CA Paris, 4e ch. B, 25 juin 1992, n° 11-77890
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Trame de Luxe (SARL)
Défendeur :
Corsin, Happy Dot (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poullain
Conseillers :
MM. Bonnefont, Ancel
Avoués :
Me Baufumé, SCP Barrier Monin, SCP Varin Petit
Avocats :
Mes Chamey, Lyonnet.
Faits et procédure de première instance
Par exploit au 19 juillet 1989, la société Trame de Luxe ayant la photogravure pour activité assignait Tony Corsin et la société Happy Dot pour faire juger qu'ils avaient commis à son égard des actes de concurrence déloyale. Des mesures de réparation et de protection étaient sollicitées ainsi que 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
L'acte introductif d'instance énonçait que Tony Corsin, gérant de Trame de luxe, démissionnaire le 1er mars 1989, avait par la suite créé la société Happy Dot dont sa soeur Annie avait pris la gérance et qu'il avait installée au 31 rue Etienne Marcel à Paris sur la porte palière voisine de celle de Trame de Luxe ; que dès mars 1989, Trame de Luxe avait vu un certain nombre de commandes annulées et perdu de nombreux clients importants que Tony Corsin avait prospectés en se livrant à des agissements dolosifs et notamment à un dénigrement tendant en particulier à faire naître des craintes sur l'équilibre financier de Trame de Luxe ;
Les défendeurs excipaient de l'incompétence du Tribunal de Grande Instance de Paris au profit du Tribunal de Commerce de Paris, subsidiairement, ils sollicitaient un sursis à statuer au motif qu'une plainte pour vol avait été déposée contre Tony Corsin par Trame de Luxe et le rejet des débats de pièces à l'origine frauduleuse ; plus subsidiairement, ils concluaient au débouté réclamant à la demanderesse 100 000 F de dommages intérêts pour chacun et 50 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le jugement critiqué
Par son jugement du 22 novembre 1989, le Tribunal de Grande Instance de Paris a rejeté l'exception d'incompétence, dit n'y avoir lieu à statuer, écarté des débats les pièces 19 à 26 et sur le fond rejeté toutes les demandes ;
L'appel
Appelante du jugement par déclaration du 2 mai 1990, Trame de Luxe conclut à son infirmation, priant la Cour de juger que Tony Corsin et Happy Dot se livrent à des actes de concurrence déloyale, de leur faire injonction de quitter les locaux qu'ils occupent au 31 rue Etienne Marcel à Paris et ce sous astreinte de 5 000 F par jour de retard et de leur interdire sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée, de contracter ou de prendre contact avec l'un quelconque des clients de Trame de Luxe. Elle sollicite 1 440 000 F de dommages intérêts, 30 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et subsidiairement une expertise comptable. Ces demandes ont été reprises dans l'assignation en intervention forcée délivrée le 1er octobre 1991 à Chevrier, mandataire liquidateur de la société Happy Dot, en vue d'une fixation de créance.
Chevrier, ès qualités, prie la Cour de constater que la déclaration de créance effectuée par l'appelante est tardive et qu'aucune demande de relevé de forclusion n'ayant été faite, l'éventuelle créance de Trame de Luxe est éteinte de sorte que celle-ci, n'a pas d'intérêt à agir, est irrecevable en sa demande de fixation de créance.
Tony Corsin, intimé, a constitué avoué mais n'a pas conclu.
Sur ce, LA COUR
Qui se réfère au jugement et aux écritures d'appel,
Sur le grief de concurrence déloyale :
Considérant que pour débouter Trame de Luxe, le jugement relève que des pièces mises aux débats par cette dernière doivent en être écartées car s'agissant de correspondance adressée à des tiers par Tony Corsin, elle n'établit pas les avoir licitement obtenues, n'étant pas plausible de soutenir que les documents en question ont été découverts dans une poubelle, que si Trame de Luxe et Happy Dot sont domiciliés à la même adresse, il n'en résulte pas pour autant que la clientèle les confonde nécessairement dès lors que les dénominations sociales et les logos apposés sur les boîtes aux lettres et les portes des bureaux les distinguent suffisamment ; que les correspondances produites ne comportent aucune imputation fallacieuse ou malveillante à l'égard de Trame de Luxe ; qu'en proposant ses services aux clients de son ex-employeur alors qu'il n'était pas tenu par une clause de non-concurrence et en respectant les usages loyaux du commerce de Tony Corsin n'a pas commis de faute ;
Considérant qu'il résulte de pièces dont la communication ne donne lieu à aucune contestation que Tony Corsin a, par jugement du 3 octobre 1988 du Tribunal de Commerce de Paris, été frappé d'une interdiction de gérer directement ou indirectement toute entreprise commerciale ; que cette décision, réputée contradictoire, a fait suite à une procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard de Tony Corsin exerçant une activité de création en publicité à l'enseigne " Au Trait de Luxe " ; que d'autre part, un jugement rendu le 16 octobre 1991 par la 11ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris et qui n'apparaît pas avoir fait l'objet d'un appel à condamné Tony Corsin à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 F d'amende pour abus de biens sociaux au préjudice de Trame de Luxe ;
Considérant que ni Tony Corsin ni la société qu'il animait avec sa soeur pour prête-nom n'ont déposé plainte à l'encontre de Trame de Luxe pour vol de documents ; que de plus, l'appelante verse aux débats d'appel trois attestations dont les signatures Frédéric Ecollan, Cécile Adam et Yvette Demaertelaere affirment avoir vu Ida Orbe ramasser dans les poubelles de Happy Dot des documents intéressant la clientèle de Trame de Luxe ; que toutefois les auteurs desdites attestations, qui n'indiquent pas leurs professions, sont à l'évidence des salariés de Trame de Luxe ; que si aucun vol n'est démontré à l'encontre de l'appelante, la force probante des attestations n'est pas telle qu'on puisse réintégrer dans les débats les pièces que le jugement tient pour suspectes ;
Considérant en revanche quel'exercice d'une activité identique sur le même palier était de nature à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle ; qu'il n'est pas indispensable pour que la concurrence déloyale soit reconnue que la confusion se produise comme l'a dit le Tribunal " nécessairement " ; qu'il suffit qu'elle soit possible, ce qui est sans aucun doute le cas ;
Considérant par ailleurs que contrairement à l'opinion exprimée dans le jugement, deux lettres adressées par Tony Corsin ne peuvent être jugées exemptes d'un dénigrement qui pour être particulièrement insidieux, n'en est pas moins bien réel ;
Qu'en indiquant aux clients de Happy Dot qui étaient aussi ceux de Trame de Luxe " Je repars avec une nouvelle équipe pour vous offrir plus de choix en qualité comme en prix ",Tony Corsin se livrait à une comparaison dont le sens, défavorable à Trame de Luxe, était parfaitement transparent pour les personnes auxquelles il s'adressait;
Qu'en outre, lorsqu'il portait à la connaissance des clients de Trame de Luxe le 15 mars 1989 qu'ayant quitté cette société, il n'était plus " responsable des échéances des factures ni de leur bonne fin ", on ne voit pas en quoi un tel avertissement était utile, l'appelante remarquant judicieusement qu'il tendait à faire naître des inquiétudes sur sa situation financière ;
Considérant en conséquence que le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté le grief de concurrence déloyale de Trame de Luxe dirigé contre Tony Corsin et Happy Dot ;
Considérant qu'au vue des éléments d'appréciation fournis, Tony Corsin sera condamné au paiement de dommages intérêts fixés au dispositif en réparation du trouble commerciale subi) par l'appelante ; que les mesures d'injonction et d'interdiction réclamées seront prononcées à l'encontre de Tony Corsin, seulement, étant sans intérêt en ce qui concerne Happy Dot ;
Considérant que Trame de Luxe n'apporte aucune réplique aux écritures de Chevrier, ès qualité, et d'où il ressort que la déclaration de créance a été faite le 28 février 1991, soit plus de 4 mois après la publication au Bodac le 19 août 1990 et qu'aucune demande de relevé de forclusion n'a été formée ; que l'appelant est par suite irrecevable en sa demande de fixation de créance ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Trame de Luxe les frais non taxables exposés dans la procédure ;
Que Tony Corsin sera condamné au paiement du montant justifié ci-dessous ;
Par ces motifs, Donne acte à Chevrier, mandataire liquidateur de la société Happy Dot, de son intervention, Et sur l'appel partiellement fondé de la société Trame de Luxe, Dit Trame de Luxe irrecevable en sa demande de fixation de créance à l'égard de Chevrier, ès qualités, Infirmant pour le surplus, Juge que Tony Corsin et Happy Dot ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de Trame de Luxe ; Fait injonction à Tony Corsin sous astreinte de 5 000 F par jour de retard de quitter les locaux du 31 rue Etienne Marcel à Paris, Fait injonction à Tony Corsin sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée de contracter ou de prendre contact avec l'un quelconque des clients de Trame de Luxe ; Condamne Tony Corsin à payer à Trame de Luxe : - 200 000 F de dommages intérêts, - 16 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Dit que Tony Corsin supportera les dépens de première instance et d'appel. Admet Maître Baufume, avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile. Et le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier.