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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 4 mars 1993, n° 90-14482

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sky Télévision PLC (Sté), Sky Channel, Vidéo Vision

Défendeur :

Thierry Sabine Organisation (SARL), Sierra Productions (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerrini

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Fanet, SCP Valdelièvre-Garnier, SCP Bollet-Baskal

Avocats :

SCP Thomas, associés, Me Ricard.

T. com. Paris, 3e ch., du 7 mars 1990

7 mars 1990

LA COUR statue sur les appels d'un jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 7 mars 1990, formés d'une part, le 9 juillet 1990, par la société Vidéo Vision à l'encontre de la société Sierra Productions et de la société Thierry Sabine Organisation (TSO), d'autre part, le 19 septembre 1990 par les sociétés Sky Télévision PLC et Sky Channel, à l'encontre des sociétés Sierra Productions et TSO ainsi que de la société Vidéo Vision ensemble sur l'appel incident de TSO et Sierra Productions.

En raison de la connexité ces appels ont été joints.

Faits et procédure

Dans les circonstances relatées par les premiers juges, les sociétés Sierra Productions et TSO ont assigné devant le tribunal de commerce de Paris les sociétés Sky Channel et Vidéo Vision, leur reprochant d'avoir utilisé, sans leur autorisation et ainsi contrefait, les images du film que la société Sierra Productions avait réalisées du rallye Paris-Dakar en 1988, en exécution d'un contrat de concession de droits à l'image signé le 30 décembre 1986, par lequel TSO accordait à Sierra Productions le droit exclusif de la couverture cinématographique et audiovisuelle du rallye précité ainsi que le droit d'exploitation des images pour le monde entier. Elles formaient des demandes complémentaires fondées sur le concurrence déloyale que représenterait la reproduction servile des images par Vidéo Vision et leur diffusion par Sky Channel sous le logo Sky ainsi que sur le caractère parasitaire de leur exploitation.

Le Tribunal, se rapportant au procès-verbal des vérifications personnelles du juge rapporteur, constatait que Sky Channel avait diffusé sous son logo Sky des images provenant de rushs filmés par les opérateurs de Sierra Production.

Il écartait l'applicabilité en l'espèce de la loi du 11 mars 1957 au motif que TSO ne pouvait s'en prévaloir en raison de sa qualité de personne morale, pas plus d'ailleurs que Sierra Productions par voie de conséquence, parce que tenant ses droits de TSO.

Il retenait à la charge de Sky Channel et Vidéovision les agissements constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire, représentés tant par l'utilisation d'un titre - en l'occurrence " le Rallye Paris Dakar 1988 " - trop proche de la marque " Rallye Paris Dakar " déposée par TSO, pour ne pas créer la confusion dans l'esprit du public, que par l'exploitation à des fins lucratives et à bon compte des efforts de l'organisateur de rallye et du producteur et par le détournement de clientèle et l'atteinte au crédit des sociétés demanderesses qui ont valablement concédé une exclusivité qui n'a pas été respectée par les défenderesses.

Le Tribunal condamnait de ces chefs les sociétés Sky Channel Télévision PLC, intervenue à l'instance, et Vidéovision à payer à TSO et Sierra Productions 1 000 000 F de dommages-intérêts, outre 30 000 F par application de l'article 700 du NCP.

Une transaction étant intervenue le 16 décembre 1990 entre TSO et Sierra Productions d'une part, Vidéovision d'autre part, cette dernière société par conclusions du 29 janvier 1991, s'est désistée de son appel ; elle expose, en outre, que conformément au protocole, chaque partie conservera la charge de ses dépens et que le jugement sera dépourvu d'autorité de la chose jugée dans les rapports des parties audit acte ;

La société Sky Télévision PLC a indiqué par conclusions que les sociétés Sky Channel et Sky Télévision n'en formaient qu'une, la société Sky Télévision PLC utilisant le nom commercial de Sky Channel, ce dont elle demande acte ainsi que de la substitution à Maître François Valdelièvre de la SCP Valdelièvre Garnier, ses précédentes écritures étant maintenues sous réserve de cette rectification.

Cette appellante conclut à la réformation du jugement dans toutes ses dispositions qui lui font grief, au débouté des sociétés TSO et Sierra Productions de leurs demandes notamment pour défaut d'intérêt à agir, et à leur condamnation à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux dépens.

TSO et Sierra Productions sollicitent la réformation du jugement en ce qu'il les déboute de leur demande relative à la reconnaissance d'un droit de propriété intellectuelle sur les enregistrements de Paris Dakar 1988, la confirmation sur le reste et le rejet des demandes de Sky Télévision PLC, la fixation à 500 000 F des dommages-intérêts représentatifs du préjudice que cette dernière société leur a occasionné, le paiement des dépens.

Sur ce, LA COUR, qui pour plus ample informé se réfère au jugement et aux écritures d'appel,

Sur le désistement d'appel de la société Vidéovision

Considérant que ce désistement a été effectué conformément aux termes du protocole transactionnel signé le 16 décembre 1990 ; qu'aucune demande n'est plus dirigée en cause d'appel contre Vidéo Vision ni par TSO ni par Sierra Productions ; que la réserve qu'il comporte relative à la privation d'autorité de chose jugée du jugement est faite en application du protocole ; que ce désistement doit être considéré comme accepté ;

Considérant que Vidéovision, intimée dans l'appel formé par Sky Télévision PLC demeure dans la cause, aucune demande n'étant cependant formée contre elle.

Sur la demande de donné acte de la société Sky Télévision PLC et de la SCP Valdelièvre Garnier :

Considérant qu'il y a lieu de donner les actes requis ;

Sur l'appel de Sky Télévision PLC

Sur la fin de non recevoir tirée d'un prétendu défaut d'intérêt à agir :

Considérant que Sky Télévision PLC soutient qu'en ayant été indemnisée par Vidéovision dans le cadre de la transaction intervenue le 16 décembre 1990, des dommages résultant d'actes de concurrence déloyale et parasitaire retenus à l'encontre de Vidéovision et de Sky Télévision PLC, et commis ensemble par ces sociétés, les sociétés TSO et Sierra Productions auraient donc été intégralement remplies de leurs droits et n'auraient plus d'intérêt à agir.

Considérant cependant que TSO et Sierra Productions font valoir à bon droit que Sky Télévision PLC n'ayant pas été partie à cette transaction, cette société, conformément au principe énoncé à l'article 2051 du code civil, ne peut s'en prévaloir ; que ce principe n'est pas remis en cause par l'existence d'un lien de solidarité ou d'indivisibilité entre les débiteurs de l'obligation ; qu'elles soutiennent encore que la modicité de l'indemnisation acceptée dans le cadre de la transaction intervenue se justifiait par des considérations liées à l'ensemble des rapports, donnant lieu notamment à d'autres litiges, existant entre Sierra Productions, TSO et Vidéo Vision ; qu'une telle situation ne saurait conduire à restreindre leurs droits à l'égard de Sky Télévision PLC ;

Considérant que les sociétés intimées demeurent fondées à réclamer réparation à Sky Télévision PLC du préjudice qui resterait encore à réparer et que celle-ci leur aurait occasionné ; qu'elles justifient ainsi de leur intérêt pour agir ; que la fin de non recevoir sera donc rejetée ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que Sky Télévision PLC ne conteste pas avoir diffusé des images fournies par Vidéovision en sachant ou en ayant dû savoir à tout le moins que TSO avait concédé à Sierra Productions un droit d'exploitation exclusif et puisqu'ayant été spécialement informée par les intimées, comme il résulte des pièces produits, que Vidéovision, en l'occurrence son agent Monsieur Kreisky " n'était pas autorisé ni accrédité pour venir filmer sur place " ; que l'appelante soutient cependant que la concession d'exclusivité n'était pas opposable aux tiers et que le Rallye Paris Dakar étant une manifestation sportive se déroulant sur le domaine public, il ne pouvait donner lieu à attribution privative ;

Considérant que le principe de l'effet relatif des contrats ne saurait être interprété comme conduisant à dénier à l'organisateur d'une manifestation sportive nécessitant la couverture d'importants investissements notamment financiers, le droit de s'en réserver et d'en concéder l'exploitation commerciale ; qu'un tel droit d'ailleurs vient d'être consacré par la loi n° 92-652 du 13 juillet 1992, non applicable à l'espèce ;

Considérant qu'en la circonstance prend un relief particulier le fait, établi et justement souligné par les sociétés intimées qu'une partie au moins des images diffusées par Sky Télévision PLC était celles-là même que Sierra Productions avait tournées, dans des circonstances qui démontrent la mauvaise foi ou en tout cas la légèreté blâmable dont l'appelante a fait preuve ; qu'il a spécialement concouru à procurer indûment un avantage économique au détriment des efforts des sociétés appelantes et au mépris des usages normaux du commerce ;

Considérant que Sky Télévision PLC soutient encore que le tribunal ne pouvait, comme il l'a fait, retenir comme constitutif de concurrence déloyale, l'utilisation du titre Le Rallye Paris Dakar 1988 comme trop proche de la marque Le Rallye Paris Dakar déposée par TSO, pour ne pas créer la confusion dans l'esprit du public ; que selon elle, la marque considérée serait nulle comme descriptive, à tout le moins en tant qu'elle protégeait la désignation d'un rallye reliant Paris Dakar et qu'ainsi se trouverait sans fondement l'action en concurrence déloyale ;

Considérant que les intimées font simplement observer que les noms géographiques figurent parmi les signes de nature à valablement constituer une marque ;

Considérant cependant que la dénomination Le Rallye Paris Dakar n'apparaît pas susceptible d'être protégée dans l'utilisation faite en l'espèce, en raison de son caractère descriptif voire nécessaire ; qu'il en est à tout le moins ainsi du simple élément nominal seul invoqué ;

Considérant que la reproduction quasi servile de termes non protégeables doit être assortie de précautions lorsqu'elle est susceptible d'engendrer une confusion dommageable dans l'esprit du public, en l'occurrence sur l'origine des programmes diffusés; que le tribunal de commerce a justement retenu ce chef de concurrence déloyale ;

Considérant que le préjudice des intimées (financier, commercial du fait de la remise en cause des relations de confiance avec leur clientèle et lié au bénéfice injustifié de l'appelante) sera justement réparé par le montant indiqué au dispositif ;

Sur l'appel incident de TSO et Sierra Productions

Considérant que la société appelante soutient la position adoptée par le tribunal ; qu'elle dénie par ailleurs que l'œuvre en cause soit protégeable, à défaut d'originalité ; qu'il serait encore impossible d'en juger puisque ni le film argué de contrefaçon ni celui dont Sierra Productions revendique la protection n'a été versé aux débats ; qu'enfin Sierra Productions a fourni elle-même les films dont elle revendique la protection à l'Agence internationale US News dont l'objet est précisément d'approvisionner les chaînes télévisées et qu'ainsi ces images appartiendraient au domaine public ;

Considérant que les sociétés intimées invoquent à bon droit les dispositions des articles L. 113-7 du Code de la Propriété intellectuelle d'où il résulte que l'œuvre audiovisuelle est une œuvre de collaboration, et L. 132-24, par application duquel Sierra Productions bénéficie en qualité de producteur de la présomption de cession des droits exclusifs des auteurs de l'œuvre ;

Considérant cependant que le juge, qui ne peut statuer par des motifs généraux, ne peut déduire l'originalité de l'œuvre en cause, et donc son caractère protégeable, des allégations des intimées selon lesquelles Sierra Productions a effectué un travail créatif de sélection, d'enregistrement et de montage qui suffirait à conférer à l'œuvre la protection l'excluant du domaine public ;

Considérant que faute par les intimées de verser aux débats les images produites par Sierra Productions (pas plus d'ailleurs que celles arguées de contrefaçon lesquelles n'ont pas fait l'objet de saisie), la Cour n'est pas en mesure de vérifier si l'œuvre considérée est susceptible de protection comme originale, portant l'empreinte de la personnalité des auteurs ; qu'ainsi la preuve nécessaire n'est pas rapportée ;

Considérant qu'il convient donc de débouter les sociétés intimées de ce chef de demande, non pas pour les motifs retenus par les premiers juges, mais pour ceux ci-dessus énoncés ;

Par ces motifs: Donne les actes requis par Sky télévision PLC et la SCP Valdelièvre Garnier, Constate le désistement d'appel de Vidéovision, et le déclare parfait, Rejette la fin de non recevoir présenté par Sky Télévision PLC, Confirme le jugement entrepris, Mais le précisant, Dit que les condamnations prononcées à l'encontre de Sky Channel et de Sky Télévision PLC le sont à l'égard de Sky Télévision PLC seule, et sur les condamnations, Constate qu'il n'est plus formé de demande en cause d'appel à l'encontre de Vidéovision, intimée ; Réformant sur les dommages-intérêts, Condamne Sky Télévision PLC à payer à TSO et à Sierra Productions 400 000 F à titre de dommages-intérêts. Condamne la société Sky Télévision PLC aux dépens à l'exception de ceux se rapportant à l'appel de la société Vidéovision qui resteront à la charge de cette dernière sauf convention contraire des parties. Accorde à la SCP d'avoués Fanet le bénéfice de l'article 699 du NCPC.