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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 23 septembre 1992, n° 74-92

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pompes Funèbres Européennes (SARL)

Défendeur :

Pompes Funèbres générales de l'Ouest (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Duclos

Conseillers :

MM. Roy, Froment

Avoués :

Mes Leroyer Barbarat, Bazille

Avocats :

Mes Duminy, Cahen.

T. com. Rennes, prés., du 10 janv. 1992

10 janvier 1992

Vu l'ordonnance de référé du 10 janvier 1992, intervenue entre la SA Pompes Funèbres Générales Ouest (SA PFGO) et la SARL Pompes Funèbres Européennes (SARL PFE), par laquelle le Président du Tribunal de Commerce de Rennes :

- a fait interdiction à cette dernière société d'utiliser et de faire utiliser, sous quelque forme que ce soit, le nom patronymique Leclerc, précédé ou non du prénom Michel, sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée à compter de la décision

- l'a condamnée à une indemnité de 10 000 F, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile

Vu l'appel de cette ordonnance par la SARL PFE, laquelle, dans ses écritures d'appel :

- soutient que la SA PFGO n'aurait pas qualité pour agir dès lors que seul Edouard Leclerc, propriétaire de la marque Leclerc, le pourrait sur le fondement des décisions de justice, étrangères aux parties en cause, rendues à son profit quant à l'utilisation du nom du Leclerc

- soutient que le Code des Communes lui fait obligation de mentionner dans les enseignes, annonces, affiches, imprimés, placards ou inscription le nom du directeur de l'entreprise, de sorte que l'utilisation du nom de Michel Leclerc, qui assure la direction commerciale de la société et dont la notoriété dans le domaine des pompes funèbres est acquise, serait licite dans les publicités litigieuses.

- soutient que le public ne peut faire aucune confusion entre son établissement, vendant des articles funéraires, et les supermarchés d'alimentation Centre E. Leclerc, de sorte que le caractère trompeur des publicités litigieuses ne serait pas établi ni, du moins, manifeste et que l'usage par Michel Leclerc de son nom patronymique dans des publicités ne peut être interdit, pour être l'exercice d'un droit, garantie par la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et par le droit interne

- soutient qu'aucun préjudice n'est établi par son adversaire, de sorte que, de ce point de vue également, l'interdiction ne serait pas justifiée

- demande l'infirmation de l'ordonnance déférée et le paiement d'une somme de 15 000 F pour frais non taxables

- demande un donné acte pour se réserver la faculté d'engager des poursuites pénales au cas où son adversaire verserait à la procédure une lettre de Noëlle Vitu et se fonderait sur " des décisions pénales non définitives rendues à l'encontre de Michel Leclerc "

- demande que la SA PFGO soit condamnée, sous astreinte, à mentionner clairement sa dénomination sociale sur sa devanture et divers autres documents

Vu les écritures de la SA PFGO par lesquelles cette société demande la confirmation de l'ordonnance déférée et le paiement d'une somme de 10 000 F pour frais non taxables, en observant :

- qu'elle n'agit pas pour le compte d'Edouard Leclerc mais pour son propre compte, les décisions de justice, relativement à des affaires ayant opposé Michel Leclerc et son frère Edouard, n'étant versées que pour justifier de la confusion entretenue par Michel Leclerc entre les activités des deux frères

- que le caractère trompeur de la publicité litigieuse et le trouble manifestement illicite qui en résulte ressortent de l'utilisation du patronyme Leclerc, peu important que les Centres Leclerc soit des distributeurs d'alimentation et que Michel Leclerc ait une activité limitée aux Pompes Funèbres, dès lors, d'une part, que le public sait que Edouard, Michel Edouard et Michel Leclerc sont de la même famille et, d'autre part, que celui-ci adopte une technique de distribution en " supermarché funéraire ", si bien que l'utilisation publicitaire de son nom est de nature à induire en erreur le public en entretenant une confusion entre le réseau d'entreprises qu'il franchise et le réseau de distribution des Centres Leclerc, ce qui est sanctionné par l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973

- que l'article L. 362-9 du Code des Communes n'impose aux entreprises de Pompes Funèbres que de faire mention, sur les pièces qu'il vise, du représentant légal de la société ou du directeur de l'établissement secondaire, qu'en outre la fonction de directeur de Michel Leclerc est douteuse, de multiples contrats, qui lui confient des fonctions similaires de directeur, la liant simultanément à diverses entreprise de Pompes Funèbres

- que le droit de Michel Leclerc de faire une utilisation de son nom à titre privé n'est pas en cause, mais qu'est prohibée l'utilisation de ce nom dans des conditions constitutives d'un acte de concurrence déloyale.

Considérant que la SA PFGO est en concurrence avec la SARL PFE ; que, selon les allégations, cette dernière, par des publicités sur son enseigne et sur divers autres supports utilisant le nom de Michel Leclerc, serait susceptible d'être confondue avec le réseau de distribution des Centres Leclerc réputé pour sa lutte contre la vie chère, réseau avec lequel elle n'a aucun rapport ; qu'il s'ensuit que la première de ces sociétés a qualité pour agir contre la seconde en référé en vue de faire cesser le trouble allégué serait manifestement illicite pour résulter d'une publicité prohibée ;

Considérant que ne font pas preuve des allégations les décisions de justice versées à la procédure qui sont étrangères aux deux parties et ont été rendues, pour des causes différentes, sur des faits différents, dans des régions éloignées ;

Considérant qu'en revanche il ressort des productions que la SARL PFE a ouvert à Rennes, au Centre Commercial Bourg l'Evesque, une agence de Pompes Funèbres dont la publicité dans le journal Ouest France du 7 octobre 1991 porte " Pompes Funèbres Européennes - tous convois funéraires France et étranger et organisation complète des funérailles (toutes démarches et formalités évitées aux familles ) - articles funéraires, fleurs artificielles - directeur commercial Michel Leclerc... Michel Leclerc, soucieux d'être encore plus au service des familles, a centré toutes ses activités funéraires pour Rennes et ses environs à l'adresse mentionnée ci-dessus " ; que des panneaux publicitaires, affichés en ville, portent " Adieu l'enfer du monopole - Supermarché funéraire - 1er groupe Européen à prix discount - Directeur Michel Leclerc - Pompes Funèbres Européennes Centre Commercial Bourg L'Evesque " ; que la société fait porter sur ses devis " Pompes Funèbres Européennes - directeur commercial : Michel Leclerc " et fait porter au pied des avis de décès " PF Leclerc " ;

Considérant que le mot supermarché n'est utilisé que par catachrèse dans l'expression " supermarché funéraire ", s'agissant une activité de prestataire de service comme l'est la SARL PFE, même si elle vend accessoirement des objets funéraires, et que ce mot est par contre utilisé dans son sens propre pour un réseau de distribution comme le réseau des Centres Leclerc, qui commercialise notamment des produits alimentaires et est notoirement connu du public ; que l'image de " supermarché " associée au nom de Michel Leclerc à l'ouverture de l'établissement, promue par les panneaux publicitaires, s'est imposée à l'opinioncomme le révèle le fait qu'un article du journal Ouest France du 8 octobre 1991 reprend l'association de l'expression " supermarché " au nom de Michel Leclerc, en indiquant " hier il inauguré sa 134ème agence de Pompes Funèbres Européennes. Une première étape avant l'ouverture dans les prochains mois d'un supermarché funéraire à l'enseigne Roc'Eclerc, comme il en existe déjà une dizaine en France " ; qu'n outre le nom de Michel Leclerc figure sur un certains supports précédé d'un titre de directeur commercial, qui lui a été spécialement donné à des fins publicitaires puisque, chargé des relations publiques, il n'est ni dirigeant de cette société, ni chargé par elle de l'exploitation de l'établissement de Rennes; qu'ainsi la présence du nom de Leclerc sur certains supports de la SARL PFE est manifestement de nature à entretenir une confusion dans le public entre le réseau auquel il appartient cet établissement, indiqué comme étant un supermarché par une publicité importante sur la région, et les Centres Leclerc qui lui sont étrangers ;

Considérant qu'à tort la SARL PFE se prévaut de l'article L. 362-9 du code des Communes faisant obligation aux entreprises privées de Pompes Funèbres de faire mention dans leur enseigne et sur divers documents des noms des propriétaires, directeurs généraux, directeurs ou gérants, ainsi que, le cas échéant, de la forme sociale et du montant du capital, alors qu'au sens de ce texte le directeur est celui ayant reçu une mission générale pour l'exploitation d'un établissement autonome de Pompes Funèbres et non une personne qui, peu important par ailleurs la convention l'ayant liée à la personne physique ou morale à qui cet établissement appartient, n'est pas missionnée pour l'exploiter et n'est chargée que des relations publiques, comme l'est Michel Leclerc ;

Considérant qu'à tort également cette SARL se prévaut de la liberté d'expression publicitaire et de la liberté d'usage du nom patronymique de Michel Leclerc avec lequel elle traite, alors qu'elle ne pouvait ignorer la confusion créée par les publicités susvisées, confusion qu'elle a manifestement recherchée, de sorte que l'usage du nom de Michel Leclerc a été fait de mauvaise foi ;

Considérant qu'enfin, en application de l'article 873 Alinéa 1 du Nouveau code de procédure civile, le trouble manifestement illicite suffit à justifier les mesures destinées à le faire cesser, dès lors que celui qui l'établit le supporte, ce qui est le cas de la SA PFGO, indépendamment du préjudice matériel qu'elle aurait effectivement subi, puisque la SARL PFE, son concurrent direct, s'est fait connaître du public par une publicité trompeuse que l'usage du nom de Michel Leclerc par cette société sur certains supports entretien ;

Considérant qu'ainsi l'ordonnance déférée a, à bon droit, prononcé sur le principe une mesure d'interdiction de l'usage par la SA PFE du patronyme Leclerc ; que toutefois cette interdiction ne doit s'appliquer qu'à l'enseigne de l'établissement, à ses devis et papiers à lettre, aux affiches et avis de décès ainsi qu'à toute publicité dans la presse ; que l'astreinte non définitive, dont le montant est justifié, a été prononcée à tort avec effet à la date de l'ordonnance ; qu'elle ne sera encourue que 48 h après la signification du présent arrêt ;

Considérant qu'il n'est pas justifié que la SA PFGO manque aux obligations de l'article L. 362-9 du Code des Communes, de sorte que la demande de la SARL PFE tendant à ce que la première soit condamnée, sous astreinte, en référé, à y satisfaire n'est pas fondée ;

Considérant qu'au regard de l'immunité des discours prononcés et des écrits produits devant les tribunaux, énoncée par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, il incombe à la partie, qui entend faire réserver l'action lui appartenant prévue au dernier alinéa de ce texte, d'énoncer très précisément les faits diffamatoires qu'elle soutient être étrangers à la cause ; que, dans ses conclusions du 2 avril 1992, en demandant que soit réservée sa faculté d'engager des poursuites pénales pour le cas où son adversaire " se fonderait sur les décisions pénales non définitives rendues à l'encontre de Michel Leclerc ", avant que la SA PFGO ait conclu, la SARL PFE n'a pas précisé suffisamment les faits diffamatoires qu'elle estime étrangers à la cause ; que, faute d'avoir précisé ultérieurement lesdits faits, il n'y a pas lieu à réserver l'action civile de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 de ce chef ; que, pour le surplus, la lettre de Noëlle Vitu, versée à la procédure, n'est pas étrangère à la cause, cette personne faisant part, dans ce document, à la Fédération Nationale des Pompes Funèbres de sa déception d'avoir fait appel à ujne entreprise " Pompes Funèbres Leclerc " dont son époux lui avait dit que ses services et ses prix seraient conformes à l'esprit des magasins Leclerc ; qu'ainsi, il n'y a pas lieu sur ce point également de réserver à la SARL PFE l'action civile de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Considérant que l'équité commande que soit accordée à la SA Pompes PFGO une indemnité de 6 000 F pour les frais non taxables exposés en 1re Instance et en appel

Par ces motifs, Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a fait interdiction à la SARL Pompes Funèbres Européennes d'utiliser ou de faire utiliser le nom patronymique de Leclerc, précédé ou non du prénom Michel, Réformant pour le surplus, Limite cette interdiction à l'enseigne de l'établissement, à ses devis et papiers à lettre, aux affiches et avis de décès ainsi qu'à toute publicité dans la presse, Prononce une astreinte non définitive de 5 000 F par infraction constatée, astreinte qui ne sera encourue que 48 heures après la signification du présent arrêt, Déboute la SARL Pompes Funèbres Européennes de ses prétentions, La condamne à payer à la SA Pompes Funèbres Générales Ouest la somme de 6 000 F pour les frais non taxables exposés dans la procédure, La condamne aux dépens d'appel, avec pour l'avoué adverse, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.