Livv
Décisions

CA Orléans, ch. civ. sect. 1, 17 juin 1992, n° 1072-91

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Caisse Mutuelle d'assurance et de Prévoyance

Défendeur :

Cherrier, Mutuelles Régionales d'Assurances

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lardennois

Conseillers :

M. André, Mme Martin-Pigalle

Avoués :

SCP Laval, Me Daude

Avocats :

Mes Genty, Farthouat.

TGI Montargis, du 28 mars 1991

28 mars 1991

LA COUR

Statuant sur l'appel régulièrement formé par la Caisse Mutuelle d'Assurances et de Prévoyance ou CMA d'un jugement rendu le 28 mars 1991 par le Tribunal de Grande Instance de Montargis qui l'a déboutée de toutes ses demandes.

Depuis de très nombreuses années, Monsieur Jacques Lelong exerçait les fonctions d'agent général d'assurances à St Benoit sur Loire pour le compte de deux compagnies : la Caisse Mutuelle d'Assurances et de Prévoyance ou CMA et l'Orléanaise devenue la Mutuelle Régionale d'Assurances ou MRA qui, à l'origine avaient des secteurs d'activité distincts (la première les accidents et la seconde l'incendie) et ont ensuite étendu leurs garanties à l'autre secteur.

Monsieur Lelong décidait de prendre sa retraite au 31 décembre 1988 et Monsieur Cherrier qu'il employait depuis 20 ans achetait le portefeuille MRA toutes branches en s'installant dans les mêmes locaux qui devenaient la propriété de cette compagnie.

Quant au portefeuille CMA il était repris par Monsieur Jean Loup Deshales qui s'installait à Saint Benoit sur Loire en un autre lieu.

Suivant actes des 27 et 30 mars 1990 la CMA faisait assigner la MRA et Monsieur Cherrier en dommages et intérêts leur reprochant une concurrence déloyale.

Sur quoi le Tribunal rendait la décision déférée.

Devant la Cour, la CMA conclut à l'infirmation de ce jugement et sollicite la désignation d'un expert et la condamnation de Michel Cherrier et des MRA à lui verser la somme de 600 000 F à titre de provision. Elle soutient que Michel Cherier a mis à profit sa position d'ancien salarié de Monsieur Lelong pour démarcher de façon systématique les assurés de la CMA et que les MRA, averties des risques que créait la nomination de Monsieur Cherrier et invitées à prendre les dispositions nécessaires pour que les conditions d'une concurrence normale soient réunies, s'y sont refusées et ont tiré bénéfice des agissements de leur agent.

Cette compagnie relève que les MRA et Cherrier ont refusé de signer une clause de non concurrence et que dès le 2 janvier 1984, ils ont adressé à l'ensemble des clients de l'Agence Lelong des lettres circulaires dont la conséquence a été la résiliation de 310 contrats CMA à échéance de janvier 1989.

Elle observe que l'intervention de Monsieur Cherrier dans les résiliations est incontestable et fait valoir qu'il s'agit d'un pillage systématique. Elle conteste que son " erreur " quant au montant des primes à payer et la prétendue carence de Monsieur Deshaies soient la cause de ces résiliations.

Monsieur Michel Cherrier et les MRA concluent à la confirmation du jugement, au rejet des prétentions de la CMA et à l'allocation d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile ; Rappelant que la liberté de la concurrence est la règle, ils allèguent qu'il n'existe en l'espèce aucune faute caractérisant la concurrence déloyale mais seulement des actes de prospection normale de clientèle.

Ils font valoir que les causes réelles de la perte de ses clients par la CMA et Monsieur Deshaies résident dans leur attitude et le fait que cette compagnie est moins bien implantée localement que l'Orléanaise.

Sur ce,

Attendu que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie a pour conséquence directe la liberté des entreprises de rivaliser entre elles afin de conquérir et de retenir la clientèle.

Que le fait pour un commerçant d'attirer vers lui un client et de le détourner ainsi d'un concurrence n'est pas interdit dès lors que l'intéressé n'use pas de moyens déloyaux tels que le dénigrement, la confusion, la désorganisation interne de l'entreprise rivale ou la désorganisation du marché.

Attendu que, en l'espèce, en l'absence de clause de non concurrence qu'il ne peut être reproché à Cherrier ou aux MRA de ne pas avoir accepté, il appartient à la CMA d'établir l'existence de tels agissements ;

Attendu que après le départ en retraite de Monsieur Lelong et la prise de ses fonctions par Monsieur Cherrier, la MRA a adressé le 2 janvier 1989 une lettre circulaire à ses sociétaires ainsi rédigée :

" nous avons choisi de confier la gestion de vos contrats souscrits à l'Orléanaise à un nouvel agent général...

".. Monsieur Michel Cherrier n'est sans doute pas un inconnu pour vous puisqu'il est le collaborateur de Monsieur Lelong depuis 1969...

".. Désormais, Monsieur Cherrier pourra vous proposer auprès des MRA des tarifs très compétitifs pour vos assurance automobile et risques divers...

".. N'hésitez pas à le consulter pour regrouper tous vos risques auprès des MRA, votre Mutuelles Régionale d'Assurances "

Que le 6 janvier suivant, Monsieur Cherrier a envoyé une lettre circulaire rédigée en des termes identiques à des clients qui se trouvaient également être ceux de la CMA.

Que quelques temps plus tard Monsieur Jacques Lelong a fait paraître dans la presse un encart publicitaire demandant à ses clients de reporter leur confiance sur ses deux successeurs tandis que Michel Cherriera fait savoir également dans les journaux régionaux pour assurer tous les risques à des tarifs compétitifs.

Attendu que le fait d'adresser les lettres susvisées à la clientèle de la compagnie d'assurances concurrente n'est pas constitutif d'un agissement déloyal dès lors que ces lettres ne comportent ni information inexacte, ni l'allégation mensongère ou injurieuse, ni possibilité de confusion, ni dénigrement, l'affirmation en termes généraux du caractère compétitif des prix n'étant pas à elle seule caractéristique du dénigrement;

Que l'existence d'un fichier de la clientèle de la CMA que Monsieur Cherrier aurait utilisé pour adresser ces lettre n'est nullement établie ; Que en toute hypothèse chacune des deux compagnies connaissait parfaitement, compte tenu de l'organisation antérieure les noms des clients de son concurrent.

Que, en toute hypothèse il n'est pas sans intérêt de constater que la CMA a elle-même adressé une lettre circulaire à ses sociétaires pour les aviser de la prise de fonctions de Monsieur Deshaies en indiquant :

" Vous trouverez auprès de Monsieur Deshaies le dévouement et la compétence que vous êtes en droit d'attendre d'un agent général de notre société "

Qu'en outre le 27 février 1989 Monsieur Deshaies a écrit aux dits sociétaires en ces termes :

" je vous informe également que je dispose d'une large délégation de pouvoirs permettant d'offrir à mes sociétaires une tarification très compétitive

" cela ne vous avait certainement pas été proposé à ce jour ".

Attendu que s'il peut apparaître surprenant qu'en peu de semaines 310 contrats CMA sur 651 venant à échéance en janvier 1989 ont été résiliés il n'en résulte pas pour autant un acte de concurrence déloyale de la part de Cherrier ou des MRA.

Que l'intervention de celui-là dans les résiliations susvisées n'est nullement établie, la rédaction en des termes parfois identiques et sur des imprimés préparés à l'avance des dites résiliations n'étant pas suffisante pour affirmer qu'il a incité les clients de la CMA à résilier les dites polices et pour caractériser le débauchage de la clientèle ;

Que comme l'a indiqué le Tribunal ces résiliations peuvent trouver leur explication dans l'augmentation subite de 20 % du montant des primes à payer que se sont vus imposer les sociétaires de la CMA avant que celle-ci, plusieurs semaines après, leur affirme qu'il ne s'agissait là que d'une erreur ainsi que, s'agissant d'une activité d'assurance exercée dans une petite localité, de l'attachement personnel des assurés à l'homme qu'il connaissait depuis près de 20 ans face à un agent général dont la personnalité leur était inconnue.

Qu'ainsi les affirmations de la CMA selon lesquelles il s'agissait en l'espèce d'une opération systématique de pillage de son portefeuille préparée dès avant le 31 décembre 1988, le refus de signer la clause de non concurrence proposée en étant l'un des premiers actes n'est nullement démontrée.

Que c'est donc à bon droit que le Tribunal a débouté la dite CMA de ses demandes ; Que le jugement déféré doit être confirmé et cette compagnie déboutée de toutes ses prétentions.

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés des frais non compris dans les dépens.

Par ces motifs, La Cour, Reçoit l'appel mais le déclare mal fondé et le rejette, Confirme le jugement déféré, Condamne la Caisse Mutuelle d'Assurances et de Prévoyance à payer aux Mutuelles Régionales et à Monsieur Cherrier la somme de Cinq Mille Francs sur la base de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile. La condamne aux dépens. Accorde à la SCP Laval, avoués, le droit prévu à l'article 699 du Nouveau code de Procédure Civile.