CA Lyon, ch. des urgences, 11 mai 1992, n° 9105975
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sarfati, Algay
Défendeur :
Société Grands Spectacles Productions (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Karsenty
Conseillers :
M. Gaucher, Mme Robert
Avoués :
Mes Guilhem, Morel
Avocats :
Mes Joseph, Seigle.
Faits - procédure - prétentions des parties
Monsieur Albert Sarfati exerce le commerce de production de spectacles lyriques et chorégraphiques sous la dénomination " Productions Internationales Albert Sarfati ".
Il s'est vu confier la représentation exclusive en France de l'ensemble " Choeurs et Danses de l'Armée Rouge " créé par Monsieur Alexandrov en 1928 et dont l'appellation a été consacrée par un arrêté de 1935.
Monsieur Sarfati a accordé à Monsieur Michel Algay l'organisation des tournées en France, lui-même entrepreneur de spectacles sous la dénomination " Appels ".
La Société Grands Spectacles Productions a pour objet l'organisation de concerts.
Elle a signé le 27 avril 1991 avec l'Agence Officielle Artistique de l'Ukraine dénommé Ukrconcert, dépendant du Ministère de la Culture de l'Ukraine un contrat concernant l'ensemble " Choeurs de l'Armée Rouge " Direction Poustovalov-Kiev et prévoyant pour 1991 l'organisation de douze concerts dans le cadre des Festivals et de quinze concerts communaux selon un plan de tournée et établi et accepté par les deux contractants.
Par arrêt infirmatif en date du 14 août 1991, la Cour de Céans saisi d'un appel d'une ordonnance de référé rendue par le Magistrat des Référés du Tribunal de Commerce de Lyon, a retenu l'existence d'une publicité mensongère et ordonné à la Société " Les Grands Spectacles Productions " de retirer les affiches ou publicité portant l'appellation " Choeurs de L'Armée Rouge ou Armée Rouge ".
La Société " Les Grands Spectacles Productions " a été autorisée à assigner au fond et à jour fixe Monsieur Albert Sarfati et Monsieur Michel Algay aux fins d'être autorisée, dans le cadre de sa campagne d'affichage, a présenté le spectacle dont la distribution lui avait été confiée par l'Agence Officielle d'Ukraine sous la dénomination " Choeurs de L'Armée Rouge ".
Par jugement en date du 16 octobre 1991 le Tribunal de Commerce de Lyon a
- constaté que la dénomination " Choeurs de L'Armée Rouge " utilisée par la Société Grands Spectacles Productions n'est pas identique à celle utilisée par Monsieur Sarfati et Algay, à savoir " Choeurs et Danses de L'Armée Rouge ", et que la parenté des appellations ne saurait tromper un consommateur normalement averti ;
- constaté que la publicité faite par la Société Grands Spectacles Productions n'est pas de nature à induire le spectateur en erreur ;
- rejeté les autres demandes de la Société " Grands Spectacles Productions " et en particulier l'a déclaré mal fondée à utiliser l'appellation limitée au " Choeurs de L'Armée Rouge " ;
- reçu partiellement les demandes reconventionnelles de Monsieur Sarfati et Algay dit que la Société " Grands Spectacles Productions " devrait retirer toutes les affiches, encarts publicitaires ou annonces qui ne présentent que la mention " Choeurs de L'Armée Rouge ou Armée Rouge " et cela sous astreinte de 2.000 F par jour de retard à compter de la signification du jugement et qui pourraient être maintenus tous documents comportant de façon très apparente la mention complémentaire " Direction Poustovalov-Kiev ;
- dit qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner l'affichage ni la publication demandés par Messieurs Sarfati et Algay ;
- débouté Messieurs Sarfati et Algay de leur demande d'indemnité au titre du préjudice pour concurrence déloyale.
Le 30 octobre 1991, Monsieur Albert Sarfati et Monsieur Michel Algay ont relevé appel de cette décision.
Ils demandent à la Cour de Céans en application des articles 1382 et 1383 du Code Civil et de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 :
- de juger que l'utilisation par la Société " Les Grands Spectacles Productions de l'appellation Armée Rouge " est constitutive de publicité mensongère au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 ;
- d'ordonner à la Société " Les Grands Spectacles Productions " le retrait de toutes les affiches, publicité, encarts publicitaires ou annonces portant l'appellation " Choeurs de L'Armée Rouge " ou " Armée Rouge " et ce sous astreinte de 10.000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- d'ordonner à la Société " Les Grands Spectacles Productions " de faire publier ou afficher des rectificatifs dans toutes les villes ou le spectacle a déjà été annoncé et ce sous astreinte de 10.000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux quotidien : aux choix des défendeurs ;
- de condamner la Société " Les Grands Spectacles Productions " au paiement de la somme de 700.000 F en réparation du préjudice subi du fait des agissements constitutifs d'une concurrence déloyale en application des articles 1382 et 1383 du Code Civil ;
- de condamner la Société " Les Grands Spectacles Productions " au paiement de la somme de 10.000 F à chacun des défendeurs en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ils font valoir que la publicité utilisée par la Société " Les Grands Spectacles Productions " comporte des indications et des présentations fausses et manifestement des indications de nature à induire en erreur, qu'il ne saurait être accordé la moindre légitimité aux attestations produites par l'intimée dans la mesure ou elles émanent toutes d'autorités se trouvant sous la tutelle du Ministère de la Défense de l'URSS, que les seules attestations de cette Société, toutes deux datées du 17 septembre 1991 indiquent qu'elle aurait le droit de présenter " Les Choeurs de L'Armée Rouge de la Ville de Kiev ", qu'il est démontré qu'aussi bien le public que la presse attiré par l'appellation " Choeurs de L'Armée Rouge " s'attendent en fait à voir et à entendre les deux cents membres du très prestigieux ensemble Alexandrov de Moscou, que c'est le terme Armée Rouge qui donne son caractère d'originalité et de renommée à l'appellation, que le public Français voyait sur les documents publicitaires l'appellation " Choeurs de L'Armée Rouge " ou " Armée Rouge " a forcément pensé qu'il s'agissait de très fameux ensemble Alexandrov connu sous ces appellations.
Ils ajoutent que les agissements de la Société " Les Grands Spectacles Productions " constituent manifestement des actes de concurrence déloyale.
La Société " Les Grands Spectacles Productions " demande à la Cour de Céans :
- de dire que c'est à juste titre qu'elle présente l'ensemble de Kiev sous la dénomination " Choeurs de L'Armée Rouge " ;
- de rejeter la demande formée par les appelants sur le fondement de la publicité mensongère ;
- de débouter également Monsieur Sarfati et Monsieur Algay de leur demande en concurrence déloyale ;
- de condamner solidairement Messieurs Sarfati et Algay à lui payer la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts en raison du dénigrement auquel ils se sont livrés auprès de la Société " Les Pyramides " ainsi que la somme de 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Elle fait valoir qu'elle a signé un contrat avec l'Agence Officielle d'Ukraine à savoir un concert pour la tournée en France d'une troupe dénommée " Choeurs de L'Armée Rouge ", que cette dénomination est réelle et vraie puisqu'il s'agit là d'un ensemble faisant partie des forces de l'armée de l'URSS, qu'il a eu l'autorisation de porter cette dénomination depuis 1939 et que cette formation a remporté la première place dès la rencontre des quatre formations académiques ayant eu l'autorisation de porter cette dénomination, que cette dénomination n'est pas similaire à celle dont se prévalent Messieurs Sarfati et Algay concernent l'ensemble " Chants et Danses de L'Armée Rouge et qu'elle n'est pas de nature à induire en erreur le public protégé par la loi de 22 décembre 1973, qu'il n'y a pas d'erreur sur les qualités substantielles, les aptitudes, l'origine du spectacle, qu'ainsi il n'y a pas de présentation fausse ou d'erreur induite, qu'elle a proposé au Tribunal de Commerce de Lyon que soit spécifié pour chacune des formations le nom de son chef, à savoir Poustovalov ou Alexandrov, le nom du pays ou de la ville d'origine Kiev ou " Leningrad ".
Elle soutient que Messieurs Sarfati et Algay ne peuvent se prévaloir d'une quelconque concurrence déloyale, tant en raison des dates auxquelles se sont produites chacune des formations qu'en raison de leur présentation.
Motifs et décision
Attendu qu'il ressort qu'au titre des ensembles de la région militaire et des flottes il existe un ensemble de chants et danses de la région militaire, de Moscou, de Kiev, de Leningrad ;
Attendu qu'au soutien de leurs prétentions, Messieurs Albert Sarfati et Michel Algay versent aux débats un certains nombres d'attestations dont les plus significatives sont au nombre de deux ;
Attendu que le chef de l'ensemble académique de chants et de danses Alexandrov et le Directeur artistique de cet ensemble sur papier à en-tête du Ministère de la Défense déclarent que depuis les premières prestations à l'étranger en 1937 en France et après cela, l'appellation " Choeurs de L'Armée Rouge ", établie sur la base du titre attribuée à cette formation par un arrêté du gouvernement soviétique en 1935, est fermement assimilée à l'ensemble de chants et danses de l'armée soviétique AV Alexandrov dans les activités artistiques internationales, que l'ensemble militaire actuellement en tournée en France s'appelle " L'ensemble de Chants et de Danses de L'Armée Soviétique de la Région Militaire de Kiev " ;
Attendu d'autre part que par une attestation en date du 12 juin 1991 l'instructeur en chef du service culturel, indique que depuis 1937, l'ensemble porte le nom A.V. Alexandrov s'appelle traditionnellement pour la tournée à l'étranger " Ensemble de Chants et Danses de L'Armée Rouge, que ces derniers temps les imprésarios étrangers, sans l'accord du Ministère de la Défense de L'URSS dans leur publicité appellent toutes les troupes sortant de l'étranger " Ensemble de L'Armée Rouge ", que le Ministère de la Défense a donné son accord pour une tournée en France à " L'Ensemble des Chants et Danses de la Région Militaire de Kiev " en juillet 1991 ;
Attendu que la Société " Grands Spectacles Productions " ne prévaut d'une attestation en date du 10 septembre 1991 de l'Adjoint au Commandant des troupes de la région militaire de Kiev et d'une attestation en date du 11 septembre 1991 du Ministère de la Culture de l'Ukraine, certifiant que la collectivité artistique Choeur, Ballet, Orchestre sous la Direction d'Alexandre Postovalov appartient aux forces armées de l'URSS et se trouve dans la ville de Kiev depuis 1939, qu'à cette collectivité, il a été donné le droit d'utiliser le titre historique " Ensemble de L'Armée Rouge de la Ville de Kiev ", que les concerts de groupes séparés s'appellent en conformité, " Choeurs de L'Armée, Ballet de L'Armée Rouge ", que la Société Française " Grands Spectacles " a le droit de présenter " Les Choeurs de L'Armée Rouge de la Ville de Kiev " dans tous les pays du monde ;
Attendu d'autre part que le contrat conclu entre l'Agence Officielle Artistique de l'Ukraine et la Société " Grands Spectacles Productions " précise que l'Agence Ukrconcert emmène aux festivals Eté 91 en France " L'Ensemble de L'Armée Rouge, - Direction Alexandre Poustovalov Kiev " ;
Attendu que ces dernières attestations sont de nature à faire apparaître que " L'Ensemble des Chants et Danses de la Ville de Kiev " a comme dénomination " Choeurs de L'Armée Rouge de la Ville de Kiev " ;
Attendu toutefois ainsi que le soutiennent les appelants, l'objet du litige qui les oppose à la Société " Les Grands Spectacles Productions " est l'utilisation de l'appellation " Armée Rouge " sur le territoire Français, en raison de la notoriété dont se prévaut " L'Ensemble de Chants et de Danses de Moscou - Alexandrov " ;
Attendu qu'il ressort que cet ensemble est venu en France pour la première fois dans le cadre de l'exposition mondiale à Paris en 1937, qu'il s'est produit en France en 1960, en 1963 / 1964, en 1967 / 1968, en 1970 / 1971, en 1974 / 1975 d'avril à juillet 1989 sous la dénomination " Choeurs et Danses de L'Armée Rouge " ;
Qu'il a acquis en France à la suite d'un long usage une particulière notoriété sous cette appellation ;
Attendu que par ailleurs, plusieurs documents versés aux débats démontrent que la promotion de " L'Ensemble de Chants et de Danses de L'Armée Soviétique de Kiev) sous la dénomination " Choeurs de L'Armée Rouge " provoque dans l'esprit du public moyennement averti et, même des journalistes et des distributeurs une confusion avec " L'Ensemble des Chants et Danses Alexandrov " même si celui-ci présente généralement des chants et des danses ;
Attendu d'autre part que l'appellation " Choeurs et Danses de L'Armée Rouge " ne se distingue pas de la dénomination " Choeurs de L'Armée Rouge " contrairement à ce que soutient l'intimée alors que la confusion résulte de l'utilisation des termes " Armée Rouge " ;
Attendu qu'il s'en suit que l'utilisation en France de la dénomination " Choeurs de L'Armée Rouge ", pour promouvoir un ensemble artistique de chanteurs alors que la dénomination " Armée Rouge " s'identifie avec la formation artistique notoirement connue qui est " L'Ensemble de Chants et Danses de Moscou - Alexandrov " et qu'il en résulte une confusion, est constitutive de concurrence déloyale, que la publicité comportait la dénomination précitée est également constitutive de publicité mensongère s'agissant d'une indication de nature à induire en erreur sur l'identité des ensembles artistiques ;
Attendu qu'il convient dès lors en tant que de besoin pour le cas où de tournées, seront toujours en cours d'ordonner à la Société " Les Grands Spectacles Productions " le retrait de toutes les affiches, publicités, encarts publicitaires ou annonces portant l'appellation " Choeurs de L'Armée Rouge " dans les quinze jours de la signification de l'arrêt, sous astreinte provisoire de 2.000 F par jour de retard ;
Attendu par contre, que la demande tendant à ordonner à la Société " Les Grands Spectacles Productions " de faire publier ou afficher des rectificatifs dans les toutes les villes où le spectacle a déjà été annoncé doit être rejetée alors que la teneur du rectificatif sollicitée n'est pas précisée et que le retrait des affiches constituerait une mesure suffisante ;
Attendu qu'en outre, Messieurs Sarfati et Algay produisent plusieurs attestations émanant de Directeurs de Salle de Spectacles n'ont pas accepté d'acheter une ou plusieurs représentations des " Choeurs et Danses de L'Armée Rouge " pour le début de l'année 1992 en raison d'une autre tournée en 1991 dénommée " Choeurs de L'Armée Rouge " ;
Attendu qu'en l'état des éléments d'appréciation dont disposent la Cour, le préjudice commercial subi par Messieurs Sarfati et Algay doit être évalué à la somme de 100.000 F ;
Attendu que la Société " Les Grands Spectacles Productions " ne rapporte pas la preuve d'un dénigrement, qu'elle doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;
Attendu qu'il y a lieu d'ordonner la publication par extrait des motifs et du dispositif de la présente décision dans trois journaux quotidiens au choix des défendeurs sans que chacune des mentions dépasse la somme de 5.000 F ;
Attendu que la Société " Les Grands Spectacles Productions " doit être condamnée à payer à chacun des appelants la somme de 5.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Attendu que la Société " Les Grands Spectacles Productions " doit être condamnée au entiers dépens.
Par ces motifs, la Cour, réformant partiellement la décision déférée, dit que l'utilisation par la Société " Les Grands Spectacles Productions " de l'appellation " Armée Rouge " est constitutive de concurrence déloyale et de publicité mensongère au sens de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973, ordonne en tant se de besoin à la Société " Les Grands Spectacles Productions " le retrait de toutes les affiches, publicités, encarts publicitaires ou annonces portant l'appellation " Choeurs de L'Armée Rouge " ou " Armée Rouge " dans les quinze jours de la signification de la présente décision sous astreinte provisoire de 2.000 F par jour de retard, rejette comme non fondée la demande tendant à ordonner la Société " Les Grands Spectacles Productions " de faire publier ou afficher des rectificatifs dans toutes les villes où le spectacle a déjà été annoncé, condamne la Société " Les Grands Spectacles Productions " à payer à Messieurs Albert Sarfati et Michel Algay la somme de 100.000 F en réparation du préjudice subi du fait d'agissement constitutif d'une concurrence déloyale, ordonne la publication par extrait des motifs et du dispositif de la présente décision dans trois journaux quotidiens au choix des défendeurs, sans que chacune des mentions dépasse la somme de 5.000 F, condamne la Société " Les Grands Spectacles Productions " à payer à Monsieur Albert Sarfati et à Monsieur Michel Algay à chacun la somme de 5.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, condamne la Société " Les Grands Spectacles Productions " aux dépens de première instance et d'appel, dit qu'en ce qui concerne les dépens d'appel, il sera fait application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile au profit de Maître Guilhem, Avoué.