CA Riom, 3e ch. civ. et com., 18 novembre 1992, n° 1039-92
RIOM
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Pompes Funèbres du Sud-Est Roblot (SA)
Défendeur :
Pompes Funèbres Vichyssoises (Sté), Pompes Funèbres et Marbrerie du Centre Chanut et Fils (Sté), Pompes Funèbres Montluconnaises (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Alzuyeta
Conseillers :
M. Gabin, Mme Valtin
Avoués :
Mes Lecocq, Gutton
Avocats :
Mes Cohen, Duminy.
Attendu que par acte du 4 mars 1992 la société Pompes Funèbres du Sud-Est Roblot dont le siège social est à Aix-en-Provence (département des Bouches du Rhône) a assigné la société Pompes Funèbres Vichyssoises dont le siège social est 51. Boulevard Gambetta à Vichy devant le juge des référés afin de voir constater le caractère trompeur de sa publicité du fait de l'utilisation de nom patronymique de Leclerc, et afin qu'interdiction lui soit faite de persévérer ; que le Président du Tribunal de Commerce de Cusset a, par ordonnance du 31 mars 1992, débouté la demanderesse ; que celle-ci a relevé appel sous le n° 1223/92 et que, usant de la requête afin de jour fixe, elle a obtenu audience le 27 mai 1992 ; que, ce jour-là, elle a accepté le renvoi de l'affaire à l'audience du 14 octobre 1992 en raison de la connexité avec les deux affaires fixées ce jour-là et relatées ci-dessous ;
Attendu que par acte du 5 février 1992 la même demanderesse avait délivré identique assignation à la société Pompes Funèbres et Marbrerie du Centre Chanut et Fils, dont le siège social est 45. Avenue des Pupilles de la Nation à Aurillac ; que, par ordonnance du 3 mars 1992, le Président du tribunal de Commerce d'Aurillac a fait droit à sa quête ; que la société Chanut et Fils a relevé appel, dossier 938/92 ;
Attendu que par acte du 2 février 1992 la demanderesse sus indiquée avait délivré une assignation identique à la société des Pompes Funèbres Montluçonnaises, Centre Commerce Ville Gozet Avenue de la République à Montluçon ; que, par ordonnance du 17 avril 1992, le Président du tribunal de Commerce de Montluçon s'est déclaré incompétent ; que la demanderesse a relevé appel, dossier 1369 ;
Attendu que la même demanderesse intentant la même action à l'endroit de trois sociétés exerçant la même activité de Pompes Funèbres, il sied de joindre les trois procédures en une seule et de statuer par un seul arrêt ;
Attendu que a société Pompes Funèbres du Sud-Est Roblot a déposé des conclusions :
- dans le dossier 1369 les 22 juin, 7 et 24 Juillet 1992 ;
- dans le dossier 938 le 15 septembre 1992 ;
- dans le dossier 1223 les 9 juin et 4 août 1992 ;
Attendu que, selon elle, les trois sociétés en cause utiliseraient abusivement le nom de Michel Leclerc, dont il est paraît-il de notoriété publique qu'il est le frère d'Edouard Leclerc, fondateur des Centres Leclerc, ce qui laisserait croire aux familles en deuil qu'en s'adressant à ces trois sociétés elles traiteraient avec une entreprise " pouvant se réclamer à un titre quelconque d'Edouard Leclerc " (sis) ;
Attendu qu'il est certain, en fait que :
1°) la société Pompes Funèbres Vichyssoises utilise une enseigne " Pompes Funèbres Michel Leclerc " et une autre " Pompes Funèbres Vichyssoises ", Directeur commercial Michel Leclerc " ;
2°) la société Pompes Funèbres et Marbrerie du Centre Chanut et Fils,
- a un magasin sur la devanture duquel on lit " Directeur Michel Leclerc " ;
- apparaît au Minitel sous l'intitulé " Pompes Funèbres Michel Leclerc " ;
- utilise le nom de Michel Leclerc dans ses publicités ;
3°) la société Pompes Funèbres Montluçonnaises diffuse une publicité mettant en exergue le nom de Michel Leclerc ;
Attendu que si les trois sociétés agissent de la sorte c'est, selon l'instigatrice de la procédure, parce que Michel Leclerc " anime un réseau d'entreprises de pompes funèbres pompeusement baptisé " groupe des Pompes Funèbres Européennes " (sic) ;
Que Roblot verse contradictoirement aux débats un rapport de la Direction Générale de l'Administration de Juillet 1989 selon lequel le système des pompes Funèbres français est complexe, obsolète et incohérent, soulignent par ailleurs qu'il " n'existe pas aujourd'hui d'association professionnelle où se retrouve l'ensemble des entreprises du secteur des pompes funèbres " ; qu'il ne s'en suit pas que la liberté de Michel Leclerc, dont la Cour ignore l'état civil et l'adresse (puisqu'il n'est pas dans la procédure) " d'animer " on ne sait suivant quelles modalités les entreprises de pompes funèbres qui traitent avec lui, soit reconnue par Roblot ; qu'au contraire cette société fonde son action céans sur " le trouble illicite de persistant " (sic) qu'elle subirait en raison de la " publicité trompeuse interdite par l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973 " (sic) ;
Attendu qu'à l'appui de sa thèse la société Pompes Funèbres du Sud-Est Roblot met en avant les arguments suivants :
1°) Dans les procès opposant les Frères Edouard et Michel Leclerc la Cour d'Appel de Paris a rendu les 28 mars 1985 et 22 mars 1990 deux arrêts interdisant à Michel Leclerc d'utiliser son nom en matière commerciale ; elle écrit : " sa faillite personnelle ne lui permettant pas d'exercer le commerce, il s'abrite derrière un réseau de franchisés " ;
2°) L'utilisation du nom de Michel Leclerc créé, à l'en croire, un " risque de confusion " (sic) avec les Centres Leclerc de son frère Edouard Leclerc ; il est inutile, dit-elle, de démontrer ce risque ; en effet, la loi 73-1193 du 27 décembre 1973 interdit toute publicité " de nature " à induire en erreur ;
Attendu que les Pompes Funèbres Vichyssoises rétorquent dans leurs conclusions :
1°) la société Roblot n'est pas Edouard Leclerc et elle n'a donc aucune qualité pour agir ;
2°) il n'y a pas de trouble manifeste, et donc il y a incompétence du référé ;
3°) il n'y a point illicéité de sa publicité, Michel Leclerc bénéficiant comme tout français de la liberté de commerce ;
4°) elle ne trompe personne, et on voit la preuve dans les attestations de clients qui certifient ne l'avoir pas confondue avec les centres distributeurs Leclerc :
5°) le droit au nom ne peut être attaqué par personne, or Michel Leclerc ne fait qu'user de son nom ;
Attendu que la société Pompes Funèbres et Marbrerie du Centre Chanut et Fils excipe de l'adage " Resinter Alios Acta " pour soutenir que l'absence d'Edouard Leclerc de la procédure vide celle-ci de toute signification ; qu'elle verse aux débats une jurisprudence opinant en sens inverse de celle qu'invoque Roblot ; qu'elle écrit : " M. Chanut recourt aux services de Michel Leclerc en qualité de Directeur Commercial en raison de l'immense notoriété qu'il a acquise dans le secteur d'activité des pompes funèbres depuis 1983 attestée par le rapport interministériel de juillet 1989 (ci-dessus cité) " ; qu'elle reprend ensuite les arguments des Pompes Vichyssoises ;
Attendu que les Pompes Funèbres Montluconnaises, enfin, présentent dans leurs conclusions devant la Cour exactement les mêmes arguments que ceux des Vichyssoises ;
Sur quoi, LA COUR :
Attendu que Michel Leclerc n'est point partie à l'instance ; que les considérations sur sa faculté d'usage du nom patronymique qui est le sien, d'une part, et sur celle de jouir comme tout citoyen de la liberté du commerce, d'autre part, sont certes intéressantes, mais hors de la saisine de la Cour ;
Attendu qu'Edouard Leclerc est absent lui aussi ; que cela est de nul effet pour ce qu'il n'est ni l'auteur ni la victime des troubles dont se plaint la société Roblot ;
Attendu que le seul débat est le caractère trompeur de l'usage publicitaire du nom Michel Leclerc par les trois entreprises de pompes Funèbres présentes à l'instance, d'une part, et l'existence d'un trouble souffert par Roblot du fait de cet usage, d'autre part ;
Attendu, sur le premier point, que d'Esterencuby à Zuydcoote l'on sait que Michel Leclerc et Edouard Leclerc sont frères, que le second exploite des centres commerciaux appelés distributeurs-barbarisme pour dire qu'ils sont bons marchés - qu'enfin le premier est spécialisé dans les pompes funèbres ; qu'on a pu voir à la télévision nationale la publicité de Michel où quelqu'un pousse un cercueil - sa spécialité - dans un caddie, emblème d'Edouard ; que, sans s'arrêter à un litige entre frères, connu des seuls initiés, et toujours susceptible d'évoluer vers une réconciliation, il est certain que le nom de Michel Leclerc, apposé en renfort de leur publicité par les trois sociétés de l'instance, crée dans l'esprit du public l'illusion de pompe funèbres bon marché, par l'impression intellectuelle qui assimile chez les français le nom de Leclerc à un négoce à portée de toutes les bourses;
Attendu que le subterfuge consistant à mettre " Michel Leclerc, directeur commercial ", à côté ou au dessous du nom de la société, loin de la combattre, conforte au contraire la certitude ci-dessus; qu'en effet, si l'on peut voir l'identité du personnel dirigeant dans toutes sortes de publication, c'est le plus souvent en petits caractères et dans une place discrète; que, s'il arrive que ce soit en publicité, cet honneur est alors réservé au personnage numéro un de la société ; qu'en l'espèce, la mention du seul nom du directeur commercial, à l'exclusion de celui du gérant, ou du président-directeur-général, et des autres membres du personnel dirigeant, est la démonstration que les trois entreprises considérées ont délibérément voulu frapper le public par le seul nom de Leclerc;
Attendu, mieux encore, que l'on est en présence d'une volonté délibérée sur le plan national ; qu'en effet, les parties produisent à la Cour des décisions statuant sur la même sorte de litige à Epinal, Nancy, Charleville, Amiens, Lille, Nantes, Draguignan, Frejus, Nice, Rouen, Perpignan, Antibes, Nîmes, Saint-Etienne, et ailleurs ; qu'une telle abondance établit le fait que ces entreprises de pompes funèbres, en général, et celles de céans, en particulier, ont entendu et entendent attirer la clientèle en usant du nom de Leclerc en raison de sa notoriété commerciale et de l'impression intellectuelle ci-dessus définie;
Attendu, en conclusion sur le premier point, que le caractère trompeur de la publicité en question est acquis, objectivement, sans qu'il soit besoin à la Cour de se pencher sur les quelques attestations produites par les Pompes Funèbres Vichyssoises ;
Attendu que, s'il s'agissait d'une procédure au fond, il serait opportun de s'interroger sur la compétence de la Cour en l'absence de toute poursuite ou même décision pénale ; qu'en effet, l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, sur lequel Roblot fonde son action, est un texte de droit pénal confiant la constatation des infractions de publicité mensongère à certains agents de l'Etat énumérés ; qu'en l'espèce, ces constatations font défaut, et, a fortiori, une décision à leur sujet aussi ;
Mais attendu que la Cour est appelée à se prononcer en référé ; que l'article 873 du Nouveau code de Procédure Civile lui donne compétence pour faire cesser, en matière commerciale, un trouble manifestement illicite ; que l'illicéité vient d'être caractérisée ; qu'il reste à examiner le trouble allégué ;
Attendu donc, en second lieu, que le trouble de la société Pompes Funèbres du Sud-Est Roblot est à rechercher ; qu'en l'état, il apparaît surtout de principe ; que la Cour est laissée dans l'ignorance des éléments qui eussent démontré sa portée, par exemple par la production de documents établissant la fuite des clients et la baisse consécutive des chiffres d'affaires ; que, toutefois, le mot " trouble " est marqué par le subjectivité ; qu'il suffit que le fait démontré soit de nature à entraîner le trouble ;
Attendu, en l'espèce, que l'entreprise Roblot caractérise suffisamment son trouble par la prolifération redoutable du nom de Leclerc chez ses concurrents, de nature à lui faire craindre en permanence l'hémorragie de sa clientèle ;
Attendu que les astreintes sollicitées par Roblot sont justifiées dans leur principe, mais excessives dans leurs montants ; que 4 000 F par infraction est convenable ; que le référé étant provisoire, ces astreintes ne sauraient dépasser un délai de trois mois ;
Attendu que Roblot demande sur la base de l'article 700 la somme de 10 000 F à la charge de chacune de ses antagonistes, que cela est juste ;
Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en matière de référé, Joint les instances inscrites au rôle de la Cour sous les numéros 938/92, 1223/92 à la présente affaire inscrite sous le n° 1369/92 à la présente affaire inscrite sous le n° 1396/92. Confirme l'ordonnance rendue à Aurillac le 3 mars 1992. Infirme les ordonnances rendues à Cusset le 31 mars 1992 et à Montluçon le 17 avril 1992 ; Dit la société Pompes Funèbres du Sud-Est Roblot bien fondée en ses demandes. Fait interdiction à la société Pompes Funèbres Vichyssoises, à la société Pompes Funèbres et Marbrerie du Centre Chanut et Fils, et à la société des Pompes Funèbres Montluçonnaises, dont les adresses sont ci-dessus en en-tête, d'utiliser ou de faire utiliser sous quelque forme que ce soit le nom patronymique Leclerc, précédé ou non de Michel, et ce sous astreinte à caractère définitif de Quatre Mille Francs (4 000 F) par infraction constatée à compter du jour du prononcé du présent arrêt. Précise que cette interdiction cessera le 19 février 1993. Invite les parties à saisir le juge du fond compétent pendant ce délai de trois mois. Condamne la société Pompes Funèbres Vivhyssoises ; la société Pompes Funèbres et Marbrerie du Centre Chanut et Fils, la Société des Pompes Funèbres Montluçonnaises à payer à la société Pompes Funèbres du Sud Est Roblot 10 000 F (Dix Mille Francs) en vertu de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile, chacune ; Condamne la société Pompes Funèbres Vichyssoises aux dépens de première instance à Cusset, la société Pompes Funèbres et Marbrerie du Centre Chanut et Fils aux dépens de première instance à Montluçon et solidairement ces trois sociétés aux dépens d'appel et autorise Maître Lecocq, avoué, à recouvrer ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.