CA Paris, 4e ch. B, 18 mars 1993, n° 91-17456
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dauphin Ota (SA)
Défendeur :
Jean-Claude Decaux (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerrini
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
Me Pamart, SCP Duboscq-Pellerin
Avocats :
Mes Campana-Doublet, Sarfati.
La société Dauphin Ota est locataire d'emplacements publicitaires sur un mur situé 11, avenue du Moulin de Saquet à Vitry-sur-Seine sur lequel elle a installé deux panneaux d'affichage en mars 1989. La société Jean-Claude Decaux a à proximité de cet emplacement, implanté un panneau publicitaire en février 1990 "au carrefour de la Libération et au débouché notamment de l'avenue du Moulin de Saquet
Se plaignant de ce que le panneau de Decaux masque ceux qu'elle a apposés et après avoir fait dresser constat par Maître Kerneur, huissier, le 22 février 1990, la société Dauphin a cité Decaux, par acte du 25 avril 1990, devant le tribunal de commerce de Créteil pour obtenir réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale.
Par décision du 17 janvier 1991, le tribunal de commerce tout en reconnaissant l'existence d'un masquage partiel a débouté Dauphin, au motif que Decaux n'avait pas commis de faute dans la mesure où la décision d'implantation du panneau publicitaire litigieux émane de la commune et constitue un acte administratif; Dauphin a été condamnée au paiement de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Dauphin, appelante de ce jugement, conclut à son infirmation en soutenant que Decaux ne saurait échapper à sa responsabilité quasi-délictuelle en prétendant que la décision d'implantation des panneaux est prise par la commune et ne lui est donc pas imputable;
Elle sollicite, en conséquence, le retrait sous astreinte de l'affichage litigieux, paiement de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et de 15 000 F au titre des frais non taxables;
Decaux demande la confirmation du jugement; selon elle, la preuve des faits de masquage n'est pas suffisamment établie; elle soutient encore qu'elle n'a commis aucune faute puisque la décision de déplacement du mobilier urbain ne peut être prise que par la commune de Vitry et qu'elle ne peut être condamnée à le faire;
Elle sollicite paiement de la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Sur ce, la Cour qui pour un plus ample exposé se réfère à la décision critiquée et aux écritures d'appel des parties,
Sur la réalité du masquage :
Considérant que commet une faute celui qui masque en tout ou partie, par une nouvelle publicité, un emplacement préalablement et régulièrement occupé par un tiers ;
Que cette faute existe même si le masquage est partiel, dès lors que le passant ou l'automobiliste a un impact visuel réduit,
Considérant qu'en l'espèce, et contrairement à ce que soutient Decaux le mobilier urbain qu'elle a installé en accord avec la Mairie de Vitry sur un terre-plein à proximité du carrefour de la Libération cause un trouble à Dauphin; qu'en effet le constat qu'elle a elle-même dressé le 6 juin 1990 relève que "sur une distance d'environ 35 mètres, (les panneaux) sont masqués par le panneau dit Decaux situé sur le terre-plein central au début de la rue du Moulin de Saquet et qu'" après avoir passé ces deux séries de feux, je constate que les deux panneaux Dauphin sont à nouveau masqués par le panneau dit Decaux "; que le fait matériel de masquage partiel est donc bien établi ;
Sur la responsabilité de Decaux :
Considérant que Dauphin fait grief aux premiers juges d'avoir exclu la responsabilité de Decaux au motif que la décision d'implantation du mobilier est un acte administratif émanant de la Ville de Vitry;
Considérant que, sans reprendre le motif des premiers juges, Decaux soutient qu'elle ne saurait être condamnée dès lors que l'enlèvement du panneau ne peut avoir lieu sans l'accord préalable de la mairie, qui en l'espèce le lui a refusé par lettre du 12 juin 1990,
Considérant que, sans préjuger de la nature de la décision de l'autorité administrative conférant à Decaux son agrément sur le choix d'une implantation déterminée ou sur la modification d'une telle implantation, il convient de relever qu'un tel agrément est nécessairement donné sous réserve des droits des tiers;
Que le moyen tiré du caractère administratif de l'autorisation de la Ville de Vitry ne peut en conséquence être utilement invoqué,
Que Decaux ne peut davantage se plaindre d'un refus de transfert du panneau publicitaire exprimé dans une lettre de la Ville du 12 juin 1990, pour s'exonérer de toute faute, qu'un tel refus n'a d'incidence que dans ses relations avec la commune mais n'a aucune incidence à l'égard des tiers;
Considérant en conclusion, qu'à l'égard des tiers, Decaux est responsable des conséquences dommageables de l'implantation des panneaux publicitaires; qu'elle devait s'assurer de ce que le choix fait par elle avec l'accord de la mairie ne causait aucun trouble à des concurrents; que l'installation litigieuse a été effectuée de manière fautive puisqu'elle masque partiellement les deux panneaux publicitaires;qu'elle doit réparer le dommage ainsi causé; que la décision déférée sera en conséquence infirmée;
Considérant qu'en ce qui concerne le préjudice, il convient de constater que le masquage fautif est partiel; que les deux affiches ne sont plus visibles ou partiellement visibles que de manière ponctuelle; qu'il s'ensuit que le préjudice est limité; que d'ailleurs, Dauphin ne justifie pas d'une perte de loyer entraînée par ce masquage ; que la Cour a ainsi les éléments d'appréciation suffisants pour fixer la somme due à titre de dommages-intérêts à 10 000 F ;
Considérant que la mesure de retrait est nécessaire afin de mettre fin aux actes de concurrence déloyale; qu'il convient d'y faire droit dans les termes du dispositif ci-dessous énoncé,
Considérant que l'équité commande d'allouer à Dauphin la somme de 10 000 F au titre des francs non taxables de première instance et d'appel ;
Par ces motifs, Infirme la décision critiquée en toutes ses dispositions, Statuant de nouveau, Condamne la société Jean-Claude Decaux à payer à la société Dauphin OTA la somme de 10.000 F à titre de dommages- intérêts, Ordonne à la société Decaux de procéder au retrait du panneau publicitaire sis à Vitry-sur- Seine, sur le terre-plein, au carrefour de la Libération, à ses frais dans le mois de la signification du présent arrêt sous astreinte de 500 F par jour de retard, Condamne la société Jean-Claude Decaux au paiement de la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC pour ses frais de première instance et d'appel, Rejette toute autre ou plus ample demande, Condamne la société Jean-Claude Decaux aux entiers dépens de première instance et d'appel et admet pour ces derniers Maître Pamart, avoué, au bénéfice de l'article 699 du NCPC.