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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 1 octobre 1992, n° 90-017636

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Poloco (SA)

Défendeur :

Department Store (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poullain

Conseillers :

M. Ancel, M. Jacomet

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Bernabe, Ricard.

Avocats :

Me Cammarata, Me Messika

T. com. Paris, du 30 mai 1990

30 mai 1990

LA COUR : - La SA Poloco (Poloco) distribue en gros les vêtements d'hommes et enfants de la marque Ralph Lauren et présente aux détaillants les vêtements de femme et accessoires portant la même marque. Dont la fourniture est assurée par le sociétés Ritz et Ascott.

En 1988, la SA Department Store (Department Store) a agencé son magasin sis rue de Passy en vue du commerce de détail de vêtements de la marque Ralph Lauren. Elle a vendu des articles correspondants des collections hiver 1988 et printemps été 1989.

Elle a sélectionné, dans les locaux de Poloco, le 17 février 1989 (ordre n° 301143) et 21 février 1989 (ordre 301763), divers articles correspondant à la collection hiver 1989 pour hommes et, le 5 avril 1989 (ordre 300768), divers produits de la même collection pour enfants.

Les relations commerciales qui avaient déjà été difficiles en 1988 se sont altérées à partir d'avril 1989. Par lettre du 14 avril 1988, Poloco a écrit à Department Store : " suite à notre entretien du 12 avril 1989... j'ai pris bonne note de votre intention de cesser toute activité avec Polo Ralph Lauren et ceci à compter de la saison prochaine. Ainsi que vous me l'avez demandé, j'ai procédé à l'annulation de toutes les commandes à venir ".

Par lettre en date du 19 avril 1989, Department Store, après s'être référée à des différents antérieurs a protesté qu'il n'avait jamais été question de cesser purement et simplement toute activité avec Polo Ralph Lauren. La lettre de Poloco a indiqué notamment : " qu'eu égard à l'important investissement effectué pour la distribution de votre marque " pour procéder à l'annulation de toutes les commandes en cours ou à venir Poloco aurait dû s'engager à reprendre l'intégralité du stock et à lui rembourser les frais d'agencement et de décoration effectués selon ses exigences pour la distribution de ses produits, soit environ 1,15 millions de francs HT.

A la suite de cet échange de lettres Poloco n'a plus livré aucun article à Department Store tandis que, courant juillet 1989, Ritz International lui fournissait divers articles de collection femme ;

Par trois lettres du 13 juillet 1989 Department Store, se référant à des contacts antérieurs restés sans succès, demandait un rendez-vous " si possible avant le 30 juillet 1989 " à Poloco pour les collections hommes, femmes, enfants, croisière et printemps été 1989-1990 ". Elle ne recevait aucune réponse ;

Par arrêt en date du 13 novembre 1989, la Cour d'appel, statuant en référé, confirmait l'ordonnance rendue le 2 août 1989 par le Président du Tribunal de commerce ordonnant la livraison des commandes, objet des bons 30143 du 17 février 1989, 301603 du 21 février 1989 et 300768 du 5 avril 1989, sous astreinte de 5.000 F par jour de retard et l'émendait en fixant le point de départ de l'astreinte au " 1er octobre 1989 " date prévue pour la livraison ".

Par procès-verbal d'huissier du 14 novembre 1989, Poloco faisait constater qu'était apposée sur la vitrine du magasin Department Store une banderole de large dimension sur laquelle on pouvait lire " vente à prix discount de polos hommes, femmes et enfants de la marque Ralph Lauren - 20 % à 50 % avant transformation. 20 % 50 % soldes "

Deux autres constats en date du 11 janvier 1990 et 23 février 1990 établissaient que Department Store ne bénéficiait pas de l'autorité municipale prévue pour ces soldes et qu'elle vendait des articles d'autres marques ;

Par arrêt en date du 27 mars 1992, la Cour d'appel a confirmé le jugement par lequel le tribunal correctionnel de Paris avait, le 9 octobre 1991, condamné Alain Tordjman gérant de la société Department Store du chef de vente en solde de marchandises sans autorisation municipale et l'a infirmé en ce qu'il avait condamné Tordjman du chef de publicité fausse ou de nature à induire en erreur et a débouté Poloco de sa demande de dommages-intérêts au motif qu'elle n'avait pas justifié d'un préjudice résultant directement des agissements retenus à la charge de Tordjman.

Le 17 janvier 1990 Department Store a assigné Poloco devant le tribunal de commerce de Paris pour faire sanctionner la violation de ses obligations contractuelles.

Poloco a formé des demandes reconventionnelles pour concurrence déloyales.

Le tribunal de commerce, par jugement en date du 30 mai 1990 a dit les commandes passées par Department Store pour les collections hommes et enfants de la saison hiver 1989 valables, dit la société Department Store partiellement fondée en sa demande d'indemnisation pour refus de livraisons, condamné Poloco à payer à Department Store la somme de 621.000 F à titre de dommages-intérêts légaux à compter du jugement et 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, sursis à statuer sur les demandes de Poloco liées à la plainte pénale et rejeté les autres demandes.

Par acte en date du 25 juillet 1990, Poloco a interjeté appel.

Elle demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée pour violation d'obligations contractuelles et refus de vente et sa confirmation en ce qu'il a rejeté comme non fondées certaines demandes d'indemnisation de Department Store.

Elle sollicite la condamnation de cette société à lui payer 200.000 F pour utilisation " déceptive et dépréciative " de la marque Ralph Lauren, 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC. Elle réclame en outre la restitution de la somme de 621.000 F qu'elle a versée au titre de l'exécution provisoire, avec intérêts de droit à compter du 4 septembre 1990 et la condamnation de Department Store aux dépens où seront compris les constats d'huissier des 14 novembre 1989 et 11 janvier 1990.

Department Store demande l'infirmation du jugement en ce qu'il n'a pas tiré toutes les conséquences pour évaluer son préjudice des condamnations qu'il a prononcées. Elle réclame la condamnation de Poloco a lui payer 6.732.500 F à titre de dommages-intérêts pour violation d'obligations contractuelles et refus de vente, 99.630,69 F au titre des sommes qui lui restent dues et 80.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, la publication de l'arrêt dans trois journaux de son choix aux frais de la société Poloco et le rejet de la demande reconventionnelle.

Sur ce,

Considérant que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il sera référé au jugement et aux écritures d'appel.

Considérant que Department Store soutient qu'elle bénéficiait d'un accord de distribution avec Poloco pour les articles de la marque Ralph Lauren et auxquelles a effectué des dépenses importantes pour que son magasin de la rue de Passy soit agencé conformément aux exigences de Poloco qui avait accepté de lui fournir des produits Ralph Lauren pendant deux années consécutives.

Considérant que Department Store ne justifie d'aucun contrat écrit avec Poloco par lequel cette société aurait consenti à lui accorder la distribution au détail d'articles de la marque Ralph Lauren ;

Considérant que si Department Store a procédé à l'agencement d'une partie de son magasin pour la distribution des articles de la marque Ralph Lauren il ne ressort d'aucun élément que Poloco le lui ait imposé ;

Considérant que la circonstance que Poloco ait entretenu des relations contractuelles avec Department Store en 1988 et jusqu'au mois d'avril 1989, et lui avait livré des commandes importantes en 1988, ne suffit pas à établir un accord de distribution qui aurait obligé Department Store à procéder à des aménagements coûteux et aurait comporté, en contrepartie, pour Poloco, des engagements de durée des relations avec des conditions favorables pour les paiements ou pour la reprise des invendus ; que de telles conditions résultent, normalement, de documents écrits définissant les conditions de l'équilibre contractuel ;

Considérant qu'ainsi, à défaut d'écrits autres que les bons de commande et les factures, les relations entre les deux parties sont restées informelles et que Department Store a agencé une partie de son magasin de manière spécifique pour distribuer des articles de la marque Ralph Lauren à ses propres risques et passé des commandes à Poloco sans garantie de sérénité ;

Considérant que Department Store soutient qu'elle a commandé des articles de la collection femme pour une livraison échelonnée entre le 30 juin 1989 et le 30 septembre 1989 ;

Qu'il n'est pas contesté que Poloco présentait les articles de cette collection qui étaient distribués en France pour une société italienne " Ritz International " ;

Considérant que Department Store a admis qu'elle avait été livrée partiellement ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que les bons de commande étaient remplis sur des documents émanant de Ritz International et que certaines livraisons ont été effectuées en juin et en juillet 1988 par cette même société ;

Considérant que Department store est donc mal fondée à reprocher à Poloco de ne lui avoir pas livré les articles de la collection femme, les relations, à cet égard, étant établies directement entre Department Store et Ritz International, même si les bons de commande étaient remplis dans les magasins de Poloco, société à laquelle Department Store n'a jamais reproché de n'avoir pas transmis l'intégralité des commandes à Ritz International.

Considérant par suite qu'il y a lieu de rejeter la demande de Department Store en ce qui concerne le défaut de livraison de commandes de la collection femmes ;

Considérant que Department Store reproche à Poloco de ne pas avoir donné suite à trois commandes qu'elle lui avait adressées le 17 février 1989 (ordre 301143) le 21 février 1989 (ordre 301603) le 5 avril 1989 (ordre 300768).

Considérant que le document intitulé ordre 301 143 est daté du 17 février 1989 ; que, s'il comprend certaines mentions en langues anglaise que la Cour ne peut connaître faute de traduction, il comporte aussi la mention " homme 942 pièces " ; qu'il n'a pas été contesté que cet " ordre " se référait à un tel montant d'articles de la collection Ralph Lauren ; que l'ordre était rédigé sans en-tête de " Polo Ralph Lauren " et portait pour adresse de livraison " Department Store " ; que ce document se présente comme une liste de 987 articles à commander ; que cependant certaines références sont suivies de la mention " à annuler " ; que si l'on déduit ces articles on trouve le chiffre de 951 articles, proche de celui de 942 ; que ce document est affecté de corrections et que l'on peut donc admettre que le chiffre de " 942 articles " correspond à celui finalement retenu par son rédacteur ;

Considérant qu'il est versé aux débats " deux ordres ", l'un portant le n° 301603, daté du 21 février 1989, l'autre portant le n° 300768 daté du 5 avril 1988 ; qu'il s'agit de documents du même type que celui précédemment analysé ; que le nom de l'acheteur était dans les deux cas " Madame Tordjman ", le vendeur étant désigné par les initiales VS ; que la date de livraison était pour le premier du " 20 août au 30 septembre " mention suivie de l'indication portée au crayon " juillet " ; que pour le second, cette date était " juillet " ; que le lieu de livraison était Department Store ; que sur le premier ordre on peut lire la mention " Kids ", terme de la langue anglaise dont les parties se sont accordée à l'audience pour dire qu'il désigne des vêtements d'enfants ; que sur le second, on peut lire la mention : " enfants 3531 pièces " ;

Considérant que le document du 21 février 1989 se réfère à 235 pièces, tandis que le second se réfère à 351 pièces ; que sur le premier on peut lire la mention à annuler pour les références 11314 (16 articles) 10400 (8 articles) 14103 (4 articles) 11534 (4 articles) 14503 (4 articles) ; que sur le second document ces articles ne figurent plus ; que de la même manière le second ordre tient compte des nombreuses corrections apportées aux quantités ; que les quantités d'articles figurant sur l'ordre 300768 sont exactement les mêmes que celles de l'ordre 30163 après élimination des articles " à annuler ", la seule différence étant relative à deux références ajoutées et se rapportant à un faible nombre d'articles ;

Considérant qu'ainsi compte tenu de l'identité presque totale de ces deux ordres il apparaît clairement que l'intention commune des parties a bien été, comme le dit Poloco, de substituer le second au premier ; qu'on notera d'ailleurs que Department Store s'est abstenue de répondre à l'argumentation pourtant très détaillée sur ce point de la Sté Poloco ;

Considérant par suite, que Department Store n'a justifié en toute hypothèse avoir passé à Poloco que deux commandes non satisfaites, l'une le document n° 301143, l'autre le document 300768 pour des articles hommes et enfants ;

Considérant que Poloco soutient que ces ordres ne pouvaient pas constituer des commandes, mais seulement des projets de commandes ; qu'elle se réfère à cet égard aux conditions générales de vente qui figuraient au verso de la première page ;

Considérant qu'il est constant que les conditions générales de vente figurant au verso de " l'ordre " n° 301143 et 300768 énoncent notamment que toute demande de livraison doit faire l'objet d'un bon de commande revêtu de la signature et du cachet commercial du client et que chaque bon de commande pour livraison à terme donne lieu à l'établissement par la direction commerciale d'un accusé de réception de commande qui seul vaut confirmation de l'ordre ;

Considérant que les ordres litigieux ne sont pas signés par Department Store, qu'ils ne portent pas le cachet commercial de cette société et que Poloco n'a adressé à Department Store aucun accusé de réception ;

Considérant que Poloco n'a justifié, de manière générale, elle exigeait de ses clients le respect strict des conditions générales de vente, ce qui aurait été aisé à faire en produisant des bons de commande respectant exactement les formalités indiquées par les mentions portées au verso ;

Considérant que Department Store a produit aux débats différents ordres du 22 juin 1988 pour la collection hommes, Automne 1988, du 26 septembre 1988 pour la collection enfant du printemps 1989 à livrer entre le 28 février et le 15 avril 1989, du 28 septembre 1989 pour la collection hommes printemps 1989 à livrer en février et mars 1989 ; que ces " ordres " ne comportent ni la signature de Department Store, ni le cachet commercial de cette société et n'ont fait l'objet d'aucun accusé de réception de la part de Poloco, alors que le bons portent au verso de la première page les mêmes conditions générales de vente que les ordres 301143 et 300748 ;

Considérant que Poloco n'en a pas moins livré les articles figurant sur les ordres précités du 22 juin 1988 et 28 septembre 1988 ; qu'elle n'a à aucun moment demandé une régularisation ni prétendu qu'il ne s'agissait pas de commandes, les documents n'étant pas conformes aux conditions générales de vente, alors qu'à cette époque Department Store était un nouveau client à l'égard de qui elle aurait été fondée à exiger un engagement d'achat répondant exactement aux conditions générales de vente ;

Considérant que la circonstance que Poloco ait accepté pendant deux saisons successives de la livrer en quantités importantes à partir de telles commandes autorisait Department Store à croire que les formalités prévues par les conditions générales de vente n'étaient pas essentielles et qu'elle serait normalement livrée bien que n'ayant pas signé le bon de commande, porté son cachet commercial et reçu un accord de réception de Poloco ;

Considérant que Department Store était d'autant moins portée à s'attendre à une contestation sur ce point, qu'il résulte des documents versés aux débats qu'elle avait finalement choisi sur une liste les articles qu'elle désirait commander avant de modifications ainsi qu'en attestent les corrections, voir les annulations portées sur les " ordres " qui établissent que des contacts s'étaient maintenus pour aboutir à une commande devant donner satisfaction aux deux parties, l'ordre n° 300768 du 5 avril 1989 résultant de la modification d'un ordre de février 1989 ;

Considérant qu'à tout le moins, si la Sté Poloco avait estimé que la commande n'était pas régulière en l'absence des mentions précitées et d'un accusé de réception émanant d'elle-même, il lui appartenait, compte tenu de la pratique antérieurement, d'en informer de manière précise et dans un délai raisonnable Department Store, pour qu'elle régularise ses commandes ; qu'elle n'en a rien fait ;

Considérant par suite que Department Store était fondée à estimer qu'il serait donné suite aux ordres 301143 et 300768 qui devraient être reçus comme des commandes et non considérés comme de simple pourparlers en vue de commandes ;

Considérant que dans sa lettre du 14 avril 1988, Poloco indique qu'elle annulait conformément à la demande de Department Store les commandes à venir ;

Que dans sa lettre elle se réfère à un entretien du 12 avril 1988 sur lequel elle ne fournit aucune précision ; que Department Store a immédiatement constaté avoir demandé à cesser ses relations avec Poloco ; que l'expression " annuler les commandes à venir " était pour le moins imprécise ; que Department Store était conduite, dès lors, à penser que n'étaient pas remise en cause les commandes antérieures résultant des ordres 301143 et 300768,

Considérant qu'il résulte de ces faits que Poloco avait de façon non équivoque renoncé à exiger le respect strict des conditions générales sur les points précités, que par suite les ordres litigieux constituaient des commandes régulières ;

Considérant que Poloco invoque, pour justifier son refus d'exécuter les commandes litigieuses les dispositions de l'ordonnance du 31 décembre 1986 en prétendant que les demandes formées par Department Store avaient un caractère anormal, que celle-ci était de mauvaise foi et pratiquait des méthodes commerciales non conformes aux usages du commerce ;

Considérant que, en application de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant, industriel et artisan... de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de service, lorsque les demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu'elle sont faites de bonne foi et que le refus n'est pas justifié par les dispositions de l'article 10 ;

Considérant que Poloco n'a pas invoqué l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant qu'elle prétend que la demande de Department Store présentait un caractère anormal en raison des difficultés de règlement de commandes antérieures ;

Considérant qu'il résulte des conditions générales de paiement figurant au verso des ordres litigieux, que le paiement est net de tous frais d'agios à 60 jours et le mois, que le paiement comptant bénéficie d'un escompte de 2% ;

Considérant que Poloco soutient que Department Store avait annoncé, en novembre 1988, l'envoi de deux traites assorties d'une garantie bancaire, alors qu'en définitive seule une traite aurait été expédiée, et de surcroît sans garantie ; qu'à l'appui de cette affirmation, elle produit un télex du 25 novembre 1988 ;

Considérant que ce télex rédigé en langue étrangère et non accompagné de traduction ne saurait être pris en considération par la Cour ; que le grief ne saurait donc être retenu ;

Considérant que Poloco soutient également que Department Store s'est efforcée d'obtenir des conditions de paiement plus favorables ;

Considérant qu'il résulte d'un échange de télex entre le 6 et 13 mars 1989 que Department Store a tenté d'imposer à Poloco pour le règlement de fournitures de la saison été 1989 un paiement pour moitié à 90 jours et moitié à 120 jours et a fait état d'une assurance crédit de 250.000 F alors que celle-ci n'était en réalité que de 200.000 F ;

Considérant cependant que la tentative par un client d'obtenir des conditions de paiement plus favorables n'est pas en elle-même une attitude anormale, alors qu'il n'est pas contesté que les commandes passées par Department Store étaient importantes ; que le seul fait de prétendre avoir une assurance crédit de 250.000 F au lieu de 200.000 F, ce qui ne pouvait, en l'espèce, tromper Poloco, ne saurait établir la mauvaise foi de Department Store, au sens de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant d'ailleurs que si Poloco avait estimé la demande de Poloco anormale et faite de mauvaise foi, elle n'aurait dû le lui notifier rapidement au lieu de la laisser remplacer la commande du 21 décembre 1989 par une nouvelle commande du 5 avril 1989 ;

Considérant que Poloco reproche à Department Store de correspondre par des lettres recommandées comportant des menaces, des réserves inacceptables et des accusations exclusives de relations normales, mais en dehors des échanges de télex des mois de mars 1989 et des lettres du mois d'avril 1989 relatives à la rupture des relations commerciales, Poloco n'a pas fourni sur ce point de document précis ; que ces télex qui attestent une dégradation des relations des parties, n'autorisaient pas pour autant Poloco à ne pas exécuter des commandes régulièrement passées et liant contractuellement les parties.

Considérant que Poloco reproche à Department Store d'avoir délivré une assignation le 26 juillet 1989 alors que par une lettre du 13 juillet 1989, elle avait fixé elle-même un rendez-vous avant une date limite du 30 juillet 1989 ;

Considérant cependant que la lettre tendait à obtenir un rendez-vous pour les collections printemps été 1989-1990, alors que l'assignation se référait aux livraisons de commandes se rapportant à des articles des collections hiver 1989 ; qu'ainsi la lettre et l'assignation n'avaient pas le même objet ;

Considérant qu'on ne saurait reprocher à Department Store d'avoir tenté d'obtenir la livraison de commandes y compris par la voie judiciaire alors que, passé un certain délai, ce que Poloco n'ignorait pas, elle risquait de n'être pas en mesure de fournir ses propres clients, faute d'avoir été livrée à temps, les achats de collections avait lieu habituellement six mois auparavant ;

Considérant qu'ainsi Poloco n'a établi aucun élément pouvant justifier la non livraison des articles objets des commandes 301143 et 300768 ;

Considérant qu'il a été statué définitivement par un arrêt rendu le 27 mars 1992 sur le faits objet de la plaine pénale déposée par Poloco ; que les parties ont conclu dans la présente procédure au vu de cet arrêt et formé des demandes s'appuyant sur les dispositions de cet arrêt ; qu'elles ont ainsi implicitement demandé l'évocation des chefs de demande sur lequel le tribunal avait sursis à statuer ;

Considérant que le fait pour Department Store d'annoncer des soldes importantes pour les collections Ralph Lauren sans avoir obtenu l'autorisation administrative nécessaire constitue une pratique anormale ; que ce fait d'ailleurs a été constaté par huissier le 14 novembre 1989 ; qu'il a été réprimé par la juridiction pénale ; qu'il constituait un agissements de concurrence déloyale dès lors que Department Store pratiquait des soldes, avec rabais de prix de 20 à 50 % dans le 16ème arrondissement, rue de Passy, alors que dans le même temps Poloco commercialisait des vêtements de la même marque avenue Montaigne ; qu'un tel fait incitait la clientèle à se diriger de préférence vers le magasin de Department Store, la distance séparant les deux établissements étant au demeurant relativement faible ; que ce n'est pas l'irrégularité administrative de ces soldes qui a causé un préjudice à Poloco, mais cette pratique de soldes en raison des ventes dans les conditions de prix et de proximité rappelées ;

Considérant qu'un tel fait, par sa gravité, justifiait Poloco à ne plus fournir Department Store et à mettre fin à leurs relations commerciales, sans qu'il puisse lui être reproché d'avoir porté atteinte aux dispositions de l'article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et commis un refus de vente illicite mais que cette justification, sur le fondement de faits commis en novembre 1989, ne saurait être valable pour les livraisons qui étaient dues pour juillet de la même année ;

Considérant que le fait de publicité consistant à avoir justifié les soldes par l'annonce de travaux, sans avoir démontré que de tels travaux devaient être effectués, n'a pas été établi ; qu'en effet, la Cour d'appel de Paris, statuant en matière pénale, a rejeté ce grief ; que cette décision pénale s'impose au juge civil ;

Considérant que le préjudice de Department Store est constitué par les gains manqués sur les ventes qu'elle aurait pu effectuer si elle avait été livrée et des commandes dues pour juillet 1989 et par la perte de la clientèle qui, faute d'articles Ralph Lauren des collections non livrées chez Department Store, a définitivement abandonné cette boutique ;

Considérant qu'au vu des éléments produits aux débats et notamment du fait que Department Store était amenée à vendre en solde une part des articles Ralph Lauren dont elle était fournie, le bénéfice perdu ne saurait être évalué qu'à une somme égale au montant de la valeur d'achat desdits articles des commandes 301143 et 301768, de 346.346 F ;

Considérant que par lettres du 13 juillet 1989 Department Store a demandé un rendez-vous si possible avant le 30 juillet 1989, pour la collection homme, femme, enfant, " croisière " et " printemps été " 1989-1990 ; que si cette lettre est demeurée sans réponse, Department Store n'a justifié avoir formulé aucune réclamation, ni formé aucune commande pour les dites collections ; qu'elle n'a pas non plus indiqué à quelle date les articles de ces collections auraient dû lui être livrés ; que sur tous ces points, l'argumentation de Department Store est imprécise et n'établit aucun préjudice.

Considérant que les fautes constatées par huissier le 14 novembre 1989 constituant des actes de concurrence déloyale dont l'effet a été amplifié par l'utilisation à cette occasion de la marque Ralph Lauren justifiaient, à compter de cette date, les refus de livraison de Poloco ; que dès lors, Department Store ne justifie d'aucun préjudice indemnisable pour non livraison d'articles de collections postérieures à celles d'hiver 1989 ; que toute indemnisation de ce chef sera rejetée ;

Considérant de même que Department Store ne saurait demander réparation du fait que la rupture des relations imposées par Poloco a réduit à néant ses efforts de deux années, dégradé sa position sur le marché et atteint sa réputation auprès des autres fournisseurs puisque, précosément, cette rupture de relations était justifiée à compter du 14 novembre 1989.

Considérant, en conséquence que comme le souligne à juste titre Poloco il résulte du constat d'huissier du 14 novembre 1989 que Department Store commercialisait d'autres marques que celles de Ralph Lauren et qu'elle a pu, par ses ventes d'articles d'autres marques compenser, au moins pour partie, le bénéfice manqué sur les articles Ralph Lauren qui auraient dû lui être livrés en juillet 1989 ; qu'il convient d'évaluer la vente pour perte de bénéfices à 300.000 F.

Considérant que la préjudice subi de perte de clientèle à la suite du défaut de livraison sera exactement réparé par l'allocation de 60.000 F de dommages-intérêts ;

Considérant que Department Store soutient qu'elle bénéficiait auprès de Poloco de différents avoirs d'un montant de 99.630,69 F que celle-ci n'aurait pas contesté ;

Considérant cependant que Department Store n'a fourni pour justifier ces avoirs que des documents émanant d'elle-même ; qu'il ne résulte d'aucune pièce versée aux débats que Poloco ait reconnu être redevable de ces avoirs ; que dans ses écritures d'appel, elle l'a encore contestée ;

Considérant qu'ainsi cette demande sera rejetée ;

Considérant que Department Store a maintenu en appel sa demande tendant à obtenir une somme de 460.000 F au titre de frais d'agencement de son magasin pour qu'il correspondre aux exigences imposées par Poloco pour la distribution de la marque Ralph Lauren, agencements qui n'offriraient plus d'utilité dès lors que Poloco refuse de la livrer en articles de cette marque ;

Considérant que le Tribunal a rejeté cette demande par des motifs exacts contre lesquels Department Store n'a développé en appel aucune argumentation nouvelle ;

Considérant qu'il y a lieu de constater que Department Store a expressément renoncé, dans ses conclusions d'appel, aux demandes qu'elle avait formées devant le Tribunal relatives à l'acquisition d'un logement et aux dépenses de publicité spécifiques à la marque Ralph Lauren ;

Considérant que Poloco réclame une somme de 200.000 F en raison des soldes irréguliers auxquels a procédé Department Store ;

Considérant qu'il résulte du jugement et de l'arrêt rendus dans la procédure pénale que Poloco avait déjà demandé cette somme devant la juridiction répressive ;

Considérant que la Cour statuant en matière correctionnelle a rejeté cette demande en précisant Poloco ne justifiait pas d'un préjudice résultant directement de l'infraction de vente au déballage sans autorisation de vente de marchandises ne figurant pas dans l'inventaire.

Considérant cependant que dans la présente instance, Poloco forme sa demande sur un autre fondement ;

Qu'elle estime que les agissements commis en procédant à des soldes hors saison constituent un acte de concurrence déloyale, en ce qu'ils ont détourné une clientèle qui pouvait être attirée par des soldes importants, même s'il s'agissait d'articles appartenant à des collections antérieures ;

Considérant que l'action de Poloco qui a un fondement juridique différent est dès lors recevable ;

Considérant que le fait de procéder à des soldes hors saison constitue un acte de concurrence déloyale qui engage la responsabilité de son auteur, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil;qu'en l'espèce, ainsi qu'il a déjà été relevé, les magasins des sociétés Department Store et Poloco étaient relativement proches ; qu'une part de la clientèle de Poloco a été attirée vers le magasin de Department Store à raison des rabais de 20 à 50 % sur des articles de la même marque utilisée pour les attirer en étant portée sur la banderole ;

Considérant que Poloco avait déjà procédé à des soldes au mois de juin 1989 et que d'autre part les soldes de Department Store ont été très limitées dans le temps ;

Que la Cour dispose d'éléments suffisant pour fixer à 60.000 F le préjudice subi de ce chef par Poloco ; que Department Store sera donc condamnée à lui payer cette somme ;

Considérant que Poloco avait demandé devant le juridiction répressive une indemnisation pour atteinte à sa marque ; que la Cour qui n'était saisie d'aucune infraction de ce chef ne pouvait que rejeter une telle demande ;

Considérant que dans la présente instance Poloco a sollicité une somme de 200.000 F pour atteinte à la notoriété de la marque Ralph Lauren par des actes de concurrence déloyale distincts de la contrefaçon ; qu'elle a reproché à Department Store d'avoir reproduit cette marque sur une banderole à l'occasion de soldes hors saison et de l'avoir ainsi utilisée à des fins non autorisées ;

Considérant que, si Poloco qui n'est pas titulaire de la marque ne peut agir en usurpation de la marque sur le fondement de la loi sur les marques qu'au côté du titulaire de la marque, elle peut agir seule au titre de la concurrence déloyale ;

Considérant que ces faits ont été pris en compte dans l'évaluation du préjudice de concurrence déloyale, apprécié pour le tout à 60.000 F ; qu'il n'y a pas lieu de les indemniser à un autre titre ;

Considérant qu'il y a lieu d'ordonner la compensation entre les sommes que chacune des parties a été condamnée à payer à l'autre ; que s'agissant dans les deux cas de condamnations à titre de dommages-intérêts, les sommes allouées ne doivent porter intérêt au taux légal qu'à compter du présent arrêt ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que Poloco a versé la somme de 621.000 F à Department Store au titre de l'exécution provisoire le 4 septembre 19901 ; qu'elle sollicite le remboursement de cette somme avec intérêts légaux à compter du 4 septembre 1990 : qu'il convient de faire droit à cette demande en ne faisant partir les intérêts que du jour où la réclamation du remboursement a été formée par conclusions ;

Considérant qu'il y a lieu également d'ordonner la compensation de cette somme avec celle que Department Store a été condamnée à payer à Poloco ;

Considérant qu'à raison des fautes commises par chacune des parties il n'y a pas lieu d'ordonner la publicité demandée par Department Store ;

Considérant que l'équité ne commande pas d'allouer en appel aux parties une quelconque somme au titre de l'article 700 du NCPC ;

Considérant qu'il y a lieu de condamner Poloco aux entiers dépens d'appel, les fautes commises par cette dernière étant à l'origine de la présente procédure ;

Par ces motifs : confirme le jugement en ce qu'il a retenu la faute de Poloco pour non livraison à Department Store des commandes 301143 et 300768, rejeté ses demandes pour non livraison des articles de la collection femme et en paiement d'une somme de 99.630,09 F, alloué à Department Store 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau, le réformant et y ajoutant, Constate qu'il a été statué définitivement sur la plainte pénale déposée par Poloco et qu'il y a lieu à évocation des demandes sur lesquelles le jugement a sursis à statuer, Condamne Poloco à payer Department Store les sommes de 300.000 F et 60.000 F avec intérêts légaux à compter du présent arrêt ; Condamne Department Store à rembourser à Poloco la somme de 621.000 F avec intérêts légaux à compter du 4 septembre 1990 et à payer à cette société la somme de 60.000 F avec intérêts légaux à compter du présent arrêt ; Ordonne la compensation entre ces différentes sommes ; Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires, y compris les demandes formées au titre de l'article 700 du NCPC en appel ; Condamne Poloco aux entiers dépens d'appel. Admet la SCP d'avoués Bernabe et Ricard au bénéfice de l'article 699 du NCPC.