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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 2, 6 mai 1992, n° 1290-91

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pâtisserie Choquet (EURL)

Défendeur :

Ricolleau

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lerner (conseiller faisant fonction)

Conseillers :

MM. Loew, Hovaere

Avoués :

SCP Musereau-Drouineau-Rosaz, SCP Alirol-Laurent

Avocats :

Mes Frezouls, Pielberg.

T. com. Chatellerault, du 20 mars 1991

20 mars 1991

Ce jour, la Cour a rendu contradictoirement l'arrêt dont la teneur suit :

Se prétendant victime d'une concurrence déloyale, la SARL Pâtisserie Choquet a fait assigner Bernard Ricolleau pour lui voir interdire l'utilisation du nom commercial Choquet et en paiement de dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire du 20 mars 1991, le Tribunal de Commerce de Chatellerault a rejeté les prétentions de la Société demanderesse en lui ordonnant de faire disparaître, sous astreinte, toute enseigne ou publicité portant le nom de Choquet sur la commune de La Roche Posay et en la condamnant à payer une somme de 40 000 F à titre de dommages et intérêts.

Régulièrement appelante de cette décision, l'EURL pâtisserie Choquet revendique la propriété exclusive du nom commercial et demande à la Cour de condamner Monsieur Ricolleau à faire disparaître, sous astreinte, toute enseigne ou publicité portant le nom de Choquet sur l'arrondissement de Chatellerault. Elle demande l'indemnisation de son préjudice qu'elle se réserve d'évaluer ultérieurement, et réclame une somme de 10 000 F pour frais irrépétibles.

L'intimé conclut à la confirmation du jugement dont appel, en réclamant 5000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et 6 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Une ordonnance de clôture a été rendue le 5 mars 1992.

La SARL Pâtisserie Choquet a acquis le 25 juillet 1989 de Monsieur Raymond Choquet et son épouse un fonds de commerce de pâtisserie, salon de thé et bar exploité à Bonneuil Matours, comprenant notamment le nom commercial et plus particulièrement l'utilisation du nom patronymique de Monsieur Choquet à titre d'enseigne.

Cependant, Françoise Choquet, fille de Raymond Choquet, avait créé au 1er juillet 1981 un fonds de commerce de confiserie-pâtisserie qu'elle exploitait à La Roche Posay. Elle a vendu son fonds aux époux Ricolleau par un acte du 20 avril 1990 prévoyant que les acquéreurs auraient le droit de prendre le titre de successeurs de Melle Choquet. Il résulte de factures versées aux débats que Melle Choquet vendait à La Roche Posay des pâtisseries fabriquées par la Pâtisserie Choquet à Bonneuil Matours. Mais les époux Ricolleau, déjà installés à Chatellerault, ont fait du fonds de commerce acheté à La Roche Posay un établissement secondaire.

Il résulte d'un constat dressé le 2 juin 1990 que la pâtisserie Choquet a ouvert un magasin à La Roche Posay, avenue des Fontaines, tandis que le magasin Ricolleau, Cours Pasteur, a conservé le nom de Choquet. Ainsi est né le litige dont la Cour est actuellement saisie.

Le nom commercial sous lequel un commerçant exerce le commerce et sous lequel il est connu de la clientèle désigne une entreprise ou un établissement, et non un produit. Il n'est soumis à aucune régime de protection spécifique, et relève des règles réprimant la concurrence déloyale.

En l'espèce, le fonds de commerce de Bonneuil Matours, acquis en 1989 par la SARL Pâtisserie Choquet, s'il comprenait le nom commercial et l'utilisation du nom patronymique de Choquet à titre d'enseigne, n'avait pas d'établissement secondaire ou point de vente à La Roche Posay, où Melle Choquet exploitait légitimement et sous son nom patronymique un fonds de commerce dont elle était personnellement propriétaire.

L'acquisition d'un nom commercial constitué par un patronyme ne saurait interdire aux membres de la famille portant le patronyme vendu à titre de nom commercial d'exercer une activité même similaire. Aucune action en concurrence déloyale ne pouvait donc être diligentée par la SARL Pâtisserie Choquet contre Melle Choquet.

Celle-ci a pu légitimement vendre son fonds de commerce en autorisant l'acquéreur à se présenter comme son successeur.

Il en résulte que l'action diligentée par la SARL Pâtisserie Choquet contre Monsieur Ricolleau n'est pas fondée, et qu'elle a donc été à bon droit rejetée par le jugement dont appel.

Bien que propriétaire du nom commercial par elle acquis en 1989, la SARL Patisserie Choquet a commis un acte de concurrence déloyale par détournement de clientèle en ouvrant à la Roche Posay un établissement secondaire alors qu'elle ne pouvait ignorer l'existence du fonds de commerce exploité par Melle Choquet et vendu par celle-ci à Monsieur Ricolleau. En effet, l'installation d'un fonds de commerce concurrençant un établissement tenu par un commerçant homonyme ayant choisi son patronyme comme nom commercial oblige le second utilisateur à prendre les mesures propres à éviter toute confusion préjudiciable, par exemple en l'espèce l'adjonction du prénom.

Il n'est nullement établi que le nom de Choquet, ait correspondu à une notoriété particulière en dehors des communes de Bonneuil Matours ou de La Roche Posay.

Dès lors s'il n'est pas admissible que le nom de Choquet soit utilisé dans la même commune par deux fonds de commerce concurrents, et si le jugement dont appel doit être confirmé en ce qu'il a interdit au commerçant installé en second lieu d'utiliser le nom du premier, rien ne permet de chiffrer à 40 000 F le préjudice qui aurait été causé à Monsieur Ricolleau par la seule utilisation du nom de Choquet. La liberté du commerce ne met en effet aucun commerçant à l'abri du préjudice qui peut lui être causé par l'installation d'un concurrent. Il convient en conséquence d'allouer à Monsieur Ricolleau une indemnité de 10 000 F, sans qu'il y ait lieu en outre de faire application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. L'appel ne saurait au demeurant être qualifié d'abusif.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare l'appel recevable, et pour l'essentiel mal fondé ; Confirme le jugement rendu le 20 mars 1991 par le Tribunal de Commerce de Chatellerault, sauf en ce qu'il a condamné la SARL Pâtisserie Choquet à payer la somme de 40 000 F ; Réformant sur ce point, condamne la SARL Pâtisserie Choquet à payer à Monsieur Ricolleau une somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts, et Dit n'y avoir lieu de faire application à l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes prétentions plus amples ou contraires ; Fixe à la date de la signification du présent arrêt le point de départ de l'astreinte prévue par le jugement dont appel ; Condamne la SARL Pâtisserie Choquet aux dépens, et autorise la SCP Alirol-Laurent à recouvrer directement les frais dont elle aura fait l'avance sans en avoir reçu provision.