 ; qu'il ressort de ces constatations et des énonciations précitées de l'article que l'auteur écrivait en septembre 1989 "l'autre jour", en faisant état de faits qu'il aurait en réalité prétendument constatés plus d'un an plus tôt ; qu'en retenant cependant la bonne foi de la prévenue, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
" alors, de troisième part, que les documents et constats produits par la partie civile avaient été établis dès après la parution de l'article précité en septembre 1989 et établissaient l'inexactitude des allégations de son auteur à la date des faits rapportés et notamment la société d'expertise comptable de l'établissement, dans une attestation du 26 octobre 1989, relevait qu'aucun personnel servant féminin ne figurait dans le livre de paye du demandeur depuis février 1984 ;
" alors, de quatrième part, que l'arrêt attaqué, après avoir énoncé qu'il convenait de rechercher si les avis émis par l'auteur de l'article dénoncé "reflètent une opinion fondée sur des éléments vrais et objectifs" à déduire la véracité dudit avis de la notoriété de l'auteur de l'article dont la bonne foi ne pouvait au surplus être présumée ;
" alors, enfin, qu'il appartenait à la prévenue d'apporter la preuve de l'existence des faits justificatifs de nature à établir sa bonne foi " ;
Attendu qu'il apparait de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Y, épouse Z, a été citée devant le tribunal correctionnel à la requête de X pour diffamation publique envers un particulier à la suite de la parution dans le périodique Cuisine et Vins de France, dont elle est directeur de la publication, sous la signature de A, d'un article intitulé " Les assiettes de A ", critiquant la tenue et les prestations du restaurant " Zum Sauwadala " exploité à Mulhouse par le plaignant et retenu à raison du passage suivant : " Méfiez-vous : cette winstub folklorique donne le sentiment de concourir pour le titre d'établissement le plus sale d'Alsace. Rien n'est net du parquet aux toilettes. L'autre jour, c'est l'assiette d'escargots de viande (fleischnecke) qui avait l'air d'un bouillon de culture. Quant à la schiffala, manifestement recuite, servie avec des pommes de terre racornies, elle inspirait plus de pitié que de dégoût. Le service féminin est assez aimable et les prix suffisamment peu élevés pour qu'on ne parte pas en croisade contre ce monument de propagande anti-mulhousien : Menus 36 à 150 francs. Carte 130 francs. Ouvert le soir seulement jusqu'à 1 h 30 du matin " ;
Attendu que pour déclarer que les éléments constitutifs de l'infraction ne sont pas réunis en l'espèce, les juges énoncent que l'auteur de l'article s'est borné, après un dîner dans ce restaurant, à faire, en sa qualité de critique gastronomique, des commentaires s'inscrivant dans la série de comptes rendus effectués à la suite de visites périodiques dans divers établissements de même nature et régulièrement mis à jour ; qu'il a agi sans parti pris, sans malveillance, sans omettre de mentionner tous les éléments que le devoir d'objectivité commandait d'insérer pour informer les lecteurs et les futurs consommateurs ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, abstraction faite d'autres motifs, erronés mais surabondants, visés au moyen, la cour d'appel a fait l'exacte application de la loi ; que, dès lors qu'elles ne concernent pas la personne physique ou morale, les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881; que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.