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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 9 décembre 1992, n° 90-022437

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

FNAIM, Chambre syndicale interdépartementale des professions immobilières de Paris et de L'Ile de france

Défendeur :

Editions Neressis (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gouge

Conseillers :

Mme Mandel, M. Brunet

Avoués :

SCP Bollet, SCP Teytaud.

Avocats :

Mes Cordelier, Benatar

T. com. Paris, 9e ch., du 6 sept. 1990

6 septembre 1990

LA COUR :

Statuant sur l'appel interjeté par la Fédération Nationale des Agents Immobiliers FNAIM et la Chambre Syndicale Interdépartementale des Professions Immobilières de PAariset l'Ile de France du jugement rendu le 6 septembre 1990 par le Tribunal de Commerce de Paris (9e Chambrebre) dans un litige les opposant aux Editions Neressis ensemble sur l'appel incident de cette dernière et la demande additionnelle des appelantes.

Faits et procédure

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits et de la procédure de première instance il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

Faisant grief à la Société Editions NERESSIS qui édite notamment un hebdomadaire ayant pour titre " De particulier à Particulier " de se livrer à leur encontre à des actes de concurrence déloyale d'une part en fournissant des prestations du même type que celles des professionnels de l'immobilier sans se soumettre aux contraintes de la loi du 2 janvier 1970, d'autre part en publiant des articles les désignant, la FNAIM et la Chambre Syndicale Interdépartementale des Professions Immobilières de Paris et de l'Ile de France (ci-après dénommée la Chambre) ont attrait cette société devant le Tribunal de Commerce. Elles réclamaient la condamnation de la défenderesse à payer à chacune la somme un franc à titre de dommages-intérêts, diverses mesures de publication ainsi que le paiement de la somme de 50.000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société Editions NERESSIS a conclu au mal fondé de la demande principale et a formé une demande reconventionnelle à fins indemnitaires pour dénigrement.

Par le jugement entrepris le Tribunal a débouté la FNAIM et la Chambre de l'ensemble de leurs demandes, déclaré reconventionnelle et laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.

Appelantes selon déclaration du 6 novembre 1990 la FNAIM et la Chambre demandent à la Cour dans le dernier état de leurs écritures, de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé qu'il existait entre les parties un état de concurrence et débouté Editions Neressis de sa demande reconventionnelle.

Pour le surplus elles poursuivent l'infirmation du jugement et demandent à la Cour de condamner l'intimée à payer à chacune d'elles la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts, de lui faire interdiction sous astreinte définitive de 10.000 F par infraction constatée, de donner des consultations juridiques et de rédiger des actes sous seing-privé en application de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, d'ordonner diverses publications.

Enfin elles réclament paiement à chacune d'elles de la somme de 35.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société Editions Neressis soulève l'irrecevabilité de la demande d'interdiction au titre de la loi du 31 décembre 1971 modifiée.

Pour le surplus elle poursuit la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la FNAIM et la Chambre et reprend sa demande reconventionnelle telle que formulée devant les premiers juges, à savoir paiement d'un franc à titre de dommages-intérêts et diverses mesures de publication. Par ailleurs elle réclame paiement de la somme de 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce la Cour, qui pour un plus ample exposé se réfère au jugement et aux écritures d'appel,

I - Sur les demandes de la FNAIM et de la Chambre

a) Pour exercice illégal de la profession d'intermédiaire immobilier

Considérant qu'au soutien de leur appel la FNAIM et la Chambre font valoir que la loi du 2 janvier 1970 vise non seulement les personnes qui se livrent d'une manière habituelle à des opérations portant sur les biens d'autrui mais encore celles qui prêtent leur concours même à titre accessoire à ces mêmes opérations.

Que selon elles la Société Editions Neressis prête habituellement son concours à titre principal accessoire aux opérations définies par la loi en proposant outre la publicité, des services : contrats, évaluation juridique, documentation et minitel.

Considérant que l'intimée réplique qu'elle agit uniquement et tant qu'entreprise de presse, qu'elle ne participe à aucune négociation entre les parties, ne s'entremet pas, ne reçoit aucune commission, qu'un service d'évaluation ne rentre pas dans le cadre de la loi et que la vente de modèles de contrat est visée dans son objet social.

Considérant ceci exposé qu'il résulte des dispositions combinées des articles 1 et 6 de la loi du 2 janvier 1970 que ne sont réservées qu'aux personnes titulaires de la carte professionnelle visée à l'article 3 que les activités par lesquelles ces personnes, fût-ce à titre accessoire, font acte d'entremise pour la réalisation d'opérations portant sur les biens d'autrui ;

Considérant qu'en l'espèce en vendant des espaces publicitaires pour annonces immobilières, en offrant de manière accessoire et dissociée à la clientèle un service évaluation par correspondance sur la base des renseignements fournis par le client en proposant contre paiement d'une somme forfaitaire de 5 ou 7 frs des modèles de contrats, en éditant des guides spéciaux, en mettant à disposition des consommateurs un service téléphonique de renseignements juridiques gratuits leur permettant d'obtenir des réponses aux questions découlant du passage d'une annonce ou faisant suite à la lecture des contrats ou guides, Editions Neressis a seulement permis aux particuliers de pouvoir mener à bien et en toute connaissance de cause les transactions qui les intéressent.

Mais considérant que les Editions Neressis n'ont effectué aucune recherche de partenaire de cocontractant pour le compte d'acheteurs ou de vendeurs, de propriétaires ou de locataires, aucune démarche tendant à rapprocher deux parties et n'ont pris aucune initiative pour le compte des clients, lesquels demeurent entièrement libres.

Qu'en offrant ces différents services à des prix indépendants de toute négociation, l'intimée n'a participé à aucune des opérations d'entremises visées à l'article 1 de la loi et qu'en conséquence le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que ce premier grief n'était pas fondé.

b) Sur la situation de concurrence

Considérant que l'intimée critique le jugement entrepris en ce qu'il a retenu qu'elle était en situation de concurrence avec les agents immobiliers.

Qu'elle fait valoir que son journal est concurrent des autres publications faisant paraître des annonces immobilières et que la FNAIM persiste à soutenir qu'il existe un état de concurrence uniquement parce que ses adhérents souffrent d'un importante désaffection de clientèle.

Mais considérant que même s'il est indéniable que les agences immobilières souffrent de ce qu'une partie de la population entend se passer de leurs services pour réaliser l'économie d'une commission, il n'en demeure pas moins que les appelantes et l'intimée sont en situation de concurrence dès lors qu'elles s'adressent à la même clientèle.

Qu'à juste titre les premiers juges ont retenu que la Société Editions Neressis entreprise de presse spécialisée dans les annonces immobilières trouve sa raison d'être dans l'existence et le développement d'une clientèle de particuliers désireux d'entrer en relations et de traiter directement entre eux pour la vente ou la location de biens immobiliers ou mobiliers (fonds de commerce).

Que ce de fait elle est concurrente des agents immobiliers qui recherchent précisément la même clientèle à laquelle ils offrent leurs services de négociateur, intermédiaire, conseiller pour le même type d'opérations.

c) Sur les actions de dissuasion et de dénigrement

Considérant que les appelantes font tout d'abord valoir que les Editions Neressis ont publié divers articles dénonçant " les clauses piège " des contrats de mandat que les agents immobiliers font signer à la clientèle ce qui a eu nécessairement pour effet d'éloigner celle-ci des professionnels de l'immobilier.

Mais considérant que si comme le rappellent la FNAIM et la Chambre un mandat est révocable à tout moment, il n'en demeure pas moins que les agences immobilières font habituellement souscrire aux particuliers (si on se réfère aux pièces produites) des mandats exclusifs de vente d'une durée de trois mois, ou des mandats simples irrévocables pour une période dont la durée varie lesquels se renouvellent par tacite reconduction sauf préavis de 15 jours par lettre recommandée avec avis de réception.

Qu'il en résulte nécessairement que certains clients omettent de résilier les mandats dans les délais prévus.

Que dès lors la Société Neressis en donnant aux lecteurs dans les colonnes de son journal des renseignements d'ordre juridique sur les clauses des mandats et sur leur portée n'a fait que remplir une mission d'information en dehors de tout esprit polémique.

Que ce moyen n'est donc pas fondé.

Considérant que les appelantes font également grief à la Société intimée d'avoir entrepris une campagne de dénigrement systématique contre les professionnels de l'immobilier.

Que celle-ci réplique qu'elle n'a fait que dénoncer des faits délictueux et les pratiques des marchands de biens non soumis à la loi du 2 janvier 1970.

Considérant ceci exposé que dans son article publié dans le journal " Particulier à Particulier " sous le titre " Intermédiaire, moi ? Jamais ! " la Société Editions Neressis énonce notamment : " Pour arriver à vendre, agents immobiliers ou marchands de biens essayent désespérément de passer leur annonce dans nos colonnes. Tous les moyens sont bons : fausse qualité, personnes interposées, menaces, tentatives de corruption ".

Qu'elle écrit plus loin : " après tout on ne demande pas impunément des commissions astronomiques aux particuliers sans qu'un jour ils réagissent ".

Que pour dénoncer les pratiques des marchands de biens, elle poursuit ainsi : " et puis quand il s'agit d'un marchand de biens, les cessions de promesses de vente souvent louches, avec de scandaleux bénéfices, voire des versements occultes ".

Considérant que même si certaines affirmations peuvent se révéler exactes et même si certains professionnels de l'immobilier ont été condamnée pour s'être procuré par des voies frauduleuses le journal " Particulier à Particulier " la Société Editions Neressis a excédé les limites de la libre critique en laissant croire que les professionnels de l'immobilier en général dont les agents immobiliers réalisent des profits excessifs sur le dos des particuliers et usent de procédés délictueux dans l'exercice de leurs activités.

Considérant que la Société Editions Neressis a donc engagé sa responsabilité en dénigrant ainsi les agents immobiliers et qu'en conséquence les appelantes sont fondées à solliciter chacune en réparation du préjudice collectif causé à la profession paiement du franc symbolique à titre de dommages-intérêts.

d) Sur l'application de la loi du 31 décembre 1990

Considérant que devant la Cour les appelantes demandent qu'il soit constaté que la Société intimée agit en infraction de la loi susvisée en donnant des consultations juridiques et en proposant des formules d'actes sans remplir les conditions exigées par la loi.

Mais considérant qu'à juste titre la Société Editions Neressis réplique qu'il s'agit d'une demande nouvelle, irrecevable en appel.

Considérant en effet que même si en première instance les appelants avaient mis en cause ces mêmes prestations c'était dans le but de faire juger que la Société Editions Neressis en exerçant illégalement la profession d'intermédiaire immobilier agissait de manière déloyale vis-à-vis des professionnels de l'immobilier soumis quant à eux à la loi du 2 janvier 1970.

Considérant qu'en appel la FNAIM et la Chambre qui ne prétendent pas être membres d'une profession juridique réglementée et offrir des prestations sous forme de consultations juridiques ou de rédactions d'actes, invoquent ces mêmes faits non pas pour obtenir réparation du préjudice que leur cause de ce chef la Société Editions Neressis mais dans le but unique de faire sanctionner une violation de la loi.

II - Sur la demande de la Société Editions Neressis

Considérant que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la demande de la Société Editions Neressis était irrecevable.

Qu'en effet d'une part le Journal Professions Immobilière est édité ainsi que le relève " l'ours " par la Chambre Syndicale Interdépartementale des Professions Immobilières de PARIS et d'Ile de France partie à l'instance qui n'avait donc pas à être mise en cause.

Que d'autre part s'agissant d'une action en concurrence déloyale fondée sur l'article 1382 du Code Civil et non d'une action en diffamation fondée sur la loi de 1881 il n'y avait pas lieu de mettre en cause les auteurs des articles incriminés.

Considérant sur le fond que la FNAIM et la Chambre font valoir que la revue en question s'adresse aux professionnels eux mêmes, que le discours et l'article mis en cause constituent une réaction légitime de responsables syndicaux à la mesures des agressions dont leurs membres sont l'objet de la part du journal " Particulier à Particulier " et qu'en outre les commentaires ne sont nullement contraires à la vérité et relèvent de la libre critique.

Considérant ceci exposé que le journal " Professions Immobilières " vendu par abonnement est à la disposition de tous.

Considérant que dans le numéro de juillet septembre 1989 est reproduit le discours du Président de la FNAIM.

Que celui-ci pratique un amalgame entre ceux qui sous couvert de faire de l'immobilier de particulier à particulier commettent des escroqueries et le Journal " De Particulier à Particulier".

Qu'après avoir rappelé qu'une procédure les opposait à ce journal il qualifie directement les actionnaires de cette société " d'affairistes, car ce sont des affairistes, poursuivant des intérêts strictement commerciaux qui prétendent défendre les particuliers... ".

Qu'il poursuit en déclarant " en fait tous les moyens sont bons pour exploiter la crédibilité (sic) du public qui très souvent ignore tout sur la transaction immobilière et qui sous le prétexte fallacieux de ne pas payer une commission, s'engage dans des transactions désastreuses sans sécurité aucune et sans garantie ".

Que dans le numéro d'octobre 1989 de la même revue est retranscrite sous le titre " les Agents Immobiliers contre-attaquent " l'intervention de M. SICARD secrétaire général adjoint de la Chambre Syndicale à une réunion tenue le 12 septembre 1989.

Que celui-ci rappelle que les agents immobiliers ont décidé de collaborer avec le mensuel " Résidentiel Magazine " dans le but avoué de se placer sur le même terrain que les journaux de particuliers et ce dans l'intérêt du consommateur.

Qu'il affirme : " effectivement, que dire de ces estimations faites par correspondance ? ... de ces articles dirigés contre les professionnels ? ... de ces imprimés proposés, plus que contestables ? ... et du marché de l'immobilier déjà spéculatif par nature, et dont des journaux ne font qu'augmenter la spirale ascendante des prix ". " Au final cela donne des transactions déséquilibrées ayant pour résultat : un voleur et un volé ".

Considérant que dans l'un et l'autre article il y a dénigrement de la Société Editions Neressis dont le journal est nommément désigné dans le premier document et aisément identifiable par une description partielle des services offerts dans le second.

Qu'en laissant croire aux lecteurs qu'un journal comme " Particulier à Particulier " cherchait à fausser le marché de l'immobilier, et à réaliser des bénéfices à l'encontre de l'intérêt des consommateurs, fournissait des informations des plus contestables, la Chambre Syndicale éditrice de la revue dans laquelle sont parus ces articles a dénigré la Société Editions Neressis et engagé sa responsabilité.

Considérant que celle-ci est bien fondée à solliciter en réparation de son préjudice paiement du franc symbolique à titre de dommages-intérêts.

Considérant en revanche que la FNAIM qui n'est pas l'éditeur des articles incriminées doit être mise hors de cause.

Considérant qu'eu égard à ce qui précède il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication présentée par l'une et l'autre parties.

Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à l'une ou l'autre des parties.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en tant qu'il a dit que la Société Editions Neressis ne se livrait pas à des activités au sens de la loi du 2 janvier 1970, Réformant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant, Dit la FNAIM et la Chambre Syndicale Interdépartementale des Professions Immobilières de Paris et de l'Ile de France irrecevables en leur demande en interdiction sur le fondement de la loi du 31 décembre 1990, Dit que la Société Editions Neressis a engagé sa responsabilité à l'égard de la FNAIM et de la Chambre Syndicale Interdépartementale des Professions Immobilières de Paris et de l'Ile de France par des actes de dénigrement, La condamne à leur payer à chacune un franc à titre de dommages-intérêts, Dit que la Chambre Syndicale Interdépartementale des Professions Immobilières de Paris et de l'Ile de France a engagé sa responsabilité à l'égard de la Société Editions Neressis par des actes de dénigrement, La condamne à lui payer un franc à titre de dommages-intérêts, Déboute les parties de leurs autres demandes, Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens et frais non taxables devant le Tribunal et devant la Cour.