CA Paris, 4e ch. A, 10 novembre 1992, n° 90-02335
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Goudout
Défendeur :
Moritz
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gouge
Conseillers :
Mme Mandel, M. Brunet
Avoués :
SCP Bommart Forster, Me Dampenon
Avocats :
Mes Roulette, Petillault, Verges, Bourdon.
Dans des circonstances suffisamment exposées par les premiers juges, Madame Germaine Soleil, notoirement connue pour ses talents d'astrologue, selon les coupures de Presse mises aux débats, sous le nom de Madame Soleil et disant être titulaire de deux marques dénomitatives déposées l'une le 2 mars 1989 sous le N° 114206 pour désigner du papier (cl. 16) et l'autre le 18 juin 1986 sous le N° 801803 pour désigner les jeux ete jouets publicité et affaires, communication, éducation et divertissement et divers (cl. 28, 35, 38, 41 et 42), avait attrait Mme Eliane Goudout née Soleil et exerçant également la profession d'astrologue en utilisant le patronyme Soleil devant le Tribunal de Grande Instance de Bobigny afin de faire réglementer l'usage du signe Soleil par la défenderesse en le limitant pour la profession d'astrologue à un cadre " strictement privé " et d'obtenir sa condamnation au paiement d'une indemnité de 300 000 F et d'une somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, demande principale ultérieurement réduite à 1 F pour l'indemnité.
Mme Eliane Soleil s'était opposée à cette demande et elle avait subsidiairement proposé d'éviter une éventuelle confusion par une adjonction à son nom de son prénom et de sa photographie, avec " exclusion des supports médiatiques, radio, Minitel, téléphone ". Elle avait formulé une demande reconventionnelle a fins indemnitaires et au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Par un jugement du 11 septembre 1990, auquel il convient de se reporter pour un exposé complet des faits, moyens et prétentions des parties antérieurs, la cinquième chambre du Tribunal a fait interdiction à Mme Eliane Soleil d'utiliser ce patronyme dans l'exercice de son activité professionnelle d'astrologue et de voyante " à l'exception de son activité privée dans son cabinet " tant qu'elle sera en concurrence avec Mme Soleil.
Elle a condamné Mme Eliane Soleil à payer une indemnité de 1 F. Ces dispositions étaient assorties de l'exécution provisoire.
Mme Eliane Soleil était en outre condamnée à payer 4 000 F pour frais non taxables et les dépens.
Mme Eliane Soleil a relevé appel par déclaration du 2 novembre 1990.
Madame Soleil a conclu à la confirmation et par une demande additionnelle a sollicité la condamnation de l'appelante à payer une indemnité de 300 000 F pour appel abusif et 30 000 F pour frais non taxables.
Par ordonnance du 12 février 1991 le Conseiller chargé de la mise en état a, sur la demande de Mme Soleil, assorti l'interdiction prononcée par le Tribunal d'une astreinte de 5 000 F par infraction à l'expiration d'un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance.
Mme Eliane Soleil a conclu à l'infirmation et au débouté en l'absence de risque de confusion.
Subsidiairement elle a conclu au débouté sur le fondement d'une renonciation tacite au bénéfice de la loi du 31 décembre 1964 et au paiement d'une somme de 50 000 F pour procédure abusive en toute hypothèse, et des dépens d'instance et d'appel.
Mme Soleil a répondu et repris ses prétentions antérieures.
Mme Eliane Soleil a répliqué en ajoutant à ses prétentions un subsidiaire demandant que soit jugée satisfactoire son offre de faire apparaître son nom en y accolant systématiquement son prénom et sa photo pour éviter tout risque de confusion. Elle a porte sa demande d'indemnité à 100 000 F et formulé une demande en paiement de 50 000 F pour frais non taxables.
Mme Soleil a développé son argumentation et demande que l'astreinte soit liquidée à la somme de 500 000 F.
Mme Eliane Soleil, outre des " dire et juger " qui sont des moyens ou des arguments et seront traités comme tels, a conclu au débouté.
L'affaire, qui avait été fixée à plaider le 11 décembre 1991 devant le magistrat rapporteur a été renvoyée devant la formation collégiale sur demande du conseil de Mme Eliane Soleil.
Le jour de la clôture, prononcée le 29 juin 1992, l'appelante a demandé par conclusions que soit projetée une cassette vidéo et que soit ordonnée la comparution personnelle des parties.
Le 20 juillet 1992 l'intimée a conclu à ce que les pièces communiquées le jour de la clôture et les dernières conclusions de l'appelante soient écartées des débats.
Sur ce, LA COUR, qui pour un plus ample exposé se réfère au jugement et aux écritures d'appel,
1 - Sur la demande d'exclusion de pièces et d'écritures
Considérant qu'à la date du 29 juin 1992 annoncée pour la clôture par Bulletin N° 5 du 20 décembre 1991, l'appelante à laquelle aucune écriture ou pièce n'avait été transmise depuis le 4 mars 1992, a signifié des conclusions demandant la projection d'une cassette vidéo et la comparution personnelle des parties ; qu'elle a en outre communiqué des pièces au nombre de vingt selon le bordereau ; que la révocation de la clôture n'a pas été demandée ;
Considérant que ces écritures et communications à la date de la clôture ne mettent pas l'intimée en mesure de répondre ;
Que l'affaire ayant déjà subi un important retard il n'y a pas lieu, en l'absence de cause grave, de rouvrir les débats sur ces écritures et pièces mais d'écarter celles-ci par application des articles 15 et 16 du Nouveau code de procédure civile ;
2 - Sur l'usage par Mme Eliane Soleil du patronyme Soleil à titre professionnel
Considérant que la Cour est saisie d'un litige entre la titulaire d'un patronyme notoirement connu par son utilisation à titre professionnel sur une durée non contestée de cinquante années d'après les coupures de Presse mises aux débats et qui a été déposé à titre de marque plus récemment en 1986 pour désigner notamment les services de publicité et affaires, communication, éducation et divertissement et services divers, ce qui englobe l'astrologie et la voyance, plus récemment en 1989 pour désigner les supports papier et la titulaire du même patronyme qui, en raison de son âge et venue plus récemment à exercer la même profession ;
Considérant que Mme Soleil soutient essentiellement que dès lors qu'elle exploite professionnellement un nom, notoire dans son secteur, et qu'elle a déposé à titre de marque, elle est fondée à demander que la Cour confirme la décision d'interdiction prononcée par le Tribunal l'exercice ultérieur de la même profession, sous le même nom, par Mme Eliane Soleil entraînant un risque certain de confusion, risque qui se serait déjà réalisé ; que Mme Eliane Soleil, en raison du " parasitisme " dont elle aurait fait preuve ne saurait se contenter d'une simple adjonction pour se différencier ; que si elle a pu, d'une manière limitée dans le temps, tolérer l'exercice par Mme Eliane Soleil de la même profession sous le même nom, elle n'a jamais renoncé à exercer ses droits ; que l'appelante ayant persisté dans ses activités illicites, l'intimée serait fondée à réclamer la réparation de son préjudice et à faire liquider l'astreinte ordonnée devant la Cour ;
Considérant que Mme Eliane Soleil fait valoir au contraire pour l'essentiel que dans la situation particulière propre aux deux cousines se trouve la limite de la " jurisprudence traditionnelle " en matière de nom patronymique ; qu'en effet la notoriété même de Mme Soleil serait de nature à empêcher le risque de confusion, les personnes qui demandent une consultation astrologique n'étant sensibles qu'à la notoriété personnelle de celle qui est consultée ;
Que d'autre part la loi du 31 décembre 1964 ne créant qu'un ordre public de simple protection Mme Soleil, qui aurait eu connaissance de l'activité d'Eliane Soleil depuis 1986 et qui aurait eu connaissance de l'activité d'Eliane Soleil depuis 1986 et qui aurait " collaboré " avec sa cousine qu'elle aurait introduite auprès d'un animateur d'une station de radio et qui aurait participé en commun avec elle à des consultations données au profit des Restaurants du Cour aurait renoncé à bénéficier de la protection légale en toute connaissance de cause ; qu'elle n'aurait intenté une action en Justice que sous la pression de ses licenciés ;
Qu'il n'y aurait plus concurrence entre les parties et donc plus d'intérêt à agir ; que la demande qui se manifesterait par des propos désagréables et outranciers présenterait un caractère abusif et lui porterait tort ; qu'elle a strictement exécuté l'interdiction sous astreinte ; qu'il n'y aurait pas lieu à publication de l'arrêt ;
Considérant, les moyens des parties étant ainsi résumés, qu'il est de règle que toutes les personnes portant le même patronyme peuvent utiliser ce nom pour un usage professionnel ; que lorsqu'une personne a utilisé son nom comme signe distinctif pour sa profession elle est en droit de faire interdire tout usage frauduleux ou déloyal du même nom par un homonyme et, en l'absence de toute faute de l'homonyme, second en date, de faire imposer à ce dernier des précautions pour éviter une confusion; que cette réglementation s'impose d'autant plus que le nom premier en date a acquis une notoriété dont l'homonyme second n'a aucun titre à profiter;
Considérant qu'au regard du droit des marques, la loi du 31 décembre 1964, applicable, eu égard à la date des faits, énonce dans son article 2 que le dépôt d'un patronyme à titre de marque n'interdit pas à un homonyme de faire usage de son nom mais que le déposant peut demander la réglementation de ce usage ou son interdiction, l'interdiction frappant les usages abusifs ou indus tandis que la réglementation concerne un usage non frauduleux mais qui peut être source de confusion au préjudice du titulaire de la marque ;
Considérant que l'aide apportée initialement par l'intimée à l'appelante, la connaissance qu'elle a pu avoir de son activité, la participation en commun, dans l'intérêt d'une œuvre charitable, à des consultations publiques d'astrologie (photographies mises aux débats) sont insuffisantes à prouver que les parties aient conclu un accord de coexistence ; que la conversation téléphonique enregistrée ne fait état que de projets qui n'ont pas été concrétisés ; que si, selon l'article 18 du décret du 27 juillet 1985 doit être expresse et ne résulte que d'une déclaration écrite adressée ou remis à l'INPI ; que Mme Soleil qui n'a jamais adressé ou remis à l'INPI une déclaration portant renonciation, montre pas ses sommations des 9 décembre 1988 et 7 mars 1989, son constat du 15 février 1989, qu'elle entendait conserver l'intégralité de ses droits ;
Que le fait que Mme Soleil ait laissé sans s'y opposer pendant un temps Mme Eliane Soleil exercer son art n'est que la manifestation d'une tolérance qui a pris fin ; que dans le cadre de la loi du 31 décembre 1964 la tolérance, même prolongée, d'une activité portant atteinte à la marque ne crée pas de droit au profit du bénéficiaire de cette tolérance ;
Considérant qu'à tort Eliane Soleil soutient qu'il n'y aurait aucun risque de confusion et que la notoriété même de Madame Soleil excluait ce risque alors que la lecture des très nombreuses publications mises aux débats montre que le nom de l'une et/ou de l'autre y apparaît pour des activités semblables, compte tenu des contrats de licence passés par Madame Soleil ; qu'ainsi on n'est pas en présence d'astrologues ou de voyantes se limitant à une activité de cabinet pour laquelle la relation personnelle qui s'établit est de nature à limiter ce risque de confusion ;
Considérant que Madame Soleil ne prouve pas qu'Eliane Soleil ait entrepris des activités relevant de la voyance et de l'astrologie en tentant de s'attribuer sa renommée alors que dès les premières publications mises aux débats (1984)Eliane Soleil faisait toujours précéder son nom de son prénom tandis que l'intimée n'est pas connue sous le nom de Soleil ou de Germaine Soleil mais de Madame Soleil, les deux mots étant toujours employés ensemble tant par elle-même que par les tiers ;
Considérant qu'il convient donc, en l'absence de toute fraude et de tout parasitisme démontrés, de réglementer l'usage professionnel du nom de l'appelante comme indiqué au dispositif ; que l'offre, insuffisamment précise formulée par Eliane Soleil quant à la présentation de son nom n'est pas satisfactoire ;
Considérant que le préjudice résultant de la confusion à ce jour sera suffisamment réparé par les publications que l'article 423.1 alinéa 2 du Code Pénal autorise la juridiction a ordonner dans tous les cas d'atteinte à la marque et par le paiement de l'indemnité de 1 F fixée par le Tribunal ;
Considérant que Madame Soleil n'ayant pas caractérisé une résistance abusive ou un abus des voies de droit il n'y a pas lieu à condamnation à payer une indemnité supplémentaire ;
Considérant que le jugement devant être réformé en tant qu'il a prononcé une interdiction d'utiliser le patronyme Soleil la demande en liquidation de l'astreinte ne sera pas examinée ;
Considérant que les frais non taxables de première instance ont été appréciés avec pertinence par le Tribunal ; qu'il est équitable que les nouveaux frais non taxables exposé devant la Cour par l'intimée soient mis à la charge de l'appelante comme ci-après ;
Considérant que la demande de l'intimée, partiellement admise, est exempte d'abus ; qu'il n'est pas inéquitable que l'appelante conserve ses frais non taxables ;
Par ces motifs : Dit que sont exclues des débats les conclusions du 29 juin 1992 et les vingt pièces communiquées selon bordereau du même jour, Confirme le jugement du 11 septembre 1990 sauf en tant qu'il a prononcé contre Eliane Soleil une interdiction d'utiliser le patronyme Soleil, réformant sur ce point, statuant à nouveau et ajoutant au jugement, Dit que pour toute utilisation professionnelle de son nom dans une publication imprimée Eliane Soleil sera tenue d'utiliser dans l'ordre son prénom, son nom accolés sur la même couleur, le nom étant immédiatement suivi au dessus, au dessous ou à côté de la photographie de l'intimée d'une surface au moins égale à 1/5 de la surface du document ou de la première page s'il en comporte plusieurs et sans que le titre Madame puisse être employé y compris sous une forme abrégée, Dit que les mêmes dispositions s'appliqueront pour les emballages des cassettes audio ou vidéo et les pochettes de disques, ainsi que pour les images apparaissant sur un écran de Minitel et pour les génériques de télévision ou de cinéma, Dit que pour toute présentation d'Eliane Soleil à la radio ou la télévision le prénom Eliane sera toujours employé immédiatement avant le nom et à l'exclusion du titre Madame, Autorise Madame Soleil à faire publier le dispositif de l'arrêt dans trois périodiques de son choix aux frais d'Eliane Soleil sans que le coût total des insertions puisse excéder 45 000 F HT., Condamne Eliane Soleil à payer à Madame Soleil la somme supplémentaire de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile devant la Cour et les dépens d'appel que la SCP Bommart Forster avoué est autorisé à recouvrer conformément à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile, Déboute les parties de toutes autres demandes.