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Décisions

CA Rennes, 1re ch. A, 17 mars 1992, n° 651-91

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Philip Morris Products (Sté)

Défendeur :

Comité National contre le tabagisme, Ville de Quimper, Collège Brizeux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sene

Avocat général :

M. Couilleau

Conseillers :

Mme Lefevre, M. Dabosville

Avoués :

Mes Chaudet Brebion, d'Aboville, de Moncuit

Avocats :

Mes Caballero, Gourves, Beughem.

TGI Quimper, du 18 sept. 1991

18 septembre 1991

Le litige

Statuant sur la tierce opposition qu'avait formé le comité national contre le tabagisme, à une ordonnance de référé du 29 avril 1991 qui avait notamment ordonné le retrait sous astreint d'affiches exposées au public dans le cadre d'une campagne anti-tabac, le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Quimper, par ordonnance du 18 septembre 1991 :

- a reçu le comité national contre le tabagisme en sa tierce opposition ;

- a rétracté son ordonnance du 29 avril 1991 en ce qu'elle avait ordonné à la ville de Quimper de retirer les affiches litigieuses et condamné in solidum la ville de Quimper et le Collège Brizeux à verser à la société Philip Morris Products INC une provision de 1 F ;

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande initiale de la société Philip Morris.

La société Philip Morris a relevé appel de cette ordonnance.

Elle a exposé que des élèves du collège Brizeux à Quimper avaient été chargés en avril 1991 par des enseignants, en accord avec la ville, de préparer des affiches pour une campagne anti-tabac sur le thème " la pub tue " et qu'il avait notamment été réalisé et présenté au public, une affiche représentant une mare de goudron, s'échappant d'un paquet ouvert de cigarettes " Malboro " et caractérisant par là même un détournement graphique de la marque.

La société appelante a soulevé en premier lieu l'irrecevabilité de la tierce opposition formée par le comité national contre la tabagisme qui sera ci-après dénommé CNCT, faute d'intérêt pour agir et de grief établi, s'agissant d'affiches dont le retrait avait été ordonné, sur lesquelles le CNCT était dépourvu de tout droit. La société Philip Morris a notamment fait observer que la recevabilité devait être appréciée au regard du dispositif de l'ordonnance déférée et non des motifs.

En second lieu, la société appelante a soutenu que ses droits de propriété, de caractère absolu, sur sa marque Malboro avaient été détournés et avaient fait l'objet d'une atteinte manifestement illicite, qu'en tout état de cause, le dénigrement manifestement excessif de la marque Malboro par la présentation des affiches litigieuses ne pouvait être justifié par un droit à l'infirmation ou par un impératif de santé publique. Elle a d'ailleurs souligné qu'il s'agissait d'une campagne de publicité et non d'information à l'usage des consommateurs et qu'il n'existait pas de droit à la caricature comme en matière de propriété littéraire et artistique, la caricature en matière de contrefaçon de marque étant de toute façon admissible que si elle ne portait pas atteinte au titulaire de l'œuvre caricaturée.

En conséquence la société Philip Morris a sollicité la Cour :

- d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle avait rétracté l'ordonnance du 29 avril 1991 ;

- de confirmer l'ordonnance du 29 avril 1991 et de débouter le CNCT de toutes ses demandes et conclusions.

Le CNCT a conclu pour sa part à la confirmation de l'ordonnance entreprise et au rejet des prétentions adverses.

Sur le moyen d'irrecevabilité invoqué par la société appelante, il a fait valoir qu'il entrait dans son objet social de lutter contre les méfaits du tabagisme et donc d'agir dans un litige opposant les fabricants de cigarettes au mouvement anti-tabac. Il a ajouté que son intérêt à contester le dispositif de la décision entreprise, du moins en certains de ses chefs, n'était pas discutable et que le préjudice en résultant pour lui, fut-il éventuel, pouvait être pris en considération.

Au fond, l'association intimée a déclaré s'opposer aux prétentions de la société Philip Morris a un droit de propriété absolu sur sa marque. Elle a estimé qu'en dehors de tout cadre concurrentiel, la référence à une marque ne relevait plus en principe du droit des marques mais de la liberté d'information et du droit de critique.

Elle a indiqué que l'utilisation de la marque Malboro dans l'affiche litigieuse n'était pas dénigrante à l'excès mais procédait du droit de critique dont en l'absence d'un caractère outrancier ou discriminatoire, elle n'avait pas franchi les limites.

La ville de Quimper et le Collège Brizeux ont déclaré s'en rapporter à justice sur le mérite de cette tierce opposition.

En cours de délibéré, le CNCT a fait parvenir une note dont la société Philip Morris a demandé le rejet.

Pour plus ample exposé des faits, des prétentions et moyen des parties, la Cour de réfère expressément à la décision déférée et aux écritures des parties.

Motifs de la décision

Considérant qu'après la clôture des débats les parties ne peuvent déposer aucune note à l'appui de leurs observations sauf dans les cas prévue à l'article 445 du Nouveau Code de Procédure Civile ; qu'aucune de ces conditions n'étant remplie en l'espèce, il convient de rejeter la note en délibéré déposée par le CNCT ;

- Sur la recevabilité de la tierce opposition :

Considérant qu'il est énoncé à l'article 1 des statuts du comité national contre le tabagisme que cette association a pour objet " la prévention et la lutte contre les méfaits du tabagisme " ; que l'article 2 dispose que notamment les moyens d'action du CNCT consistent en " la production et la diffusion de tous documents nécessaires à la réalisation de ses objectifs " tels que des affiches ;

Considérant que le retrait ordonné par la juridiction des référés d'affiches qui tendaient à dénoncer la nocivité de cigarettes était manifestement de nature à faire grief au CNCT, en portant atteinte à son objet social ; que s'il est vrai que cette association n'avait alors aucun droit sur les affiches dont le retrait avait été ordonné, elle était susceptible d'en acquérir ; qu'il résulte d'ailleurs des circonstances de la cause et d'un article non contesté du " Télégramme de Brest " que le CNCT a acquis par la suite certains droits puisqu'il avait envisagé de diffuser sur le plan national 25 000 exemplaires des affiches litigieuses ; qu'en outre, pour ordonner le retrait des affiches qu'avait exposées la ville de Quimper, le juge des référés a implicitement constaté que l'apposition d'affiches de ce type constituait un trouble manifestement illicite ; que par là même, l'un des moyens d'actions du CNCT se trouvait diminué en son principe dès lors qu'il était interdit d'utiliser pour la lutte anti-tabac des graphismes publicitaires de marques célèbres de cigarettes, en les caricaturant ;

Considérant que disposant d'un intérêts suffisant à agir et justifiant de son préjudice, le CNCT est dès lors recevable en sa tierce opposition ;

- sur le trouble manifestement illicite :

Considérant que la société Philip Morris est propriétaire de la marque Malboro, déposée à l'institut national de la propriété industrielle et juridiquement protégée, notamment en sa forme figurative ;

Considérant qu'il est constant qu'a été exposée au public, sans l'autorisation de la société Philip Morris, une affiche reproduisant le graphisme de la marque " Malboro " et le modifiant dans les conditions décrites ci-dessus, avec la mention " la pub tue " ;

Considérant que pour rechercher si la présentation de ces affiches au public constituait un trouble manifestement illicite, le Premier juge a exactement énoncé qu'il convenait d'apprécier les limites du droit de propriété des marques et celles du droit de critique et de la liberté d'informer, notamment dans le domaine de la santé publique ; qu'en effet, en l'espèce il importe de relever que ni le CNCT, ni les utilisateurs ou contrefacteurs prétendus de la marque protégées n'exercent aucune activité concurrente de celle des producteurs de cigarettes et ne poursuivent du moins directement aucun objectif commercial ; que leur action emprunte la forme publicitaire pour être plus critique et dissuasive à l'égard des consommateurs de tabac, produit dont ils dénoncent la nocivité ;

Considérant il est vrai, que même si le CNCT vise prioritairement un objectif de santé publique, son action dénigrante tend aussi à freiner la consommation du tabac et à limiter les ventes des producteurs;

Mais considérant qu'il n'est pas démontré que par là-même, dans l'utilisation de la marque d'autrui, elle constitue un trouble manifestement illicite ou une atteinte à la protection de la marque ;

Considérant qu'en effet la loi du 10 janvier 1978, sur la protection et l'information des consommateurs de produits et de services, stipule en son article 30 que les propriétaires de marques " peuvent s'opposer à ce que des textes publicitaires concernant nommément leur marque soient diffusés lorsque l'utilisation de cette marque vise à tromper le consommateur ou qu'elle est faite de mauvaise foi" ; qu'il n'a pas été soutenu en l'espèce que les utilisateurs de la marque protégée Malboro aient agi de mauvaise foi, dans le but de tromper le consommateur ou encore aient réalisé une publicité mensongère ;

Considérant que par ailleursil n'apparaît pas que l'utilisation de la marque figurative Malboro soit en l'espèce constitutive d'un abus de droit de critique et de la liberté de l'information, dans le domaine de la santé publique ; que d'une part l'action exercée n'était nullement discriminatoire à l'égard de la société Philip Morris dès lors que sous des formes similaires, elle a été dirigée contre les principaux producteurs de cigarettes ; que d'autre part, en utilisant une forme humoristique, voire insolente ou caricaturale, elle n'a revêtu aucun caractère manifestement outrancier ni constitué un dénigrement manifestement excessif, la formule choc retenue ou le désastre suggéré par un marée noire, destinés à attirer la curiosité du public et à frapper le consommateur, étant de l'essence de la publicité;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence à entière confirmation de l'ordonnance déférée ;

Par ces motifs, Rejette la note en délibéré versée par le CNCT ; Confirme l'ordonnance déférée du 18 septembre 1991 ; Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ; Condamne la société Philip Morris aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP d'Aboville-de Moncuit Saint Hilaire.