CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 29 mai 1992, n° 91-7187
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pompes Funèbres du Sud-Est Roblot (SA)
Défendeur :
Pompes Funèbres de l'Estérel (SA), Leclerc
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carrie
Conseillers :
MM. Degrandi, M. Brejoux
Avoués :
SCP Blanc, Me Latil, SCP Boissonnet
Avocats :
Mes Duminy, Giafferi.
La société Pompes Funèbres Giordano a relevé appel d'une ordonnance du président du tribunal de commerce de Frejus du 25 janvier 1991 qui s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Draguignan, au motif que la demande de la société Pompes Funèbres Giordano tendant à ce qu'il soit fait défense à la société Pompes Funèbres Giordano tendant à ce qu'il soit fait défense à la société Pompes Funèbres de l'Estérel d'utiliser le nom patronymique Leclerc concernant le droit des marques.
Elle fait valoir qu'il ressort d'un constat d'huissier du 21 novembre 1990 que la société Pompes Funèbres de l'Estérel a disposé trois enseignes ainsi rédigées : " Pompes Funèbres de l'Estérel - Groupe des Pompes Funèbres Européennes - Dir. Cial. Michel Leclerc ".
Cette publicité a un caractère mensonger et trompeur. En effet, Michel Leclerc qui anime un réseau d'entreprises de pompes funèbres, est le frère d'Édouard Leclerc, fondateur des centres Leclerc.
L'usage du nom Michel Leclerc est de nature à laisser croire que l'entreprise de pompes funèbres fait partie du groupe Édouard Leclerc.
Or, un arrêt définitif de la Cour d'appel de Paris du 28 mars 1985 a fait interdiction à Michel Leclerc d'utiliser, faire utiliser ou déposer à titre de marque son nom patronymique.
Ainsi, la publicité utilisée par la société Pompes Funèbres de l'Estérel apparaît elle comme trompeuse, rendue illicite par l'effet de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973.
L'appelante conclut à l'infirmation de l'ordonnance entreprise et demande à la Cour de faire interdiction à la société Pompes Funèbres de l'Estérel d'utiliser ou de faire utiliser, sous quelque forme que ce soit, le nom patronymique Leclerc, précédé ou non du prénom Michel, sous astreinte de 5 000 F par infraction.
Elle sollicite 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La société Pompes Funèbres de l'Estérel réplique que la société Pompes Funèbres Giordano ayant été absorbée par la société des Pompes Funèbres Générales Est est irrecevable à agir.
Elle soutient que le litige concerne le droit des marques et que par application de l'article 24 de la loi du 3 décembre 1954, seul le tribunal de grande instance est compétent.
Subsidiairement, au fond, elle observe que la société Pompes Funèbres Giordano ne dispose d'aucun droit sur la marque Leclerc.
La première directive du Conseil des Communautés Européennes du 21 décembre 1988 indique que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage dans la vie des affaires de son nom.
Le trouble manifestement illicite n'est pas démontré. En effet, Michel Leclerc est employé en qualité de Directeur commercial et fait usage de son nom conformément aux termes de l'article L 362-9 du Code des communes.
L'appelante ne rapporte pas la preuve de la concurrence déloyale qu'elle invoque.
Le moyen tiré de l'existence d'une publicité trompeuse est nouveau et doit être rejeté.
L'intimée conclut au déboutement de la société Pompes Funèbres Giordano et sollicite 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Postèrieurement à l'ordonnance de clôture du 17 mars 1992, les Pompes funèbres du Sud Est est intervenue en indiquant qu'elle venait aux droits de la société Pompes Funèbres Giordano, à la suite d'une convention de fusion absorption intervenue le 28 juin 1991, et a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture.
La société Pompes Funèbres de l'Estérel a déposé le 15 avril 1992, l'avant-veille de l'audience, de nouvelles conclusions qui seront déclarées irrecevables pour les motifs ci-après exposés.
Discussion
Sur l'intervention de la société Pompes Funèbres du Sud Est et la révocation de l'ordonnance de clôture
Attendu qu'aux termes de l'article 126 du Nouveau code de procédure civile, l'irrecevabilité sera écartée lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l'instance ;
Attendu que l'article 783 du Nouveau code de procédure civile dispose que les demandes en intervention volontaire sont recevables après l'ordonnance de clôture ;
Que l'article 784 du Nouveau code de procédure civile prévoit que si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l'instruction, l'ordonnance de clôture n'est révoquée que si le Tribunal ne peut immédiatement statuer sur le tout ;
Attendu que la société Pompes Funèbres du Sud Est justifie que dans le cadre des dispositions de l'article 372-1 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés, une convention de fusion absorption, approuvée par une assemblée générale extraordinaire de la société Pompes Funèbres Giordano du 28 juin 1991, et par une assemblée générale extraordinaire de la société Pompes Funèbres Générales de Sud Est de la même date, est intervenue entre les deux sociétés ;
Qu'ainsi, la société Pompes Funèbres du Sud Est vient aux droits de la société Pompes Funèbres Giordano et a qualité pour agir ;
Attendu que le fond du litige n'est pas affecté par l'intervention de la société Pompes Funèbres du Sud Est ;
Que la Cour peut immédiatement statuer sur le tout ;
Attendu que la société Pompes Funèbres de l'Estérel n'a pas expressément sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture ;
Qu'elle ne peut arguer d'une communication tardive de pièces par la société Pompes Funèbres du Sud Est, intervenue la veille de l'ordonnance de clôture, alors qu'ayant reçu une injonction de conclure avant le 5 juin 1991, et ayant été informée que l'ordonnance de clôture interviendrait un mois suivant avant l'audience des plaidoiries fixée au 17 avril 1992, elle a attendu le 12 mars 1992 pour conclure, soit cinq jours avant l'ordonnance de clôture, et pour demander ce même jour à son adversaire " communication de tous titres ; pièces et documents " dont il entendait se servir, dans un but manifestement dilatoire ;
Que de surcroît, elle n'invoque aucun grief, ces pièces consistant en diverses coupures de presse, décisions de justice, Groupe des Pompes Funèbres Générales ;
Attendu, en conséquence, qu'il n'y a pas lieu de révoquer l'ordonnance de clôture ;
Que les conclusions déposées le 15 avril 1992 par la société Pompes Funèbres de l'Estérel sont irrecevables ;
Sur la compétence
Attendu que dans son assignation en référé délivrée le 28 décembre 1990, la société Pompes Funèbres Giordano demandait au juge des référés d'interdire à la société Pompes Funèbres de l'Estérel d'utiliser le nom patronymique Leclerc, au motif qu'elle faisait une utilisation manifestement illicite de ce nom, en créant une confusion avec la marque déposée par Édouard Leclerc, et portait ainsi préjudice aux sociétés exerçant une activité concurrente à Frejus ;
Attendu que la demande ne visait pas la protection de la marque Leclerc, mais se fondait sur la concurrence déloyale résultant de l'utilisation du nom Leclerc par la société pompes Funèbres de l'Estérel ;
Que dans ses conclusions d'appel, la société Pompes Funèbres Giordano a fait valoir que l'usage par l'intimée du nom Leclerc constituait une publicité illicite au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ;
Attendu qu'aux termes de l'article 563 du nouveau Code de procédure civile, pour justifier des prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux ; qu'ainsi le moyen tiré des dispositions de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 au soutien de la demande de la société appelante fondée sur la concurrence déloyale est recevable ;
Attendu que l'article 873 du Nouveau code de procédure civile prévoit que le juge des référés commerciaux peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Attendu qu'il ressort d'un constat d'huissier dressé le 21 novembre 1990 que la société Pompes Funèbres de l'Estérel a apposé sur son magasin une enseigne ainsi rédigée :
" Pompes Funèbres de l'Estérel
Groupe des Pompes Funèbres Européennes
Dir. Cial Michel Leclerc " ;
Que le nom " Michel Leclerc " est écrit en lettres d'une taille largement supérieure à celle des autres mentions;
Attendu que l'utilisation par la société Pompes Funèbres de l'Estérel du nom Michel Leclerc est manifestement destinée, en profitant abusivement de la renommée des Centres Leclerc créés par Édouard Leclerc, à détourner à son profit les clients, en leur laissant croire qu'ils s'adressent à un magasin du groupe des Centre Leclerc, alors qu'il n'en est rien ;
Qu'une telle publicité est mensongère et tombe sous le coup des dispositions de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1988 ;
Que cette publicité illicite est constitutive d'une concurrence déloyale à l'égard de la société Pompes Funèbres du Sud Est dés lors que la clientèle est ainsi incitée à s'adresser à la société Pompes Funèbres de l'Estérel ;
Que l'article 6 de cette directive prévoit que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage dans la vie des affaires, de son nom, mais pour autant toutefois que cet usage soit conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ;
Attendu qu'en l'espèce l'identité de la société intimée est Pompes Funèbres de l'Estérel, et non Michel Leclerc ;
Que Michel Leclerc est employé en qualité de " directeur administratif " par la société Pompes Funèbres de l'Estérel, avec un salaire oscillant entre 200 F et 800 F par mois, ce qui en dit Long sur son activité au sein de cette entreprise ;
Qu'il n'est pas d'usage en matière commerciale pour une société de faire figurer dans son enseigne, en caractères particulièrement apparents, le nom d'un directeur commercial ;
Qu'ainsi, les conditions posées par l'article 6 de la directive du 21 décembre 1988 du Conseil des Communautés Européennes ne sont pas remplies ;
Attendu que la société Pompes Funèbres de l'Estérel invoque la Convention Européenne des Droits de l'Homme sans autre précision ;
Qu'à supposer qu'il s'agisse du droit pour une personne d'utiliser son nom, elle ne saurait revendiquer l'usage du nom de Leclerc qui n'est pas le sien ;
Attendu que la société intimée se réfère à tort à l'article L. 362-9 du Code des communes qui prévoit que les entreprises privées de pompes funèbres doivent faire mention dans leurs enseignes des noms des propriétaires ; directeurs généraux, directeurs ou gérants ; qu'en effet, ce texte ne lui impose nullement d'indiquer le nom de son directeur commercial mais, s'agissant d'une société, celui de son directeur générale ou de son gérant ;
Attendu qu'il convient de faire cesser le trouble manifestement illicite causé à la société Pompes Funèbres du Sud Est par la société Pompes Funèbres de l'Estérel en interdisant à cette dernière d'utiliser ou de faire utiliser, sous quelque forme que ce soit, le nom patronymique Leclerc, précédé ou non du prénom Michel, et ce sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée à compter du présent arrêt ;
Attendu qu'il apparaît équitable d'allouer à la société Pompes Funèbres du Sud Est 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Par ces motifs, La Cour, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture ; Déclare irrecevables les conclusions déposées le 15 avril 1992 par la société Pompes Funèbres de l'Estérel ; Reçoit l'interdiction de la société Pompes Funèbres du Sud Est aux lieu et place de la société Pompes Funèbres Giordano ; Réforme l'ordonnance déférée ; Dit que le juge des référés commerciaux était compétent ; Fait interdiction à la société Pompes Funèbres de l'Estérel d'utiliser ou de faire utiliser sous quelque forme que ce soit, le nom patronymique Leclerc, précédé ou non du prénom Michel et ce sous astreinte de 5 000 F (cinq mille francs) par infraction constatée à compter du présent arrêt ; Condamne la société Pompes Funèbres de l'Estérel à payer à la société Pompes Funèbres du Sud Est 5 000 F (cinq mille francs) au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; La condamne aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Blanc, Avoués, sur son affirmation de droit.