CA Nîmes, 1re ch., 21 mai 1992, n° 91-881
NÎMES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Soulier
Défendeur :
Centre d'Économie Rurale de la Lozère
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Aldemar
Conseillers :
MM. Deltel, Gerbet
Avoués :
SCP Tardieu, Me D'Everlange
Avocats :
SCP Teissier-Gualbert, Me Carrel.
Faits, procédure et prétentions des parties :
Le Centre d'Économie Rurale de la Lozère, association créée en 1957 avec pour objet statutaire " l'amélioration du niveau économique et social des exploitations agricoles par la diffusion des disciplines de gestion ", utilisait depuis 1982 les services d'André Soulier en qualité de comptable salarié lorsque celui-ci a démissionné de ses fonctions à compter du 31 décembre 1989, s'est établi à son compte personnel et a été rejoint par un certain nombre d'agriculteurs adhérents du CERL.
Le Tribunal de Grande Instance de Mende, statuant par jugement du 27 février 1991 sur l'action en concurrence déloyale engagée le 22 octobre 1990 par l'association, la déclarait bien fondée et condamnait Soulier à payer au CERL à titre de dommages-intérêts les sommes de 56.000 F pour le préjudice matériel et d'un franc pour le préjudice moral, outre une indemnité de 5.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et les dépens.
Soulier a relevé appel de ce jugement ; il demande à la Cour, le réformant, de rejeter l'action du CERL comme irrecevable et subsidiairement mal fondée, et de le condamner aux sommes de 10.000 F, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, et de 4.000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, en sus des dépens.
Il soutient en effet :
Que le CERL, alors que ses statuts prévoient le renouvellement annuel d'un Conseil d'Administration et d'un Bureau, n'a justifié d'aucune élection annuelle de ces organismes, ou d'une décision du Conseil d'Administration de date certaine aux fins d'agir en justice à l'encontre de l'appelant pour concurrence déloyale, et ne démontre donc pas sa qualité pour agir à cet effet, représentée par son président
Que le fait générateur de responsabilité doit consister en un acte de concurrence, commis dans le cadre d'une recherche de clientèle, ce qui suppose nécessairement l'existence d'une clientèle de surcroît commune, inexistante en l'espèce du fait de la nature particulière des activités du CERL.
Qu'aucune concurrence déloyale, c'est-à-dire fautive, n'est en tout état de cause démontrée contre lui, en l'absence de tout dénigrement ou désorganisation de l'entreprise.
Le Centre d'Économie Rurale de la Lozère, pour sa part, conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, sauf à y ajouter pour l'allocation d'un nouveau franc symbolique, du chef du préjudice moral consécutif à un appel selon lui manifestement abusif et d'une somme de 5.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile dans le cadre de la procédure d'appel.
Pour justifier de la recevabilité de l'action, il fait valoir :
Que Monsieur Malavieille, assume sans discontinuité ses responsabilités de Président de l'Association depuis la création de celle-ci en 1987 ; que l'article 5 alinéa 5 de la loi de 1901 n'impose une obligation de déclaration que lorsque sont intervenus des changements de personnes dans l'administration de l'Association, ce qui n'a pas été le cas ; qu'en sa réunion du 12 février 1990, le Conseil d'Administration a pris la décision, réaffirmée le 26 avril 1990, d'entamer des poursuites à l'encontre de Soulier ; que le Président, en vertu de l'article 9 des statuts, est tenu d'assurer l'exécution des décisions adoptées par ledit Conseil ;
Invoquant au fond divers agissements qui seraient de nature à caractériser la concurrence déloyale reprochée à Soulier, le CERL répond à celui-ci que s'il n'a jamais prétendu exploiter une clientèle au sens juridique du terme, il n'en reste pas moins qu'il est de son devoir de défendre son potentiel d'activités et d'une manière générale son outil de travail puisqu'il emploie plus de trente salariés qu'au demeurant, la distinction instaurée arbitrairement par l'appelant se trouve battue en brèche dans le droit positif, dès lors surtout où il est observé qu'un organisme, quel qu'il soit, participe de manière caractérisée au circuit des échanges économiques, comme en l'espèce.
Attendu que le CERL a produit aux débats les pièces justificatives des pouvoirs de Malavieille aux fins d'intenter, au nom et pour compte de l'association dont il est le Président, l'action en concurrence déloyale dont la Cour se trouve actuellement saisie.
Mais attendu au fond que l'existence d'une clientèle est indispensable à la réalisation d'un acte de concurrence, puisque celui-ci consiste en la recherche et la conservation d'une somme de relations d'affaires avec le public ou d'une part d'un marché déterminé que si certaines activités sont de nature à permettre la mise en œuvre d'une action en concurrence déloyale en ce qu'elles développent une clientèle tout en ne relevant pas de la commercialité (professions libérales), une telle action ne peut par contre prospérer dans le cadre de l'activité de certains organismes, soit parce qu'ils sont étrangers à la vie économique, soit parce qu'ils participent au circuit des échanges économiques mais sans être toutefois titulaires d'une clientèle
Qu'en la circonstance, s'agissant de CERL, créé sous la forme d'une association par conséquent exclusive de tout but lucratif et fonctionnant avec des ressources limitées à des subventions publiques ou privées et aux cotisations de ses adhérents, il existe entre ceux-ci et leur organisme un lien auquel est étrangère toute notion de clientèle, d'où il suit qu'aucun acte de concurrence déloyale impliquant l'intention de s'approprier la clientèle d'autrui ne peut être reproché à Soulier.
Attendu qu'il y a lieu, dès lors, sans nécessité d'un examen des autres moyens de l'intimé, de réformer le jugement en rejetant les prétentions recevables mais mal fondées du CERL.
Attendu que celui-ci, qui a pu jusqu'à preuve du contraire non rapportée en l'état, se méprendre de bonne foi sur la portée réelle de ses droits, ne saurait se voir légitimement imputé un abus de procédure générateur d'un droit à dommages-intérêts.
Vu les articles 699 et 700 du nouveau code de procédure civile.
Attendu que les sommes exposées par Soulier et non comprises dans les dépens seront fixées par la Cour à 4 000 F.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort. Reçoit l'appel en la forme et le déclare fondé. Réformant le jugement, rejette comme mal fondées les prétentions du Centre d'Économie Rurale de la Lozère à l'encontre d'André Soulier ; le condamne à payer à ce dernier la somme de 4.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, ainsi que les dépens d'appel. Rejette comme mal fondées toutes autres demandes des parties. Accorde à la SCP Tardieu le droit de recouvrer directement les dépens d'appel avancés sans provision préalable.