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Décisions

Cass. com., 16 juin 1992, n° 90-18.329

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Compagnie parisienne de restauration

Défendeur :

La Tour d'Argent (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Gomez

Avocat général :

M. Raynaud

Avocats :

Me Choucroy, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez.

TGI Paris, 3e ch., 1re sect., du 25 janv…

25 janvier 1989

LA COUR : - Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 7 juin 1990) qu'en 1932, M. Terrail, propriétaire du restaurant La Tour d'Argent, quai de la Tournelle, à Paris, a conclu avec M. Solignac, propriétaire d'un restaurant-brasserie, place de la Bastille à Paris, un protocole d'accord autorisant ce dernier à utiliser l'enseigne La Tour d'Argent, qu'à partir de 1960, le propriétaire du restaurant La Tour d'Argent, devenu la société La Tour d'Argent, a déposé les marques dénominatives La Tour d'Argent et Caves de la Tour d'Argent, que le restaurant-brasserie La Tour d'Argent a fait l'objet en 1985 d'une expropriation pour cause d'utilité publique, que la Compagnie parisienne de Restauration, ayant pour objet toute activité se rapportant à la restauration, a ouvert place de la Bastille, un restaurant à l'enseigne La Tour d'Argent, que la société La Tour d'Argent a assigné la Compagnie parisienne de Restauration pour contrefaçon ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches : - Attendu que la Compagnie parisienne de Restauration fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle avait contrefait les marques de la société La Tour d'Argent, alors, selon le pourvoi, d'une part, que seul le titulaire d'un droit peut en demander en justice la protection ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt que le propriétaire du restaurant et des marques La Tour d'Argent avait consenti à M. Solignac l'autorisation d'exploiter à cette enseigne un établissement de restauration à la Bastille ; qu'il s'ensuit que seul le titulaire de cette autorisation, à l'exclusion de son auteur, aurait pu subir un préjudice du fait de l'utilisation de cette enseigne, en l'absence de cession de sa part ; que, par suite, en faisant état de l'absence de cession, la cour d'appel a sanctionné un droit dont elle a retenu elle-même qu'il n'appartenait pas au demandeur ; qu'ainsi, l'arrêt n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient concernant l'absence de droit de la société La Tour d'Argent à contester l'utilisation d'une enseigne à ce nom place de la Bastille, qui avait fait l'objet d'une autorisation ; qu'il a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que, s'agissant d'un fonds de commerce, l'expropriation qui vise seulement des immeubles ou droits réels immobiliers n'emporte pas transfert ou extinction des droits, élément du fonds de commerce dissociable de l'immeuble ; que l'indemnité d'expropriation a seulement pour but de réparer le préjudice subi par le propriétaire du fonds de commerce du fait de l'éviction du local où il était exploité ; qu'en déduisant de l'indemnisation du propriétaire du fonds de commerce exploité dans l'immeuble ayant fait l'objet de la mesure d'expropriation, l'impossibilité de cession de l'enseigne bien que celle-ci constitue un droit autonome, dissociable du droit du commerçant sur l'immeuble exproprié, l'arrêt a violé l'article 544 du Code civil ; alors, de plus, que l'arrêt, qui écarte le protocole d'indemnisation comme non probant d'une perte seulement partielle en omettant de prendre en considération la volonté de rétablissement du propriétaire du fonds, ainsi que celle de l'autorité expropriante d'assurer sa réinstallation, affirmées dans le protocole, l'a dénaturé et a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ; alors, enfin, que l'autorisation du 16 juin 1932 était ainsi libellée : " Vous pourrez continuer le commerce de restauration sous le nom de La Tour d'Argent, mais vous vous interdisez formellement de vous servir du mot restaurant, ni sur vos papiers commerciaux, ni sur vos enseignes, vous aurez la liberté de faire ce commerce sous la dénomination de " brasserie ou rôtisserie " ; qu'ainsi, elle ne limitait aucunement l'activité de restauration à un type quelconque, mais seulement la dénomination sous laquelle elle pouvait être exercée ; qu'en en déduisant que le bénéficiaire de l'autorisation devait limiter son activité à certains modes de restauration et n'avait pas respecté son obligation, même s'il s'était abstenu d'employer le terme restaurant, l'arrêt qui ajoute à l'autorisation du 16 juin 1932 une interdiction qu'elle ne comporte pas l'a dénaturée et a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a retenu que le fonds de commerce La Tour d'Argent est entré à la suite de ventes successives dans le patrimoine de M. Terrail qui l'a apporté à la société La Tour d'Argent ; qu'il en résulte que celle-ci est en droit d'agir en contrefaçon ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel par motifs propres et adoptés, a retenu que la cession de l'enseigne par M. Solignac n'était pas établie dès lors qu'aucun document, produit en première instance ou en cause d'appel, ne permettait de justifier l'acquisition par la compagnie parisienne de restauration d'un fonds de commerce comportant l'enseigne litigieuse ; qu'ainsi abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par les deuxième et troisième branches du moyen, l'arrêt se trouve légalement justifié ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen : - Attendu que la Compagnie parisienne de Restauration fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement de la somme de huit cent mille francs à titre de dommages-intérêts en sus de la somme de cinquante mille francs prononcée par le jugement du tribunal de grande instance alors, selon le pourvoi, que le préjudice commercial engendré par la contrefaçon doit être déterminé en tenant compte du bénéfice perdu par le titulaire de la marque sur les ventes par lui manquées du fait de la contrefaçon ; que, par suite, la cour d'appel ne pouvait, sans violer l'article 1382 du Code civil, prononcer une condamnation en se bornant à faire état des profits parasitaires procurés depuis l'ouverture de l'Opéra Bastille, sans établir que ces profits avaient été réalisés au détriment du titulaire de la marque, qui ne pouvait d'aucune façon bénéficier d'une clientèle attirée par l'ouverture de l'Opéra Bastille ;

Mais attendu que la cour d'appel, après avoir relevé que le restaurant créé par la Compagnie parisienne de Restauration, place de la Bastille, avait bénéficié de la mutation de ce quartier en raison de la création d'un opéra et qu'il se présentait comme un restaurant de luxe, ce qui entraînait une confusion dans l'esprit de la clientèle, a, à juste titre, considéré que ce comportement parasitaire, après le prononcé du jugement du tribunal de grande instance, avait causé un préjudice différent de celui qu'avait apprécié les premiers juges et l'a souverainement évalué; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.