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Décisions

CA Orléans, ch. civ. sect. 2, 16 juin 1992, n° 34-89

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Palaf (SARL)

Défendeur :

Natalys (SA), Expansion Simo France (SA), Magi Soldes (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tay

Conseillers :

M. Bureau, Mlle Cherbonnel

Avoués :

SCP Laval, Mes Parrain, Duthoit, Bordier

Avocats :

Mes Bendjador, Binger, Griousse, SCP Puylagarde-Daigremont.

TGI Tours, du 10 nov. 1988

10 novembre 1988

Le 17 octobre 1986, la gérante du magasin Natalys de Tours a acheté, sous contrôle d'huissier, dans le magasin Palaf de la ville, au prix de 39 F et 79 F une veste matelassée et un manteau d'enfant de marque Natalys, articles qu'elle vendait, elle-même, 159 F et 199 F dans sa boutique faisant partie du réseau de distribution sélective de la marque ;

La société anonyme Natalys a alors assigné la société Palaf en contrefaçon de marque, en usage de marque contrefaite, en usage de marque sans autorisation et, subsidiairement, en concurrence déloyale et parasitisme ;

La société à responsabilité limitée Palaf a relevé appel du jugement du Tribunal de Grande Instance de Tours, en date du 10 novembre 1988, qui a considéré qu'elle s'était rendue auteur d'usage sans autorisation de la marque Natalys, l'a condamnée à payer à la société Natalys une somme de 40.000 F en raison du bénéfice perdu et celle de 10.000 F à titre de dommages-intérêts pour trouble commercial et dépréciation de la marque, lui a interdit sous astreinte provisoire de 500 F par infraction de faire usage de la marque Natalys, a ordonné la confiscation de tout article portant la marque Natalys commercialisé par la société Palaf et sa destruction immédiate sous contrôle d'huissier, a condamné Palaf à payer à la société Natalys une indemnité de procédure de 4.000 F et a débouté celle-ci de ses appels en garantie à l'encontre des sociétés Magi Soldes et Expansion Simo France qu'elle présentait comme ses fournisseurs pour les articles litigieux ;

Au soutien de son appel, la société Palaf fait valoir que c'est à tort que les premiers juges ont statué en application des dispositions de l'article 422-2 du Code pénal alors que ce texte n'a pas pour effet de sanctionner les atteintes à un réseau de distribution sélective dès l'instant où il est établi que les marchandises ont été acquises régulièrement ;

Elle ajoute que la société Natalys est mal fondée à invoquer l'atteinte portée à sa marque dans la mesure où il lui appartient, au premier chef, de veiller à la protection de celle-ci par l'usage qu'en font le fabricant et les intermédiaires situés en amont du circuit de distribution , elle fait valoir, en effet, que les marchandises dont s'agit sont des invendus ou des rebuts de la société Natalys qui les a renvoyés au fabricant Sart Maille qui les a lui-même rétrocédés aux soldeurs en gros Expansion Simo France et Magi Soldes auprès desquels elle les a acquis ; que Natalys, dans ces conditions, devait veiller à l'usage que faisaient ces sociétés intermédiaires de vêtements portant sa griffe et dont elle acceptait la revente hors de son circuit de distribution personnel ou franchisé ;

L'appelante poursuit en faisant valoir qu'elle ne peut, non plus, être condamnée pour concurrence déloyale alors que les faits exposés à l'appui de la demande de ce chef sont les mêmes que ceux, non probants, invoqués comme fondement de l'action en contrefaçon ;

Elle termine en faisant valoir que la demande de dommages-intérêts de la société Natalys est irrecevable puisque le préjudice, si préjudice il y a, est subi par sa franchisée du magasin de Tours et non par elle même et que l'existence même de ce préjudice est contestable puisque la marchandise dont s'agit n'a pas pu être vendue par le réseau sélectif de la société Natalys ou a été refusée par elle et que, de toutes façons, aucune confusion n'était possible dans l'esprit du consommateur quant à la qualité des produits proposés ;

La société Palaf conclut donc à l'infirmation de la décision attaquée, au débouté de la société Natalys en toutes ses demandes et à sa condamnation à lui payer une somme de 20.000 F pour procédure abusive et 15.000 F d'indemnité pour frais irrépétibles ; elle sollicite, à titre subsidiaire, la garantie de ses fournisseurs les sociétés Expansion Simo France et Magi Soldes dont le rôle exact pourrait être à déterminer par voie d'expertise si la Cour ne s'estimait pas assez éclairée et réclame à celles-ci une indemnité de 10.000 F en couverture de ses frais irrépétibles ;

La société Natalys estime que c'est à bon droit que le Tribunal a considéré que la marque déposée Natalys devait être protégée des atteintes portées par la société Palaf coupable d'utilisation de celle-ci sans son autorisation alors que, de son côté, elle fait tout pour promouvoir une image valorisante de cette marque à travers un réseau de revendeurs sélectionnés pour la qualité du service rendu et des lieux de vente ; elle forme appel incident sur le montant de l'indemnisation accordée par le Tribunal, qu'elle estime insuffisante et sollicite la condamnation de l'appelante à lui payer une somme de 300.000 F pour le dommage consécutif à l'utilisation illicite de la marque et au bénéfice perdu qui en découle ainsi qu'une somme de 200.000 F en réparation du trouble commercial et de la dépréciation de l'image de marque ; elle souhaite enfin, la publication de la décision dans trois journaux de son choix aux frais de l'appelante et la condamnation de celle-ci à lui payer une indemnité de procédure de 20.000 F ;

Les sociétés Expansion Simo France et Magi Soldes concluent à la confirmation du jugement qui les a mises hors de cause au motif que la société Palaf n'apportait pas la preuve que la marchandise litigieuse provenait bien de chez elles ; elles contestent d'ailleurs cette provenance et sollicitent la condamnation de la société Palaf à leur payer, à chacune, une indemnité de 10.000 F pour frais irrépétibles en ajoutant qu'il ne saurait être fait droit à la demande d'expertise de Palaf puisqu'une telle mesure n'est pas destinée à pallier la carence de l'appelante dans l'administration de la preuve ;

Sur quoi, LA COUR :

Attendu qu'il n'est pas contesté que la marque Natalys a fait l'objet d'un dépôt, régulièrement renouvelé, et qu'à ce titre, elle est, à ce jour, susceptible de protection ;

Attendu que le tribunal a fondé sa décision sur l'article 422-2 du Code Pénal qui réprime l'usage d'une marque sans autorisation de son titulaire ;

Mais attendu que cet article n'a pas pour objet de sanctionner les revendeurs de produits authentiques, même commercialisés au mépris d'un système de distribution sélective, lorsque la marque utilisée n'a pas été contrefaite ;

Attendu qu'il est constant, en effet, que la société Palaf s'est contentée d'acheter pour revendre des marchandises dont l'authenticité n'est pas contestée et qui portaient déjà lors de leur achat la griffe Natalys apposée, selon la propre thèse de la société Natalys, dès le stade de la fabrication ;

Attendu qu'il résulte des débats que ces marchandises sont soit des invendus (ce que conteste la société Natalys qui soutient ne jamais faire retour au fabricant dans cette hypothèse) soit des articles de second choix présentant des défauts les ayant empêché d'être mis en vente dans le réseau de distribution Natalys ; que, quelle que soit leur provenance, la société Natalys a un devoir particulier de veiller à l'usage qui est fait des marchandises portant sa marque déposée dont elle se dessaisit ou dont elle refuse de prendre possession et dont elle admet implicitement, en ne manifestant aucune diligence sur ce point, qu'elles puissent être revendues par un circuit extérieur au système de distribution qu'elle a mis sur pied ;

Attendu, cependant, que, pour n'être pas sanctionnable pénalement, l'attitude de la société Palaf peut constituer une faute civile de nature à engager sa responsabilité envers la société Natalys sur le fondement de la concurrence déloyale ; qu'à cet égard, il convient de souligner que les fautes invoquées à son encontre, par la société Natalys vont au-delà du simple usage non autorisé de la marque et s'en distinguent sensiblement puisque sont mises en causes les méthodes de vente, les lieux de vente, le parasitisme, et le dénigrement implicite du concurrent par la pratique de prix " cassés " ;

Attendu tout d'abord que la société Palaf ne conteste pas avoir eu connaissance du réseau de distribution sélective de la société Natalys qui écoule ses produits par l'intermédiaire de trois cents magasins de détail exploités sous franchise ou en régie directe ; qu'elle ne conteste pas, non plus, ne pas être membre dudit réseau et avoir acheté les marchandises griffées Natalys à des revendeurs non agréés ;

Attendu que la pratique du réseau de distribution sélectif a pour objet d'assurer l'écoulement des produits de marques selon des méthodes commerciales répondant à des critères de qualité définis précisément par le titulaire de la marque pour assurer à celle-ci une certaine image aux yeux d'une clientèle que participe aussi à cerner le choix judicieux des lieux de vente ;

Attendu, dans ces conditions, que le soldeur professionnel, qui met en vente les produits non dégriffés dans un cadre n'apportant au consommateur ni l'accueil personnalisé, ni un service comparable, ni les conditions de confort et de luxe offerts par le réseau sélectif de la marque, commet un acte fautif de parasitisme commercial puisqu'il cherche à bénéficier de la notoriété de la marque sans avoir à supporter les contraintes de vente ayant permis notamment à ladite marque de jouir de cette image favorable aux yeux de la clientèle;

Attendu que l'attitude de la société Palaf est d'autant plus fautive que son magasin est situé à proximité immédiate de la boutique Natalys à Tours ; que la marchandise vendue figurait au catalogue de l'année de la collection Natalys et pouvait donc faire l'objet d'une comparaison immédiate entre les deux sources de distribution et que la société Palaf avait laissé sur l'étiquette en magasin le prix public de vente appliqué chez Natalys, prix évidemment bien supérieur puisqu'il incluait des charges de personnel, d'aménagement de locaux et de publicité que n'avait pas à supporter la société Palaf ;

Attendu que la société Natalys a bien qualité pour agir en indemnisation du préjudice subi puisqu'elle justifie que le magasin de Tours est exploité en régie ; qu'elle supporte ainsi, en partie, le manque à gagner et, directement, l'atteinte à l'image de marque du produit, la désorganisation de son réseau et le discrédit auprès de ses détaillants ;

Attendu, toutefois, que les faits sont limités puisque, selon les propres déclarations de la dame Perruchot, les vêtements Natalys en vente chez Palaf étaient en nombre restreint ; que, par ailleurs, l'huissier chargé par le juge de la mise en état de vérifier, dans la comptabilité de la société Palaf, la quantité de produits Natalys écoulés n'a pu mener à bien sa mission faute d'éléments suffisants ; que la société Natalys, elle-même, n'apporte pas d'éléments permettant de fixer précisément son manque à gagner ; que, dans ces conditions, l'estimation forfaitaire à laquelle s'est livrée le Tribunal du préjudice subi apparaît équitable et doit être confirmée ;

Attendu que la société Natalys porte une part de responsabilité personnelle, comme il a été vu, pour n'avoir pas veillé à l'usage que faisaient les intermédiaires des marchandises griffées à sa marque qu'elle laissait en leur possession ;

Attendu, par ailleurs, que les produits Natalys ne peuvent être considérés comme des produits de luxe, nécessitant pour leur distribution un réseau particulièrement raffiné ; qu'il résulte, d'ailleurs, de la consultation du catalogue figurant aux débats qu'il s'agit de produits grand public distribués parfois dans des hypermarchés Euromarché ou Rallye ; que, dans ces conditions, s'il peut être reproché à la société Palaf, intervenant en fin de circuit, de ne pas avoir dégriffé elle-même les marchandises dont s'agit, le préjudice résultant de cette attitude fautive pour la société Natalys a été justement limité à 10.000 F par le Tribunal ; que le jugement sera donc confirmé sur ces points ;

Attendu que c'est à juste titre que, pour les mêmes raisons, le Tribunal n'a pas estimé utile d'ordonner la publication du jugement dans trois journaux comme le demandait la société Natalys ;

Attendu que la société Palaf ne justifie pas que les marchandises écoulés proviennent des sociétés Expansion Simo France et Magi Soldes dont les factures sont trop imprécises pour déterminer la nature exacte des produits livrés ; qu'il n'y a cependant pas lieu d'ordonner une expertise pour approfondir ce point dans la mesure où il est retenu contre Palaf des actes de concurrence déloyale constitutifs d'une faute personnelle non susceptibles d'être garantis par ses fournisseurs, fussent ils les sociétés en cause ; que la société Palaf sera donc déboutée de ses demandes de ce chef ;

Attendu que les deux parties principales succombent en leurs appels respectifs ; qu'il n'apparaît pas inéquitable de leur laisser supporter la charge de leurs frais irrépétibles et la moitié des dépens d'appel ;

Attendu, de même, qu'il n'y a pas d'iniquité à laisser supporter aux appelées en garantie la charge de leurs frais irrépétibles ; qu'elles seront donc déboutées de leurs demandes de ce chef ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : réforme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la SARL Palaf responsable d'un usage sans autorisation de la marque Natalys aux termes de l'article 422-2 du Code Pénal ; dit que les faits dont s'agit sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale ; confirme en toutes ses autres dispositions le jugement entrepris ; déboute les parties du surplus de leurs demandes ; condamne, in solidum, la SARL Palaf et la société anonyme Natalys aux dépens d'appel par moitié ; accorde, pour les dépens d'appel, aux avoués de la cause, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.