CA Versailles, 13e ch., 4 novembre 1993, n° 3502-92
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
The Scotch Whisky Association (Sté)
Défendeur :
Suprex (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Monteils
Conseillers :
M. Besse, Mme Bardy
Avoués :
SCP Keime-Guttin, Me Jupin
Avocats :
Mes Hayat-Soria, Borysewicz.
La société Scotch Whisky Association (SWA) est une société de droit Ecossais dont l'objet est d'assurer la protection et la promotion des producteurs de whisky écossais.
La société Suprex distribue un whisky d'origine française sous le nom " Loch Glaner ".
La société SWA considérant que le nom et la présentation de la bouteille sont susceptibles de créer une confusion dans l'esprit du consommateur avec le whisky écossais, a assigné le 1er août 1990 la société Suprex aux fins d'entendre condamner la société Suprex à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et à cesser tout usage des étiquettes litigieuses sous astreinte de 1 000 F par jour de retard.
Par jugement du 12 novembre 1981 le Tribunal de Commerce de Nanterre a débouté la société SWA de toutes ses demandes.
La société SWA a interjeté appel du jugement dont elle poursuit l'infirmation.
Elle demande à la Cour de dire et juger que le nom " Loch Glaner " attribué à un whisky français et l'étiquette utilisée sont de nature à créer une confusion dans l'esprit des consommateurs, entre ce whisky d'origine non écossaise, qu'en commercialisant un whisky d'origine écossaise sous le nom de Loch Glaner la société Suprex a commis des actes de concurrence déloyale dont elle demande réparation dans les termes de son exploit introductif d'instance.
La société SWA soutient que le mot " Loch " est écossais et évoque indubitablement l'Ecosse pour le consommateur, que le société Suprex n'est pas novice en la matière ayant usé de mêmes procédés en distribuant précédemment un whisky français sous le nom de Mac Brayne, qu'elle a d'ailleurs été condamnée à ce titre, que l'étiquette elle-même est de nature à entretenir la confusion, avec au centre le blason représentant le lion écossais stylisé portant une bannière dorée, cet emblème figurant sur la plupart des whiskies écossais, que la mention élaboré en France " ne suffit pas à détruire le risque de confusion, l'étiquette figurant au dos de la bouteille n'étant pas visible et comportant en outre la mention " alcool de grain malt écossais ".
La société Suprex a conclu le 23 février 1993 à la confirmation du jugement entrepris.
Elle fait valoir qu'elle a, au lendemain de l'assignation, fait supprimer le mot " Loch " de l'étiquette, que faute d'intérêt à agir, l'action est irrecevable, que le whisky est maintenant distribué sous le nom de " L. Glaner ", que le mot Loch de toute façon n'est pas exclusivement écossais, qu'il désigne en néerlandais un appareil de navigation maritime, qu'on le retrouve en Bretagne, que le mot Glaner est purement français et compte tenu de la signification fait ressortir l'origine française du Whisky, que l'étiquette n'est nullement tendancieuse, que le lion est inspiré de l'art héraldique, que le lion est présenté non une bannière à la patte mais tenant un glaive, que la mention " élaboré en France " en caractères d'imprimerie est beaucoup plus précise que " fabriqué " en France, que l'étiquette à l'arrière de la bouteille a pour objet de renseigner le consommateur sur la composition du produit, qu'enfin la forme de la bouteille ne peut prêter à confusion, n'existant pas un nombre infini de formes.
Elle fait grief à la SWA de pratiquer une véritable discrimination judiciaire à son encontre en ne poursuivant pas d'autres distributeurs français dont la présentation des produits serait également critiquable.
Elle fait appel incident et, considérant l'action engagée contre elle particulièrement abusive et préjudiciable, n'étant qu'une entreprise familiale, sollicite la condamnation de la société appelante à lui payer toutes causes de préjudices confondues une somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts outre 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
La société SWA réplique qu'elle a intérêt à agir, la preuve incontestable de la suppression des étiquettes litigieuses n'étant qu'alléguée, qu'en toute hypothèse, les bouteilles portant l'étiquette ont été écoulées et rien n'indique que la société Suprex n'utilisera pas à nouveau cette présentation ; que le fait qu'elle n'ait pas agi contre d'autres marques françaises est indifférent au présent litige, que la forme de bouteille adoptée par la société Suprex est la même que celle du whisky " Johny Walker " et contribue à entretenir la confusion .
Sur ce, LA COUR :
Considérant que la distribution par la société Suprex de bouteilles de Whisky sous le nom " Loch Glaner " et avec l'étiquette incriminée n'est pas contestable ni contestée du moins jusqu'à l'assignation, la société Suprex affirmant avoir dès le lendemain de l'assignation fait modifier le nom en supprimant le mot Loch pour diffuser sous l'appellation " L. Glaner " ;
Considérant que la société Suprex qui conclut à l'irrecevabilité de la demande, pour défaut d'intérêt à agir, produit un courrier adressé à l'imprimeur sollicitant la suspension de l'impression des étiquettes ;
Considérant que ce courrier n'établit pas que la société Suprex ait renoncé à utiliser le nom de " Loch Glaner ", que l'argus de l'Intermarché de novembre et décembre 1990 versé aux débats, postérieur de plusieurs mois à l'assignation fait référence au whisky " Loch Glaner " ;
Considérant que l'intérêt à agir de la société SWA qui existe à tout le moins pour la période antérieure à l'assignation, subsiste ; que l'exception d'irrecevabilité doit être rejetée ;
Considérant que l'argument retenu par les premiers juges et repris en cause d'appel par l'intimé, de l'attitude discriminatoire de la société SWA qui n'agirait pas contre d'autres distributeurs usant de noms à consonance écossaise, doit être écarté, que sous réserve de la preuve de la réalité d'un tel comportement judiciaire, qui reste à démontrer, cet élément ne saurait en droit comme en fait faire obstacle à l'action engagée ;
Considérant que la société Suprex distribue son whisky dans une bouteille de forme carrée haute qui sans être totalement identique ressemble à celle d'un whisky écossais de renommée, " le Johny Walker ", que la société Suprex ne saurait arguer de ce qu'il n'existe pas un choix infini de forme de bouteilles, la nature du produit qui y est distribué ne permettant pas d'écarter que ce choix n'est pas dû au seul hasard ;
Considérant que la marque utilisée " Loch Glaner " et notamment l'usage du nom " Loch " typiquement et notoirement écossais ne peut que créer dans l'esprit du consommateur une confusion sur l'origine du produit ;
Considérant à cet égard que la société Suprex ne peut sérieusement prétendre que le mot Loch est ainsi et surtout d'origine néerlandaise pour représenter dans cette langue un instrument de navigation maritime ; que la signification néerlandaise de ce nom de beaucoup plus confidentielle que celle écossaise ; qu'enfin la référence au mot breton qui n'a pas la même orthographe n'est pas sérieuse ;
Considérant que si le mot " Glaner " est un mot français et n'a en anglais aucune signification, il reste que l'Association " Loch Glaner " qui conduit à donner au mot Glaner une consonance anglaise, entretient la confusion incriminée pour la distribution d'un produit dont l'origine écossaise est notoire ;
Considérant que sur l'étiquette figure l'emblème du lion reproduit presque à l'identique à celui de l'Ecosse, que la société Suprex ne saurait plaider qu'un tel emblème se retrouve sur les véhicules Peugeot ou les armes de Gascogne, le risque de confusion résultant là encore de l'association avec le whisky ;
Considérant que le terme " élaboré en France " qui fait plus référence à la notion de préparation ou composition que le terme fabriqué qui introduit la notion de transformation de matières en un produit ne suffit pas à effacer la confusion résultant pour le consommateur de l'association des éléments ci-dessus mentionnés, pas plus que les indications figurant sur l'étiquette au dos de la bouteille, et, en conséquence moins visible, étant relevé qu'il y est fait mention de " malt écossais " ;
Considérant dès lors que la présentation générale, le nom de la marque donnée à ce whisky, l'étiquette sont des éléments dont l'association est de nature à créer une confusion dans l'esprit du consommateur en lui laissant croire à l'achat d'un produit d'origine écossaise;
Considérant que le prix auquel ce produit est offert à la vente n'ôte pas tout risque de confusion dès l'instant que des whiskies d'origine écossaise sont vendus à un prix similaire et tout aussi attractif ;
Considérant que les agissements de la société Suprex sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale et préjudiciables à la société SWA dont l'objet est d'assurer la protection et la promotion des whiskies écossais ;
Considérant qu'il convient d'infirmer le jugement entrepris et faisant droit à la demande de dommages-intérêts de condamner la société Suprex à lui payer une somme de 30 000 F ;
Considérant qu'il sera fait droit aux demandes de publication de la présente décision et d'interdiction des étiquettes de marque " Loch Glaner " ;
Considérant que l'appel incident de la société Suprex doit être rejeté comme non fondé ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la société S.W.A ; la totalité des frais irrépétibles exposés, qu'il lui sera alloué une indemnité de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Constate que la société Suprex a commis des actes de concurrence déloyale en commercialisant sous l'appellation " Loch Glaner " des whiskies de fabrication française, Condamne la société Suprex à payer à la société Scotch Whisky Association la somme de Trente Mille Francs (30 000 F) à titre de dommages-intérêts, Autorise la société Scotch Whisky Associations à publier le présent arrêt dans 5 journaux de son choix à concurrence de la somme de Cinq Mille Francs (5 000 F) par insertion au frais de la société Suprex, Fait défense à la société Suprex d'apposer les étiquettes de marque " Loch Glaner " sur le whisky fabriqué en France à peine d'astreinte de Cinq Cents Francs (500 F) par infraction constatée, Déboute la société Suprex de son appel incident, Condamne la société Suprex à payer à la société Scotch Whisky Association la somme de Dix Mille Francs (10 000 F) au titre de l'article 700 du NCPC , Condamne la société Suprex aux dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP Keime-Guttin, Avoués, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.