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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 14 décembre 1992, n° 2255-91

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Siréa (SRL), Siréa France (SARL)

Défendeur :

Cachou Lajaunie (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foulon

Conseillers :

MM. Cousteaux, Milhet

Avoués :

Me Chateau, SCP Boyer-Lescat

Avocats :

Mes Le Tarnec, Calvo.

TGI Toulouse, du 22 avr. 1991

22 avril 1991

La SARL Cachou Lajaunie, devenue SA Cachou Lajaunie, est propriétaire de la marque Cachou Lajaunie, déposée le 11 février 1987 sous le n° 838415 et enregistrée sous le n° 1504836, en classe 30, " article de confiserie Cachou ".

La SARL Sirea, commercialise en France, une gamme de produits de confiserie, vendus en boite ronde sous l'appellation " Cachou ".

A la suite d'une émission de télévision, le 16 mai 1989, au cours de laquelle les animateurs ont commis une confusion entre les produits de confiserie fabriqués par ces deux sociétés, un " projet d'accord transactionnel " a été signé le 28 septembre 1989 entre la société Cachou Lajaunie et la société Sirea France, aux termes duquel ladite société s'engageait à cesser l'importation de ses produits pouvant créer un risque de confusion avec les confiseries " cachou " commercialisés par la société Cachou Lajaunie.

La société Sirea disposait d'un délai de trois semaines pour écouler son stock.

La société Sirea SRL Italienne n'a pas signé cet accord.

Estimant que cette transaction n'était pas respectée la société Cachou Lajaunie a fait pratiquer deux saisies contrefaçon les 21 et 22 décembre 1989.

Le 3 janvier 1990 la société Cachou Lajaunie a assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Toulouse la société Sirea SRL de droit italien et la société Sirea France afin - de voir prononcer la résolution aux torts exclusifs des deux sociétés de l'accord du 28 septembre 1989.

- condamner lesdites sociétés pour contrefaçon ou tout au moins imitation illicite de marques.

- prononcer la condamnation pour concurrence déloyale et parasitaire de ces deux sociétés.

La société requérante sollicitait 1 million de francs à titre provisionnel en réparation du préjudice subi qui serait à déterminer par expertise, ainsi que diverses mesures de publications et interdictions.

Par jugement en date du 22 avril 1991, le Tribunal de Grande Instance de Toulouse :

- disait sans objet la demande en résiliation de l'accord du 28 septembre 1989.

- déclarait les deux sociétés Sirea responsables d'imitation illicite de la marque Cachou Lajaunie et leur faisait interdiction sous astreinte de commercialiser les produits sous la présentation litigieuse ;

- précisait que l'action subsidiaire en concurrence déloyale est également fondée sur des faits d'imitation et qu'elle ne pouvait donc se distinguer de l'action en contrefaçon ;

- accordait à la société Cachou Lajaunie une provision de 200 000 F et,

- ordonnait une expertise pour évaluer le préjudice subi par la société Cachou Lajaunie .

- Prétentions et moyens de deux sociétés appelantes :

En ce qui concerne la contrefaçon les appelantes soutiennent que la marque déposée par la société Cachou Lajaunie n'est distinctive en aucun des éléments qui la composent à l'exception du nom Lajaunie qui seul est susceptible de protection et qu'en conséquence la marque déposé le 11 février 1987 est " partiellement nulle ". Elles affirment que le terme cachou est un terme générique et que la notoriété de la " boite Cachou Lajaunie " ne saurait lui conférer une protection particulière. Elles concluent à l'absence de contrefaçon et estiment que le grief d'imitation illicite est également infondé dès lors que " les ressemblances ne l'emportent pas sur les différences ".

Sur la concurrence déloyale, les sociétés Sirea font remarquer que cette prétention n'est nullement fondée puisqu'elle repose sur les mêmes faits d'imitation que ceux invoqués en au soutien de la demande en contrefaçon ou imitation.

Elles sollicitent enfin la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré sans objet la demande en résiliation de la transaction.

Elles réclament 100 000 F chacune à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 40 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Prétentions et moyens de la société intimée :

La société Cachou Lajaunie qui sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a admis l'existence d'une imitation illicite, soutient que les actes de concurrence déloyale et parasitaires sont établis par l'utilisation d'une boite ronde, de l'appellation " cachou " imprimée avec un graphisme et une dimension identiques, de l'utilisation du symbole " R " à côté de l'appellation " Cachou ", de l'utilisation mensongère de l'appellation " cachou ", et enfin du recours à la couleur jaune, qui est un des éléments essentiels de la célèbre boite Lajaunie.

Elle estime enfin que la transaction doit être résolue dans l'intégralité de ses dispositions, et réclame 1 million de francs à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et 50 000 F en application de l'Article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur quoi - LA COUR,

Attendu qu'il convient au préalable de remarquer que la société Cachou Lajaunie renonce à se prévaloir du grief de contrefaçon ;

Qu'il y a donc lieu, après avoir statué sur la demande en résolution de l'accord du 28 septembre 1989, de se prononcer sur la validité de la marque déposée par la société intimée, puis sur l'existence de l'imitation illicite retenue par les premiers juges avant d'examiner enfin si les sociétés appelantes ont commis des agissements caractéristiques de la concurrence déloyale et parasitaire ;

* Sur la résolution de l'accord du 28 septembre 1989 :

Attendu que les premiers juges ont répondu avec pertinence à la demande de la société Cachou Lajaunie, sur ce point, en notant, d'une part, que les droits dont peut se prévaloir ladite société ne sont pas nés de cet accord, mais du dépôt de la marque, et d'autre part qu'en l'absence de tout engagement de la société Sirea Italie la transaction était dénuée de toute portée, et qu'en conséquence la demande en résolution devenait sans objet ;

Attendu que la société intimée ne formule aucune véritable critique à l'égard de cette motivation puisqu'elle se borne à constater, laconiquement, que la signature de cet accord, par la société Sirea France est un indice supplémentaire de la volonté de cette dernière de se livrer à ces actes de concurrence déloyale ;

Attendu dans ces conditions qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré sur ce chef de réclamation ;

* Sur la validité de la marque déposée par la société Cachou Lajaunie :

Attendu que la marque déposée est constituée de deux cercles distincts dans lesquels figurent, pour l'un le mot Cachou, surmontant le nom de Lajaunie suivi de la précision pharmacien, et sous lequel est inscrit Toulouse France, le tout enserré dans un cercle festonné de noir, et pour l'autres diverses mentions des ingrédients composant le produit ainsi que les propriétés de celui-ci, le tout délimité par l'inscription en cercle de " cachou créé en 1880 par Lajaunie-Pharmacien " suivi de l'adresse de la société ;

Attendu que si ne peuvent être considérées comme une marque, ni en faire partie, les désignations nécessaires ou génériques d'un produit, il convient de remarquer que l'utilisation des termes Cachou, nom commun désignant une substance végétale, et qui appartient effectivement au domaine public, ne peut à elle seule faire perdre à la marque son caractère distinctif, dès lors que le mot cachou est intimement associé à la forme ronde et au nom patronymique du fabricant;

Que cet ensemble de signes matériels sont bien ceux visés et protégés par la loi du 31 décembre 1964 régissant les marques de fabrique ; que la demande en nullité " partielle " de la marque sera donc écartée ;

* Sur l'imitation illicite :

Attendu que l'imitation d'une marque sanctionne ceux qui, sans reproduire à l'identique la marque d'autrui, s'en rapprochent suffisamment pour entraîner une confusion, pour un acheteur d'attention moyenne, n'ayant pas en même temps les deux produits sous les yeux ;

Attendu que la marque déposée par la société Cachou Lajaunie ne vise ni la couleur jaune, ni le conditionnement en boite ronde de ses produits;

Que l'examen des produits Sirea et Lajaunie doit donc se faire sans considération de ces éléments, ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges ;

Attendu que les sociétés Sirea commercialisent des produits intitulés " cachou " vendus dans des boites présentant un cercle de dimension comparable à celui de la marque protégée;

Que l'étiquette collée sur le fond noir de la boite, comporte elle aussi un cercle noir, d'un diamètre légèrement inférieur à celui de la boite;

Que le terme cachou est inscrit sur les boites Sirea avec des lettres de taille quasiment identique à celles utilisées par la marque déposée ;

Que le graphisme de ce mot qui se caractérise, pour le produit Lajaunie, par des doubles traits et la figuration d'une ombre portée noire, est repris lui aussi, d'une manière presque identique par les sociétés appelantes ;

Attendu que la marque déposée qui comporte le mot " cachou " mentionne dans la composition de son produit la présence de cette substance particulière extraite du bois d'acacia des Indes ; que le recours au terme " cachou " est donc destiné à signaler au consommateur la présence de ladite substance et ne peut donc être considéré comme la dénomination générique d'une quelconque confiserie ;

Or attendu que les produits Sirea commercialisés sous les termes " cachou " ne comportent pas dans leur composition, du cachou, mais uniquement du réglisse qui signifie " racine douce " et qui provient d'une plante dicotylédone à rhizome très développé ; qu' ainsi il apparaît que les sociétés Sirea utilisent le nom cachou, alors que celui-ci n'est nullement nécessaire pour désigner la nature du produit qu'elles vendent;

Attendu au contraire qu'il résulte des pièces versées aux débats - nombreux extraits de revues et articles de presse - que le terme cachou est automatiquement associé, chez un consommateur moyen, à celui du nom de son fabriquant le pharmacien Lajaunie, qui a créé cette confiserie, et son conditionnement en 1880 ; que ce raccourci intellectuel a pu d'ailleurs être constaté lors d'une émission télévisée en mai 1989, lorsqu'un présentateur, montrant une boite de cachou produite par Sirea en a immédiatement déduit qu'il s'agissait d'une nouvelle production de la société Lajaunie ;

Attendu en conséquence que ces analogies visuelles, jointes à ce rapprochement intellectuel, permettent de conclure à la volonté des sociétés appelantes de créer une confusion entre les produits qu'elles commercialisent sous le terme " cachou " avec ceux distribués par la société Cachou Lajaunie;

Que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont constaté cette imitation illicite et ont admis le principe d'un droit à réparation pour la société intimée ;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire :

Attendu que pour solliciter la reconnaissance d'actes de concurrence déloyale et parasitaire, la société Cachou Lajaunie invoque les mêmes faits que ceux sur lesquels se fonde sa demande en imitation illicite ;

Que sa réclamation à ce titre doit donc être déclarée irrecevable ;

* Sur la réparation de préjudice :

Attendu que s'il convient de confirmer la décision querellée en ce qui concerne l'instauration d'une mesure d'expertise destinée à déterminer l'importance du préjudice subi par la société intimée, il y a lieu toutefois d'augmenter le montant de la provision et de fixer celui-ci à la somme de 300 000 F.

* Sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile :

Attendu que l'équité commande de faire droit dans son intégralité à la demande formée à ce titre par la société Cachou Lajaunie ;

Par ces motifs, La Cour, Déclare la société Sirea France et la société de droit italien Sirea (SRL) recevables mais mal fondées en leur appel. Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant de la provision due à la société Cachou Lajaunie et statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant : Condamne la société de droit italien Sirea et la société Sirea France à payer à la société Cachou Lajaunie la somme de 300 000 F (trois cent mille Frs) à titre d'indemnité provisionnelle ainsi que la somme de 50 000 F (cinquante mille Frs) au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Condamne la société de droit italien Sirea et la société Sirea France aux dépens de l'instance d'appel dont distraction au profit de la SCP Boyer-Lescat avoués.