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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 26 mars 1992, n° 91-240

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Moris, Saulnier (ès qual.), Loiseau, Geysen, Pirson (SA), Remarck, Tommeray, Berresweiler

Défendeur :

De Neuville (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Couderette

Conseillers :

Mme Cabat, M. Pluyette

Avoués :

Me Ribaut, SCP Goirand

Avocats :

Mes Bensoussan, Patou.

T. com. Meaux, du 6 nov. 1990

6 novembre 1990

La SA de Neuville, liée au groupe international Rowntree Mackintosh et spécialisée dans le commerce de la chocolaterie et de la confiserie, a conclu avec un certain nombre de commerçants des contrats de franchise ou de concession définissant les modes et les règles de collaboration des parties dans le cadre de leurs droits et obligations contractuels relatifs au lancement puis à l'exploitation par le franchisé ou le concessionnaire en collaboration avec le franchiseur de différents points de vente.

S'estimant lésés par les conditions d'application de leurs contrats 5 franchisés : M. Remarck, la SARL Les gourmandises, Mme Moris, Mme Tommeray Lesage et Mme Berresweiller, et un concessionnaire : la société Pirson ont fait assigner la société de Neuville pour voir prononcer aux torts du franchiseur la nullité ou la résiliation des contrats et condamner le franchiseur à verser à chacun des demandeurs une indemnité provisionnelle de un million de francs avec organisation d'une expertise comptable pour déterminer les préjudices subis.

La société de Neuville a répondu par une demande reconventionnelle aux fins de paiement par différents franchisés et un concessionnaire des marchandises livrées par le franchiseur et non réglées et de condamnation de M. Remarck au paiement de 840 000 F pour rupture abusive de contrat, 100 000 F à titre de dommages-intérêts et 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement du 6 novembre 1990 le Tribunal de commerce de Meaux, après que la SARL Les gourmandises ait été mise en liquidation judiciaire et que soient intervenus à la procédure son liquidateur Me Saulnier ainsi que Mme Loiseau et M. Geysen qui s'étaient portés cautions, a débouté les demandeurs des fins de leur assignation et, faisant droit à la demande reconventionnelle de la société de Neuville, a condamné à lui payer au titre des marchandises : M. Remarck 159 000 F, Mme Berresweiller 76 000 F, Mme Moris 82 000 F, la société Pirson 43 000 F ; M. Remarck étant en outre condamné après résiliation du contrat à ses torts à lui payer 100 000 F au titre de la rupture anticipée, 50 000 F en réparation du préjudice causé par ses agissements discréditeurs et 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Acte était donné à la société de Neuville de ce qu'elle ne s'opposait pas à la résiliation amiable du contrat de franchise conclu avec Mme Berresweiller après paiement des marchandises ; et l'ensemble des parties étant déboutées du surplus de leurs demandes.

Appels principaux de cette décision ont été régulièrement interjetés par la SA Pirson, M. Remarck, Mme Tommeray Lesage, Mme Berresweiller, Mme Moris, Me Saulnier ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Les gourmandises, Mme Loiseau et M. Geysen.

Ils reprennent les fins de leurs demandes principales, en réduisant cependant leurs demandes de provision à 150 000 F pour chacun d'eux y compris Mme Loiseau et M. Geysen. Ils demandent le rejet des prétentions de la société de Neuville et sa condamnation au paiement à chacun d'eux d'une indemnité de 30 000 F pour frais irrépétibles.

La SA de Neuville conclut pour sa part à la confirmation du jugement, mais sollicite par un appel incident la condamnation de chacun des appelants au paiement d'une indemnité de 10 000 F au titre de l'article 700.

Considérant que les appelants invoquent la nullité des contrats aux motifs que le prix de vente des marchandises était indéterminé ou laissé à la seule volonté du franchiseur - et que le franchiseur avait commis un dol en leur faisant espérer des résultats qui ne pouvaient pas être atteints ; et font encore valoir que les contrats seraient sans cause car une franchise ou une concession de vente de chocolats ne présente aucune originalité ni spécificité - que l'assistance promise par le franchiseur s'est dégradée au fil des mois - que la société de Neuville qui n'avait aucune expérience préalable ne pouvait franchiser.

Que M. Remarck indique que la demande reconventionnelle particulière formée contre lui n'est pas établie et qu'il n'a fait qu'essayer d'améliorer sa situation et celle de ses collègues en créant une association dont le but était de sortir les franchisés des difficultés financières dans lesquelles les avaient plongés le défaillance du franchiseur.

Considérant, que sur la question de l'indétermination des prix, que les premiers juges ont exactement analysé la situation de fait pour en déduire que la preuve n'était pas rapportée d'une indétermination des prix ou de leur soumission à une condition potestative à la seule discrétion du franchiseur.

Qu'en effet les prix de vente des différents produits ont été fournis par la société de Neuville lors de la conclusion des contrats et que, si le franchiseur se réservait la possibilité de modifier ses tarifs, il s'engageait à faire bénéficier les franchisés d'une marge optimale et à ne procéder à une augmentation qu'après un préavis et intervention d'une commission de conciliation et de concertation.

Qu'il résulte de ce processus d'une part que les prix étaient parfaitement déterminés à l'origine des contrats, d'autre part que leur modification ne dépendait pas de la seule volonté du franchiseur.

Qu'il convient de noter au surplus, comme l'a fait le tribunal, que durant les trois années d'exécution des contrats le franchiseur, qui pouvait modifier ses tarifs quatre fois par an, y a procédé une unique fois et que l'augmentation sollicitée de 8 % a été ramenée à 5 % après réunion de la commission de concertation.

Et que les contrats ne peuvent être annulés ou résiliés au vu de ce premier moyen.

Considérant, sur la question du dol, qu'il est reproché au franchiseur d'avoir effectué des provisions trop optimistes par rapport aux résultats obtenus.

Qu'il faudrait de ce point de vue démontrer que ces prévisions ont été faites volontairement et faussement dans le but d'entraîner l'adhésion des candidats franchisés, ce que les appelants ne font pas.

Qu'ainsi que l'ont relevé avec pertinence les premiers juges des études prévisionnelles ne peuvent revêtir un caractère de certitude et gardent un aléa lié à des éléments imprévisibles qui sont apparus notamment dans le cas de la SARL Les gourmandises (travaux dans le quartier supprimant l'achalandage pendant de nombreux mois) et de Mme Berresweiller (échec du centre commercial dans lequel elle s'est implantée).

Que les franchisés et concessionnaire ont disposé d'un temps d'essai et de réflexion de plusieurs mois avant de signer leurs contrats et ont pu apprécier les difficultés ponctuelles qui pouvaient se présenter à eux ;

Qu'au surplus rien ne démontre qu'au vu des éléments qui lui étaient fournis par les demandeurs le franchiseur ait volontairement minoré les investissements à la charge des franchisés, ce qui aurait pu les induire en erreur sur les résultats prévisionnels envisagés.

Que sur le second moyen invoqué il ne peut y avoir davantage que sur le premier annulation ou résiliation des contrats.

Considérant, sur le problème de la cause, que les appelants soutiennent que les chocolats que leur vendait le franchiseur ne présentaient aucune originalité ou spécificité car ils sont vendus partout et avec la même présentation mais sans la marque de Neuville.

Mais que cette prétention se heurte à leur propre affirmation selon laquelle ils ont contracté en raison des liens unissant de Neuville à Rowntree Mackintosh dont le savoir-faire en matière de chocolaterie est connu.

Que sans doute Rowntree Mackintosh a été absorbé par Nestlé, mais que ce fait n'a rien changé à l'originalité et à la spécificité des chocolats fournis par de Neuville à ses franchisés ou concessionnaire.

Que la cause des contrats est constituée par l'utilisation d'une marque, dont il n'est pas contesté que les appelants aient disposé, et la fourniture de produits spécifiques qui l'ont effectivement été.

Que les franchisés bénéficiaient d'une certaine exclusivité et se plaignent de ce que la société de Neuville aurait diffusé les mêmes produits chez d'autres commerçants qui les auraient ainsi concurrencés au mépris de leurs contrats de franchise ou de concession.

Qu'il est exact que des productions Rowntree Mackintosh ont été vendues à d'autres commerçants dans le même périmètre, mais que ces ventes selon les documents produits portaient sur des chocolats génériques tels les escargots en chocolat pour lesquels Rowntree Mackintosh avait une clientèle antérieurement à la signature des contrats aujourd'hui discutés et ont toujours été faites sous une autre marque que la marque de Neuville.

Que ce nouveau moyen ne peut être non plus retenu pour envisager, non une résolution, mais une résiliation des contrats.

Considérant, sur l'assistance technique et commerciale que le franchiseur doit assumer, que les appelants affirment sans donner d'exemples précis que le franchiseur aurait abandonné au fil des mois ses plans d'investissement de départ et se serait abstenu de leur apporter une assistance sérieuse contrairement aux engagements pris par lui dans les contrats en cause.

Mais que par des motifs que la Cour adopte les premiers juges ont relevé que, s'il est exact que les franchisés n'ont cessé de réclamer un développement des actions publicitaires qui pouvaient paraître assez faibles et peu efficaces en 1986 et 1987, le franchiseur a largement développé cette action en 1988 et 1989 tant sur le plan national que local sur les lieux de vente.

Qu'il est d'autre part établi que la société de Neuville a sur le plan financier consenti de larges facilités de paiement à ses cocontractants.

Et que de ce chef encore il ne peut y avoir résiliation des contrats à la charge du franchiseur.

Considérant, sur le manque de savoir-faire invoqué à l'encontre de la société de Neuville, que les appelants lui reprochent d'avoir été créée pour les besoins de la cause et de n'avoir pas eu d'expérience préalable en matière de vente de chocolat, l'expérience de Rowntree Mackintosh n'étant pas la sienne et ne pouvant plus être invoquée après la cession de de Neuville par Mackintosh.

Que la société de Neuville n'a pas été créée pour les besoins de la cause, mais est l'héritière des maîtres chocolatiers de Neuville dont elle possède la marque, lesquels existent depuis 1883.

Qu'il importe donc peu que cette société ait été liée au groupe international Rowntree Mackintosh, son expérience préalable et son savoir-faire personnels, qui sont précisés dans les contrats de franchise, constituant un fait qui ne peut être discuté et qui lui permettait de franchiser.

Que le fait que le magasin Remarck ait été choisi comme magasin pilote où les candidats à un contrat de franchise venaient effectuer un stage ne change rien au problème, les stages dont s'agit ayant pour but d'assurer une formation des franchisés et n'impliquant nullement que c'est le franchiseur qui souffrait d'une absence de formation.

Qu'au vu de cet ultime moyen les contrats objets du présent litige ne peuvent se voir résolus ou résiliés.

Considérant qu'en fonction de ces éléments c'est à bon droit que les premiers juges, après avoir reçu l'ensemble des demandes en la forme, les a dits mal fondés et les a déboutés des fins de leurs demandes principales.

Que le jugement dont appel doit donc être confirmé de ce chef.

Considérant, en ce qui concerne les demandes reconventionnelles de la société de Neuville, que M. Remarck, Mme Berresweiller, Mme Moris et la société Pirson ne soutiennent aucun moyen à l'encontre des demandes qui leur sont faites aux fins de paiement des marchandises qui leur ont été livrées par la société de Neuville dans le cadre des contrats de franchise ou de concession les concernant.

Que les impayés dont s'agit sont justifiés par les documents produits par la société de Neuville.

Et que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a prononcé condamnation à payer 159 000 F pour M. Remarck, 76 000 francs pour Mme Berresweiller, 82 000 F pour Mme Moris et 43 000 F pour la société Pirson.

Considérant, sur les demandes particulières de la société de Neuville à l'encontre de M. Remarck, qu'il est établi que ce franchisé a rompu unilatéralement le contrat qui le liait à la société de Neuville. Qu'il a été en effet constaté par huissier le 21 novembre 1989 qu'il avait enlevé de son magasin à Metz toute publicité faisant référence à de Neuville. Que l'intéressé ne conteste d'ailleurs pas ce fait, en indiquant qu'il avait voulu sortir les franchisés des difficultés financières dans lesquelles les avait mis la prétendue défaillance du franchiseur.

Mais qu'eu égard à ce qui a été établi précédemment, cette défaillance prétendue n'existe pas. Et que, si la société de Neuville prend acte de la résiliation, celle-ci ne peut qu'être constatée à la charge de M. Remarck qui doit par voie de conséquence réparer les dommages résultant pour le franchiseur de la rupture anticipée du contrat.

Que compte tenu des éléments d'appréciation figurant au dossier les premiers juges ont normalement fixé le montant de cette réparation au chiffre de 100 000 F que la société de Neuville ne remet pas en cause devant la Cour et à l'encontre duquel son adversaire n'apporte aucun démonstration contraire.

Que la condamnation de M. Remarck à 100 000 F de dommages-intérêts pour résiliation anticipée du contrat à ses torts sera donc confirmée.

Considérant qu'il est constant, ainsi qu'il le reconnaît lui-même, qu'à la suite de sa rupture avec la société de Neuville M. Remarck a créé une association de défense des franchisés de Neuville ; et que dans le cadre de cette activité nouvelle il a adressé en mai 1989 une lettre circulaire à tous les franchisés de Neuville, les invitant à rejoindre son association, ce qui ne peut lui être reproché, mais leur indiquant pour parvenir à ses fins : que l'augmentation unilatérale des prix était illicite - que les engagements pris par le groupe Rowntree Mackintosh pour le réseau de Neuville n'étaient pas respectés - que la franchise de Neuville était dans un état lamentable : 80 % du réseau en difficulté, 20 % à peine équilibré - qu'il faudrait obtenir une diminution des prix et que les mensonges qui ont été livrés sur ce thème sont destinés à rendre exsangue un réseau déjà mourant dans le seul intérêt du franchiseur.

Qu'il est donc établi que contrairement à ses dires M. Remarck en créant son association n'a pas eu seulement en vue de sortir ses collègues franchisés de leurs difficultés financières, mais d'exercer à l'encontre de la société de Neuville avec laquelle il n'était plus d'accord un véritable dénigrement qui a incontestablement porté atteinte à son image de marque en lui occasionnant un préjudice distinct du précédent dont la réparation a été justement fixée au chiffre de 50 000 F au regard des éléments d'appréciation fournis.

Et que la condamnation de M. Remarck au paiement de 50 000 F de dommages-intérêts à ce titre sera également confirmée.

Considérant que les premiers juges ont à bon croit donné acte à la société de Neuville de ce qu'elle acceptait la résiliation amiable du contrat de franchise la liant à Mme Berresweiller avec dispense de la clause de non-concurrence après règlement par celle-ci des marchandises encore impayées.

Considérant que l'équité implique que la société de Neuville ne conserve pas la charge des sommes non comprises dans les dépens qu'elle a exposés en raison de la procédure.

Qu'à juste titre les premiers juges ont condamné M. Remarck à lui verser à ce titre une indemnité de 10 000 F.

Que les sommes dont s'agit se sont accrues en raison des appels infondés de ses adversaires et que pour les frais irrépétibles d'appel il y a lieu de mettre à la charge de chacun des appelants principaux une indemnité supplémentaires de 1 500 F.

Que par contre les appelants principaux, qui succombent dans leur recours, seront déboutés de leurs demandes d'indemnité du même chef.

Considérant que les dépens sont à la charge de la partie qui succombe.

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit les appels principal et incident réguliers en la forme. Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Meaux du 6 novembre 1990 dans toutes ses dispositions. Y ajoutant, condamne M. Remarck, la SA Pirson, Mme Tommeray Lesage, Mme Berresweiller, Mme Moris, Me Saulnier ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Les gourmandises et M. Geysen à payer à la société de Neuville une indemnité de 1 500 F chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Les déboute par contre de leurs demandes d'indemnité du même chef. Condamne les même in solidum aux dépens d'appel et autorise la SCP Goirand, avoués, à poursuivre le recouvrement de ceux qu'elle a exposés selon les dispositions de l'articles 699 du nouveau code de procédure civile.