CA Paris, 4e ch. A, 11 mars 1992, n° 91-004316
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ehrenreich
Défendeur :
Tiss Mod (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosnel
Conseillers :
MM. Boval, Bonnefont
Avoués :
SCP Bommart Forster, SCP d'Auriac Guizard
Avocats :
Mes Perez, Rayroux.
Faits et procédure de première instance
Se prévalant de la création d'un dessin sur tissus dit Minicotillon et invoquant les dispositions de la loi du 11 mars 1957, Ehrenreich, par exploit du 21 décembre 1989, assignait la société Tiss Mod en contrefaçon et en concurrence déloyale.
Des mesures de protection et de réparation étaient sollicitées ainsi que la somme de 20 000,00 F u titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
L'acte introductif d'instance énonçait que Tiss Mod avait importé de l'Inde, exposé, offert en vente et vendu des vêtements coupés dans des tissus contrefaisant celui crée par le demandeur.
La défenderesse concluait au débouté tant sur la contrefaçon que sur la concurrence déloyale et réclamait 10 000,00 F pour les frais non taxables.
Le jugement critiqué
Par son jugement du 23 janvier 1991, le Tribunal de Commerce de Paris a débouté Ehrenreich de toutes ses demandes et l'a condamné à payer à Tiss Mod 10 000,00 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
L'appel
Appelant du jugement par déclaration du 4 février 1991, Ehrenreich conclut qu'il plaise à la Cour le confirmer en ce qu'il l'a reconnu créateur d'un tissu non antériorisé, infirmer en ce qu'il n'a pas appliqué à Tiss Mod la présomption de mauvaise foi, en conséquence faire interdiction à Tiss Mod de commercialiser de quelque façon que ce soit les vêtements confectionnés à partir du dessin sur tissu reproduisant ou imitant ceux saisis et décrits suivant procès-verbal du 5 septembre 1989 et ce sous astreinte définitive de 2 000,00 F par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt, condamner Tiss Mod à payer des provisions de 400 000,00 F et 300 000,00 F au titre respectivement des actes de contrefaçon et de ceux de concurrence déloyale, ordonner la désignation d'un expert comptable en vue de l'évaluation de la masse contrefaisante, enjoindre Tiss Mod de remettre à Ehrenreich les articles contrefaisants encore en sa possession, ordonner la publication de l'arrêt dans cinq journaux ou périodiques au choix de Ehrenreich et aux frais de Tiss Mod et condamner celle-ci au paiement de 30 000,00 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Intimée, Tiss Mod prie la Cour de constater qu'elle n'a pas commercialisé les vêtements exposés comme échantillonnage au Salon du Prêt à Porter de septembre 89 à la Porte de Versailles, que Ehrenreich ne justifie pas des droits qu'il invoque sur le modèle, qu'elle même n'a pas fabriqué les tissus incriminés et qu'elle est de bonne foi.
Subsidiairement, elle demande au cas où la Cour ordonnerait une expertise comptable, que Ehrenreich soit tenu de remettre à l'expert tous documents de nature à justifier la réalité et l'étendue de son préjudice.
Elle réclame 10 000,00 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Sur ce la Cour
Qui se réfère au jugement et aux écritures d'appel ;
Considérant qu'il appert du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 5 septembre 1989 que Tiss Mod à cette date exposait sur son stand plusieurs sortes de vêtements confectionnés dans un tissu reproduisant à l'identique le dessin revendiqué par Ehrenreich et qui selon son P.D.G. avait été fourni par la société indienne Graffiti Export ;
Considérant que cette société a émis les 10 et 29 juillet 1989 des factures qui ont été mises aux débats ;
Considérant que Ehrenreich, qui sous diverses enseignes exerce à titre personnel le commerce, revendique la création et la fabrication de dessins sur tissu principalement commercialisés dans le domaine de l'ameublement et du linge de maison ;
Considérant que le dessin litigieux a, comme le prouvent les factures établies par la société Gravit, été gravé dès novembre 1986 ;
Qu'il a fait l'objet de publicité dans Maison et Jardin d'avril et août 1988 et dans Elle de septembre 1988 ;
Considérant que Tiss Mod, qui ne conteste pas le caractère servile de la reproduction incriminée, ne discute pas davantage l'antériorité de la commercialisation en France dont Ehrenreich se prévaut pour le dessin en cause ;
Qu'en réplique aux griefs de contrefaçon et de concurrence déloyale, elle oppose l'irrecevabilité de Ehrenreich à agir pour la protection dudit dessin et en outre invoque sa bonne foi en prétendant au surplus qu'il n'existe pas entre son adversaire et elle une situation de concurrence.
Sur l'action en contrefaçon
Considérant qu'il échet de constater que Ehrenreich n'a produit aucun document relatif à la création de l'œuvre et de nature à établir qu'il en est bien l'auteur, observation faite de surcroît que les publicités susvisées ont pour annonceur Paule Marrot, l'une des enseignes dont pour faire le commerce use Ehrenreich, mais ne divulguent pas le nom de ce dernier ;
Considérant en conséquence que la qualité de Ehrenreich à agir pour la protection du dessin litigieux sur le fondement de la loi du 11 mars 1957 n'est pas démontrée ;
Qu'il est donc irrecevable en son action en contrefaçon ;
Qu'ainsi et quoique pour d'autres motifs il y a bien [sic]à confirmation du jugement en ce qu'il l'en a débouté.
Sur l'action en concurrence déloyale
Considérant que contrairement à ce qu'indiquent les conclusions de l'intimée, le grief de concurrence déloyale est bien repris en appel par Ehrenreich, la référence à l'article 1382 marquant non que ce dernier y renonce mais qu'il en précise le fondement législatif ;
Considérant que le principe selon lequel on ne peut invoquer à l'appui d'une action en concurrence déloyale des faits distincts de ceux constitutifs de la contrefaçon ne peut être pertinemment opposé à Ehrenreich car la copie servile qu'il incrimine sur le fondement de l'article 1382 n'est pas une atteinte à un droit privatif dont pour les raisons exposées plus haut il n'a pas la possibilité de se prévaloir ;
Considérant que toute copie servile est une faute ;
Que son auteur tire profit des études et recherches conduites par autrui pour la conception et la réalisation d'un produit et des opérations publicitaires menées pour son lancement ;
Que de plus il s'évite le risque d'un mauvais accueil du public en plaçant son produit dans le sillage d'un autre que le succès a consacré ;
Que pour s'exonérer de toute responsabilité Tiss Mod croit pouvoir écarter tout risque de confusion entre les parties ou entre les produits au motif qu'elle a une activité différente de celle de Ehrenreich ;
Que celui-ci observe à juste titre que ses tissus sont diffusés auprès de maisons spécialisées dans le tissu d'ameublement mais également auprès de maisons spécialisées dans le tissu d'ameublement mais également auprès de créateurs de la mode vestimentaire ;
Que Tiss Mod ne saurait sérieusement contester qu'un même dessin sur tissu peut être employé à la fois pour l'ameublement et pour des vêtements et serait d'autant plus mal venu de le faire qu'en l'espèce c'est précisément ce qui s'est produit ;
Qu'en mettant sur le marché du vêtement un dessin identique à celui que Ehrenreich aurait dû lui-même proposer à des industriels du textile, Tiss Mod l'a indéniablement privé d'appréciables virtualités d'exploitation et quoi qu'elle prétende, apporte une gêne à ses activités par un comportement qui, quand bien même aucune confusion n'aurait été créée, présente un aspect parasitaire, entrant dans le cadre des agissements constitutifs de concurrence déloyale;
Considérant que dans sa discussion sur l'action en contrefaçon, le Tribunal, après avoir noté que Ehrenreich a été victime d'un pillage réalisé en Inde, énonce que Tiss Mod pouvait ne pas connaître le motif créé par Ehrenreich car les tissus d'ameublement n'ont pas une diffusion atteignant la célébrité et retient sa bonne foi en précisant que Ehrenreich aurait dû poursuivre, plutôt que TISS MOD, le fabricant incriminé ;
Qu'une telle argumentation méconnaît que la bonne foi ainsi prêtée à TISS MOD est inopérante dans le débat car serait-elle, ce qui n'est pas le cas, établie, TISS MOD n'en devrait pas moins réparation pour avoir au préjudice de EHRENREICH introduit en France des vêtements porteurs d'un dessin fruit d'une copie servile ;
Tout importateur devant assumer les risques d'une importation illicite puisqu'il en recueille les bénéfices et ce même s'il n'a agi que par ignorance en l'absence de toute mauvaise foi ;
Qu'au demeurant, force est de relever que le jugement institué en faveur de Tiss Mod une présomption de bonne foi qu'il refuse au fournisseur indien comme si ce dernier devait être moins ignorant que son client français de ce qui se fait en France en matière de tissus d'ameublement ;
Que cette inconséquence est d'autant plus singulière que, pas plus d'ailleurs qu'en appel, Tiss Mod n'avait communiqué de pièces de nature à éclairer le juge sur les conditions dans lesquelles elle avait pris commande des vêtements incriminés et ne s'était même pas donné la peine de combattre le soupçon que le dessin litigieux aurait pu être fourni par ses soins à Graffiti Export ou quelque autre façonnier indien ;
Considérant qu'il suit de ce qui précède que Ehrenreich est bien fondé en son action en concurrence déloyale ;
Considérant qu'en l'état des renseignements fournis, il n'apparaît pas utile de prononcer à l'encontre de Tiss Mod les mesures d'interdiction et de remise d'articles incriminées sollicités par l'appelant et de recourir à une expertise, la Cour ayant les éléments suffisants pour fixer au montant précisé au dispositif l'indemnité que pour une réparation équitable du préjudice viendront compléter les publications de l'arrêt selon les modalités indiquées ci-dessous.
Sur l'application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile
Considérant que le jugement étant infirmé sur la concurrence déloyale, il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelant les frais non taxables exposés dans la procédure ;
Que Tiss Mod sera condamnée à lui payer le montant justifié fixée au dispositif ;
Par ces motifs Substitué à ceux des premiers juges dit Ehrenreich partiellement bien fondé en son appel ; Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté l'action en contrefaçon infirmant pour le surplus ; Dit que la société Tiss Mod a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de Ehrenreich ; Condamne Tiss Mod à payer à Ehrenreich 150 000,00 F de dommages-intérêts ; Ordonne la publication par extraits de l'arrêt dans 3 journaux ou périodiques au choix de Ehrenreich et aux frais de Tiss Mod dans la limite globale de 60 000,00 F ; Décharge Ehrenreich de la condamnation prononcée au profit de Tiss Mod en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Et à ce titre : Condamne Tiss Mod à lui payer un montant de 20 000 F ; Dit que Tiss Mod supportera les dépens de première instance et d'appel. Admet la SCP Bommart - Forster avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.