CA Orléans, ch. civ. sect. 1, 30 septembre 1992, n° 1864-91
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dominice (SA)
Défendeur :
Dardonville
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lardennois
Conseillers :
M. André, Mmes Martin-Pigalle, Cherbonnel
Avoués :
Mes Laval, Parrain
Avocats :
Mes Evrard, Piastra.
LA COUR
Statuant sur l'appel régulièrement formé par la société Dominice d'un jugement rendu le 7 juin 1991 par le tribunal de commerce de Montargis qui l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée à payer à Gérard Dardonville la somme de 4 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Gérard Dardonville employé depuis le 27 décembre 1977 d'abord comma magasinier puis en qualité d'agent technico-commercial à la société Dominice exploitante d'un fonds de commerce de vente, réparation de pneumatiques et de produits caoutchouc a donné sa démission le 27 juin 1900 pour le 28 août suivant.
Le 1er septembre 1990 il a commencé en son nom propre une activité de négoce de caoutchouc industriel et produits techniques.
Suivant acte du 16 janvier 1991 la société Dominice lui reprochant des actes de concurrence déloyale l'a fait assigner en dommages intérêts. Sur quoi a été rendue la décision déférée.
Devant la cour la société Dominice conclut à l'infirmation de ce jugement et à la condamnation de Monsieur Dardonville à lui payer la somme de 1 732 500 F à titre de dommages intérêts. Subsdiairement elle sollicite une expertise et l'allocation d'une provision de 1 000 000 F et en toute hypothèse 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La Société Dominice reproche à monsieur Dardonville des actes de concurrence déloyale à savoir :
- le dénigrement : il aurait colporté auprès de la clientèle que l'entreprise se trouvait dans une impasse financière et que le dépôt de bilan était proche,
- la désorganisation de l'entreprise constitué selon elle ;
1°) par le débauchage prémédité de deux employés Messieurs Pinchon et Ledroit qui se trouvaient sous ses ordres dans la société et ont démissionné courant 1990, entraînant ainsi la disparition de toute l'unité caoutchouc industriel,
2°) par l'exercice d'une activité concurrente et le détournement de clientèle celui-ci d'une part caractérisé par l'envoi d'une lettre circulaire aux clients et le fait que Monsieur Droin engagé par Dardonville au sein de la société Dominice aurait détourné les commandes au profit de celui-ci d'autre part établi par la chute importante du chiffre d'affaires sur le seul secteur caoutchouc industriel.
Faisant état notamment de la corrélation entre cette baisse et l'installation de monsieur Dardonville, la société Dominice affirme que le lien de causalité entre la faute commise par celui-ci et son préjudice est incontestable.
Gérard Dardonville conclut à la confirmation du jugement et à l'allocation de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Faisant observer n'être tenu par aucune clause de non-concurrence il conteste les griefs allégués contre lui par l'appelante. Il affirme notamment ne pas avoir utilisé de manœuvres ou pressions pour inciter messieurs Ledroit et Pinchon à démissionner et observer que la SA Dominice ne démontre pas que ces deux départs aient désorganisé l'entreprise.
Il indique que la lettre circulaire dont fait état l'appelante n'a pas été adressé avant son départ de l'entreprise et qu'elle ne comporte ni dénigrement ni fausse affirmation, soutenant qu'il s'agit là d'une opération commerciale courante.
Dardonville prétend enfin que la société Dominice ne rapporte pas la preuve du préjudice invoqué et qu'une expertise ne peut pallier sa carence.
Sur ce
Attendu que dès lors qu'aucune clause de non-concurrence n'est contenue dans le contrat de travail pour le temps suivant son expiration, l'ancien salarié n'est tenu d'aucune obligation de non-concurrence envers son ex-employeur et peut dès lors exercer pour son propre compte une activité similaire.
Qu'il appartient à l'ancien employeur pour triompher dans son action en concurrence déloyale de prouver que le salarié a commis des agissements contraires aux usages loyaux du commerce tels que le dénigrement ou la désorganisation interne de l'entreprise ;
Attendu que en l'espèce, il n'est pas contesté que Monsieur Dardonville n'ait été lié à l'égard de la société Dominice par aucune clause de non-concurrence.
Attendu que la société Dominice n'établit nullement que son ancien employé l'ait dénigré en annonçant que le dépôt de bilan était proche ;
Qu'à cet égard Messieurs Ledroit et Pinchon dont les attestations versées aux débats par Dardonville sont utilisées contre lui par l'appelante ne font état que " de rumeurs de difficultés au sein de l'entreprise " sans préciser d'où provenaient ces rumeurs ou " de dégradation de la situation "; que le dénigrement ne saurait être caractérisé par le fait que Dardonville ait indiqué dans ses conclusions que son employeur était à l'époque de son départ dans une situation financière difficile;
Attendu par ailleurs que s'il est vrai que Messieurs Pinchon et Ledroit ont, pratiquement à la même date quitté libres de tout engagement et après avoir effectué leur préavis la société Dominice pour être embauchés ensuite par Monsieur Dardonville, il n'est nullement prouvé que ce dernier ait usé pour ce faire de manœuvres ou de pressions ; que les intéressés affirment au contraire avoir sollicité eux-mêmes l'intéressé dans la mesure où après l'annonce de sa démission ils n'avaient aucun renseignements sur l'avenir de leur service ; que la preuve d'une action concertée et dirigée par Dardonville tendant à désorganiser l'entreprise par la suppression de l'unité de caoutchouc industriel n'est pas non plus rapportée dès lors qu'il est constant que Messieurs Pinchon et Ledroit employés seulement respectivement depuis 18 mois et 1 an dans la société Dominice n'avaient pour toute qualification professionnelle que celle de magasinier ou d'aide magasinier et que en toute hypothèse cette unité a continué par la suite à fonctionner ; que la seule baisse du chiffre d'affaires ne suffit pas pour établir la désorganisation de l'entreprise ;
Attendu que le fait d'envoyer à la clientèle de l'ancien employeur des lettres circulaires annonçant la création d'une entreprise ayant la même activité ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale, si ces documents ne contiennent aucun élément de nature à créer une confusion ni aucun dénigrement de l'ancien patron ni information inexacte ni allégation mensongère; qu'il n'est par d'ailleurs pas interdit au salarié, pendant son contrat de travail de préparer sa future activité pour la commencer immédiatement après la fin de celui-ci;
Attendu que la société Dominice ne démontre pas que la lettre circulaire dont elle fait état ait été adressée à l'ensemble de sa clientèle ; que en toute hypothèse elle ne contient aucun élément de nature à créer une confusion ni aucune dénigrement ni infirmation mensongère étant ainsi rédigée :
" Nous avons le plaisir de vous annoncer qu'à partir du 3 septembre nous débutons une activité de négoce " et transformation de caoutchouc industriels et produits chimiques.
L'expérience de notre équipe depuis plus de 12 ans dans la profession vous assurera un service performant face aux différents impératifs du marché actuel, la souplesse de notre petite structure vous permettra également d'exploiter dans les meilleurs conditions nos conseils et notre connaissance des produits aussi bien sur le plan technique que commercial " ;
Que s'il est vrai qu'étant daté du 1er septembre 1990, il apparaît qu'elle a été préparée avant cette date rien n'interdisait à Gérard Dardonville de procéder ainsi dès lors qu'il ne l'a pas envoyée pendant la durée de son contrat de travail ; que celui-ci n'a fait qu'user d'une pratique correspondant aux normes d'une infirmation commerciale habituelle compatible avec le principe de la libre concurrence ;
Attendu enfin qu'il n'est pas plus démontré que Dardonville ait incité un employé intérimaire de la société Dominice à lui adresser les clients de celle-ci ; qu'à cet égard l'attestation de monsieur Guiget actuel P.D.G. de la société Dominice partie à l'instance ne saurait être retenue ; que le témoignage de Monsieur Herivault est référendaire et ne rapporte que des faits imprécis sans les dater et sans donner les noms des personnes concernées ; que le simple fait que des clients de Dominice se soient désormais adressés à Dardonville ne peut en l'absence d'agissements déloyaux de sa part lui être imputé à faute ; que compte tenu de ces éléments c'est à bon droit que le premier juge a considéré que la preuve d'actes constitutifs d'une concurrence déloyale n'était pas rapportée et a débouté la société Dominice de ces demandes ; que le jugement déféré doit être confirmé ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Gérard Dardonville des frais non compris dans les dépens ; qu'en revanche la société Dominice succombant en la présente procédure doit être déboutée de sa demande au titre du même article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le décision déférée, Y ajoutant, Condamne la société Dominice à payer à Monsieur Gérard Dardonville la somme de Quatre Mille Francs (4 000 F) sur la base de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ; Condamne la société Dominice aux dépens ;Accorde à la SCP Laval, avoué de droit prévu à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.