CA Paris, 4e ch. B, 8 octobre 1992, n° 88-19586
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Auvifra (Sté)
Défendeur :
AVR (SA), Baumgartner (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poullain
Conseillers :
MM. Jacomet, Ancel
Avoués :
Me Lecharny, SCP Parmentier Hardouin
Avocats :
Mes Cojean, Porchy.
La société AVR est propriétaire de la marque " Videocase " déposée à l'INPI, le 29 décembre 1983 sous le numéro d'enregistrement 125 5645 pour les classes 9 et 18 des produits désignés " coffrets, valises pour magnétoscopes " et commercialise sous cette marque une valise comportant un moniteur professionnel associé à un lecteur vidéo 8 et 2 batteries NP1.
Ayant appris que la société Auvifra diffusait un produit identique sous la même dénomination, AVR a, par acte d'huissier du 27 octobre 1987 assigné Auvifra en contrefaçon et concurrence déloyale. Auvifra s'est opposée à cette demande et a réclamé l'annulation de la marque et l'interdiction d'utilisation de cette marque.
Le jugement a condamné, le 12 juillet 1988 Auvifra pour contrefaçon de marque à la somme de 30 000 F, a ordonné des mesures d'interdiction sous astreinte, de confiscation et de publication habituelles, et a alloué à AVR une somme de 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPCP. Elle a débouté cette dernière de sa demande en concurrence déloyale.
Auvifra a relevé appel de cette décision. Elle estime avoir utilisé la dénomination Vidéocase pour un système de vidéo dont elle est l'inventeur et qui est devenu classique, antérieurement au dépôt frauduleusement opéré par la Sté AVR. Elle demande de prononcer la nullité du dépôt du 29 décembre 1983 n° 125 56 45, dépôt qui crée une confusion selon elle avec la marque notoirement connue d'Auvifra. Subsidiairement l'appelante demande de dire inopposable à Auvifra ledit dépôt opéré en fraude de ses droits. Très subsidiairement elle demande de dire que seule la marque Vidéocase est susceptible d'être protégée mais que le système vidéo considéré : une mallette comprenant un magnétoscope 212 E complet et moniteur JVC de 13 cm et deux batteries de NP1, ne peut être interdit à la vente ni à l'exploitation par Auvifra,
Elle demande la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté AVR de sa demande en concurrence déloyale.
Elle sollicite une somme de 10 000 F de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et procédure abusive outre 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
AVR conclut le 25 avril 1990 à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré Auvifra coupable de contrefaçon en utilisant la marque " Vidéocase " et sollicite de ce chef une somme de 500 000 F. L'intimée demande l'infirmation du jugement qui a rejeté sa demande en concurrence déloyale. Elle sollicite de ce chef une somme de 400 00 F. elle demande la confirmation du jugement pour le surplus et une somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
AVR, en cours de procédure a appris qu'Auvifra avait été mise en liquidation judiciaire suivant jugement du 19 février 1990. Elle a fait assigner en reprise d'instance Maître Baumgartner en qualité de mandataire liquidateur d'Auvifra suivant acte du 10 octobre 1990.
La Cour, par arrêt avant dire droit du 10 janvier 1991, a invité les parties à s'expliquer sur l'interruption de l'instance et sa reprise éventuelle, par la justification de la production de sa créance par AVR conformément aux articles 48 de la loi du 25 janvier 1985 et 65 du décret du 27 décembre 1985.
Maître Baumgartner fait valoir qu'AVR a encouru la forculsion prévue par les articles 48 de la loi du 25 janvier 1985 et 65 du décret du 27 décembre 1985 pour n'avoir pas régularisé sa production entre les mains du mandataire liquidateur.
AVR réplique que l'article 48 de la loi du 25 janvier 1985 ne vise que les actions en paiement et qu'elle n'a pas justifier d'une quelconque production s'agissant d'une action en annulation d'une marque et en interdiction de l'utilisation de cette marque.
Sur ce LA COUR qui se réfère pour un plus ample exposé des faits et de la procédure au jugement entrepris à l'arrêt avant dire droit du 10 janvier 1991 et aux écritures d'appel,
Sur le dépôt frauduleux
Considérant que comme le précise l'appelante dans ses conclusions, selon les dispositions de l'article 4 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1964, l'annulation du dépôt d'une marque peut être obtenue si elle est susceptible de créer une confusion avec une marque notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris ;
Considérant que l'appelante soutient que le dépôt effectué par AVR le 29 décembre 1983, l'a été en fraude de ses droits, dans la mesure où Auvifra commercialisait depuis 1982, sous l'appellation " Vidéocase " une mallette comprenant un magnétoscope et un moniteur ; qu'ainsi en première instance elle a produit, pour preuve de ses dires, un tarifs de janvier 1982 portant la référence 1212 " Vidéo case Technicolor ", mallette comprenant un magnétoscope 212E complet et un moniteur JVC de 13 cm et un autre tarif de novembre 1982 contenant la référence " Vidéo cas AVF " et décrivant le même contenu ; qu'en cause d'appel, l'appelante ajoute deux autres tarifs de novembre 1982 et septembre 1983 contenant la référence " vidéocase AVF " et décrivant également le même contenu ;
Considérant que les autres tarifs produits (avril 1984, septembre 1984, novembre 1985) sont sans intérêt dès lors qu'ils concernent des tarifs correspondant à des périodes postérieures au dépôt de la marque ; que de plus les bons de commande ou factures versés aux débats en date des 29 novembre et 16 décembre 1985, 7 février et 24 septembre 1986 ne démontrent pas qu'au jour du dépôt AVR avait eu connaissance de l'utilisation du terme Vidéo case par Auvifra ;
Considérant que les documents versés, s'ils révèlent l'usage par Auvifra du terme Vidéo case antérieurement au dépôt de la marque, ne démontrent pas une importance de cet usage telle qu'il ne pouvait être à l'époque de ce dépôt, ignoré par le public ou les professionnels intéressés à ce genre d'article ; qu'Auvifra ne démontre pas non plus qu'AVR aurait été de mauvaise foi à son égard, en déposant la marque ; qu'Auvifra ne peut donc invoquer une notoriété suffisante de l'usage de la marque vidéo case pour justifier le caractère frauduleux du dépôt opéré par AVR le 29 décembre 1985 , que la demande de l'appelante tendant à l'annulation de cette marque sera donc rejetée ;
Considérant que l'appelante ne conteste pas avoir commercialisé des valises pour magnétoscopes, produits protégés par la marque " vidéo case " en utilisant cette dénomination ; que ce faisant elle a commis les actes de contrefaçon qui lui sont reprochés par la reproduction servile de la marque ; qu'à bon droit les premiers juges ont estimé devoir réparer ce préjudice par l'allocation d'une somme de 30 000 F à titre de dommages-intérêts ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que les actes de concurrence déloyale reprochés à Auvifra par AVR consistent dans la commercialisation d'un produit identique à celui commercialisé par AVR constitué par une mallette type attaché case comprenant un moniteur professionnel associé à un lecteur vidéo 8 et deux batteries NP1 de marque Sony, produits commercialisés également par la société AVR ;
Considérant que l'appelante de son côté reproche également des faits de concurrence déloyale à AVR ;
Considérant qu'il résulte des factures et des tarifs versés aux débats qu'Auvifra a commercialisé ladite mallette à partir de janvier 1982 soit antérieurement au dépôt de la marque par AVR ; que l'intimée en effet ne verse aux débats aucun document, aucune facture, qui prouverait qu'elle a commercialisé sa mallette antérieurement au 29 décembre 1983,
Considérant que c'est donc AVR qui a offert son produit à la vente sous une représentation identique à celle déjà utilisée par son concurrent ; qu'un tel fait qui constitue au moins une faute d'imprudence pour n'avoir pas vérifié que cette présentation était déjà utilisée par un concurrent a créé une confusion au préjudice d'Auvifra, la clientèle étant amenée à penser qu'il s'agissait de son produit; que par suite AVR s'est rendue coupable de concurrence déloyale à son égard et devra l'en indemniser ; que la Cour dispose d'éléments lui permettant d'évaluer le préjudice d'Auvifra à 20 000 F.
Sur les autres demandes
Considérant qu'il est demandé par AVR l'interdiction de l'usage de la dénomination vidéo case qui constitue sa marque ; que cette demande est fondée et qu'il y a lieu d'y faire droit ; qu'elle demande également qu'il soit interdit à Auvifra de commercialiser le produit sous la forme de la mallette ci avant décrite ; que cette demande n'est pas fondée dès lors que la présentation qui prête à confusion entre les deux produits a été utilisée en premier lieu par Auvifra ; que le jugement sera donc réformé en tant qu'il a fait droit à cette seconde interdiction ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu non plus de faire droit aux autres demandes de confirmation et de publication, qu'en équité chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles.
Sur la forclusion
Considérant que la Cour dans son arrêt avant dire droit du 10 janvier 1991 a invité les parties à s'expliquer sur l'interruption de l'instance et sa reprise éventuelle par la justification de la production de sa créance par AVR, conformément aux articles 48 de la loi du 25 janvier 1985 et 65 du décret du 27 décembre 1985,
Considérant que l'instance introduite par la société AVR avait pour objet principal une demande en confiscation de produits contrefaisants et de documents commerciaux offrant en vente ces produits ainsi qu'une demande en interdiction de détenir et de vendre sous astreinte lesdits produits ; que l'article 48 de la loi du 25 janvier 1985 ne vise que les actions en paiement ; qu'il en résulte qu'AVR sur cette demande principale n'avait pas à justifier d'une production ; que cependant AVR a obtenu la condamnation d'Auvifra à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts (30 000 + 5000 + 4 000 F = 39 000 F) ; que sur ces condamnations, AVR aurait dû, comme l'y invitait l'arrêt avant dire droit, justifier avoir produit entre les mains de Maître Baumgartner, ce qu'elle n'a pas fait, qu'il sera donc constaté sa forclusion de ce chef ;
Considérant que chaque partie succombant dans l'une de ses demandes, il convient de partager les dépens en laissant à chacun la charge de ceux qu'il a engagés tant en première instance qu'en appel,
Par ces motifs : Constate la forclusion encourue par la société AVR du chef de ses demandes en paiement, Réforme le jugement du chef de la concurrence déloyale, Statuant à nouveau : Dit que la société AVR s'est rendu coupable d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Auvifra, Condamne la société AVR à payer à Maître Baumgartner ès qualités la somme de vingt mille (20 000) francs de ce chef, Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré AVR bien fondée en sa demande de contrefaçon de la marque vidéocase n° 1255645, et en ce qu'il a ordonné la confiscation et la remise à AVR de tous documents commerciaux portant la marque vidéocase ainsi que celle des produits revêtus de ladite marque, interdit sous astreinte à Auvifra tout usage de cette marque à compter d'un mois après signification du jugement, Le réforme pour le surplus, Statuant à nouveau : Rejette la demande d'AVR tendant à interdire à Auvifra l'usage commercial de la mallette décrite au présent arrêt ; Rejette le surplus des demandes, dit notamment n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC, Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.