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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 15 décembre 1993, n° 93-25039

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Yves Saint Laurent Parfums (SA), Yves Saint Laurent International BV (Sté), Yves Saint Laurent Groupe (SCA), Elf Sanofi (SA)

Défendeur :

Institut National des Appellations D'origine, Comité Iterprofessionnel du Vin de Champagne, Champagne Lanson Père et fils (SA), Brugnon, Champagne Moet et Chandon (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

Mme Ezratty

Présidents :

M. Gouge, Mme Hannoun, M. Canivet

Avocat général :

M. Delafaye

Conseiller :

M. Bargue

Avoués :

Me Bourdais Virenque, SCP Parmentier, Hardouin, SCP Fisselier, Chiloux, Boulay

Avocats :

Mes Granrut, Benazeraf, Escande, Rambaud.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 28 oct. …

28 octobre 1993

L'Institut national des appellations d'origine (INAO), établissement public à caractère administratif chargé de la défense des appellations d'origine contrôlées, le Comité interprofessionnel des vins de champagne (CIVC) qui représente les intérêts des producteurs et négociants en champagne, les sociétés Lanson Père et Fils et Moet & Chandon qui produisent et font le commerce du champagne et Monsieur Brugnon, vigneron, producteur de champagne, estimant ensemble que la société Yves Saint Laurent Parfums en commercialisant un nouveau parfum sous la dénomination Champagne détournait et affaiblissait le notoriété de cette appellation d'origine et que l'acquisition par la société Yves Saint Laurent BV d'une marque Champagne, déposée par un tiers en 1982, notamment pour désigner des produits de parfumerie, constituait une fraude destinée à faciliter cette captation de notoriété, ont assigné à jour fixe les sociétés Yves Saint Laurent Parfums et Yves Saint Laurent BV ainsi que la société Yves Saint Laurent Parfums Groupe et la société ELF Sanofi liée aux précédentes devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Ces assignations avaient pour objet principal :

- l'annulation du dépôt de marque Champagne et sa radiation,

- le prononcé d'une interdiction, sous astreinte d'utiliser le signe distinctif Champagne,

- la confiscation, aux fins de destruction de tous flacons, emballages, documents publicitaires relatifs au parfum Champagne,

- le paiement tant à l'INAO qu'au CIVC d'une provision de dix millions de francs,

- le paiement à chacune des sociétés Moet & Chandon, Lanson et à Monsieur Brugnon d'une indemnité d'un million de francs.

- des mesures de publication judiciaire,

- l'exécution provisoire.

Par jugement prononcé le 28 octobre 1993, le tribunal de grande instance de Paris (3e chambre, 2e section) a :

- déclaré fondée la demande sur la base de la loi du 6 mai 1919 modifiée,

- annulé l'enregistrement de la marque Champagne numéro 1 214 817 et ordonné sa radiation,

- interdit aux sociétés défenderesses d'utiliser le terme Champagne pour désigner un parfum, sous astreinte de 3.000 francs par infraction constatée à l'expiration du délai d'un mois à compter de la signification,

- prononcé la confiscation avec la remise aux demandeurs aux fins de destruction de tous emballages et documents publicitaires relatifs au parfum Champagne, ces interdiction et confiscation étant assorties de l'exécution provisoire,

- condamné in solidum, les défenderesses à payer à titre de dommages et intérêts une somme de un francs à l'INAO et au CIVC, et une somme de 50.000 francs respectivement aux sociétés Moet & Chandon et Lanson, ainsi qu'à Monsieur Brugnon,

- autorisé les demanderesses à faire publier le dispositif du jugement par extraits ou in extenso dans trois journaux ou revues de leur choix, aux frais in solidum des défendeurs, sans que le coût global de ces insertions puisse excéder 45.000 francs,

- rejeté les demandes incompatibles avec la motivation du jugement,

- dit que le jugement, devenu définitif, serait transmis à l'Institut national de la Propriété Industrielle sur réquisition du greffier en tant qu'il annule un dépôt de marque.

Ayant relevé appel à jour fixe de ce jugement, les sociétés Yves Saint Laurent et ELF Sanofi, tendent à titre principal au débouté du CIVC, de l'INAO, ainsi que des sociétés Moet & Chandon et Lanson et de Monsieur Brugnon en leurs demandes.

A titre subsidiaire, elles prient la Cour d'interroger la Cour de Justice des Communautés Européennes par un renvoi préjudiciel en interprétation conformément à l'article 177 du Traité de Rome dans les termes suivants :

- La définition de l'objet et de la fonction spécifique des appellations d'origine et le règlement numéro 823/87 du 16 mars 1987 modifié autorisent-ils une législation nationale à étendre leur protection à des utilisations n'entraînant aucun risque de confusion quant à l'origine des produits revêtus d'une marque correspondante, au seul motif que ces utilisations seraient susceptibles de détourner ou d'affaiblir la notoriété d'une appellation d'origine ?

- Dans l'hypothèse où il serait répondu par l'affirmative à la question précédente, l'interdiction d'utiliser une marque correspondant, à, ou évoquant une appellation d'origine pour désigner un produit distinct par sa nature et sa fonction de celui couvert par l'appellation d'origine et offrant une image ainsi qu'une notoriété équivalentes à celles du produit protégé par l'appellation d'origine, satisfait-elle aux conditions de nécessité et de proportionnalité consacrées par la jurisprudence de la Cour de Justice ?

et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de Justice.

L'INAO, le CIVC, la Société Lanson et Monsieur Brugnon d'une part, la Société Moet et Chandon d'autre part concluent à la confirmation du jugement.

A l'audience le ministère public a développé des observations orales visant aux mêmes fins.

Conformément aux dispositions de l'article 445 du nouveau Code de Procédure Civile, les appelantes ont adressé à la Cour une note en délibéré réitérant et précisant leurs moyens pour répondre aux observations orales du ministère public.

Sur ce :

Considérant qu'il appartient à la cour de rechercher si, en l'espèce, l'utilisation faite par les appelantes du signe distinctif Champagne pour désigner un parfum est licite au regard de l'article L. 115-5-4 du Code de la consommation et si les interdictions résultant de l'application de ce texte sont compatibles avec le principe communautaire de libre circulation des produits et les règlements relatifs aux appellations d'origine ou indications de provenance ;

1 - Sur l'application de l'article L. 115-5-4 du Code de la Consommation :

Considérant que les sociétés Yves Saint Laurent et ELF Sanofi font d'abord grief au jugement dont appel d'avoir " contre la lettre du texte de la loi, son sens et les principes du droit des signes distinctifs " consacré " un principe d'interdiction concernant l'utilisation des appellations d'origine pour désigner des produits différents " privant la loi de toute possibilité d'application et de l'avoir ainsi dénaturée, par une analyse erronée, renversant au surplus la charge de la preuve ;

Qu'elles ajoutent que :

- la protection des appellations d'origine est limitée par leur fonction qui, dans l'intérêt des producteurs et des consommateurs est de distinguer des produits qui correspondent aux caractéristiques de nature et de qualité propres au lieu de provenance et qu'il suffit par conséquent d'en interdire l'usage pour des produits similaires ;

- l'article L. 115-5-4 du Code de la consommation prévoit seulement une exception au principe de spécialité " universellement reconnu " en édictant une interdiction qui doit être interprétée restrictivement, de sorte qu'il incombe aux demandeurs de caractériser la possibilité du détournement ou de l'affaiblissement ;

- en ce qui concerne l'affaiblissement de l'appellation d'origine Champagne, le jugement retient à tort, d'une part, l'hypothétique possibilité d'une confusion d'intérêt avec les producteurs de vins de champagne laissant croire à un péril de cette appellation, d'autre part, que la campagne de promotion s'est étendue à l'ensemble des productions Yves Saint Laurent;

- ainsi que l'admettent certains producteurs de vins de Champagne, pour le parfum, la notoriété de l'appellation n'est pas utilisée en dehors de l'univers auquel elle appartient ;

- la preuve de l'absence de risque de détournement et d'affaiblissement est impossible et, par suite, l'interprétation de la loi faite par le Tribunal ne laisse plus aucun espace de liberté pour l'usage du signe distinctif CHAMPAGNE ;

Mais considérant que la loi du 6 mai 1919 modifiée, introductive dans le Code de la consommation à l'article L. 115-5 paragraphe 4 dispose que " le nom géographique qui constitue l'appellation d'origine ou toute autre mention l'évoquant ne peuvent être employés pour aucun produit similaire... ni pour aucun autre produit ou service lorsque cette utilisation est susceptible de détourner ou d'affaiblir la notoriété de l'appellation d'origine " ;

Qu'avec raison les appelantes opposent la première partie de ce texte qui édicte une interdiction absolue pour les produits identiques ou similaires et la seconde qui pour les autres, limite l'interdiction au cas où l'utilisation de l'appellation est susceptible de détourner ou d'affaiblir la notoriété ; que tel que l'a justement interprété le tribunal, sans inverser la charge de la preuve, pour des produits différents, la loi n'exige pas du demandeur la démonstration d'un détournement ou d'un affaiblissement réalisé de la notoriété mais seulement celle de la possibilité ou du risque de tels effets ;

Qu'une telle interprétation de l'article L. 115-5 paragraphe 4 du Code de la consommation n'est pas contraire à la cohérence du droit des signes distinctifs puisque l'article L. 713-5 du Code de la propriété industrielle protège aussi le titulaire d'une marque " jouissant d'une renommée " contre l'emploi de celle-ci pour des produits ou services non similaires, lorsqu'il est de nature à lui porter préjudice ou constitue une " exploitation injustifiée " du signe ; qu'ainsi, aucun de ces textes n'interdit toute possibilité d'usage d'une appellation ou d'un signe distinctif pour des produits différents ;

Considérant que, nonobstant les mises en garde du CIVC et l'INAO, la Société Yves Saint Laurent Parfums distribue un nouveau parfum féminin sous la dénomination Champagne dont le flacon, présenté à la cour et reproduit sur le matériel publicitaire, évoque à l'évidence, à l'endroit comme à l'envers, par sa forme de champignon et ses détails (capsules métalliques, muselet et stries), le bouchon caractéristique des bouteilles de vin de Champagne dont il porte le nom sur le côté en capitales d'imprimerie sombres suivi en dessous et en plus petites lettres de l'indication " parfum " ;

Que la presse n'a pas manqué de voir dans le parfum dénommé Champagne " un hommage à ce vin prestigieux ", ainsi même que l'a souligné le couturier Yves Saint Laurent dans une dépêche de l'Agence France-Presse du 17 mai 1993 annonçant le lancement " d'un nouveau parfum fait pour les femmes heureuses, légères et pétillantes ", et destiné " à fêter des événements heureux " ;

Considérant que le vin de Champagne est protégé par une appellation d'origine contrôlée qui bénéficie d'une exceptionnelle notoriété tant en France qu'à l'étranger ;

Considérant que les intimées, qui ont la charge de la preuve du risque d'affaiblissement de la notoriété ne démontrent pas que l'utilisation du signe Champagne par une entreprise de la renommée d'Yves Saint Laurent pour commercialiser un parfum de luxe pourrait avoir pour effet de " diluer " la notoriété de l'appellation, de la vulgariser ou de l'affaiblir ;

Considérant cependant qu'en adoptant le nom Champagne, pour le lancement d'un nouveau parfum de luxe, en choisissant une présentation rappelant le bouchon caractéristique des bouteilles de ce vin et en utilisant dans les arguments promotionnels l'image et les sensations gustatives, de joie et de fête qu'il évoque, les appelantes ont voulu créer un effet attractif emprunté au prestige de l'appellation litigieuse;

Que de ce seul fait, elles ont, par un procédé constitutif d'agissements parasitaires, détourné la notoriété dont seuls les producteurs et négociants en champagne peuvent se prévaloir pour commercialiser le vin ayant droit à cette appellation ;

Qu'il est à cet égard sans incidence que les sociétés Yves Saint Laurent soient des entreprises réputées depuis trente ans tant pour les parfums que pour les créations de haute couture ;

Qu'en vain les appelantes font état de la tolérance dont auraient bénéficié d'autres utilisateurs du signe Champagne dès lors que la forclusion par ce moyen est exceptionnelle et n'est admise qu'en matière de marque ;

Que le consentement ou l'approbation donnée par certains producteurs de vins de Champagne ou par des personnalités de cette région sont inopérants en raison du caractère inaliénable de l'appellation d'origine ;

considérant néanmoins qu'il n'est nullement établi que le détournement de la notoriété ainsi constaté profite aux autres activités notamment aux articles de haute couture et que la présentation du parfum dans des boutiques commercialisant les vêtements Yves Saint Laurent soit le fait personnel des appelantes ;

2 - Sur l'application du droit communautaire :

Considérant que les sociétés Yves Saint Laurent et ELF Sanofi prétendent encore que l'interprétation donnée par le tribunal de l'article L. 115-5 paragraphe 4 du Code de la Consommation est incompatible avec le droit communautaire ;

Qu'elles soutiennent en particulier que :

- la limitation propre à la France de l'utilisation d'une appellation d'origine pour des produits différents constitue une restriction aux échanges " tombant sous le coup " de l'article 30 du traité de Rome et que même s'il n'y a que cinq pays d'Europe dans lesquels l'interdiction du terme Champagne pour désigner un parfum est impossible, la loi française est un obstacle au commerce intra-communautaire,

- si l'article 36 du Traité prévoit des exceptions à la libre circulation des produits, notamment pour la propriété industrielle et commerciale, celles-ci sont soumises à la double condition de nécessité et de proportionnalité et doivent être justifiées par la sauvegarde des droits qui consistent l'objet spécifique de cette propriété industrielle, en l'espèce une garantie d'origine et une garantie de fabrication selon des normes de qualité ou des méthodes définies et vérifiées par les autorités publiques ; qu'il s'ensuit que les dispositions susvisées du Traité ne sont pas applicables et que la règle nationale doit être écartée, puisque le vin de Champagne et le parfum sont des produits insusceptibles d'être confondus,

- le règlement CEE du Conseil du 16 mars 1987, auquel il ne peut être ajouté, n'interdit pas l'usage de l'appellation d'origine vinicole pour des produits différents mais seulement pour des boissons autres qu'un vin ou un moût de raisin et à condition qu'existe un risque de confusion sur la nature, l'origine ou la provenance et la composition, ce qui n'est pas le cas d'un parfum,

- enfin, il n'y a aucune proportionnalité entre le souci de protéger l'appellation et les moyens utilisés ;

Mais considérant que l'article 30 du Traité de Rome interdit les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que les mesures " d'effet équivalent " c'est à dire tout ce qui, directement ou indirectement conduit à exclure totalement ou partiellement du marché national les produits importés ;

Qu'en l'espèce le parfum Champagne est un produit fabriqué et distribué en France ; qu'il s'ensuit que l'interdiction de commercialiser un tel produit sur le territoire national n'a aucun effet direct ou indirect sur les importations ; qu'elle n'est pas de ce fait contraire à l'article 30 du Traité instituant la Communauté économique européenne et que, par suite, il n'y a lieu de rechercher si l'article L. 115-5 paragraphe 4 du Code de la Consommation est exclu du champ d'application de l'article 36 dudit Traité autorisant dans certains cas les interdictions et restrictions d'importation, d'exportation ou de transit ;

Qu'au surplus la protection des appellations d'origine est comprise dans les droits de propriété industrielle pour laquelle les Etats membres peuvent, en application du texte susvisé, prévoir des dérogations au principe de libre circulation des marchandises dès lors que, comme en l'espèce, n'est rapportée la preuve ni d'un effet disproportionné de l'interdiction critiquée, ni d'une discrimination entre ressortissants des pays de la Communauté, ni d'une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres ;

Considérant que l'application du règlement communautaire n° CEE 823-87 du 16 mars 1987 a été écartée à juste titre par le tribunal ; qu'en effet, prises sur le fondement des articles 42 et 43 du Traité au même titre que le règlement n° 882-87 sur l'organisation du marché viti-vinicole, ces dispositions ont pour objet, essentiellement technique, de définir et de réglementer la production et le commerce des vins de qualité produits dans des régions déterminées (VOPRD) et de déterminer par les mentions communautaires et spécifiques nationales qui doivent être utilisées ;

Que, dans la logique de ce règlement communautaire, n'est autorisée pour l'appellation d'une boisson autre qu'un vin ou un moût de raisin, l'utilisation du nom d'une région déterminée ou d'une unité géographique plus petite ou d'autres mentions réglementées qu'à la condition que tout risque de confusion sur la nature, l'origine, la provenance ou la composition soit exclu ;

Que le règlement du Conseil n° CEE 2081/92 du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (autres que les vins), prévoit que, dès lors qu'elles ont fait l'objet d'un enregistrement, les dénomination sont protégées, même s'il ne s'agit pas de produits " comparables " dans la mesure où l'utilisation commerciale directe ou indirecte " permet de profiter de la dénomination protégée " ;

Qu'il ne peut en être déduit, fût-ce par une interprétation a contrario, que l'un ou l'autre de ces textes autorise l'usage détourné des appellations d'origine pour des produits différents ; qu'il n'existe par conséquent aucune compatibilité entre l'application du droit national et le droit communautaire et qu'au cas d'espèce, il n'y a lieu à interprétation préjudicielle par la Cour de Justice des Communautés Européennes ;

3 - Sur la validité de la marque Champagne n° 1214817 :

Considérant que les appelantes reconnaissent dans leurs écritures que la licéité du dépôt (en réalité la licéité de l'acquisition) est entièrement conditionnée par la licéité de l'usage de l'appellation d'origine ;

Considérant que, selon les intimés, le " dépôt ", effectué à seule fin de s'approprier la renommée et le prestige de l'appellation d'origine, doit être sanctionné par la nullité alors que l'article L. 711-4 Code de la propriété industrielle empêche désormais de tels dépôts ;

Considérant qu'il résulte du certificat versé aux débats que la marque Champagne (n° 1214817) déposée initialement le 5 octobre 1982 par Monsieur Poignon pour désigner notamment la parfumerie et les cosmétiques a, le 30 janvier 1992, été cédée à la Société Parfums Caron qui, à une date non précisée, l'a rétrocédée à une Société Like BV laquelle, le 12 octobre 1992, après en avoir effectué le renouvellement le 1er octobre 1992, l'a transmise à son tour à la Société Yves Saint Laurent International BV ; que ces transferts successifs ont fait l'objet de mentions au Registre National des Marques ;

Considérant qu'il se déduit de la date d'acquisition ci-dessus rappelée (12 octobre 1992) que la Société Yves Saint Laurent BV, n'est devenue titulaire des droits sur une marque Champagne applicable aux parfums que pour permettre à la société Yves Saint Laurent Parfums de réaliser le lancement de son nouveau produit et de détourner ainsi la notoriété de l'appellation d'origine litigieuse ; qu'en effet, si toutefois elle avait été utilisée, ce qui ne résulte pas du dossier, la marque acquise n'était pas elle-même notoirement connue ;

Considérant qu'une telle acquisition, dont l'objet unique est de faciliter un acte illicite, a été à juste titre qualifiée de frauduleuse par le tribunal et sanctionnée par l'annulation du dépôt ; qu'en revanche il n'y a pas lieu à radiation du dépôt, cette disposition n'étant prévue par aucun texte ;

4 - Sur les mesures à prendre :

Considérant qu'à juste titre le tribunal a retenu une responsabilité in solidum de sociétés ayant ensemble participé aux agissements illicites ;

Qu'il a pris les mesures qui s'imposaient pour mettre un terme aux actes critiqués et a exactement apprécié les préjudices subis et leur réparation par le versement d'indemnités et les publications ordonnées ;

Qu'en équité, il sera alloué aux intimés les sommes indiquées au dispositif pour les nouveaux frais non taxables qu'elles ont dû exposer devant la Cour ; que les appelantes, qui succombent pour l'essentiel, conserveront leur frais irrépétibles et seront condamnées aux dépens ;

Par ces motifs: Confirme le jugement du 28 octobre 1993, SAUF en tant que le Tribunal a ordonné la radiation de la marque Champagne, dit cette mesure sans objet, condamne in solidum les Sociétés Yves Saint Laurent Parfums, Yves Saint Laurent International BV, Yves Saint Laurent Groupe et Elf Sanofi à payer, par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et à la procédure d'appel, à la Société Champagne Moet et Chandon une somme de 60 000 francs et la même somme aux autres intimés pris ensemble, les condamne in solidum aux dépens d'appel que les SCP Fisselier et Parmentier, titulaires d'un office d'avoué sont autorisées à recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.