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Décisions

CA Dijon, 1re ch. sect. 1, 15 décembre 1993, n° 543-93

DIJON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Centre Régional de Protection Incendie

Défendeur :

Bergdoll

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

(faisant fonction) : M. Kerraudren

Conseillers :

Mme Sarrazin-Marcelot, M. Lévi

Avoués :

SCP Avril-Hanssen, SCP Fontaine-Tranchand

Avocats :

Mes Rousseau, Thomas.

T. com. Dijon, prés., du 6 mai 1992

6 mai 1992

Exposé de l'affaire :

La société Centre régionale de protection incendie (CRPI) exerce une activité de commercialisation et d'entretien de matériel de lutte contre l'incendie sur l'ensemble du territoire française. Invoquant la concurrence déloyale de l'entreprise " Centre régionale de sécurité " (CRS), dirigée par M. Bergdoll, dont l'objet est identique au sien, elle a saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Dijon qui, par ordonnance du 6 mai 1992, a estimé qu'il existait en l'espèce une contestation sérieuse et renvoyé l'affaire au fond devant le tribunal. Selon jugement du 29 octobre 1992, cette juridiction a débouté la société CRPI de toutes ses prétentions et rejeté la demande reconventionnelle de l'entreprise CRS.

La SA CRPI a interjeté appel. Elle fait tout d'abord valoir, en se fondant sur de nombreux témoignages, que les représentants de CRS diffusent des informations mensongères auprès de sa clientèle en lui faisant croire, notamment, qu'elle aurait cessé ses activités ou que celles-ci auraient été reprises par eux. Elle prétend ensuite que son adversaire a procédé au débauchage de quatre de ses VRP, bouleversant ainsi gravement son fonctionnement. Elle reproche enfin à M. Bergdoll d'avoir employé ceux-ci alors qu'ils étaient tenus par des clauses de non-concurrence. Elle précise à cet égard que l'intéressé était tenu de se renseigner sur ce point, qu'il n'a pas qualité pour contester la validité desdites clauses, que celles-ci répondent aux critères légaux, qu'elles sont, en toute hypothèse, réductibles au regard de leur étendue géographique et qu'enfin l'absence de contrepartie financière n'est pas une cause de nullité.

C'est pourquoi elle demande à la Cour de :

- condamner CRS à cesser ses agissements de concurrence déloyale dans les cinq jours du prononcé de cet arrêt,

- lui faire interdiction de débaucher ses collaborateurs et de collaborer avec MM. Baujard, Milliand, Aguenot et de Oliveira,

le tout sous astreinte définitive de 1 000 F par infraction constatée,

- condamner CRS à cesser d'embaucher ses collaborateurs tenus d'une clause de non-concurrence sous astreinte de 200 000 F par salarié,

- condamner la même société à lui payer 300 000 F à titre de dommages-intérêts et 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle conclut, pour le surplus, à la confirmation de la décision attaquée.

M. Bergdoll précise tout d'abord qu'il exerce son activité en nom personnel. Il répond ensuite à l'appelante :

- qu'il a recruté les VRP concernés par annonce, sur une durée de quinze mois et alors, pour deux d'entre eux, qu'ils avaient déjà quitté la société CRPI,

- qu'il n'a été avisé de l'existence de clauses de non-concurrence que par l'assignation en référé du 6 avril 1992, date à laquelle MM. De Oliveira et Baujard l'avaient déjà quitté,

- que son adversaire n'indique pas quels étaient les derniers secteurs d'activité des représentants Milliand et Aguenot dans la mesure où la clause de non-concurrence devait être réduite à ceux-ci, conformément à la Convention Collective Nationale des VRP, et qu'en toute hypothèse, le délai de validité de deux ans desdites clauses serait expiré,

- que des représentants de CRPI ont dénigré systématiquement l'entreprise CRS,

- que la sincérité des attestations adverses, concernant le même grief, sont douteuses. L'intimée conclut donc à la confirmation du jugement déféré. A titre subsidiaire, il sollicite l'allocation de dommages-intérêts et d'une indemnité pour frais irrépétibles équivalente à ceux qui seraient accordés à son adversaire, avec compensation.

Discussion :

Sur la procédure :

Attendu que M. Bergdoll précise qu'il exerce son activité à titre personnel, sous l'enseigne " Centre régional de Sécurité " (CRS) ; qu'il convient de le faire figurer en cette qualité non contestée dans le présent arrêt, étant observé qu'il n'invoque aucun moyen de nullité à cet égard ;

Sur le débauchage :

Attendu qu'il est constant que les parties en litige exercent une activité identique ;

Attendu que M. Bergdoll justifie avoir passé de nombreuses annonces dans la presse, à l'effet de recruter des représentants, à partir de septembre 1990 ;

Attendu que les pièces versées aux débats par l'intéressé établissent que :

- M. Baujard a été embauché par CRS du 15 octobre 1990 au 17 janvier 1992,

- M. Milliand a quitté la société CRPI le 23 novembre 1990, qu'il a ensuite travaillé dans une société de ravalement et d'isolation puis a été engagé, à la suite d'une annonce, le 20 mars 1991, par CRS,

- que M. de Oliveira a été employé par CRS du 8 juillet au 13 décembre 1991,

- que M. Aguenot a quitté le CRPI le 23 novembre 1990, mais n'a été salarié de CRS qu'à partir du 20 janvier 1992 ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que deux des quatre salariés en cause avaient quitté la société CRPI depuis plusieurs mois lorsqu'ils sont entrés chez CRS; que, pour les deux autres, l'appelante ne justifie pas que ladite entreprise ait usé de manœuvres déloyales pour se procurer leurs services; qu'elle n'établit pas davantage la désorganisation qu'elle allègueet que ne peuvent en principe occasionner les départs successifs, largement étalés dans le temps, de quelques-uns seulement de ses VRP, même si certains d'entre eux n'ont pas respecté le délai de préavis ; qu'en définitive, le premier grief n'est pas caractérisé ;

Sur l'embauche de salariés liés par une obligation de non-concurrence :

Attendu tout d'abord, sur ce point, que la responsabilité de M. Bergdoll ne pourrait être engagée que s'il avait effectivement eu connaissance de l'existence de l'engagement de non-concurrence liant les salariés par lui embauchés ;

Attendu qu'il n'est pas contesté par la société CRPI que les certificats de travail délivrés aux VRP qui la quittent ne comportent pas la mention d'une clause de non-concurrence ;

Attendu qu'il n'apparaît pas que, dans les contrats de travail conclus par lui-même, qu'il verse aux débats, M. Bergdoll insère une telle clause ; qu'il ne saurait être exigé de lui qu'il impose à ses salariés la fourniture de leurs précédents contrats de travail, d'autant plus que certains d'entre eux exerçaient avant leur embauche, une activité distincte de celle qu'il leur proposait ;

Attendu qu'il convient d'admettre, dans ces conditions, que M. Bergdoll n'a eu connaissance de l'existence de clauses de non-concurrence qu'à compter de l'assignation en référé qui lui a été délivrée le 6 avril 1992 ; qu'il n'est donc concerné qu'au titre du maintien à son service de MM. Milliand et Aguenot ; qu'à cet égard, l'appelante invoque vainement le jugement du conseil de prud'hommes de Dijon du 11 décembre 1992, concernant M. de Oliveira, puisque cette décision n'est pas opposable à CRS qui n'y était pas partie, et qu'il n'est pas établi qu'elle soit devenue définitive ;

Attendu que, contrairement à ce que soutient la société CRPI elle ne peut opposer à M. Bergdoll la clause de non-concurrence dont elle se prévaut qu'à condition que celle-ci soit valide ;

Attendu que l'intimée a exactement reproduit, dans ses écritures, le libellé de la clause figurant au contrat de travail de M. Aguenot et interdisant à celui-ci, en cas de rupture, pendant deux années à compter de la cessation de ses fonctions, de s'intéresser dans un rayon de 200 km à vol d'oiseau du siège social de la société, de ses succursales et filiales existantes ou qui seraient créées pendant la durée du contrat, à des affaires dont l'activité est identique, similaire ou connexe à celle de l'employeur, non plus que de s'engager, à quelque titre que ce soit, dans de telles entreprises ; que le contrat de M. Milliand comportait une clause plus succincte ayant cependant une portée identique ;

Attendu que l'intimée fait justement remarquer, sans être contredite de ce chef, que la totalité du territoire français est couverte par des agences de la société CRPI, ainsi que le révèle la carte qu'elle verse aux débats sur ce point ;

Attendu cependant que, selon l'article 17 de la Convention Collective Nationale interprofessionnelle des VRP, l'interdiction contractuelle de concurrence est limitée à la fois dans le temps, pendant deux ans à partir de la rupture, mais aussi aux seuls secteurs et catégories de clients que le représentant de commerce était chargé de visiter au moment de la notification de la rupture du contrat ; que le même article prévoit le versement d'une contrepartie financière ;

Attendu, en premier lieu, que l'absence de règlement de celle-ci est sans incidence sur la validité de la clause ;

Attendu en second lieu que les parties admettent expressément qu'en application de cette convention, plus favorable aux salariés, la clause de non-concurrence litigieuse est réductible aux secteurs concernés, étant observé que les critères de temps et de lieu sont, selon ce texte, cumulatifs ;

Attendu que les contrats de travail de MM. Aguenot et Milliand ne comportent aucune indication précise sur leur secteur d'activité ; qu'il y a lieu d'ajouter que celui-ci, fût-il mentionné à l'origine, aurait pu être modifié ensuite ;

Attendu que l'appelante ne verse aux débats aucun élément justifiant les attributions territoriales de ses anciens salariés ; qu'ainsi, le seul rattachement de M. Aguenot à l'agence de Chatenoy-le Royal (Saône et Loire) est insuffisant à cet égard puisque précisément cette agence recouvre, selon l'article 4 du contrat de travail de l'intéressé, plusieurs secteurs d'activité ;

Attendu qu'il n'est pas établi, dans ces conditions, que MM. Milliand et Aguenot aient été employés par M. Bergdoll en violation de la clause de non-concurrence quant à l'étendue géographique ;

Attendu qu'il convient, par suite, de rejeter les prétentions de la société CRPI afférentes aux quatre VRP précités, y compris en ce qu'elles contiennent diverses requêtes aux fins d'interdiction ;

Sur le dénigrement et la confusion :

Attendu que la société CRPI verse aux débats de nombreuses lettres que lui ont adressées certains de ses clients, ou des attestations de ceux-ci, dont elle rapporte exactement les termes dans ses écritures ; qu'il ressort de ces pièces, ainsi que d'autres courriers, relatifs à des faits postérieurs à ceux cités, dont elle ne fait pas état dans ses écritures, mais qu'elle produit, que des représentants de l'entreprise CRS ont prétendu, auprès desdits clients, soit que la société CRPI n'existait plus ou avait cessé ses activités, soit que CRS lui avait succédé ou avait repris ses contrats;

Attendu que, si deux des témoins cités par la société CRPI se sont ensuite rétractés, l'ensemble des autres documents sur lesquels se fonde la société appelante n'est pas discuté par l'intimé ; que la sincérité n'en est guère contestable dans la mesure où la plupart son antérieurs au présent litige, précis et accompagnés de pièces justificatives (notamment les commandes auprès de CRS) ; qu'il s'ensuit qu'en faisant ou laissant diffuser des allégations mensongères auprès de la clientèle de la société CRPI et en entretenant une confusion entre les deux entreprises, M. Bergdoll a commis des fautes;

Attendu qu'il importe peu que l'intimé n'ai pas donné d'instructions précises à ses salariés dès lors qu'il est responsable, en qualité de commettant, de leurs agissements, sauf à démontrer, ce qu'il n'offre pas en l'espèce, que les intéressés aient abusé de leurs fonctions;

Attendu cependant que, parallèlement, M. Bergdoll produit également toute une série d'attestations, non discutées par son adversaire, qu'il cite exactement dans ses écritures et qui établissent que certains vendeurs de CRPI usent des même procédés déloyaux de démarchage que ceux analysés ci-dessus ;

Attendu qu'il apparaît ainsi que chacune des parties se livre à des agissements fautifs similaires ; que ceux-ci sont certainement à l'origine d'un préjudice moral et matériel, caractérisé notamment par une perte de clientèle ; que, toutefois, aucun des plaideurs ne fournit à la Cour d'éléments comptables précis à l'appui de sa réclamation ; qu'il n'est pas possible, au vu des pièces produites, de déterminer le nombre de clients et l'importance respective des affaires détournées qu'il convient, dans ces conditions, d'allouer à chacun des antagonistes la somme de 20 000 F en réparation de son préjudice et d'ordonner la compensation ;

Attendu qu'il n'est pas certain que les faits de dénigrement ou de confusion se poursuivent encore actuellement ; qu'il n'y a pas lieu, dès lors, de faire droit aux demandes de réparation en nature présentées par la société CRPI ;

Sur les frais :

Attendu qu'il n'est pas contraire à l'équité que chacune des parties supporte ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Décision :

Par ces motifs, LA COUR : Réformant partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau ; Condamne M. Bergdoll à payer à la société CRPI la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale par dénigrement et confusion ; Condamne la société CRPI à verser une somme identique à M. Bergdoll sur le même fondement ; Ordonne la compensation entre ces deux sommes ; Déboute les parties de toutes demandes contraires ou plus amples ; Dit que chacune d'elles gardera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.