CA Caen, sect. civ. et com., 15 décembre 1992, n° 1141-91
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Normandis (SA)
Défendeur :
Parfums Rochas (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chilou
Conseillers :
MM. Bonne, Le Henaff, Mmes Le Jan, Varin
Avoués :
SCP Duhaze-Mosquet, Me Grandsard
Avocats :
Mes Jousset, Buisson.
La société Parfums Rochas, (société Rochas), faisant valoir qu'elle commercialisait ses parfums par un réseau de distribution sélective, a assigné devant le Tribunal de commerce de Rouen, pour concurrence déloyale et publicité mensongère, la société Normandis, laquelle, sans avoir été agréée dans son réseau, offrait cependant ses produits à la vente, porteurs d'une mention selon laquelle ils n'étaient vendus que par des distributeurs agrées par le fabricant.
Le tribunal, par le jugement rendu le 20 janvier 1986, puis la Cour d'appel de Rouen, par arrêt du 28 avril 1988, ont fait droit aux prétentions de la société Rochas.
Par arrêt du 18 décembre 1990, la Cour de cassation (Chambre commerciale, financière et économique) a cassé cette décision en énonçant :
Vu les articles 1382 du Code civil et 44 de la loi du 27 décembre 1973 :
- que pour accueillir ces demandes la cour d'appel retient que la société Normandis a commis une faute en vendant les parfums de la société Rochas en dépit du système de distribution sélective adopté par cette dernière, dont elle connaissait l'existence, et qu'elle s'est en outre rendue coupable de publicité mensongère en laissant croire qu'elle avait la qualité de distributeur agréé par le fabricant ;
- qu'en statuant ainsi, alors que le seul fait d'avoir commercialisé des produits relevant du réseau de distribution sélective de la société Rochas ne constituait pas en lui-même, en l'absence d'autres éléments, un acte fautif, et que la société Normandis était étrangère à l'apposition de la mention figurant sur l'emballage du produit, la cour d'appel a violé les textes sus-visés ;
La société Normandis a conclu à l'infirmation du jugement aux motifs que la société Rochas ne rapportait la preuve ni de la licéité de son réseau ni des contrats de distribution sélective ni du comportement fautif qui lui était reproché.
La société Rochas a conclu au contraire à la confirmation en son principe de la décision, estimant qu'elle rapportait la preuve de ses affirmations, elle a demandé en outre à la cour de dire que la société Normandis s'était rendue coupable de publicité mensongère en commercialisant des produits dans des conditions qui laissaient croire qu'elle avait la qualité de distributeur agréé et d'élever de 50 000 F à 60 000 F le montant des dommages et intérêts ; elle a enfin sollicité l'interdiction de la vente des produits sous astreinte et la publication par voie de presse de l'arrêt à intervenir.
Attendu que la société Normandis fait en premier lieu grief à la société Rochas de ne pas justifier, en application de l'article 85 du traité instituant la Communauté économique européenne (traité de Rome) et des articles 50 et 51 de l'ordonnance du 30 juin 1945 en vigueur au moment des faits, que le système de distribution sélective par elle organisé n'a pas pour objet ou pour effet, direct ou indirect, de limiter la concurrence par les prix pratiqués par les revendeurs de la marque au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer une distribution adéquate du produit concerné et en assurant un meilleur service aux consommateurs ; qu'il appartiendrait à la société Rochas, qui entend se prévaloir du système sus-visé, d'obtenir de la Commission des Communautés européennes, conformément aux dispositions de l'article 85-3 du traité de Rome, une décision d'exemption.
Mais attendu que l'examen des contrats de distributeur agréé et des conditions générales de vente versés aux débats révèle que le distributeur est choisi en fonction de critères précis et objectifs tels que sa qualification, la qualité du point de vente, l'environnement, les possibilités de stockage des produits, des critères assurant un meilleur service à des clients d'autant plus exigeants qu'ils achètent un produit de luxe jouissant d'une renommée mondiale ; qu'en outre les revendeurs ont une entière liberté pour fixer les prix de vente de leurs produits ; que la société Rochas démontre ainsi la licéité de son réseau de distribution sélective sans qu'il puisse lui être reproché le défaut d'obtention d'une décision d'exemption.
Attendu que la société Normandis fait en second lieu valoir qu'il appartiendrait à la société Rochas, qui se fonde uniquement sur des présomptions d'achats réalisés par des sociétés " coquilles " étrangères des produits soumis au réseau de distribution sélective, d'établir les modalités du prétendu approvisionnement illicite qui lui est reproché et que ne peut être considéré comme une publicité mensongère l'indication sur leur emballage que ces produits ne peuvent être vendus que par des distributeurs agréés, dès lors que le vendeur n'est pas l'auteur de ce message publicitaire.
Mais attendu que, si le fait de commercialiser des produits relevant d'un réseau de distribution sélective ne constitue pas en lui-même un acte fautif, l'achat de marchandises dans des conditions dont l'illicéité ou le caractère frauduleux est révélé par le refus opposé par la société Normandis de justifier leur provenance, constitue un acte de concurrence déloyale; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement y compris sur le montant des dommages et intérêts qui est justifié.
Attendu en outre que la mention apposée sur les emballages, non démentie par le vendeur, suivant laquelle les produits ne peuvent être vendus que par un distributeur agréé, était de nature à laisser croire à la clientèle que la société Normandis avait la qualité de distributeur agréé de la société Rochas ;que de tels agissements constituent des actes de publicité mensongère.
Attendu qu'il y a lieu, pour éviter un renouvellement des faits, d'interdire sous astreinte à la société Normandis de vendre des produits de la marque Rochas, et compte tenu du trouble commercial subi, d'ordonner, aux frais de la société Normandis, la publication du dispositif du présent arrêt, le coût global de l'insertion étant limité à la somme globale de 20 000 F.
Attendu que la société Normandis a contraint la société Rochas à exposer des frais irrépétibles dont la cour fixe en équité le montant à la somme de 15 000 F qui s'ajoutera à celle de 5 000 F allouée par les premiers juges.
Par ces motifs : Confirme le jugement rendu le 20 janvier 1986 par le Tribunal de commerce de Rouen en ce qu'il a : Déclaré la société Normandis, exploitant 15 rue de l'hôpital à Rouen un commerce à l'enseigne du " Centre Leclerc ", coupable d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Parfums Rochas ; et l'a condamnée à payer à la société Parfums Rochas les sommes de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Réformant pour le surplus : dit que la société Normandis s'est rendue en outre coupable de publicité mensongère à l'égard de la société Parfums Rochas ; Interdit à la société Normandis, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, de vendre des produits de la marque Rochas, chaque produit vendu correspondant à une infraction ; ordonne la publication du dispositif du présent arrêt, aux frais de la société Normandis, dans deux journaux au choix de la société Parfums Rochas, le coût de l'insertion étant limité à la somme de 20 000 F. - Condamne la société Normandis à payer la somme de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; - Condamne la société Normandis aux dépens ; Accorde à Me Grandsard, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 689 du même Code.