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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 27 mai 1992, n° 91-002110

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Emeraude diffusion France (SARL)

Défendeur :

Publi Média (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosnel

Conseillers :

Mme Mandel, M. Boval

Avoués :

SCP Bernabe Ricard, SCP Varin Petit

Avocats :

Mes Messika, Pierrepont.

T. com. Paris, 1re ch., du 14 mai 1990

14 mai 1990

LA COUR : - Statuant sur l'appel interjeté par la société Emeraude Diffusion France du jugement rendu le 14 mai 1990 par le Tribunal de Commerce de Paris (1re chambre) dans un litige l'opposant à la société Paris Média ensemble sur l'appel incident et la demande reconventionnelle de cette dernière.

FAITS ET PROCÉDURE

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits et de la procédure de première instance il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

Dans le cadre de son activité d'éditeur Emeraude Diffusion SED édite notamment pour le compte d'associations de parents d'élèves de l'enseignement libre et de directions diocésaines de l'enseignement catholique diverses publications.

Le financement de ces revues est assuré par des annonces publicitaires.

De son côté Publi Média édite également des agendas et des publications ayant trait à l'enseignement privé.

Faisant grief à Publi Média d'avoir démarche les annonceurs de SED en employant des procédés déloyaux, cette dernière société l'a suivant exploité en date du 15 février 1989 assignée devant le Tribunal de Commerce en paiement de la somme de 2.000.000 F à titre de dommages-intérêts.

Elle sollicitait par ailleurs diverses mesures d'interdiction sous astreinte et de publication outre paiement de la somme de 20.000 francs en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Publi Média concluait à l'irrecevabilité, subsidiairement au mal fondé des demandes formées à son encontre et reconventionnellement réclamait la condamnation de SED à lui payer la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts outre 8.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Le Tribunal par jugement entrepris a dit recevable et partiellement fondée SED en ses demandes et condamne Publi Média à payer à SED la somme de 20.000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice par elle subi du fait des actes de concurrence déloyale outre celle de 5.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Il a en outre fait interdiction à Publi Média de démarcher les annonceurs de SED en se recommandant de cette dernière ou de ses publications et ce sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée.

Il a dit n'y avoir lieu à publication du jugement.

Appelante par déclaration du 12 juin 1990 Emeraude Diffusion SED prie la Cour de confirmer le jugement sur le principe de la condamnation pour faits de concurrence déloyale, de l'infirmer pour le surplus et de condamner Publi Média à lui payer la somme de 2 millions de francs à titre de dommages-intérêts.

Elle demande par ailleurs à la Cour de porter l'astreinte à 20.000 F par infraction constatée, d'ordonner la publication de l'arrêt, enfin de condamner Publi Média à lui payer la somme de 20.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Publi Média formant appel incident poursuit la réformation du jugement et prie la Cour de débouter Emeraude Diffusion de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 200.000 F à titre de dommages-intérêts outre 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

DISCUSSION

Considérant que Publi Média ne conteste plus devant la Cour, la recevabilité de la demande d'Emeraude Diffusion.

Que le jugement sera donc confirmé de ce chef.

I - SUR LA CONCURRENCE DÉLOYALE

Considérant que Publi Média soutient qu'elle n'a commis aucune faute dans la prospection de ses annonceurs.

Qu'elle ajoute que les attestations produites par Emeraude Diffusion ont été établies pour les besoins de la cause et ne répondent pas aux prescriptions édictées par l'article 202 du nouveau Code de Procédure Civile.

Mais considérant que si une entreprise ne dispose d'aucun droit privatif sur sa clientèle et si des sociétés oeuvrant dans le même domaine d'activité sont en droit de démarcher la clientèle des concurrents, il n'en demeure pas moins que ce démarchage doit se faire en respectant les usages du commerce et non en utilisant des procédés déloyaux.

Or considérant qu'en l'espèce Emeraude Diffusion verse aux débats diverses lettres émanant de plusieurs de ses annonceurs et démontrant qu'ils ont été abusés par les représentants de Publi Média.

Considérant en premier lieu qu'en ce qui concerne l'annuaire de l'enseignement catholique de la Guadeloupe édité par Emeraude Diffusion SED, cette société produit une réclamation en date du 14 octobre 1988, soit antérieurement à l'assignation, émanant de la Compagnie Antillaise de Travaux et faisant état de ce que Publi Média lui avait fait souscrire un ordre d'insertion le 17 août 1988 pour une publication religieuse en se présentant munie de l'Annuaire de l'Enseignement Catholique de la Guadeloupe.

Considérant d'ailleurs que la Compagnie Antillaise de Travaux a protesté le 14 octobre 1988 auprès de Publi Média contre cette pratique qu'elle qualifie d'abusive et a sollicité le remboursement du chèque par elle versé.

Considérant en deuxième lieu qu'en ce qui concerne l'Académie de Clermont-Ferrand, il résulte d'une lettre émanant de l'École Supérieure des Carrières Féminines de Vichy en date du 26 janvier 1989, soit également antérieurement à l'assignation, que celle-ci a été démarchée par Mme Mogier dont il n'est pas contesté qu'elle soit un agent commercial de Publi Média.

Que cet annonceur précise que cette personne lui a fait signer un ordre d'insertion après s'être prévalue du journal Info-APEL édité par SED et avoir fait état de ce que cette société serait " en cours de fusion ".

Considérant que Publi Média a adopté le même comportement courant mars et avril 1989 dans le département du Loiret où SED édite une revue intitulée " Trait d'Union ".

Qu'il apparaît en effet que la représentante de Publi Média s'est rendue chez plusieurs annonceurs (Éditions Dangles - SARL Robert Petit - Agence immobilière de l'Orléanais - Polyclinique des Morlins - Agence vion Bourdais)non seulement en se recommandant de l'Association des Parents d'Élèves de l'Enseignement Libre du Loiret ou de l'École Sainte Croix d'Orléans alors que celle-ci ne l'avaient nullement mandatées mais encore en laissant croire à ces annonceurs qu'elle intervenait pour la reconduction des annonces publicitaires passées dans le bulletin Trait d'Union.

Considérant enfin qu'une attitude similaire a été suivie par Publi Média dans l'Académie de Lyon où SED édite une revue intitulée Bulletin d'Information et de Liaison des APEL de l'Académie de Lyon (attestation Me Bessat notaire à Le Coteau).

Considérant que même si les bulletins d'insertion de Publi Média ne sont pas identiques à ceux de SED, il n'en demeure pas moins que les noms des éditeurs sont mentionnés en très petits caractères et que dès lors que Publi Média a laissé croire aux annonceurs qu'elle agissait dans le cadre de revues éditées en réalité par SED, elle a usé de procédés particulièrement déloyaux et a cherché de manière délibérée à induire en erreur les annonceurs.

Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné Publi Média pour actes de concurrence déloyale.

Considérant sur la réparation du préjudice subi par Emeraude Diffusion SED que cette société fait valoir que les premiers juges en ont fait une évaluation insuffisante.

Qu'elle soutient que suite aux agissements de Publi Média, elle a non seulement perdu des annonceurs mais encore a été discréditée tant à l'égard des annonceurs que de ses mandants.

Considérant qu'il est indéniable que huit annonceurs au moins clients d'Emeraude Diffusion ont été démarchés par Publi Média auprès de laquelle ils ont souscrit des ordres d'insertion.

Qu'il en est résulté un préjudice financier immédiat pour Emeraude Diffusion.

Considérant par ailleurs qu'il résulte des correspondances produites aux débats et notamment d'une lettre de l'APEL du Loiret Fédération Départementale des Parents d'Élèves de l'Enseignement Libre que celle-ci s'est inquiétée des confusions entretenues par Publi Média, ce qui a eu nécessairement pour effet de perturber ses relations commerciales avec l'appelante au principal.

Mais considérant toutefois qu'Emeraude Diffusion ne verse aux débats aucun document comptable, que notamment elle ne produit pas ses bilans.

Que dans ces conditions le préjudice tant financier que commercial par elle subi du fait des actes de concurrence déloyale sera suffisamment réparé par le versement d'une indemnité de 100.000 F.

Considérant qu'eu égard aux circonstances de la cause, il n'y a pas lieu de faire droit aux mesures de publication sollicitées.

Considérant en revanche qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne les mesures d'interdiction sous astreinte.

II - SUR LA DEMANDE DE PUBLI MEDIA

Considérant que Publi Média qui succombe ne saurait qualifier la procédure diligentée à son encontre d'abusive.

Qu'elle sera donc déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts.

III - SUR L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Considérant qu'il apparaît pas inéquitable que Publi Média supporte la charge des frais hors dépens par elle engagés.

Considérant en revanche qu'il convient d'allouer à Emeraude Diffusion pour les frais non taxables par elle engagés en appel, la somme supplémentaire de 5.000 F.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts à Emeraude Diffusion, Le réformant de ce chef, statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la société Publi Média à payer à la société Emeraude Diffusion la somme de 100.000 F à titre de dommages-intérêts et la somme supplémentaire de 5.000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, Rejette toute autre demande des parties, Condamne la société Publi Média aux dépens d'appel. Admet la SCP Bernabé Ricard Avoués au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.