CA Angers, 1re ch. B, 16 novembre 1992, n° 2387-91
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Marbreries du Centre France (SA)
Défendeur :
Pompes Funèbres Générales (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Micaux
Conseillers :
MM. Jegouic, Liberge
Avoués :
SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier
Avocats :
Mes Duminy, Cahen.
La Sté PFG exerçait à Angers et à Cholet une activité d'entrepreneur de popes funèbres. Dans le cadre d'une restructuration interne, les établissements PFG de Cholet et d'Angers ont été apportés à une nouvelle société dénommée PFG de l'Ouest (PFGO).
De son côté la Sté des Marbreries du Centre France, connue également sous le nom de " Pompes Funèbres européennes " a ouvert courant mai 1991 à Cholet un fonds de commerce ayant un objet similaire, à l'enseigne " les Marbreries Maine Anjou Vendrée-Pompes Funèbres Européennes-Directeur commercial Michel Leclerc ".
Cette même société a également ouvert à Angers un commerce de Pompes Funèbres, à l'enseigne " Roc'Eclerc ".
Se plaignant des publicités de son concurrent, mettant en exergue le nom de Michel Leclerc la Société PFG a fait assigner par acte du 15 juillet 1991 la SA Marbreries du Centre pour voir constater le caractère trompeur de la publicité incriminée, du fait de l'utilisation du nom Patronymique de Leclerc et faire interdiction à la Sté Agence de Cholet, d'utiliser sous quelque forme que ce soit, ce nom patronymique, à peine d'astreinte, par infraction constatée.
Par ordonnance en date du 18 octobre 1991, le juge des référés du Tribunal de commerce d'Angers a, interdit à la Sté Marbrerie du Centre France, exerçant son activité à Cholet, sous l'enseigne " Les Marbreries Maine Anjou Vendée-Pompes Funèbres Européennes -Directeur commercial M. Leclerc " d'utiliser le nom patronyme Leclerc, précédé du prénom Michel, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée.
- Condamné cette société au paiement de 3 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par acte du 31 octobre 1991, la SA Pompes Funèbres de l'Ouest a fait assigner la Sté des Marbreries du Centre Ouest, agence d'Angers, aux mêmes fins.
Le juge des référés du Tribunal de commerce d'Angers a rendu le 13 décembre 1991, une ordonnance reprenant les mêmes dispositions que ci-dessus, en ce qui concerne l'Agence d'Angers de la Société Marbreries du Centre France.
Cette société a régulièrement porté appel de ces deux ordonnances.
La SA des Marbreries du Centre France demande à la Cour de :
Joindre les procédures d'appel.
Dire PFG et PFG Ouest irrecevables pour défaut de qualité à agir.
Dire le juge des référés incompétent, en présence d'une contestation sérieuse et en l'absence de trouble manifestement illicite.
Au fond, de rejeter les demandes adverses.
Condamner in solidum les PFG et les PFG Ouest au paiement de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Société PFG et la Sté PFG Ouest ont conclu à la jonction des procédures et à la confirmation des ordonnances.
La Sté PFG demande 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
En raison de la connexité des deux instance, il convient de les joindre conformément aux demandes es parties.
La Société Marbreries du Centre indique que la Sté PFGO a été créée en avril 1991, et que la restructuration du groupe PFG est devenue opérationnelle au 1er juillet 1991.
Elle soutient que l'action introduite par PFG le 1er juillet 1991 est irrecevable pour défaut de qualité à agir.
Pour autant que la filialisation soit devenue effective 1er juillet 1991, on observera que la Société PFGO est intervenue aux côtés des PFG, en cause d'appel (ce moyen n'avait pas été soulevé en première instance) pour reprendre les écritures signifiées précédemment par PFG ;
Il convient donc d'écarter cette fin de non recevoir en application de l'article 126 paragraphe 2 du nouveau code de procédure civile.
La Société des Marbreries fait valoir que les PFG ne peuvent fonder leurs demandes en raison de l'effet relatif des jugements sur les arrêts de la CA de Paris de 1985 et 1990 intervenus pour l'essentiel entre Michel Leclerc et Edouard Leclerc, et ayant fait interdiction au premier d'utiliser son patronyme à titre de marque.
Elle soutient que les demandes formées par les Sté PFG et PFGO sont irrecevables pour défaut de qualité à agir, seul Edouard Leclerc pouvant se plaindre de l'utilisation par son frère de son nom patronymique.
Les PFG ont précisé qu'elles s'opposaient à l'utilisation du nom de Michel Leclerc, non pas dans le cadre d'une action en contrefaçon de marque, mais en invoquant la publicité illicite (art 44-1 de la loi du 27 décembre 1973) et la concurrence déloyale.
La demande ne se heurte donc à aucune irrecevabilité pour défaut de qualité à agir et le rappel de l'incompétence du juge des référés commerciaux en matière de marques est sans portée.
La Société des Marbreries du Centre soutient l'incompétence du juge des référés, compte tenu de l'existence d'une contestation sérieuse et de l'absence d'un trouble illicite.
Elle fait valoir qu'aucune publicité mensongère ou concurrence déloyale n'est démontrée et qu'elle utilise le nom de Michel Leclerc, en sa qualité de directeur commercial afin de se conformer aux dispositions commercial afin de se conformer aux dispositions édictées par le code des communes.
Elle invoque la convention européenne des droits de l'homme pour soutenir que l'usage de son nom et de son prénom constitue l'exercice d'une liberté fondamentale.
Il résulte des pièces versées que la Sté des Marbreries du Centre France a fait couvrir par la presse locale l'ouverture de ses magasins d'Angers et Cholet. Ces publicités rédactionnelles, qui comportent la photographie de Michel Leclerc et mettent en exergue ses thèses relatives à la lutte contre les monopoles et en faveur des prix " cassés " ne sont établies ni par lui, ni sous sa responsabilité et ne peuvent donc lui être reprochées au titre d'une publicité illicite.
Les avis de décès incriminés ne sont pas versés. Il est cependant établi que la société des Marbreries exerce son commerce à Cholet à l'enseigne " Pompes Funèbres Européennes-Directeur commercial Michel Leclerc ".
La Société PFG a fait constater à Angers au magasin, à l'enseigne Roc Leclerc, la présence d'affiches comportant la photo et le nom de Michel Leclerc.
L'ouverture de l'agence d'Angers a fait l'objet de publicités dans l'hebdomadaire d'annonces le 49, utilisant le nom et la photographie en pied de Michel Leclerc - dans les mêmes conditions que ci-dessus - ces affiches portent également les mentions suivantes : " 130 agences - 10 supermarchés funéraires - Adieu à l'enfer du Monopole - les prix sont comme les monopoles, il faut les casser ".
Il est donc matériellement établi que, les agences de Cholet et de Angers de la Sté des Marbreries du Centre dont usage du nom Michel Leclerc - Directeur Commercial - à des fins publicitaires.
Dans la situation d'espèce, il est établi que la Société des Marbreries du Centre France fait un usage ostentatoire du nom de Michel Leclerc, qui n'est pas justifié par les fonctions que celui-ci exerce à temps partiel et pour un salaire modique au sein de la Société.
Cet usage ostentatoire du nom de Michel Leclerc a pour but manifeste de profiter abusivement de la renommée acquise par les Centres Leclerc et de détourner ainsi à son profit une partie de la clientèle attirée par l'image ou les conceptions du groupe des Centre Leclerc.
Le fait que la Société des Marbreries du Centre France exerce son activité dans un domaine différent des Centres Leclerc n'est pas déterminant, au contraire de ce que soutient la Société appelante.
En effet, la clientèle connaît la marque Leclerc, mais n'a pas la notion exacte des secteurs commerciaux, dans lesquels les groupes Leclerc exercent leur activité, étant précisé qu'ils commercialisent une gamme de produits et de services toujours croissante.
Par ailleurs la référence insistante aux supermarchés et aux prix bas ne font que renforcer une convergence recherchée, dans le but de créer la confusion.
Si les indications concernant l'identité et les fonctions de Michel Leclerc ne sont pas fausses, elles sont utilisées pour induire en erreur sur l'identité et les qualités du revendeur et s'analysent donc en une publicité illicite et au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, contrairement à ce que soutient la Sté des Marbreries du Centre France.
L'article L. 326-9 du Code des Communes qui prévoit que les entreprises privées des Pompes Funèbres doivent faire mention dans leurs enseignes des noms des propriétaires, directeur généraux, directeurs ou gérants ne justifie pas que soit porté le nom du directeur commercial, mais simplement l'un de son gérant M. Jeannin. Ces dispositions ne légitiment donc pas l'usage du nom de Michel Leclerc.
Par ailleurs, l'utilisation à des fins commerciales du nom de Michel Leclerc est sans rapport avec le droit au nom et son libre usage, qui ressortent du domaine de la vie privée.
Le moyen tiré de la loi du 6 fructidor an II pour autant qu'il puisse être invoqué par un autre que Michel Leclerc lui-même, apparaît sans portée.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'application des articles 10 et 11 de la convention européenne des droits de l'homme, qui reconnaît à toute personne le droit à la liberté d'expression, il apparaît largement étranger au débat. Si l'on veut considérer que le nom patronymique est une modalité de l'exercice de cette liberté d'expression, on voit que cet argument ne pourrait être invoqué que par Michel Leclerc lui-même.
En définitive les Pompes Funèbre Générales établissent suffisamment que l'utilisation du nom de Michel Leclerc, dans les conditions qui sont décrites ci-dessus constitue une publicité illicite et un acte de concurrence déloyale à leur égard, les conditions d'un détournement frauduleux de la clientèle étant réunies.
Une telle attitude constitue un trouble manifestement illicite, justifiant l'intervention du Juge des référés, en vue de le faire cesser.
Il convient de confirmer la décision déférée et d'allouer aux Stés intimées une indemnité de procédure n appel de 5 000 F ;
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Prononce la jonction des procédures 91-2387 et 92-254 ; Confirme les décisions déférées ; Condamne la Sté Marbreries du Centre France au paiement à la Sté Pompes Funèbres Générales Ouest de Cinq Mille Francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en appel. Déboute les parties de toutes autres demandes, Condamne la Sté Marbreries du Centre France aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.