CA Paris, 4e ch. A, 27 mai 1992, n° 91-025590
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Communication Média Services (SA), Bloch, Mani, Vincent
Défendeur :
Office D'Annonces (SA), France Télécom (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosnel
Conseillers :
Mme Mandel, M. Boval
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Bommart Forster
Avocats :
Mes Mathely, Cornut Gentille, Paley Vincent, Marcellin, Combeau, Morabia.
LA COUR,
Statuant sur les appels interjetés :
- d'une part par la société Office d'Annonces (ODA) et par France Télécom,
- et d'autre part par la société Communication Média Services (CMS), ainsi que par MM. Bloch, Vincent et Mani,
d'un jugement rendu le 26 septembre 1991 par le Tribunal de Grande Instance de Paris dans un litige les opposant, ensemble sur les demandes incidentes des parties.
Faits et procédure
Référence étant faite aux écritures des parties et au jugement entrepris pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :
ODA, filiale commune d'Havas et de France Télécom, est le régisseur exclusif de la publicité insérée dans les annuaires officiels du téléphone, notamment dans l'annuaire des professionnels abonnés au téléphone, intitulé " Les pages jaunes ". France Télécom, personne morale de droit public exploitant le service des télécommunications, a été créée par la loi du 2 juillet 1990, et elle a recueilli en application de cette loi, la propriété, qui appartenait jusque là à l'Etat, de trois marques complexes " Pages Jaunes " déposées en 1987, en renouvellement de dépôts originaires de 1977.
CMS a été constituée en février 1991, à l'initiative en particulier de MM. Bloch, Vincent et Mani. Les intéressés, actionnaires et administrateurs de la nouvelle société dont M. Bloch assure la présidence et M. Vincent la direction générale, étaient auparavant au service d'ODA, au sein de laquelle M. Bloch avait exercé jusqu'en janvier 1991, à la fois un mandat social en tant que membre du directoire et les fonctions salariées de directeur général adjoint.
Tirant parti de la suppression par la loi du 29 décembre 1990 du régime d'autorisation administrative préalable qui existait auparavant en cette matière, CMS a entrepris l'édition d'annuaires concurrents des Pages Jaunes, dénommés Pages Soleil. La marque Pages Soleil avait été déposée par M. Bloch en octobre 1990, de même que la marque Pages Jaunes - qui a fait l'objet d'une radiation volontaire depuis lors.
Par acte du 19 juin 1991, ODA et France Télécom ont fait assigner à jour fixe devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, MM. Bloch, Vincent et Mani, en contrefaçon ou imitation illicite de la marque Pages Jaunes par le dépôt des marques Pages Soleil et Pages Jeunes, ainsi qu'en concurrence déloyale, leur reprochant à ce titre un débauchage massif du personnel d'ODA, le détournement pour le lancement de l'annuaire Pages Soleil d'études conduites et financées par ODA et France Télécom, la reproduction illicite d'un catalogue de logos appartenant à ODA et une campagne de dénigrement.
Elles sollicitent que soient ordonnées la radiation des marques Pages Soleil et Pages Jeunes, l'interdiction de faire usage de ces marques sous astreinte, la destruction de tous articles ou documents portant atteinte à ces dénominations, et elles demandent que leur soit allouée à titre de dommages intérêts une somme de 300 000 F en réparation des actes de contrefaçon et d'imitation illicite.
Par ailleurs, au titre de la concurrence déloyale, elles réclamaient que les défendeurs soient condamnés in solidum à verser les sommes de 1 705 000 F à ODA et de 1 810 000 F à France Télécom en réparation de leurs préjudices matériels, ainsi que celle de 800 000 F à ODA en réparation de son préjudice moral, et elles demandaient la publication du jugement à intervenir dans trois journaux aux frais de CMS, en se réservant de demander ultérieurement réparation de leur préjudice commercial.
CMS et MM. Bloch, Vincent et Mani ont conclu au rejet de toutes les demandes formées contre eux.
S'agissant des marques litigieuses, ils ont fait valoir que la marque Pages Jeunes avait été radiée volontairement, et ils ont conclu au rejet de l'action en contrefaçon ou imitation illicite, en soutenant que la locution Pages Jaunes n'était pas protégeable et qu'il était d'usage courant en France comme à l'étranger, d'éditer sur papier jaune les annuaires professionnels. Ils ont reconventionnellement réclamé que soient allouées les sommes de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 50 000 F pour leurs frais irrépétibles, et que soient ordonnées 10 publications du jugement.
Sur l'action en concurrence déloyale, MM. Bloch, Vincent et Mani ont soulevé l'irrecevabilité des demandes formées contre eux en soutenant qu'aucun fait de concurrence déloyale ne pouvait leur être personnellement imputé. Subsidiairement, ils ont contesté, de même que CMS, la matérialité des agissements déloyaux et la réalité des préjudices invoqués par leurs adversaires, en réclamant qu'ODA et France Télécom soient condamnées à leur payer diverses indemnités à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et pour leurs frais irrépétibles, ainsi que la somme de 1 F à titre de dommages intérêts à CMS en réparation du préjudice qu'elles auraient causé à celle-ci par leurs agissements constitutifs de concurrence déloyale.
Par jugement en date du 26 septembre 1991, le Tribunal a :
- débouté ODA et France Télécom de leur action en contrefaçon et usage illicite de marques,
- condamné un solidum CMS et MM. Bloch, Vincent et Mani à payer à 200 000 F à ODA et 50 000 F à France Télécom en réparation du préjudice matériel et moral causé à celles-ci par leurs agissements constitutifs de concurrence déloyale,
- rejeté le surplus des demandes d'ODA et de France Télécom,
- débouté CMS de ses demandes reconventionnelles,
- condamné in solidum les défendeurs à payer des indemnités de 50 000 F pour leur frais irrépétibles respectivement à ODA et à France Télécom.
CMS, MM. Bloch, Vincent et Mani, d'une part, ODA et France Télécom d'autre part, ont interjeté appel de ce jugement par déclarations en dates l'une et l'autre du 18 novembre 1991. ODA et France Télécom ayant été autorisées à plaider à jour fixe, les deux procédures ont été jointes.
Les premiers annuaires publiés par CMS ont été mis sur le marché en novembre 1991, et ils ont suscité des différends complémentaires entre les parties. ODA et France Télécom reprochent à leurs adversaires d'avoir multiplié les actes de contrefaçon, et d'avoir accentué leurs actions de dénigrement et de débauchage, CMS, MM. Bloch, Vincent et Mani soutiennent, de leur côté, qu'ODA et France Télécom font usage de moyens frauduleux ou déloyaux pour préserver leur monopole de fait antérieur : ils ont déposé plainte pour faux, entrepris une action en diffamation, et ils se plaignent d'être victime notamment de refus de vente, ainsi que d'actes constitutifs d'abus de position dominante, et de concurrence parasitaire.
France Télécom et ODA sollicitent la confirmation du jugement sur le principe de la concurrence déloyale et en ce qu'il a débouté leurs adversaires de leurs demandes reconventionnelles. Elles poursuivent pour le reste la réformation notamment en ce que les premiers juges ont rejeté leur action en contrefaçon ou imitation illicite de marque, et sur le montant des dommages-intérêts, selon elles dérisoires, qui leur ont été accordés au titre de la concurrence déloyale. Outre les mesures d'interdiction sous astreinte, de destruction, et de publication qu'elles avaient sollicitées en première instance, elles réitèrent leurs demandes de dommages intérêts, ODA réclamant en outre une somme de 1 000 000 F pour son préjudice commercial et portant à 1 000 000 F également sa demande au titre du préjudice moral. Elles réclament chacune une somme de 100 000 F pour leurs frais irrépétibles.
CMS, MM. Bloch, Vincent et Mani poursuivent la réformation du jugement en ce qu'il a retenu à leur encontre le grief de concurrence déloyale. MM. Bloch, Vincent et Mani opposent des exceptions d'irrecevabilité et d'incompétence - au profit du conseil des prud'hommes de Boulogne - aux demandes formées contre eux à ce sujet, et ils réclament chacun les sommes de 50 000 et 30 000 F, respectivement à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et d'indemnités pour leurs frais irrépétibles. Tous sollicitent par ailleurs le rejet des demandes d'ODA et de France Télécom, auxquelles CMS, qui sollicite des mesures de publication, réclame aussi à titre reconventionnel, en réparation du préjudice résultant de leurs actes de concurrence déloyale, une somme de 2 000 000 F à titre de dommages intérêts, outre deux sommes de 200 000 F à titre d'indemnités pour procédure abusive et pour ses frais irrépétibles.
Sur les marques, CMS, MM. Bloch, Vincent et Mani, sollicitent à titre principal la mise hors de cause de MM. Vincent, et Mani qui n'ont jamais exploité la marque Pages Soleil, et ils prient la Cour de dire :
- que la locution " Pages Jaunes " ne pouvait être appropriée en tant que marque à la date de son dépôt, parce qu'elle ne présentait aucun caractère distinctif, et était constituée exclusivement de termes indiquant la composition du produit,
- que l'usage de cette locution, fondé sur un abus de position dominante, condamné par le conseil de la concurrence, ne peut faire naître aucun droit au profit du titulaire de la marque, et ne permet pas d'invoquer l'article 6 quinquiès de la Convention d'Union de Paris,
- de condamner leurs adversaires à leur payer les sommes de 30 000 F et 50 000 F respectivement pour procédure abusive et pour leurs frais hors dépens.
CMS réclame en outre une somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, ainsi que dix mesures de publications et M. Bloch demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'il a procédé le 1er juillet 1991 à la radiation de la marque Pages Jeunes.
Subsidiairement, CMS, M. Bloch, Vincent et Mani concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a décidé que la marque Pages Soleil ne constituait ni la contrefaçon, ni l'imitation illicite des marques invoquées, et ils demandent qu'il soit dit que la marque Pages Jeunes n'est ni contrefaisante ni imitante. Ils concluent également au rejet des griefs qui leur sont adressés en ce qui concerne l'utilisation de la marque Pages Jaunes dans un prospectus diffusé par CMS, en faisant valoir que les termes pages jaunes sont insusceptibles de protection, et subsidiairement que la citation de cette marque, particulièrement faible, a été effectuée conformément aux règles qui régissent la publicité comparative. Ils sollicitent une indemnité de 50 000 F pour leurs frais irrépétibles.
Discussion
I. Sur les demandes relatives aux marques
Considérant que France Télécom qui a été déboutée de toutes ses prétentions de ce chef par les premiers juges, réitère devant la Cour ses demandes en contrefaçon ou imitation illicite des marques Pages Jaunes ; qu'il convient de rappeler que cette personne morale de droit public, à laquelle ont été transférés les droits de l'Etat attachés aux services de la Direction Générale des télécommunications, est en particulier devenue titulaire des marques Pages Jaunes, enregistrées sous les n° 1.430.716, 1.430.417, et 1.430.719, déposées en 1987, en renouvellement de dépôts originaires effectués en 1977 ; que les marques invoquées, qui ne diffèrent que par des détails de graphisme, sont des marques complexes constituées, d'une part par un élément figuratif consistant en un carré foncé sur lequel se détache le dessin stylisé d'un annuaire surmonté par le dessin d'un combiné téléphonique, et d'autre part par la dénomination " Pages Jaunes ", inscrite sous le carré foncé ;
Considérant que les premiers juges ont écarté les demandes en contrefaçon ou imitation illicite ayant trait à la marque Pages Jeunes, en donnant acte à CMS de ce qu'elle avait fait procéder à la radiation de celle-ci ; que s'agissant des demandes relatives à la marque Pages Soleil, ils ont estimé que celle-ci n'est pas la contrefaçon des marques invoquées parce qu'elle n'en est pas la reproduction identique ou quasi-identique, et qu'elle n'en constitue pas non plus l'imitation illicite, parce que ces marques " n'ont en commun que le terme usuel " pages " dont l'utilisation ne peut évidemment être illicite, que le mot " Soleil " ne fait pas nécessairement évocateur de chaleur et de vacances ", et parce " qu'il n'apparaît pas d'un risque de confusion puisse se produire dans l'esprit d'un consommateur " ;
Considérant qu'il est constant que MM. Vincent et Mani n'ont pas personnellement participé aux actes de contrefaçon ou d'imitation illicite de marques allégués par France Télécom ; qu'ils seront mis hors de cause pour cette partie du litige ;
Considérant que CMS et M. Bloch, sans réclamer l'annulation des marques complexes qui leur sont opposées, prient la Cour de dire que leurs adversaires ne peuvent pas invoquer en elle-même la locution " Pages Jaunes " qui est un élément desdites marques parce que cette locution ne serait pas appropriable en tant que marque ;
Qu'ils font valoir qu'au moment du dépôt des marques invoquées, il était usuel tant en France qu'à l'étranger, d'éditer des annuaires professionnels, comportant des pages de couleur jaune, et que cette couleur jaune répond à des impératifs techniques, s'agissant de la solution la plus économique en imprimerie si l'on souhaite ne pas recourir au papier blanc traditionnel ;
Qu'ils ajoutent qu'il est également usuel tant en France qu'à l'étranger de désigner les annuaires professionnels par la caractéristique qui les distingue des annuaires ordinaires, à savoir la couleur jaune des pages ; qu'ainsi depuis 1942, ATT, aux Etats-Unis, désignait son annuaire professionnel sous la dénomination Yellow Pages, qu'il en est de même notamment au Royaume Uni et en Italie (Pagine Gialle) ;
Qu'ils soutiennent en conséquence que la locution Pages Jaunes était inappropriable en elle-même au moment du dépôt des marques complexes invoquées, parce que se bornant à exprimer que l'annuaire professionnel est constitué de pages jaunes, elle est formée exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit ;
Qu'ils font valoir enfin que leurs adversaires ne peuvent pas soutenir que la locution " Pages Jaunes " aurait acquis un caractère distinctif en raison de son usage, parce que l'usage qui a pu être fait de cette locution provenait d'une situation de monopole, sanctionnée par le Conseil de la Concurrence, et qui ne saurait en conséquence faire naître un droit au profit du titulaire de la marque ;
Mais considérant que cette argumentation, réfutée par ODA et France Télécom, ne saurait prospérer ;
Que les marques de France Télécom portent sur la dénomination " Pages Jaunes ", employée pour désigner des annuaires professionnels, et non pas sur la couleur jaune des pages de ces annuaires ;
Que s'il ressort des pièces mises aux débats que les annuaires professionnels, imprimés jusque-là sur papier rose, ont été publiés sur papier jaune à partir de 1968, il n'est aucunement démontré qu'avant le dépôt des marques invoquées, en 1977, l'expression " Pages Jaunes " aurait été usuelle en France pour désigner des annuaires professionnels ; que cette expression, qui désigne au sens propre de simples feuilles de papier de couleur jaune, n'est nullement nécessaire ou générique, pour distinguer des annuaires ; qu'elle n'est pas non plus essentiellement descriptive puisque si elle vise un attribut habituel, mais non indispensable de ces produits - aucune règle nationale ou international n'impose de publier sur papier jaune les annuaires professionnels - elle ne définit ni la nature ni la fonction de ces objets ; qu'il s'ensuit, sans qu'il soit besoin de recourir aux dispositions de l'article 6 quinquiès de la convention d'union de Paris, que la locution " Pages Jaunes " était parfaitement appropriable au moment du dépôt des marques invoquées ;
Considérant que si France Télécom invoque à la fois la contrefaçon et l'imitation illicite concernant les marques Pages Jaunes et Pages Soleil, elle s'est limitée dans ses dernières conclusions à développer le grief d'imitation illicite pour ce qui concerne la marque " Page Soleil " ; qu'il est manifeste en effet qu'ainsi que les premiers juges l'ont décidé cette marque n'est pas la reproduction servile ou quasi-servile de la locution Pages Jaunes, et n'en constitue pas la contrefaçon ;
Considérant toutefois que la décision entreprise a également écarté le grief d'imitation illicite en ce qui concerne cette marque " Pages Soleil " ; qu'elle est justement critiquée à cet égard par France Télécom qui reproche au Tribunal de n'avoir pas procédé à une comparaison globale des locutions en présence mais d'avoir écarté de cette comparaison le terme Pages jugé banal et non protégeable ; qu'en réalité ce mot n'est nullement dépourvu de pouvoir distinctif pour désigner des annuaires ; que sa reproduction à l'identique dans la marque incriminée, associée au mot soleil, certes évocateur de chaleur et de vacances mais aussi de la couleur jaune, aboutit à la constitution d'une locution qui comporte le même nombre de termes et de syllabes que la partie nominale des marques invoquées, la même structure, le même premier mot, et qui peut être comprise comme ayant la même signification ; que ces multiples similitudes entre les marques ci-dessus mentionnées sont de nature à susciter dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne (qu'il s'agisse du professionnel acheteur d'espaces publicitaires, ou de l'utilisateur de l'annuaire) n'ayant pas ensemble sous les yeux les marques en litige un risque de confusion qui caractérisée l'imitation illicite ;
Considérant que la marque Pages Jeunes est sur les plans phonétique et visuel quasiment identique à la locution Pages Jaunes, dont elle se distingue seulement par une voyelle ;qu'elle constitue ainsi la contrefaçon des marques invoquées ; que le seul fait de son dépôt ayant porté atteinte aux droits du titulaire des dites marques, sa radiation postérieure à l'introduction de l'instance ne fait obstacle à ce que France Télécom obtienne réparation de ce préjudice ; que M. Bloch sera condamné de ce chef à payer à France Télécom la somme de 20 000 F à titre de dommages intérêts ;
Considérant que les actes d'imitation illicite des marques de France Télécom, résultant du dépôt par M. Bloch, et de l'usage par CMS de la marque Pages Soleil justifient l'allocation à France Télécom, eu égard à l'importance des atteintes portées à ses marques, d'une somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts ;
Considérant qu'il sera fait interdiction à M. Bloch et CMS de faire usage à quelque titre que ce soit des dénominations Pages Soleil et Pages Jeunes sous peine d'une astreinte de 20 000 F par infraction constatée passé l'expiration d'un délai de 2 mois suivant la signification du présent arrêt ;
Qu'eu égard à cette interdiction, il n'est pas nécessaire d'ordonner les mesures de destruction sollicitées ; qu'il n'y a pas lieu non plus de prescrire la radiation des marques incriminées ; que la marque Pages Jeunes a déjà été radiée volontairement ; qu'il n'appartient pas à la Cour d'ordonner la radiation de la marque Pages Soleil, alors que cette mesure n'est pas prévue par les textes, et qu'au surplus France Télécom n'a pas demandé l'annulation du dépôt de ladite marque ;
Considérant enfin que France Télécom fait grief à CMS d'avoir diffusé en juin 1991 un prospectus tiré à un grand nombre d'exemplaires, dans lequel elle présente les avantages de son propre annuaire, en le comparant à l'annuaire professionnel officiel dans les termes suivants : " ... aujourd'hui près de la moitié des parisiens ne se procure pas les pages jaunes. Et encore plus rares seront ceux qui feront cette démarche fastidieuse lorsqu'ils ont reçu les Pages Soleil à domicile ".
Considérant qu'en utilisant dans ces conditions les marques de France Télécom sans l'autorisation de celle-ci, dans un document publicitaire qui ne procède pas à une comparaison loyale puisqu'il met en valeur les avantages de son propre annuaire en insistant uniquement sur des points faibles des Pages Jaunes appartenant à France Télécom ; qu'il y a lieu de la condamner de ce chef à payer à celle-ci la somme supplémentaire de 50 000 F à titre de dommages intérêts, et de lui faire interdiction sous astreinte de poursuivre ces actes ;
II. Sur la concurrence déloyale
Considérant qu'ODA et France Télécom sollicitent la confirmation du jugement en ce que celui-ci a retenu dans son principe le grief de concurrence déloyale à l'encontre de leurs adversaires ; qu'elles font grief au tribunal de ne pas leur avoir alloué de dommages intérêts à la mesure de leur préjudice réel, et forment appel incident de ce chef en réitérant leurs demandes initiales et en y ajoutant ; qu'elles sollicitent ainsi diverses indemnités s'élevant au total à plus de 3 millions de francs ;
Considérant que CMS et MM. Bloch, Vincent et Mani concluent en revanche à la réformation intégrale du jugement en ses dispositions relatives, à la concurrence déloyale ; que MM. Bloch, Vincent et Mani opposent des exceptions d'irrecevabilité et d'incompétence aux demandes formées à leur encontre ; qu'ils soutiennent avec CMS que les demandes formées au titre de la concurrence déloyale par leurs adversaires sont mal fondées ; que CMS enfin réitère sa demande reconventionnelle en concurrence déloyale à l'encontre d'ODA et de France Télécom qui a été rejetée par les premiers juges ; qu'elle porte de 1 F à 2 millions de francs le montant des dommages intérêts qu'elle sollicite à ce titre ;
Considérant qu'il importe de rappeler que M. Bloch, entré au Directoire d'ODA en janvier 1988 " sur le contingent de l'administration " alors qu'il était chargé de mission au cabinet du ministre des PTT, a été nommé Directeur Général Adjoint de la société, et a occupé en cette qualité de salarié les fonctions de Directeur de la communication, et en outre, à partir d'octobre 1989, celles de Directeur des affaires commerciales ; qu'il a démissionné de ses fonctions de membre du Directoire le 6 décembre 1990, pour manifester son opposition aux conditions (selon lui désastreuses pour les perspectives légitimes des autres membres de l'entreprise) dans lesquelles devait intervenir la nomination au Directoire d'un proche collaborateur du ministre des PTT alors en fonctions ; qu'il a ensuite estimé que la décision de confier à l'intéressé la direction de la communication d'ODA qu'il avait eu en charge jusque-là constituant une modification substantielle de son contrat de travail et un licenciement de fait, et a adressé au Président du directoire d'ODA, le 21 décembre 1990, une lettre indiquant qu'il s'estimait libéré de tout engagement envers la société ; que celle-ci l'a licencié pour faute grave le 10 janvier 1991, lui reprochant en particulier d'avoir gravement troublé le climat de l'entreprise en diffusant largement ses lettres ci-dessus mentionnées ; qu'une procédure prud'homale est en cours à propos de ce licenciement ;
Considérant que M. Bloch (qui explique les circonstances de son départ par le fait que les actionnaires d'ODA auraient décidé de l'écarter dès le mois de septembre 1990) a joué un rôle déterminant dans la constitution de CMS, dont les statuts ont été signés le 29 janvier 1991, et qui a été immatriculée au registre du commerce le 20 février 1991 ; qu'il détient une participation importante dans la société, de même que M. Mani ancien responsable d'une équipe de 8 vendeurs au sein d'ODA, et licencié par celle-ci en décembre 1990 ; que M. Vincent qui était l'un de ses collaborateurs chez ODA, est également devenu administrateur et Directeur Général de CMS ;
Considérant que France Télécom et ODA font d'abord grief à CMS, ainsi que MM. Bloch, Vincent et Mani d'avoir détourné des études confidentielles qu'elles avaient fait réaliser à grands frais pour rechercher les moyens d'assurer une meilleure diffusion de l'annuaire en région parisienne ; qu'il est constant que dans le cadre de ces études versées aux débats, dont le coût s'est élevé à 2 715 000 F, supporté aux deux tiers par France Télécom et pour un tiers par ODA, ont été effectuées des analyses très approfondies du marché des annuaires, appuyées notamment sur l'examen des attentes des annonceurs et des utilisateurs, et aussi sur celui des enseignements susceptibles d'être tirés de nombreuses expériences étrangères ; qu'à la suite de rapports effectués par des consultants extérieurs, ainsi que de réflexions menées au sein des services d'ODA et de France Télécom, en particulier sur les perspectives commerciales, les problèmes de fabrication et de distribution, ont été établies différentes maquettes, et des propositions portant par exemple sur un nouveau classement par arrondissement au sein de chaque rubrique, ou sur la création de nouvelles rubriques : Paris Vitrines, La Clé des Marques, Paris Tourisme... ;
Considérant qu'ainsi que l'a relevé le tribunal, les Pages Soleil comportent un classement par arrondissement, des rubriques " les plans shopping ", " la voix des marques ", " le guide du tourisme et des loisirs " qui correspondent précisément aux innovations qui avaient été préconisées ; que M. Bloch qui, de même que M. Vincent, avait été étroitement associé aux études d'ODA et de France Télécom, a fait diffuser dès le mois suivant la constitution de CMS un dossier de presse présentant " Les Pages Soleil " en précisant qu'elles étaient " le résultat d'une " somme d'observations acquises sur le terrain et d'une " volonté affirmée d'innover... qu'il (avait) mené une " étude de marché complète afin d'obtenir un produit en " parfaite adéquation avec les besoins... que les attentes " des professionnels et des particuliers, les habitudes " géographiques de consommation (avaient) été " analysées... que les annuaires des pays européens et " des Etats-Unis (avaient) fait l'objet d'études comparées permettant de mettre en évidence avantages et " inconvénients de diverses formules... " ; qu'alors que la seule étude que CMS justifie avoir fait mener est une enquête par sondage, effectuée à Paris par la Sofres en avril 1991, pour déterminer les limites géographiques des annuaires locaux dont elle avait annoncé la publication, il est manifeste que les analyses approfondies que la société affirmait précédemment avoir faites, étaient en réalité, le fruit des enquêtes et des recherches réalisées et financées par ODA et France Télécom ;
Considérant que CMS et ses animateurs font valoir vainement :
- qu'il est loisible à des salariés de tirer parti dans un nouvel emploi des connaissances acquises dans une activité antérieure, et qu'aucun reproche ne pourrait leur être adressé dès lors qu'ils n'ont pas matériellement dérobé les rapports des études effectués par leurs adversaires,
- que les Pages Soleil " se caractérisent par le choix de plusieurs solutions qui avaient été écartées par ODA et France Télécom,
- que les innovations que leurs adversaires leur reprochent de s'être appropriées n'avaient rien d'original et n'étaient que la reprise de solutions retenues par des annuaires étrangers ;
Considérant qu'en effet, même s'il n'est pas démontré que les intéressés se seraient matériellement emparés des résultats des études d'ODA et de France Télécom, il est évident qu'ils ont tiré parti indûment d'investissements de recherches et d'études considérables effectués par leurs concurrents, ce qui leur a permis de mettre au point très rapidement leur propre produit en évitant aléas et frais ; que les solutions retenues par eux alors qu'elles avaient été écartées par ODA et France Télécom ne témoignent pas de leur part d'un esprit d'innovation particulier, mais résultent aussi de ce que la dimension de leur entreprise, le fait qu'elle n'ait pas à se soucier de porter atteinte à des produits déjà mis par elle sur le marché, leur ont permis de se concentrer sur quelques secteurs géographiques fructueux, alors que les annuaires officiels devaient de toutes manières continuer continuer à couvrir l'ensemble du territoire, et auraient considérablement accru leurs coûts, s'ils avaient choisi de multiplier les éditions locales ; qu'enfin même si bon nombre d'innovations envisagées par ODA et France Télécom, avaient déjà été mises en œuvre à l'étranger, ces deux entreprises ne s'étaient pas contentées de chercher à les copier, mais en avaient étudié l'impact, en réalisant des études précises et des maquettes, pour les adapter aux besoins du marché de la région parisienne;
Que le jugement mérite donc confirmation en ce qu'il a retenu que CMS et ses animateurs ont commis des agissements de concurrence déloyale en s'appropriant indûment les résultats des études faites par France Télécom et ODA ;
Considérant que le tribunal ayant également retenu comme un élément caractérisant la concurrence déloyale les conditions dans lesquelles plusieurs dizaines de salariés d'ODA ont quitté celle-ci pour entrer au service de CMS, cette société et ses dirigeants contestent formellement , avoir eu en la matière un comportement critiquable ; qu'ils font valoir et démontrent en effet qu'un climat social extrêmement tendu régnait au sein d'ODA, entraînant une très forte insatisfaction du personnel, et notamment une rotation très importante chez les vendeurs, affectant chaque année environ 50 % de l'effectif ; qu'ils exposent également qu'ODA, décidée à leur nuire à tout prix, aurait suscité de fausses attestations, en faisant pression sur son personnel pour que celui-ci témoigne que CMS l'avait incité à démissionner pour entrer à son service ; qu'ils produisent en effet des attestations émanant notamment de plusieurs salariés toujours en place chez ODA qui confirment avoir été l'objet de ces pressions, et ont déposé une plainte pour faux et tentative d'escroquerie au jugement qui est actuellement en cours d'instructions ; qu'ils font valoir également qu'ils n'ont pas offert de conditions de rémunération anormales aux salariés ayant quitté ODA, et que cette société, qui compte 2 400 employés, ne peut pas soutenir avoir été désorganisée par le départ des 31 vendeurs qui sont entrés à son service ;
Mais considérant que si les attestations ci-dessus mentionnées ne sauraient évidemment être prises en considération - elles ne sont d'ailleurs plus produites devant la Cour par ODA - et si le climat régnant au sein de l'entreprise a certainement concouru au départ de certains de ses salariés, il n'en demeure pas moins qu'ODA établit que plus d'une trentaine de ses vendeurs ont été recrutés par CMS au cours du premier trimestre 1991, appartenant pratiquement tous à quatre équipes commerciales, intervenant en région parisienne, sur les secteurs dans lesquels CMS a publié ses premières annuaires ; qu'elle démontre en particulier que l'une de ces équipes, à laquelle avait appartenu M. Mani, a été particulièrement affectée puisqu'elle a perdu plus de 30 % de son effectif (20 vendeurs sur 64) ; qu'elle établit, en produisant leurs lettres de démission, que ces salariés passés au service de son adversaire, étaient des vendeurs confirmés, ayant de 1 à 10 ans d'expérience dans la vente, que leurs démissions ont été quasi-simultanées, concomitantes de la création de CMS, et que 14 d'entre eux ont même démissionné au début du mois de janvier 1991, avant la constitution de CMS ;
Considérant que la simultanéité du départ d'un nombre important de membres expérimentés de certaines équipes commerciales, et leur embauche dans le même temps par CMS qui les a affectés aux mêmes fonctions ne peut pas être fortuit ; que cette société et ses dirigeants ne pouvaient ignorer qu'ils provoquaient de la sorte une désorganisation, ne touchant certes pas l'ensemble de la société concurrente, mais affectant sévèrement certains de ses services de vente ; que le Tribunal a donc justement estimé que ces faits, ayant porté préjudice à ODA, étaient constitutifs de concurrence déloyale ;
Considérant que les premiers juges ont encore relevé que l'annuaire " Les Pages Soleil " présentait des analogies frappantes dans sa présentation matérielle avec l'annuaire " Les Pages Jaunes ", et qu'il comportait la reproduction de plusieurs logos, créés par ODA pour diverses entreprises; qu'ODA fait valoir que des particularités graphiques, affectant les logos créés par elle pour les annonces d'Alfa-Roméo, de Lancia, et des agents immobiliers appartenant au SNPI (orthographié par erreur SNPL) se retrouvent dans le prototype de l'annuaire Les Pages Soleil ; que CMS ne fournit pas d'explication satisfaisante de ces faits puisque si elle affirme que les logos Alfa Roméo lui ont été fournis par les garages annonceurs, elle n'explique pas notamment comment a pu se produire l'erreur concernant le sigle SNPI, que l'annonceur concerné avait précédemment fait rectifier par ODA ; que par ailleurs, ODA et France Télécom, faisant grief à leurs adversaires d'avoir imité la présentation graphique des Pages Jaunes ou de différents annuaires locaux publiés par France Télécom, CMS soutient que l'utilisation d'un papier jaune, avec impression du texte en noir et l'usage du rouge pour les têtes de rubriques ou la mise en valeur de certaines publicités, correspond à des impératifs techniques, ces solutions étant les seules à permettre de produire dans de bonnes conditions graphiques et sans augmentation de coût, des annuaires professionnels se distinguant des annuaires ordinaires sur papier blanc ; qu'elle justifie de ce que dans un très grande nombre de pays, les annuaires professionnels sont imprimés dans ces couleurs ;
Mais considérant que si France Télécom ne peut pas être admise à revendiquer ainsi qu'elle le prétend le monopole de l'usage de ces couleurs en France, elle démontre que les annuaires Pages Soleil ont repris différentes particularités par lesquelles les Pages Jaunes se distinguent de leurs homologues étrangers; mise en page dite en U des publicités hors colonnes, les plus grandes en bas et par taille décroissante vers le haut, utilisation aussi de la même case de renvoi caractéristique avec la même mention " voir annonce même page " composée de la même manière, même présentation particulière des noms des localités précédés d'une vignette et suivis d'un filet... etc ; que les éléments sur lesquels insiste CMS, format différent, nuance de jaune différente, impression sur trois colonnes et non pas quatre, caractères plus gros, présentation des têtes de pages en noir tramé, n'empêchent pas que globalement les similitudes non imposées par des nécessités techniques et portant sur des caractéristiques copiées servilement ne peuvent être fortuites en raison de leur multiplicité et de leur concordance ; que les annuaires incriminés produisent la même impression d'ensemble que les annuaires de France Télécom, provoquant un risque manifeste de confusion entre ces produits;
Considérant enfin que France Télécom et ODA versent également aux débats différentes publicités diffusées par CMS, qui présentent un caractère dénigrant : le prospectus déjà mentionné précédemment, dans lequel il est notamment indiqué " Mieux diffusé mais aussi mieux ciblé, plus séduisant et plus compétitifs : l'annuaire Pages Soleil quand on le compare on l'adopte ! Bien entendu vous avez la possibilité de persister à payer plus cher pour être moins vu ! ", des encarts et des affiches où il est énoncé notamment " Fin du monopole des annuaires... Les Pages Soleil c'est le jour et la nuit... Un annuaire plus clair, plus net, qui a été conçu pour trouver et non plus chercher... "
Considérant que si les lettres également diffusées auprès de la clientèle par CMS pour exposer le point de vue de cette société sur le litige l'opposant à ODA et à France Télécom, en insistant sur les manœuvres selon elle abusives utilisées par ces sociétés pour préserver à tout prix leur monopole de fait antérieur, s'inscrivent dans un enchaînement d'attaques et de ripostes réciproques entre ces sociétés concurrentes, les autres éléments précédemment relevés, appropriation indue de travaux de recherche, désorganisation, recherche de confusion, publicités dénigrantes, caractérisent de la part de CMS et de ses dirigeants des agissements constitutifs de concurrence déloyale ; que le jugement entrepris mérite confirmation de ce chef ;
Considérant que MM. Bloch, Vincent et Mani ayant été attraits à la procédure tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de mandataires sociaux de CMS, avaient demandé au Tribunal de déclarer irrecevables les demandes formées contre eux à titre personnel pour ce qui concerne la concurrence déloyale ; que les premiers juges ayant rejeté cette prétention au motif que les intéressés, fondateurs de CMS et anciens cadres d'ODA étaient informés personnellement ou avaient même collaboré aux études effectuées par ODA, et que leur responsabilité in solidum avec CMS devait être retenue, ils ont réitéré leur demande en appel, sollicitant dans un premier temps que l'action dirigée contre eux soit déclarée irrecevable et qu'ils soient mis hors de cause ; que leur mise en cause était justifiée, par un manquement à leur obligation de loyauté envers ODA, ils ont par la suite soulevé " en tant que de besoin " l'incompétence de la Cour sur ce point et réclamé qu'ODA et France Télécom soient renvoyées à se pourvoir devant le conseil des prud'hommes de Boulogne ;
Mais considérant que cette exception d'incompétence soulevée pour la première fois devant la Cour, en réplique à une argumentation qui avait déjà été développée par leurs adversaires dans leurs écritures de première instance (en page 5 de leurs conclusions en réplique) ne saurait de toute manière à prospérer ; que par ailleurs, MM. Bloch, Vincent et Mani ayant contribué à fonder la société CMS dont ils sont tous trois mandataires sociaux (et actionnaires pour ce qui est de MM. Bloch, et Mani) ont concouru personnellement et en toute connaissance de cause à divers actes fautifs de concurrence déloyale en particulier l'utilisation parasitaire des études financées par leur ancien employeur et France Télécom, et les manœuvres dirigées en direction du personnel de certains services d'ODA ; que ces agissements justifient leur mise en cause personnelle dans la présente instance ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception d'irrecevabilité des demandes formées à leur encontre au titre de la concurrence déloyale ; que toutefois il n'y a pas lieu ainsi que l'a fait le Tribunal de les déclarer responsables in solidum avec la société pour le tout ; que par réformation du jugement sur ce point, eu égard à la gravité de leurs fautes respectives, leur responsabilité sera engagée in solidum avec celle de CMS, mais limitée pour M. Bloch à la moitié des indemnités allouées et au quart en ce qui concerne tant M. Vincent, que M. Mani ;
Considérant qu'en réparation des agissements constitutifs de concurrence déloyale qu'il avait retenus à leur encontre, le Tribunal a condamné in solidum CMS, et MM. Bloch, Vincent et Mani à payer les sommes de 200 000 F à ODA et de 50 000 F à France Télécom, à titre de dommages intérêts en réparation de leur préjudice matériel et moral ; que ces parties concluent de ce chef à la réformation du jugement et prient la Cour d'allouer à titre d'indemnités :
- pour leur préjudice matériel les sommes (correspondant aux dépenses qu'elles avaient respectivement engagées pour les études détournées) de 1 810 000 F à France Télécom et de 905 000 F à ODA,
- pour son préjudice commercial, la somme de 1 000 000 F à ODA correspondant à la perte de chiffre d'affaires qu'elle aurait subit en raison de la désorganisation de ses équipes de vente et au coût de la formation des vendeurs qu'elle a dû embaucher pour remplacer ceux partis chez MS,
- pour son préjudice moral, à ODA également, la somme de 1 000 000 F en raison du trouble suscité au sein de son personnel par les agissements déloyaux de MM. Bloch " et de ses complices " et de l'atteinte apportée à son image de marque par la campagne de dénigrement dont elle a été victime ;
Considérant que CMS, MM. Bloch, Vincent et Mani contestent la réalité et en tout cas l'évaluation des préjudices ainsi invoquées ; qu'il est constant que le détournement des études financées par France Télécom et ODA n'ont pas empêché celles-ci d'en faire elles-mêmes usage, en particulier pour la refonte des Pages Jaunes 1992 et l'adaptation de leur propre politique commerciale ; qu'il serait excessif de leur allouer à ce tire des dommages intérêts correspondant à la totalité du coût de ces études ; qu'ODA qui ne sollicite pas d'expertise ne produit pas d'éléments précis de nature à justifier, par comparaison notamment avec les secteurs non affectés, de l'importance du détournement de clientèle que les actes de parasitisme et de désorganisation auraient entraîné pour elle ; que son estimation de ses frais de recrutement d'une quarantaine de nouveaux vendeurs, apparaissent également très excessifs dès lors que ses calculs ne prennent pas en compte les frais fixes qu'elle supporte de toute manière en ce domaine eu égard au taux de rotation considérable de son personnel commercial ; que compte tenu de l'ensemble des éléments précédemment mentionnés, la Cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 500 000 F le montant du dommage éprouvé par France Télécom et à 1 000 000 F celui du préjudice subi toutes causes confondues par ODA, du fait des agissements constitutifs de concurrence déloyale dont elles ont été victimes ; que leurs adversaires seront condamnés in solidum à leur payer des dommages-intérêts de ce montant, qui n'incomberont toutefois qu'à concurrence de la moitié à M. Bloch, et du quart tant à M. Vincent qu'à M. Mani ;
Considérant que CMS avait formé une demande reconventionnelle en concurrence déloyale devant les premiers juges et réclamé 1 F à titre de dommages intérêts ;
Qu'ayant été déboutée, elle forme appel de ce chef et porte à 2 000 000 F le montant de sa demande ;
Considérant que le tribunal a justement estimé que le dénigrement dont cette société prétendait avoir été victime n'était pas suffisamment établi ; que CMS a d'ailleurs entre-temps engagé une action en diffamation dont elle a été déboutée ; que les premiers juges doivent également être approuvés d'avoir relevé que CMS avait reçu livraison des fichiers d'abonnés qu'elle avait commandés ; qu'elle ne démontre pas que France Télécom en aurait retardé la fourniture de manière fautive ; que CMS ne prouve pas non plus que ses adversaires lui auraient porté préjudice par des publicités mensongères ; que contrairement à ses allégations en effet, il est établi que plus d'un million d'annuaires Pages Jaunes de Paris ont été imprimés pour 1991 ;
Mais considérant que développant de nouveaux griefs devant la Cour, CMS reproche à ODA et à France Télécom d'avoir abusé de leur position dominante en annonçant début 1991 qu'elles lanceraient un nouvel annuaire qualifié de supplément local aux pages jaunes, dans les Yvelines et les Hauts de Seine, soit exactement dans une zone où elle-même avait annoncé qu'elle s'implanterait, et en offrant aux annonceurs de figurer gratuitement dans le prototype de cet annuaire qui serait distribué au public, de manière à entraver son accès au marché ; qu'elle ajoute que le fait de diffuser ce nouveau produit dans l'aire géographique précise choisie et annoncée par elle, serait un comportement parasitaire, ses adversaires se bornant à profiter de ses efforts commerciaux, sans même tenter d'imaginer des implantations géographiques originales ;
Considérant qu'ODA et France Télécom se sont bornées à répliquer que les allégations de leur adversaire relèveraient que la " provocation " ; qu'elles ont toutefois précisé que le prototype d'annuaire local incriminé n'avait été distribué qu'à 20 000 exemplaires ;
Mais considérant qu'il est constant qu'ODA a été condamnée en 1990 par le Conseil de la concurrence pour abus (vis à vis de ses clients) de position dominante ; que cette société et France Télécom ne répondent pas à l'argumentation de CMS en ce qu'elle soutient qu'elles ne peuvent justifier d'aucune étude préalable au choix de la zone de diffusion de leur nouvel annuaire local sur des commandes où elle avait entrepris un vaste effort de promotion auprès des annonceurs, ni en ce qu'elle fait valoir que l'offre d'annonces gratuites à ces annonceurs a constitué une entrave anormale à ses propres efforts de prospection ; que ces agissements ne sont pas conformes aux usages locaux du commerce, et ne peuvent être justifiés par les actes de concurrence déloyale précédemment commis par CMS ; qu'il y a lieu dans ces conditions de condamner in solidum ODA et France Télécom à payer à CMS la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts :
Considérant qu'aux mesures de publications sollicitées sera substituée l'insertion d'un encart précisé au dispositif ci-après ;
Considérant qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, les demandes de dommages intérêts pour procédure abusive présentées par CMS et MM. Bloch, Vincent et Mani ne sauraient prospérer ; que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application en leur faveur des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;
Qu'il serait en revanche inéquitable de laisser supporter à ODA et à France Télécom certains frais irrépétibles qu'elles ont dû exposer en appel ; qu'il convient d'allouer à chacune d'elles de ce chef une indemnité supplémentaire de 25 000 F ;
Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a : - rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par MM. Bloch, Vincent et Mani, - retenu que ceux-ci avaient commis avec la société Communication Média Services des agissements constitutifs de concurrence déloyale au préjudice de la société Office D'Annonces et de France Télécom, - condamné in solidum Communication Média Services, MM. Bloch, Vincent et Mani à supporter les dépens et à payer des indemnités de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile respectivement à Office d'Annonces et à France Télécom, Confirmant de ces chefs, statuant à nouveau et ajoutant : Dit que les dépôts des marques Pages Soleil et Pages Jeunes effectués par MM. Bloch sous les N° 241 845 et 241 846 constituent respectivement des actes d'imitation illicite et de contrefaçon des marques Pages Jaunes N° 1 430 716, 1 430 717 et 1 430 719 dont est titulaire France Télécom ; Dit qu'en utilisant la marque Pages Soleil la société Communication Média Services a commis des actes d'imitation illicite des marques Pages Jaunes ci-dessus mentionnées, et que par la diffusion de ses prospectus datés du 24 juin 1991 cette société a également commis des actes d'usage illicite des dites marques ; Condamne M. Bloch à payer à France Télécom la somme de 20 000 F à titre de dommages intérêts pour le préjudice résultant de la contrefaçon des marques Pages Jaunes par la marque Pages Jeunes ; Le condamne in solidum avec la société Communication Média Services à payer à France Télécom la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice résultant de l'imitation illicite des marques Pages Jaunes par la marque Pages Soleil ; Fait défense à M. Bloch ainsi qu'à la société Communication Média Services de faire usage à quelque titre que ce soit des dénominations Pages Soleil et Pages Jeunes, sous peine d'une astreinte de 20 000 F par infraction constatée passé le délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt ; Condamne la société Communication Média Services à payer à France Télécom la somme de 50 000 F à titre d'indemnité pour le préjudice qu'elle lui a causé par ses actes d'usage illicite des marques Pages Jaunes ; Fait défense à cette société de faire usage des marques Pages Jaunes sans l'autorisation de France Télécom, sous peine d'une astreinte de 10 000 F par infraction constatée après la signification du présent arrêt ; Alloue à titre de dommages intérêts en réparation des actes constitutifs de concurrence déloyale dont elles ont été victimes les sommes de 1 000 000 F à la société Office d'Annonces et de 500 000 F à France Télécom ; Condamne in solidum la société Communication Média Services et MM. Bloch, Vincent et Mani au paiement de ces sommes, toutefois seulement à concurrence de 500 000 F et de 250 000 F respectivement pour M. Bloch, et de 250 000 F et 125 000 F respectivement, pour M. Vincent, d'une part, et pour M. Mani d'autre part ; Condamne in solidum France Télécom et la société Office d'Annonces à payer à la société Communication Média Services la somme de 150 000 F à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait de leurs agissements constitutifs de concurrence déloyale ; Autorise la société Office d'Annonces et France Télécom à faire insérer dans trois journaux ou publications, aux frais de leurs adversaires in solidum, sans toutefois que le coût de chaque insertion puisse excéder 15 000 F, l'encart suivant : " Par arrêt du 27 mai 1992, la Cour d'appel de Paris, réformant partiellement un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 26 septembre 1991 a : - dit que M. Bloch et la société Communication Média Services ont commis des actes d'imitation illicite des marques Pages Jaunes appartenant à France Télécom, le premier en déposant la marque Pages Soleil, la seconde en l'utilisant, - dit que M. Bloch a commis des actes de contrefaçon des marques Pages Jaunes appartenant à France Télécom en déposant la marque Pages Jeunes, - dit que la société Communication Média Services a commis des actes d'usage illicite des marques Pages Jaunes, - interdit sous astreinte aux intéressés de poursuivre ces actes et alloué à France Télécom des dommages intérêts, - condamné la société Communication Média Services et MM. Bloch, Vincent et Mani à payer les sommes de 1 000 000 F à titre de dommages intérêts à la société Office d'Annonces et de 500 000 F à France Télécom en réparation du préjudice causé à ces sociétés par leurs agissements constitutifs de concurrence déloyale, - condamné France Télécom et la société Office d'Annonces à payer la somme de 150 000 F à la société Communication Média Services en réparation du préjudice causé à celle-ci par leurs agissements constitutifs de concurrence déloyale. " Condamne in solidum la société Communication Média Services et MM. Bloch, Vincent et Mani à payer des indemnités supplémentaires de 25 000 F respectivement à France Télécom et à la société Office d'Annonces pour leurs frais irrépétibles d'appel ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société Communication Média Services, MM. Bloch, Vincent et Mani in solidum aux dépens d'appel ; Admet la SCP Fisselier, Chiloux, Boulay, titulaire d'un office d'avoué au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.