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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 5 novembre 1992, n° 89-928

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Idex (SARL), Capelle

Défendeur :

Européenne de Négoce et de Distribution Sundis (SA), Monoprix Dimax (Sté), Techniques du Futur (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poullain

Conseillers :

MM. Bonnefont, Ancel

Avoués :

SCP Bernabé Ricard, SCP Taze Bernard Belfayol Broquet, SCP Teytaud, SCP Jobin

Avocats :

Mes Eschasseriaux, Lepoutre, Morandi, Hamel.

T. com. Paris, 1re ch., du 31 oct. 1988

31 octobre 1988

Faits et procédure de première instance

Par exploits des 17, 18 et 24 novembre 1987, la société Idex assignait la société Techniques du Futur (tectur), la société Monoprix Dimax et la société Européenne de Négoce et de Distribution (Sundis) en contrefaçon de modèle et concurrence déloyale ;

Des mesures de protection et de réparation étaient sollicitées ainsi que 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; L'acte introductif d'instance, qui se référait à des opérations de saisie-contrefaçon pratiquées les 24 et 25 octobre 1985, et le 10 février 1986, énonçait qu'Idex était titulaire des droits de reproduction et d'exploitation d'un modèle de porte-savon en fonte émaillée créé en 1978 représentant un poisson stylisé ; qu'elle avait constaté la commercialisation sur le marché français par les sociétés Tectur et Dimax d'un porte-savon en matière plastique constituant une contrefaçon de son propre modèle par une reproduction à l'identique résultant à l'évidence d'un surmoulage, l'objet incriminé ayant été importé en France par la société Sundis ;

Agissant en contrefaçon sur le fondement de la loi du 11 mars 1957, Idex, à l'appui du grief de concurrence déloyale, faisait valoir que l'emploi d'un matériau bon marché pour le porte-savon contrefaisant dévalorisait son modèle fabriqué lui, en fonte émaillée, et que son prix, très inférieur à celui qu'elle-même pratiquait, permettait un détournement de clientèle.

En cour de procédure, elle précisait tenir ses droits de Mick Nicolle, auteur des esquisses et plans d'exécution du modèle revendiqué ; Les trois défenderesses concluant au débouté, Monoprix Dimax en particulier contestait la qualité à agir de Idex faute de preuve de la titularité des droits d'auteur invoqués en vertu de la loi du 11 mars 1957. Elles demandaient le bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Le jugement critiqué

Par son jugement du 31 octobre 1988, le Tribunal de commerce de Paris a dit Idex recevable mais mal fondée en ses demandes et a invalidé les saisies-contrefaçon, les défenderesses étant de leur côté déboutées de leurs prétentions au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

L'appel

Appelante du jugement par déclaration du 29 novembre 1988, Idex concluait à son infirmation, priant la Cour de dire Sundis, Tectur et Monoprix coupables de contrefaçon de modèle au sens de la loi du 11 mars 1957 et de concurrence déloyale, de valider les saisies pratiquées, d'ordonner la confiscation et la remise à Idex de tous les exemplaires de porte-savon contrefaisant détenus par les intimées ou par des tiers pour leur compte et ce, sous astreinte de 500 F par jour de retard à compter de l'arrêt, de condamner in solidum ou dans telles proportions qu'il plaira à la Cour, les intimées au paiement de 210 000 F dommages et intérêts au titre du préjudice découlant de la contrefaçon, de condamner du chef de la concurrence déloyale Sundis au paiement de 100 000 F et chacune des sociétés Tectur et Monoprix Dimax au paiement de 10 000 F, d'ordonner la publication de l'arrêt dans 3 journaux ou revues au choix de Idex et aux frais des intimées à concurrence de 8 000 F par insertion et de condamner in solidum Sundis, Tectur et Monoprix au paiement de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Intimée, Monoprix Dimax concluait au rejet de l'appel et à la confirmation de la décision attaquée en demandant à Idex 40 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. Subsidiairement, elle priait la Cour de condamner Sundis à la garantir contre toute condamnation ;

Intimée, Tectur concluait à la confirmation du jugement, demandant à la Cour d'y ajouter en condamnant Idex à lui payer 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Subsidiairement, elle demandait à être garantie par Sundis ;

Intimée, Sundis concluait à la confirmation de la décision déférée et subsidiairement au rejet des demandes en garantie formée par Monoprix et Tectur ;

Par arrêt du 21 mars 1991, la Cour révoquait l'ordonnance de clôture et renvoyait l'affaire à la mise en état en invitant les parties à conclure de façon précise sur les conditions de création du modèle et de cession des droits d'auteur ;

Le 13 mai 1991, des conclusions étaient signifiées par Capelle, associé de la société Idex et intervenant volontaire, et par Idex ; Elles priaient la Cour de dire que Philippe Capelle est l'auteur du modèle de porte-savon en forme de poisson dont il a cédé à Idex les droits d'exploitation et de reproduction ;

Le 25 juin 1991, Tectur demandait le bénéfice de ses précédentes conclusions ;

Le 10 juillet 1991, Monoprix Dimax concluait qu'il plaise à la Cour constater l'absence de qualité d'auteur de Capelle et de preuve des droits invoqués par Idex et lui adjuger le bénéfice de ses précédentes écritures ;

Le 11 juillet 1991, Sundis concluait dans le même sens que précédemment ;

Sur ce, la Cour,

Qui se réfère au jugement et aux écritures d'appel,

Considérant que la décision déférée déboute Idex sans se prononcer sur le point de savoir si Idex peut se prévaloir d'une cession de droits consentie par Nicolle et ce, au motif que la protection de la loi du 11 mars 1957 ne saurait bénéficier à Idex faute d'originalité et de nouveauté du modèle invoqué ;

Considérant que l'arrêt du 21 mars 1991, après avoir noté dans ses motifs que Idex revendique les droits de reproduction du modèle en tant que cessionnaire de l'œuvre créée par Mick Nicolle qui a réalisé pour elle la mise au net sous forme du plan du modèle de porte-savon dont une description sous forme d'une esquisse lui avait été fournie par un dirigeant de Idex, relève, au vu des documents versés aux débats, que les croquis étaient suffisamment précis, en ce qui concerne tant la forme générale du modèle que ses moindres détails, pour que leur auteur doive être regardé comme l'auteur du modèle, ce qui exclut que la même qualité d'auteur puisse être reconnue au dessinateur qui a effectué " la mise au net du plan d'exécution ", que, du reste, si Mick Nicolle s'était considéré comme le créateur du modèle, il ne l'aurait pas vendu, avec dessin d'exécution, pour 640 F, que signataire d'une attestation où il indique avoir par la note d'honoraires cédé " tous les droits de reproduction ", il a pu se méprendre sur la portée de cette précision, que la confusion dans laquelle a été menée la discussion sur les conditions exactes de la cession éventuelle la privant de son utilité, les parties doivent conclure à nouveau et communiquer le cas échéant, toute pièce complémentaire ;

Considérant que depuis l'arrêt précité, Idex a communiqué une attestation de Philippe Capelle indiquant qu'étant alors associé de cette société dans laquelle il avait une activité de création, il a, en 1977-78, établi le croquis d'un porte-savon en forme de poisson et a fait cession à Idex de ses droits d'exploitation et de reproduction ; que par ailleurs, Capelle est intervenu volontairement dans l'instance pour affirmer conjointement avec Idex, que celle-ci tient de lui les droits dont elle se prévaut ;

Considérant que Monoprix Dimax et Sundis s'attachent dans leurs dernières écritures à mettre en évidence une contradiction entre la position actuellement prise par l'appelante, de concert avec Capelle, et ses affirmations précédentes selon lesquelles elle avait acquis des droits de Mick Nicolle, Sundis soulignant que l'intervention de Capelle venant curieusement après l'arrêt du 21 mars 1991, se trouve induite par le motif de la Cour entendant considérer comme l'auteur du modèle en cause l'auteur des croquis ensuite mis au net par Mick Nicolle ;

Considérant qu'en réplique, Idex fait à juste titre valoir que comme l'avait du reste mentionné l'arrêt prérappelé, elle avait indiqué dans ses premières écritures que " les croquis du modèle de porte-savon ont été réalisés par Monsieur Capelle associé de la société Idex " ;

Considérant qu'il s'impose de remarquer que les explications de Idex concernant le processus de création de l'œuvre litigieuse n'ont pas notablement varié en fait, la modification postérieure à l'arrêt du 21 octobre 1991 ne portant que sur la désignation du l'auteur comme suite à un réexamen en droit de la qualificatin à donner à l'apport fait par Capelle ; que l'attribution à Capelle des croquis a donc été exprimée alors qu'elle ne venait pas à l'appui de la prétention selon laquelle c'est Mick Nicolle qui avait cédé des droits à Idex ; qu'en conséquence, rien n'autorise à suspecter l'attestation et l'intervention volontaire par lesquelles Capelle revendique la création du porte-savon en cause et à mettre au compte de la complaisance le renfort ainsi apporté à l'action de Idex ;

Considérant que Sundis, qui ne conteste pas qu'une attestation suffise, à l'égard des personnes poursuivies pour contrefaçon de modèle, à établir une cession de droits patrimoniaux, croit en revanche pouvoir soutenir qu'admettre l'existence d'une cession intervenue entre Capelle et Idex serait aller contre l'aveu, qui ne peut être révoqué, contenu dans les premières écritures de Idex selon lequel les droits sur le modèle litigieux avaient été acquis de Mick Nicolle ; que ce moyen doit être rejeté car l'indivisibilité de l'aveu énoncée à l'article 1356 du Code Civile ne met pas obstacle à ce que les conventions établies par cet aveu soient interprétées par le juge dans un sens différent de celui que leur prête leur auteur, ce que précisément a fait en l'espèce l'arrêt du 21 mars 1991 en s'attachant à démontrer dans ses motifs que Mick Nicolle ne pouvait avoir cédé des droits sur un modèle dont il n'était pas l'auteur ;

Considérant qu'il suit de l'ensemble des motifs sus exposés que Idex est bien fondée à revendiquer le titularité des droits sur le modèle en cause comme les ayant acquis de Capelle ;

Considérant que si la référence aux produits de la mer susceptibles d'être stylisés pour servir d'accessoires de salle de bains, est, comme l'indique le jugement, d'une extrême banalité, il s'impose toutefois de souligner que Idex ne demande pas la protection d'un genre ou d'une idée mais celle d'un objet bien particulier qui tire sa physionomie propre de la stylisation caractérisant la forme du poisson qu'il évoque ; que force est de le constater, pas plus en appel qu'en première instance, n'est produite de pièce propre à démontrer une antériorité du modèle litigieux dont l'originalité a été à tort méconnue par le jugement ;

Considérant que protection étant due au porte-savon de Idex, il échet de noter que le caractère servile de sa reproduction n'a jamais été contesté ; que la contrefaçon est donc établie ;

Considérant que la contrefaçon a été obtenue à l'évidence par un surmoulage dont les intimés s'abstiennent d'ailleurs de disconvenir, l'emploi de ce procédé constituant un fait distinct du résultat qui en découle, la reproduction des formes à l'identique que, de surcroît, les contrefacteurs ont commercialisé un article en plastique en le représentant dans un coffret avec d'autres objets tels qu'un gant de toilette de sorte qu'il apparaît comme un accessoire offert à bas prix ; que l'appelante est par suite bien fondée à se plaindre d'un avilissement du modèle en fonte émaillée qu'elle a mis sur le marché; que l'action en concurrence déloyale doit donc être accueillie;

Considérant qu'il a lieu de prononcer les mesures de confiscation et d'interdiction sollicitées par Idex dont les demandes de dommages et intérêts sont toutefois excessives au vu des éléments d'appréciation qu'elle fournit, en particulier sur l'importance de la masse contrefaisante ; que les intimées seront condamnées au paiement des indemnités fixées au dispositif qui, d'autre part précisera les modalités de la publication de l'arrêt ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Idex les frais non taxables exposées dans l'instance ; que les intimées seront condamnées à lui verser le montant justifié indiqué ci-dessous ;

Par ces motifs: Vu l'arrêt du 21 mars 1991, Infirmant sur l'appel bien fondé de la société idex, Donne acte à Philippe Capelle de son intervention volontaire et dit qu'il est le créateur du modèle de porte-savon dont il a cédé les droits d'exploitation et de reproduction à la société Idex ; Dit Idex bien fondée en ses actions en contrefaçon de modèle et en concurrence déloyale à l'encontre des Sociétés Européennes de Négoce et de Distribution, Techniques du Futur et Monoprix Dimax ; Fait interdiction à ces sociétés, sous astreinte de 500 F par infraction constatée, de reproduire, vendre et mettre en vente le modèle contrefaisant ; Ordonne la confiscation de tous les exemplaires contrefaisants détenus par ces sociétés ou par des tiers pour leur compte et leur remise à Idex sous astreinte de 500 F par infraction constatée ; Condamné in solidum ces sociétés à payer à Idex en réparation du préjudice né de la contrefaçon une indemnité de 50 000 F avec intérêts au taux légal à compter du jour de la demande ; Condamne à payer à Idex en raison de la condurrence déloyale : - la Société Européenne de Négoce et de Distribution : 30 000 F - la Société Monoprix Dimax : 10 000 F - la Société Technique du Futur : 10 000 F et ce, avec intérêts au taux légal à dater du jour de la demande ; Ordonne la publication de l'arrêt par extraits dans deux journaux ou revues au choix de Idex et aux frais avancés in solidum des sociétés condamnées à concurrence de 8 000 F par insertion ; Condamne in solidum les trois sociétés intimées à payer à Idex en vertu l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile la somme de 10 000 F ; Dit qu'elles supporteront les dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Bernabe Ricard, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile. Et le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier.