CA Bordeaux, 1re ch. A, 25 janvier 1994, n° 90005712
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Télédistribution Européenne Téleclerc (SA)
Défendeur :
Parfums Christian Dior (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bizot
Conseillers :
M. Septe, Mlle Gachie
Avoués :
SCP Touton-Pineau, Me Fonrouge-Barennes
Avocats :
Mes Biais, Jourde.
Faits - Procédure et moyens des parties
1 - La SA Télédistribution Européenne " Téleclerc " (dite ci-après TDE), qui pratique l'activité commerciale de vente par correspondance a édité et diffusé dans le public en 1988 à 300 000 exemplaires un catalogue offrant la possibilité de passer commande par courrier ou par " Minitel ", avec livraison garantie sous 24 heures dans la ville et la région de Bordeaux. Aux pages 114 et 115 de ce catalogue figure une rubrique " Parfums de grande marque " où étaient représentés 29 flacons de parfums différents dont deux sont fabriqués par la SA Parfums Christian Dior, sous les noms de marque " Poison " et " Jules " et où étaient indiqués leur prix, assortis d'une remise de 20 % minimum.
La SA Christian Dior dite ci-après PCD qui commercialise elle-même ses produits de parfumerie par l'intermédiaire d'un réseau exclusif de distributeurs agréés, a considéré que la distribution de ses parfums par la TDE était illicite et a fait procéder à une saisie-contrefaçon et à une saisie du stock (16 flacons) et a obtenu du juge des référés le 17 novembre 1988 l'interdiction faite à la SA TDE de commercialiser ces produits ; puis elle a assigné la société TDE le 18 novembre 1988 en réparation sur le fondement de la contrefaçon artistique et de l'usage de marque sans autorisation et sur le fondement de la concurrence déloyale en faisant valoir qu'en raison de la licéité et de l'étanchéité de son propre réseau de distribution sélective, l'acquisition de ses produits par la société TDE était irrégulière, et qu'en raison des modes de commercialisation utilisés, notamment le recours aux marques et prix d'appel, cette société dévalorisait ses produits.
La société TDE a appelé en garantie son fournisseur, Herman (enseigne Maed Distribution) et, celui-ci ayant été admis ultérieurement à la liquidation judiciaire, le liquidateur Me Lott ; elle a objecté que le concours des actions en concurrence déloyale et de celles fondées sur le droit des marques n'était pas constituée, que la SA Christian Dior ne démontrait par la licéité et l'étanchéité de leur réseau de distribution, qu'elle était elle-même en mesure de prouver la régularité de l'acquisition des produits, qu'aucun acte de concurrence déloyale ne pouvait être retenu, qu'enfin, le préjudice était inexistant, les produits en cause ayant été retirés de la vente dès l'assignation.
Par jugement réputé contradictoire du 6 août 1990 (Me Lott ès-qualités n'ayant pas comparu), le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux, après avoir joint les instances, a constaté que la société TDE avait commis une contrefaçon artistique en éditant et en diffusant dans le public le catalogue Téleclerc, et avait commis des actes de concurrence déloyale, en la condamnant à payer à la SA Christian Dior 20.000 F à titre de dommages-intérêts avec, à titre de réparation complémentaire, publication du dispositif dans trois journaux aux frais du TDE, et 10.000 F pour frais hors dépens, et en mettant hors de cause Herman et Me Lott.
Les premiers juges ont en premier lieu retenu la présomption de licéité du réseau de distribution sélective des SA Christian Dior tirée de l'avis de conformité donné par la Commission des Communautés européennes en 1974 et de ce fait considéré que la SA Christian Dior, à qui incombait la charge de la preuve, étaient dispensées de produite la totalité des contrôles de distribution sélective ; en second lieu, que les conditions d'application du grief d'usage illicite de marques n'étaient pas réunies ; en troisième lieu qu'en application de la loi du 11 mars 1957, article 40, la société TDE, en reproduisant, pour la diffuser dans le public, la photographie des flacons de parfum, création artistique originale protégée, sans l'autorisation de son auteur avait commis un acte de contrefaçon ; qu'en quatrième lieu que la société Christian Dior n'établissait pas l'étanchéité de ses réseaux de distribution sélective et ne pouvait donc se prévaloir de l'irrégularité de l'acquisition de ses produits par la société TDE pour soutenir le grief de concurrence déloyale, qui ne pouvait résulter du seul fait de leur commercialisation hors du réseau de distribution sélective, en cinquième lieu que pouvaient être retenues comme faits de concurrence déloyale en l'espèce d'une part le recours à un produit d'appel et à un prix d'appel, la TDE qui ne disposait pas du stock correspondant à l'importance de la diffusion du catalogue, ayant cherché à utiliser le pouvoir attractif d'une grande marque de parfums, d'autre part la méthode de vente sur catalogue de ces parfums, articles de luxe, en raison de son caractère banalisant et dépréciatif ; qu'en sixième lieu que le préjudice subi par la SA Christian Dior était certain ; en septième lieu que le fournisseur ne pouvait être recherché, la responsabilité de la société TDE n'étant pas fondée sur l'acquisition et la commercialisation illicite des produits.
2 - La SA Télédistribution Européenne Téleclerc a régulièrement relevé appel de ce jugement par déclaration du 14 novembre 1990, intimant la SA Parfums Christian Dior qui ont constitué avoué le 18 décembre suivant. La TDE a, dans sa déclaration limité son appel " aux dispositions disant que la société Téleclerc a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Dior et l'a condamnée à payer 20.000 F de dommages-intérêts et 10.000 F article 700, a ordonné la publication du jugement dans trois journaux aux frais de la société TDE, a débouté la société TDE de sa demande reconventionnelle ".
L'appelante a conclu le 14 mars 1991, les intimées le 8 janvier 1992, formant appel incident sur le grief d'usage illicite de marque et sur le montant des réparations.
Les débats ont été clos le 29 novembre 1993.
3 - Au soutien de leurs prétentions ou moyens de défense, les parties font valoir en substance les arguments de droit ou de fait suivants :
a - la SA Télédistribution Européenne, appelant principal :
- les demandes de la SA Christian Dior reposent toutes sur l'existence et la licéité de son réseau de distribution sélective ; c'est à elle qu'incombe, de jurisprudence constante, la charge de la preuve de cette licéité, même en l'absence de critiques précises de son adversaire ; compte tenu des critères et moyens de la distribution sélective, des sanctions infligées en 1983 à la société Christian Dior par la Commission de la Concurrence, c'est à tort que le Tribunal a retenu de la seule décision de la Commission Européenne du 12 décembre 1977 l'existence d'une présomption de licéité,
- de même les textes européens applicables, les décisions de la Cour de Justice des Communautés Européennes et les faits de la cause ne permettent pas à la Christian Dior de démontrer l'étanchéité absolue de son réseau de distribution sélective ; non seulement la SA Christian Dior reconnaît que ses produits sont en libre circulation dans d'autres Etats membres de la Communauté Européenne, mais en outre, il est constant, preuves matérielles à l'appui, que les réseaux de distribution des parfumeurs ne sont pas étanches de manière absolue et qu'en particulier, de nombreux grossistes sont approvisionnés par les parfumeurs eux-mêmes,
dans ces conditions la SA Christian Dior n'est pas recevable à invoquer un quelconque grief de concurrence déloyale ; le jugement est à réformer sur ce point,
- au demeurant, ainsi que l'a jugé le Tribunal, il est de principe que l'acquisition des produits hors du réseau de distribution sélective n'est pas en elle-même acte de concurrence déloyale, sauf à démontrer, ce que n'a pas fait la société plaignante, l'irrégularité de l'acquisition,
- par ailleurs, le grief de contrefaçon artistique n'est pas établi et le jugement est à réformer sur ce point : en effet, le seul fait de reproduire un produit authentique revêtu de marque tel qu'un flacon de parfum n'est pas la reproduction illicite de la marque ; en outre, elle n'est pas en l'espèce matériellement critiquable quant à la qualité de la reproduction,
- contrairement à ce qui a été jugé, il n'est aucunement démontré qu'elle ait abusivement recouru en l'espèce à la pratique de la marque et du prix d'appel, et notamment qu'elle n'ait pu disposer en temps voulu du stock des produits correspondant aux commandes, d'autant qu'il s'agissait en l'espèce d'une opération en cours de lancement qu'elle avait intérêt à réussir ; en outre, le mode de vente par catalogue n'est pas de ceux qui permettent la pratique dénoncée, et les prix pratiqués, conformes à ceux des distributeurs agréés, n'étaient ni d'appel, ni promotionnels,
- à titre surabondant, il apparaît que le préjudice allégué n'est pas démontré : le catalogue diffusé a été modifié dès que les sociétés de parfumerie ont assigné en référé, et les produits n'ont été distribués que du 20 octobre au 15 novembre 1988 ; en réalité la société Christian Dior cherche à conserver le monopole de la distribution de ses produits en contravention avec les règles du droit national et communautaire,
- la SA Christian Dior doit être déboutée de toutes ses demandes et devra lui verser 50.000 F à titre de dommages-intérêts pour abus de procédure et 20.000 F pour frais hors dépens.
b - les SA Christian Dior, appelant incident :
- ayant rappelé le contenu de ses contrats de distribution sélective, et décrit les pages incriminées du catalogue Téleclerc, elles soulignent que seul le grief de concurrence déloyale fondée sur l'acquisition des produits au mépris du réseau de distribution sélective nécessitait l'examen préalable de la licéité et de l'étanchéité de ce réseau, mais non ceux fondés sur l'usage illicite et la contrefaçon de marque, et ceux fondés sur les conditions de commercialisation des produits (autre grief de concurrence déloyale),
- le jugement déféré est à confirmer en ce qu'il a retenu les fautes de la société TDE constitutives de concurrence déloyale par la pratique des produits et marque d'appel, combinée à une opération publicitaire qu'elle n'était pas en mesure de satisfaire à l'engagement de livrer sous 24 heures, ce qui constituait un fait de publicité mensongère et enfin, par l'utilisation d'un procédé dénigrant ou dévalorisant tel que actes de parasitisme commercial,
- le jugement est à infirmer en ce qu'il n'a pas retenu le grief d'usage illicite de marques, quelles n'invoquent non au titre de la commercialisation des produits mais de l'utilisation de ces marques dans un catalogue sans son autorisation : sont réunis en l'espèce, les éléments du délit spécifique de l'article 422-2 du Code Pénal,
- le jugement est à confirmer en ce qu'il a retenu l'existence d'une contrefaçon artistique au sens de l'article 29 de la loi du 11 mars 1957 : la photographie d'une création artistique, telle qu'un flacon de parfum, est assimilée à sa reproduction, et cette reproduction, non autorisée en l'espèce, est indépendante de l'utilisation de la marque ; la théorie dite de l'épuisement du droit à la marque ne s'applique pas en matière de propriété artistique,
- le jugement est à confirmer en ce qu'il a admis la licéité du réseau de distribution sélective mais à infirmer en ce qu'il a rejeté la démonstration de l'irrégularité de l'acquisition des produits par la société TDE et la fraude commise par celle-ci au moins comme tiers-complice, fondant le second grief de concurrence déloyale : elle est en mesure de démontrer la licéité de son réseau au regard des règles et du droit de la concurrence tant national que communautaire, mais elle ne saurait avoir la charge de la preuve de griefs d'illicéité qui ne sont pas formulés par l'adversaire ; par ailleurs, elle établit que la société TDE au vu de ses propres pièces, s'est approvisionnée en parfums de sa marque de manière illicite se faisant facturer par une société de droit allemand fictive des produits qui lui seraient vendus par un commerçant français (Herman),
- le jugement doit être infirmé partiellement sur les réparations, qui doivent être élevées à la somme de 1.000.000 F, outre la publication déjà ordonnée et qui doit être étendue à l'arrêt à venir ; la TDE lui devra en outre 20.000 F de frais hors dépens.
Motifs
1 - Sur le grief de contrefaçon artistique
En des motifs pertinents et suffisants que la Cour fait siens, les premiers juges ont fait une exacte appréciation des données de la cause et des dispositions législatives visées au moyen (articles 2, 28 et 40 de la loi du 11 mars 1957) pour accueillir le grief fondé sur la contrefaçon artistique par reproduction non autorisée dans un catalogue des œuvres de l'esprit qui constituent la forme particulière des flacons de parfums et leurs logos figuratifs ou nominatifs. En effet, le fait pour la SA TDE d'avoir acquis la propriété matérielle des objets mobiliers (flacons dans leurs conditionnements) auxquels ces œuvres de l'esprit sont incorporées ne lui conférait aucunement le droit d'exploiter ces derniers. La faute commise par violation des règles protectrices des droits de l'auteur est bien caractérisée et est susceptible de générer réparation.
2 - Sur le grief d'usage illicite de marque et de contrefaçon de marque
- En l'absence, non contestée, de contrefaçon de marque, il est de jurisprudence établie que les dispositions de l'article 422-2 du Code Pénal ne peuvent être retenues du seul fait de la commercialisation d'un produit au mépris d'un réseau ou système de distribution sélective, et que la mise en vente, par revendeur étranger au circuit de distribution sélective, de produits de parfumerie authentiques revêtus de la marque apposée par le fabricant lui-même et sans l'agrément préalable du titulaire de la marque ne peut révéler le cas échéant, que d'une sanction civile, au sens des articles 1382 et 1383 du Code Civil.
- Dès lors que les conditions d'application du texte pénal ne sont pas réunies, la SA Christian Dior n'est pas fondée à y rechercher l'existence d'une faute civile délictuelle. Les circonstances de la revente qu'elles invoquent par ailleurs (irrégularité de l'acquisition des produits, utilisation de méthodes de revente dépréciatives et de la pratique des marques d'appel) relèvent de l'appréciation du grief de concurrence déloyale, ainsi que l'ont pertinemment retenu les premiers juges.
- Le jugement déféré est à confirmer en ce qu'il a écarté ce grief.
3 - Sur le grief de concurrence déloyale fondé sur l'acquisition illicite de produits au mépris d'un réseau de distribution sélective
- Il convient de souligner, à titre liminaire, que contrairement à ce que soutient la SA TDE, la démonstration, par le fabricant de la licéité et de l'étanchéité de son réseau de distribution sélective ne saurait être exigée que pour le seul grief ici examiné, et non pour l'appréciation des griefs de concurrence déloyale fondés sur les seuls modes de présentation et de commercialisation des produits, objet du paragraphe 4 ci-dessous.
Sur la démonstration préalable de la licéité et de l'étanchéité du réseau :
1° - La SA Christian Dior a apporté en l'espèce la preuve et de la licéité et de l'étanchéité de ses réseaux de distribution sélective ;
Cette société justifie en effet dans des conditions suffisantes et d'ailleurs non sérieusement critiquées par la SA TDE :
a - qu'en vertu de leurs contrats-type de distribution elle vend directement à ses détaillants agréés (ou par leurs filiales et agents exclusifs à l'étranger),
b - que ses réseaux sont conformes à la réglementation relative aux refus de vente telle qu'elle se dégage de l'arrêt Metro de la CJCE du 25 octobre 1977 au titre de la réglementation européenne, et au titre de la réglementation française de la concurrence, dès lors qu'ils comportent des critères non discriminatoires de sélection des distributeurs, uniformes pour chaque point de vente ; que le distributeur agréé conserve sa liberté de fixation des prix ; qu'est justifiée l'existence d'une concurrence importante dans le marché européen de la parfumerie non seulement entre la vente des produits de grande consommation et celles des produits de prestige mais encore entre les fabricants de produits de prestige eux-mêmes (plus de 100 marques dont les 15 premières détenaient en 1987, 62 % des parts de marché, lui-même fixé à 35 % du marché global de la parfumerie et des produits cosmétiques ; qu'en France, la distribution par réseau sélectif constituait en 1987 31 % du marché global répartie en près de 5 000 points de vente, en sorte qu'il est constant que ni l'administration ni la jurisprudence de longtemps établie n'y voient une entorse aux règles de la concurrence, et qu'elles admettent même qu'y apparaisse une tele entorse dès lors que la notion de progrès économique résultant de ce mode de distribution exempterait de ces règles les fabricants de parfums de prestige (article 10-2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986),
c - qu'au vu de la description des contrats type de distribution sélective, il est constant que le distributeur agréé (qui peut d'ailleurs contracter de la même façon avec des marques de prestige concurrentes), s'engage à ne vendre les produits que sur le marché considéré et au détail directement aux consommateurs et s'interdit de céder les produits, sous quelque forme que ce soit, à tout négociant français ou étranger, grossiste ou détaillant ; que le contrat se réfère à l'exigence d'une formule de conditionnement aux termes de laquelle l'article ne peut être vendu que par le distributeur agréé du fabricant ; que le fabricant (ou à l'étranger ses filiales) ne conclut qu'un contrat par point de vente ; qu'enfin le fabricant vend directement et sans intermédiaire au distributeur agréé ; de la sorte se trouve parfaitement établie l'étanchéité juridique et commerciale absolue du réseau de distribution sélective ;
Contrairement à ce que soutient la SA TDE, il ne suffit pas pour écarter cette démonstration, d'affirmer que l'existence de grossistes capables de détenir et négocier des parfums de prestige révélerait ipso facto le défaut d'étanchéité du réseau : il lui faudrait démonter que ces grossistes, qu'elle nomme (Derduft Flacon, Parfums Discount Sulzbach, Socove, Maed Distribution ...) s'approvisionnent auprès du fabricant et non au moyen de la complicité de certains distributeurs agréés qui violent leurs contrats contre la volonté du fabricant ; en d'autres termes, que l'exécution de bonne foi des contrats de distribution sélective, en France et dans la Communauté Européenne, laisserait néanmoins subsister la possibilité pour les tiers, de s'approvisionner auprès du fabricant, ou la faculté pour les distributeurs agréés de vendre à d'autres qu'à des consommateurs et autrement qu'au détail.
Cette démonstration n'est pas faite.
Le jugement déféré est donc à confirmer en ce qu'il a par des motifs pertinents retenu la preuve de la licéité du réseau, mais à infirmer en ce qu'il a dit non rapportée la preuve de son étanchéité.
Sur l'acquisition illicite des produits
1° / Il est constant que si le système de distribution sélective rend les produits indisponibles, la commercialisation qui en est faite par un revendeur n'appartenant pas au réseau ne constitue un acte de concurrence déloyale que si est établie l'irrégularité de leur acquisition, qui peut s'entendre notamment lorsque l'acquisition n'est pas conforme aux usages commerciaux considérés comme réguliers et loyaux (cf. arrêt Dansk-Supermarked - CJCE du 22 janvier 1981),
2° / Or, il est constant, en l'espèce, qu'un nommé Herman (appelé en garantie comparant) se disant représentant des sociétés " Maed Distribution Co Herweiller " et " Senteur Flacon " a vendu les produits en cause à une société étrangère Beauty Free Import, laquelle les a revendus à la SA TDE, et que cette dernière d'une part sur le vu d'une facture à l'en-tête Beauty Free Import, éditée en apparence par cette société, a réglé directement entre les mains d'Herman, d'autre part, au mépris des usages constants en matière de paiement international, a payé cette facture par billets à ordre et non par le recours au crédit documentaire ou au virement par l'organe d'un intermédiaire agréé ; il est encore constant que les sociétés ont l'apparence d'être fictives puisque leurs documents " commerciaux " ne portent trace d'aucune immatriculation en France ou à l'étranger (Allemagne),
3° / il est donc indiscutable que face à l'étanchéité absolue juridique et commerciale démontrée par le fabricant, ces circonstances autorisent à dire que la SA TDE n'est pas en mesure d'opposer quelque justification que ce soit à la preuve ainsi rapportée qu'elle a acquis de manière ni régulière ni loyale les produits litigieux.
- Ainsi contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, c'est à bon droit que la SA Christian Dior fait grief à la SA TDE de l'acquisition illicite des parfums proposés à la vente, et demande que cette faute quasi-délictuelle soit retenue au sens des articles 1382 et 1383 du Code Civil comme constitutive d'un acte de concurrence déloyale ouvrant droit à réparation. Le jugement est à infirmer en ce sens.
4 - Sur le grief de concurrence déloyale fondé sur les modes de commercialisation des produits
- En des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont fait une exacte appréciation des circonstances de la cause pour en retenir que la SA TDE avait bien commis des actes de concurrence déloyale par recours aux pratiques du prix et de la marque d'appel et par l'utilisation d'une méthode de promotion dépréciative pour des produits de luxe tels que des parfums de grande surface.
- Y ajoutant, il convient de relever que la vente sur catalogue de pareils produits :
1° - constitue une méthode dépréciative non seulement par la banalisation de ces produits de luxe présentés dans les mêmes conditions que des produits alimentaires ou d'hygiène courante, mais encore par son procédé lui-même, qui prive le consommateur des services inhérents au système de distribution sélective, soit à tout le moins, l'assurance de pouvoir trouver sur place la totalité des produits fabriqués dans chaque ligne de chaque marque proposée, un service de conseil et de démonstration adaptés assuré par des personnels qualifiés, et l'assurance de se voir proposer des produits de parfaite fraîcheur compte tenu des obligations souscrites par le distributeur au titre de la rotation des stocks et du sort des produits périmés ou altérés,
2° - constitue incontestablement un acte de parasitisme commercial, dès lors que sans bourse délier, la SA TDE utilise à son profit le pouvoir attractif évident de la marque de ces produits, né non seulement de leur qualité intrinsèque, mais encore des efforts considérables et constamment renouvelés du fabricant pour promouvoir l'image de qualité et de luxe qui en sont l'apanage, et pour concevoir et améliorer les méthodes de vente au détail les plus appropriées, et que la SA TDE sans aucun effort de sa part, et sans se soumettre aux obligations des distributeurs agréés, entend tirer parti, cependant, des effets positifs, aux yeux des consommateurs, de leur existence même et du label de qualité et de confiance généré par leurs pratiques commerciales contractuellement imposées par le fabricant ; il s'agit bien d'un procédé fautif d'appropriation par un tiers de l'effort commercial (considérable en ce domaine précis) accompli par une entreprise.
- Le jugement déféré est à confirmer en ce qu'il a retenu la responsabilité de la SA TDE du chef de la faute quasi-délictuelle ainsi commise (articles 1382 et 1383 du Code Civil) comme constitutive d'un acte de concurrence déloyale ouvrant droit à réparation.
5 - Sur les réparations
L'ensemble des fautes commises par la SA TDE engage sa responsabilité civile et l'oblige à réparer le préjudice causé. La réalité de ce préjudice est indiscutable : en son aspect matériel, soit la réduction du chiffre d'affaires des ventes du fabricant à raison de la diffusion du catalogue dans la région bordelaise et de l'importance des commandes passées auprès de la SA TDE durant le court laps de temps où cette opération s'est déroulée (20 octobre au 15 novembre 1988), ce préjudice n'est pas démontré, et pourrait d'ailleurs difficilement l'être ; par contre, en son aspect immatériel, c'est-à-dire l'atteinte portée à l'image de marque des parfums de luxe qui appartient au patrimoine social de la société fabricante et qui est constamment soutenue par d'importants investissements publicitaires et commerciaux (la sélection des distributeurs et les méthodes de vente), ce préjudice est constant. Il est nécessairement entré en compte dans l'accroissement de ces investissements à l'effet notamment de contrecarrer l'effet dénigrant et déceptif des actes de concurrence déloyale et de la contrefaçon artistique imputée à la SA TDE
La Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour élever à 100.000 F, par infirmation du jugement déféré, la réparation due, sous forme de dommages et intérêts, à la société intimée, et pour confirmer la réparation complémentaire ordonnée par les premiers juges sous la forme des publications par voie de presse.
6 - Sur les demandes incidentes
- Il est équitable que la SA TDE défraie la SA Christian Dior de ses dépenses de procédure non taxables pour le montant précisé au dispositif ci-après.
- La SA TDE doit être déboutée de sa demande, non fondée, en réparation pour abus de procédure et de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par ces motifs : LA COUR, recevant en la forme l'appel de la SA Télédistribution Européenne Téleclerc, confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux du 6 août 1990 en ce qu'il a retenu la responsabilité civile de la SA Télédistribution Européenne Téleclerc du chef de la contrefaçon artistique et du chef de la concurrence déloyale pour faits de commercialisation des produits à savoir : pratique de marques et prix d'appel et usage d'une méthode de vente dépréciative, en ce qu'il a rejeté le grief fondé sur l'usage illicite de marque, et en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens, le réformant pour le surplus et statuant à nouveau, Dit que la SA Télédistribution Européenne Téleclerc a également engagé sa responsabilité civile quasi-délictuelle au titre de la concurrence déloyale pour faits d'acquisition illicite de produits au mépris d'un réseau de distribution sélective licite et étanche, et pour faits de parasitisme commercial, en réparation, condamne la SA Télédistribution Européenne Téleclerc à payer à la SA Parfums Christian Dior la somme de 100.000 F (cent mille francs) à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal conformément à l'article 1153-1 alinéa 1 du Code Civil, ordonne à titre de dommages-intérêts complémentaires la publication du dispositif du présent arrêt dans trois journaux français, au choix de la SA Christian Dior aux frais de la SA Télédistribution Européenne Téleclerc et sans que le coût de chaque publication dépasse le montant de 20.000 F, condamne la SA Télédistribution Européenne Téleclerc à payer à la SA Parfums Christian Dior la somme de 20.000 F en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, et déboute la SA Télédistribution Européenne Téleclerc de sa pareille demande ainsi que de sa demande en réparation pour abus de procédure, condamne la SA Télédistribution Européenne Téleclerc aux entiers dépens d'appel et autorise Le Fonrouge-Barennes, avoué, à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens d'appel dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.