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Décisions

CA Douai, 2e ch. civ., 11 juin 1992, n° 2011-91

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Agubat (SARL), "S" Lon Eslon (BV)

Défendeur :

Raccords et Plastiques Nicoll (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vandewyhaeghe

Conseillers :

M. Jean, Mme Delaude

Avoués :

SCP Cochemé Kraut, SCP Masurel Théry, SCP Le Marc Hadour Pouille

Avocats :

Mes Bécu, Mollet, Mendras.

TGI Béthune, du 12 déc. 1990

12 décembre 1990

Attendu que par jugement en date du 12 décembre 1990, le Tribunal de Grande Instance de Béthune statuant commercialement a :

- dit qu'en important et en commercialisant un modèle de gouttière identique ou similaire à celui visé au procès-verbal du 28 novembre 1988, les sociétés "S" Lon Eslon et Agubat ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Nicoll dans les termes de l'article 1381 du code civil [sic] ;

- interdit aux dites sociétés la poursuite de ses actes illicites sous astreinte définitive de 100 F par effraction constatée ;

- condamné la société Abugat à payer à titre de dommages et intérêts à la société Nicoll la somme de 25 000 F pour les faits qui lui sont propres ;

- condamné la société "S" Lon Eslon à payer à titre de dommages et intérêts à la société Nicoll la somme de 300 000 F pour les faits qui lui sont propres comme pour les faits commis en commun avec Agubat ;

- dit que pour ces derniers faits la société Agubat sera tenue in solidum avec la société "S" Lon Eslon à hauteur de 25 000 F, ladite somme s'ajoutant à celle de 25 000 F visée ci-dessus ;

- ordonné la confiscation des gouttières illicites et leurs remises à la société Nicoll, ceci à titre de supplément de dommages et intérêts ;

- ordonné la publication du présent jugement ;

- condamné les défenderesses in solidum à payer à la société Nicoll la somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu que la SARL Agubat a interjeté appel de cette décision du 20 mars 1991 et, la société "S" Lon Eslon en a interjeté appel le 19 mars 1991, appels enregistrés respectivement sous les numéros 1967 et 2011 / 91 ;

Attendu qu'aux termes de conclusions déposées le 19 juillet 1991, la société Agubat demande à la Cour :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé non protégeable par les dispositions de la loi du 11 mars 1957 le modèle de gouttière revendiqué ;

- de l'infirmer et de débouter la société Raccords et Plastiques Nicoll de la totalité de ses demandes ;

- qu'elle expose que la société Raccords et Plastiques Nicoll s'en prend à une gouttière fabriquée par la société de droit néerlandais Eslon qu'elle commercialise en France, et qui selon la plaignante aurait constitué la reproduction servile de son propre modèle ;

Qu'elle fait valoir :

1. que la forme de gouttière revendiquée par la société Raccords et Plastiques Nicoll ne peut en aucun cas être considérée comme marquée par l'empreinte personnelle de son auteur et donc comme résultant d'un effort créateur, que la forme de la gouttière revendiquée par la société Raccords et Plastiques Nicoll apparaît au surplus purement fonctionnelle et donc insusceptible de protection en application de l'article 2 alinéa 2 de la loi de 1909 ;

2. que selon les principes les plus constants dégagés par la jurisprudence en la matière, la reproduction, même servile d'un produit dont la forme est dénuée de tout caractère distinctif et purement fonctionnel, n'est pas constitutive de concurrence déloyale ;

Attendu que le 13 novembre 1991, la société "S" Lon Eslon a conclu de débouter la société Raccords et Plastiques Nicoll de ses demandes et pour la faire condamner au payement de la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de la somme de 35 000 F à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu que le 13 novembre 1991, la société Abugat a déposé des conclusions pour demander à la Cour :

- de dire et juger que le modèle de gouttière Nicoll est protégeable tant en vertu de la loi du 11 mars 1957 qu'en vertu de la loi du 14 juillet 1909 et dire en conséquence qu'en important et en commercialisant un modèle de gouttières identique ou similaire à celui visé au procès verbal du 28 novembre 1988, et ce, quelle que soit la référence utilisée, Eslon et Agubat ont commis des actes de contrefaçon dans les termes de la loi du 11 mars 1957 et de la loi du 14 juillet 1909 ;

- pour le surplus de confirmer le jugement que le tribunal de Béthune a rendu le 12 novembre 1990, sauf à élever toutefois le montant des condamnation pécuniaires prononcées par le Tribunal de Grande Instance de Béthune et condamner la société Agunat à payer à titre de dommages et intérêt la somme de 100 000 F pour les faits qui lui sont propres, condamner la société Eslon à payer à titre de dommages et intérêts la somme de 600 000 F pour les faits qui lui sont propres, condamner conjointement solidairement et in solidum pour les faits qui leur sont propres, condamner conjointement solidairement et in solidum pour les faits qui leur sont communs, Eslon et Agubat à payer la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, le coût total des cinq insertions et la somme de 75 000 F l'indemnité que Agubat et Eslon devront payer in solidum à Nicoll en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Qu'elle fait valoir :

- que le profilé de la gouttière Nicoll est constitué de la combinaison d'une forme demi-ronde, d'un bourrelet extérieur cylindrique et d'un becquet, dont les dimensions et les courbures, ainsi que la couleur sable sont particulières ; qu'il s'agit de caractéristiques nouvelles représentant un effort créateur justifiant le bénéfice de la protection de la loi du 11 mars 1987 sur le droit d'auteur et de la loi du 14 juillet 1909 sur les modèles déposés ;

- que les profilés commercialisés par les sociétés Elson et Agubat sont copiés servilement sur celui de la société Nicoll ourlet ou bourrelet identique ; section identique en épaisseur et largeur du talon etc ... qu'ainsi la société Elson prend la place de la société Nicoll, profite de sa notoriété, se comporte en parasite et lui cause préjudice ;

Attendu que les procédures inscrites sous les numéros 1967 et 2011/91 sont relatives au même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il soit statué à leur égard par une seule et même décision ;

Attendu qu'en cause d'appel les positions des parties demeurent les mêmes qu'en première instance ; qu'en particulier la société Raccords et Plastiques Nicoll persiste à réclamer pour ses gouttières la protection des lois du 14 juillet 1909 et du 11 mars 1957 ; que les sociétés "S" Lon Eslon et Agubat soutiennent qu'il n'y a pas concurrence déloyale ;

Attendu qu'il n'a été produit à l'occasion de l'appel aucun élément nouveau qui n'ait été connu de la juridiction du premier degré ; que celle-ci, par des motifs pertinents que la Cour adopte, a procédé à une saine appréciation des faits et circonstances de la cause notamment en relevant ;

I- pour dire que les gouttières en cause ne sauraient être protégées au titre des lois du 14 juillet 1909 sur les dessins et modèles et du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique :

- que la gouttière litigieuse est caractérisée par une forme semi-ronde, un bourrelet cylindrique extérieur fermé, un béquet et un talon ;

- que ces caractéristiques sont dictées par des nécessités techniques évidentes, à savoir la possibilité de l'adapter dans un ensemble de pièces pour gouttières s'emboîtant les unes dans les autres de façon à permettre l'accrochage par le haut au moyen d'une potence et non par le dessus ;

- que même si cet accrochage par le haut constitue une solution technique originale modifiant l'aspect esthétique des gouttières qui apparaissent à l'oeil comme d'un seul tenant et sans attaches apparentes et disgracieuses, il n'en demeure pas moins que les gouttières, par elles-mêmes se présente dans la forme la plus banale dictée seulement par la nécessité de permettre un accrochage par le haut ;

- que les seules caractéristiques de ces gouttières non dictées par la technique sont la couleur sable qui n'est pas particulièrement originale et l'existence d'un bourrelet cylindrique extérieur fermé qui aurait pu demeurer ouvert sans inconvénient ;

- qu'il n'y avait dans les éléments caractéristiques de cette gouttière (forme semi-ronde, bourrelet extérieur, becquet, talon, couleur et matériau) ni originalité, ni effort créatif révélant la personnalité d'un auteur ;

II- pour dire qu'il y avait concurrence déloyale et plus particulièrement parasitaire :

- que le modèle de gouttière réalisé par la société Elson est rigoureusement identique et présente exactement les mêmes caractéristiques de forme semi-ronde, de bourrelet cylindrique extérieur fermé, de becquet de talon, de couleur et de matériau, la seule différence étant la qualité de la matière qui se révélerait inférieure, différence qui n'apparaît pas de prime abord et qui devrait se manifester à l'usage ;

- qu'il y a eu imitation servile et parasitaire permettant, sans frais préalable de mise au point et de fabrication des éléments plus complexes des descentes d'eau de fournir à prix réduits des gouttières adaptables à ces mêmes éléments;

- qu'en tout cas le modèle produit par la société Eslon se confond totalement avec celui fabriqué par la société Nicoll ;

- qu'il suffit d'ajouter qu'il a été démontré sous les yeux de la cour que les gouttières fabriquées par la société Elson sont parfaitement adaptables au système d'ancrage par potence de type Nicoll comme aux naissances de descente d'eau fabriquées par la société Nicoll; qu'en fait les deux types de gouttières sont rigoureusement identiques et interchangeableset peuvent s'adapter en même temps comme les deux branches d'une même descente d'eau ; que seules permettaient de les distinguer les étiquettes placées par les conseils des parties sur leur matériel respectif;

- que doit être retenue la responsabilité de la société Elson qui a fabriqué la gouttière copiée sur celle de la société Nicoll ;

- que doit être également retenue la responsabilité de la société Agubat qui a commercialisé cette gouttière et qui en professionnelle ne pouvait ignorer la ressemblance et la compatibilité avec des matériels concurrents ;

Attendu qu'il s'en suit qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à relever et à préciser le montant des sommes allouées à titre de dommages et intérêts en les portant à 500 000 F à la charge de la société "S" Lon Eslon et à 50 000 F à la charge de la société Agubat ;

Attendu que l'appel se révèle non fondé ; qu'il y a lieu de condamner les sociétés "S" Lon Eslon et Agubat à payer une indemnité complémentaire de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, les circonstances de la cause faisant apparaître qu'il serait inéquitable de laisser à la partie intimée la charge intégrale des frais qu'elle a exposés à l'occasion de la présente procédure et qui ne seraient pas compris dans les dépens ;

Par ces motifs : Donne acte à la SCP Cochemé Kraut de sa constitution aux lieu et place de Maître Cochemé, précédemment constitué ; Ordonne la jonction des procédures inscrites sous les numéros 1967 et 2011/91 ; Reçoit les sociétés "S" Lon Eslon et Agubat en leur appel, Raccords et Plastiques Nicoll en son appel incident ; Lesdits non fondés ; Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf à relever et à préciser le montant des sommes allouées à titre de dommages et intérêts en les portant à 500 000 F à la charge de la société "S" Lon Eslon et à 50 000 F à la charge de la société Agubat ; Condamne les sociétés "S" Eslon et Agubat à payer à la société Raccords et Plastiques Nicoll une indemnité complémentaire de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Les condamne aux dépens d'appel et autorise la SCP Masurel Théry à les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.