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Décisions

CA Colmar, 2e ch. civ., 28 février 1992, n° 3718-89

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Henkel France (SA)

Défendeur :

Eurovite (BV), Comptoir des Peintures et Revêtements de l'Est

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moureu

Conseillers :

MM. Meyer, Lowenstein

Avocats :

Mes Cahn & associés, d'Ambra & Boucon, Pitron, Alexandre.

TGI Colmar, du 17 oct. 1988

17 octobre 1988

I. Faits et procédure

La société Henkel France qui distribue, sous la marque Metylan, des colles pour papiers peints, a assigné la société de droit hollandais Eurovite BV et son intermédiaire en France la société "Comptoir des Peintures et Revêtements de l'Est" en concurrence déloyale en soutenant que les emballages utilisés par son concurrent imitaient les siens créant ainsi une confusion dans l'esprit de la clientèle préjudiciable à son activité commerciale.

Le Tribunal de Grande Instance de Colmar par jugement en date du 17 octobre 1988 a :

"Déclaré la société Henkel France SA mal fondée en sa demande et l'en déboute,

Condamné la société Henkel France SA à payer à chacune des demanderesses reconventionnelles, soit la société de droit hollandais Eurovite BV d'une part, et à M. Flaitz d'autre part :

Une somme de 5 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire, comme majorée des intérêts au taux légal à compter de ce jour,

et

Une somme de 5 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Autorisé chacune des demanderesses reconventionnelles à faire publier le jugement à intervenir dans trois journaux professionnels de son choix et dit que la société Henkel supportera les frais de publication à concurrence de 5 000 F par insertion,

Condamné la société Henkel France aux entiers frais et dépens,

Ordonné l'exécution par provision de ce jugement."

Le 12 décembre 1986 la société Henkel France a régulièrement interjeté appel de cette décision.

II. Moyens et prétentions des parties

La société Henkel fait valoir :

- qu'elle commercialise depuis 1964 une colle spéciale pour papiers peints dans un conditionnement de couleur violette et depuis 1970 une colle normale dans un paquet de couleur jaune alors que la société Eurovite BV a mis en vente en France en 1984 les mêmes produits contenus dans des boîtes de mêmes coloris,

- que l'utilisation de "couleurs codes" par une société pour conditionner ses marchandises donne à cette présentation un caractère particulier permettant à la clientèle de reconnaître les produits de cette société, que l'usage par une autre entreprise d'emballages offrant les mêmes caractéristiques d'ensemble est de nature à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle constitutif de concurrence déloyale, que la simple ressemblance de couleur des étiquettes des deux produits en cause est suffisante pour fonder l'action en concurrence déloyale, sans qu'il soit nécessaire que les étiquettes soient la copie servile les unes des autres, que le risque de confusion existe alors même que le sigle et la marque apparaissent clairement sur ces paquets ;

- que c'est à tort que les premiers juges ont relevé que les boîtes utilisées par les sociétés en litige sont facilement différentiables, qu'en effet l'appréciation des graphismes sur les emballages en cause ne doit pas se faire en relevant les différences de détails mais en examinant de façon générale si la ressemblance est suffisante pour que le public puisse se méprendre, que si ses contenants portent la mention "Metylan" en gros caractères dans un chevron blanc, les produits Eurovite sont eux commercialisés sans marque clairement apparente permettant de les identifier facilement,

- que la société Eurovite a délibérément changé le conditionnement de ses produits au cours de l'année 1984 en vue de leur commercialisation en France, qu'en effet à partir de cette date elle a abandonné sa présentation habituelle, caractérisée par la superposition de trois demi-cerles avec mention en grosses lettres de sa marque sur des boîtes de couleur jaune, verte et noire, pour adopter des emballages similaires aux siens ,

- qu'il ne saurait être sérieusement soutenu que la taille et les couleurs qu'elle utilise sont des normes usuelles de présentation de ce type de produits dans la mesure où les emballages des principaux concurrents sont de formats, de couleurs ou de graphismes différents ce qui permet une différenciation entre eux,

- que la confusion dans l'esprit de la clientèle est d'autant plus grande que ses produits et ceux des parties adverses sont exposés sur les rayons des mêmes magasins où ils sont vendus,

- qu'à la suite de l'attitude déloyale de la société Eurovite elle a subi un important préjudice consécutif à une perte de marché, puisque son chiffre d'affaires dans l'Est de la France a baisé de 10 % pour la seule année 1985.

Sur le grief de publicité par dénigrement faisant l'objet de la demande reconventionnelle des intimées en première instance, l'appelante soutient :

- que sa circulaire en date du 2 juillet 1985 adressée à ses principaux clients par laquelle elle les avertissait d'un procès en cours pour concurrence déloyale à l'encontre d'une société concurrente ne constitue pas un acte de dénigrement dès lors que la société Eurovite n'a pas été nommément désignée et en peut être identifiée puisque le marché des colles de papiers peints est très ouvert,

- que d'ailleurs les informations contenues n'ont aucun caractère précis et ne préjugent pas de la décision judiciaire à intervenir.

Elle estime enfin qu'il est de principe que l'exécution provisoire est effectuée au risque de la partie bénéficiaire qui y fait procéder, que dans la mesure où la publication du jugement a été réalisée dans des journaux professionnels, conformément aux dispositions du jugement entrepris, sa réputation a été atteinte, qu'elle est donc fondée à demander réparation à ce titre ainsi que le remboursement des frais d'insertion.

En conséquence elle conclut :

"Déclarer recevable l'appel de la société Henkel France SA,

Infirmer le jugement de la Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Colmar du 17 octobre 1986 en toutes ses dispositions,

Dire et juge qu'en commercialisant en France des produits dans des conditionnements aux couleurs et formats identiques, créant ainsi une confusion dans l'esprit de la clientèle, la société Eurovite BV et M. Flaitz se sont rendus coupables d'agissements parasitaires constitutifs de concurrence déloyale, gravement préjudiciables aux intérêts de la société Henkel France,

Faire défense aux intimés de poursuivre ces agissements sous astreinte définitive de 50 F par infraction constatée, l'infraction s'entendant de l'introduction, détention, offre à al vente et vente de chaque paquet de colle, et ce, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

Condamner solidairement les intimées au paiement d'une somme de 130 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la société Henkel France découlant des actes de concurrence déloyale dont elle fait l'objet,

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans six journaux professionnels aux frais des défendeurs et au choix de la société appelante, le coût de chaque insertion ne devant, toutefois, pas excéder 5 000 F,

Condamner les intimés à restituer à la société Henkel France les frais supportés par elle au titre des publications du jugement s'élevant à la somme de 30 958,27 F avec intérêts de droit à compter de la date d'exécution, ainsi que les sommes qu'elle a dû payer, en vertu du jugement du 17 octobre 1986, à chacune des demanderesses reconventionnelles, à savoir :

- 5 000 F à titre des dommages et intérêts ,

- 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Condamner les intimés au paiement de la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la publication du jugement du 17 octobre 1986 dans des journaux professionnels,

Condamner les intimés au paiement de la somme de 20 000 F en application de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Condamner les intimés aux entiers dépens de première instance et d'appel".

La société Eurovite et la société "Comptoir des Peintures et Revêtements de l'Est" en formant appel incident estiment :

- que les modèles d'emballages (taille et forme) de l'appelante sont classiques et d'ailleurs sont utilisés par tous les fabricants de colles, qu'une couleur ne peut en elle-même faire l'objet d'une appropriation privative,

- qu'elles utilisent le même type de conditionnement depuis plusieurs années, bien avant 1972, qu'il est inexact de soutenir qu'elles ont modifié les emballages en 1984, qu'en effet à cette époque elles ont simplement modifié légèrement leur présentation pour les rendre plus modernes, que d'ailleurs ce changement ne concernait pas uniquement la vente en France, mais l'ensemble des pays du Marché Commun et l'Autriche,

- que même si le modèle des paquets de la société Henkel est antérieur au sien, ce qui n'est pas démontré, il n'en résulterait aucun droit de leur interdire de vendre leurs produits sous un emballage similaire,

- que le mot "Eurovite BV" est apposé de façon lisible et visible sur leurs emballages, qu'ainsi il n'existe aucun risque de confusion alors que les produits Henkel portent leur propre marque,

- qu'il est certain que la circulaire adressée par l'appelante à ses clients constitue un acte de dénigrement dès lors que la société Henkel informait sa clientèle tant qu'un procès en concurrence déloyale était intenté à son encontre et que les produits Eurovite étaient de moins bonne qualité que les siens, que ce document visait la société Eurovite même si elle n'était pas nommément désignée, que de plus la société appelante a laissé courir le bruit, par ses représentants, qu'une procédure de saisie était en cours à leur encontre, qu'en conséquence le montant des dommages et intérêts alloués par les premiers juges est insuffisant pour réparer leur préjudice,

En conséquence elles concluent :

"Statuant sur l'appel principal de la société Henkel :

Déclarer la société Henkel irrecevable ou en tous cas infondé en son appel,

L'en débouter,

La condamner aux frais et dépens, ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 20 000 F en application de l'article 700 Du Nouveau Code de Procédure Civile,

Statuant sur l'appel incident de la société Eurovite et de la société Flaitz :

Confirmer le jugement en tant qu'il a condamné Henkel pour concurrence déloyale et en tant qu'il a ordonné la publication de la décision à intervenir dans trois journaux,

Confirmer le jugement entrepris en tant qu'il a condamné à dommages et intérêts et à application de l'article 700, mais l'infirmer en ce qui concerne les montants alloués,

Condamner la société Henkel à payer à chacune des sociétés appelantes incidentes, la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et procédure abusive et la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Condamner la société Henkel aux frais et dépens de l'appel incident".

III. Discussion.

Vu le dossier de la procédure, les pièces produites par les parties et leurs écrits auxquels la Cour se réfère pour plus ample exposé des faits et de moyens ;

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société Henkel distribue depuis 1970, à défaut de preuve d'une date antérieure, sous la marque Metylan une colle pour papiers peints courants et légers conditionnée dans une boîte de couleur jaune et une colle spéciale pour papiers peints lourds, spéciaux et vinyles, dans une boîte cartonnée de couleur violette,

Que depuis 1972 la société Eurovite a mis sur le marché les mêmes produits dans des emballages de même forme, de même dimension et aux couleurs similaires;

Attendu qu'il ressort des échantillons versés à la procédure que la plupart des fabricants de colles pour papiers peints conditionnent leurs produits dans des boîtes parallélépipédiques de couleurs jaune et violette similaires à celles utilisées par les deux parties en cause.

Qu'ainsi le format des paquets mis en vente par les intimées ne présente aucune originalité dans ce domaine,

Que les couleurs de base jaune et violette en elles-mêmes ne peuvent être constitutives, dans leur emploi, d'un acte de concurrence déloyaledans la mesure où elles ne se combinent pas dans un arrangement spécifique permettant la distinction du produit ;

Attendu que sur les emballages de la société Henkel apparaît la marque Metylan, imprimée en gros caractères dans un large chevron blanc, ainsi que la mention "Henkel" dans un ovale de couleur bleue, alors que, malgré la modification de présentation intervenue en 1984, les paquets de la société Eurovite et commercialisés par la société "Comptoirs des Peintures et Revêtements de l'Est" comportent une large bande noiredans sa partie inférieure qui contient le sigle Eurovite BV ainsi qu'un important dessin en forme de L de couleur blanche dans la partie centrale,

Que dès lors qu'il n'y a ni copie servile, ni aucune ressemblance suffisante des emballages, dans la mesure où de façon évidente ils sont manifestement différents ; il n'existe aucun risque de confusion entre les deux produits mis en vente par les parties, de la part de la clientèle composée à la fois de particuliers et de professionnels,

Qu'en conséquence il y a lieu de confirmer que le jugement en ce qu'il a débouté la société Henkel de son action en concurrence déloyale ;

Attendu que si l'envoi d'une lettre circulaire par une entreprise à sa clientèle dans laquelle est exposé qu'une action judiciaire a été introduite en concurrence déloyale à l'encontre d'un concurrent peut engager la responsabilité de son auteur, il est néanmoins nécessaire que l'adversaire soit nommément désigné ou facilement identifiable,

Que le courrier en date du 2 juillet 1985 adressé par l'appelante à ses principaux clients ne mentionne pas la société Eurovite ni la société "Comptoirs des Peintures et Revêtements de l'Est",

Que rien dans son contenu ne permet d'identifier les intimées ou l'une d'entres elles, le marché des colles pour papiers peints étant suffisamment ouvert pour que d'autres concurrents de la société Henkel soient susceptibles d'être visés par les termes de cette circulaire,

Qu'il est fait mention dans cet écrit que la société concurrente est "jusqu'alors inconnue sur le marché" alors qu'il est établi que la société Eurovite diffuse ses produits depuis 1972, ce qui exclut toute possibilité de rapprochement dans l'esprit des destinataires de la lettre avec cette dernière entreprise,

Qu'en conséquence il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Henkel France pour dénigrement constitutif de concurrence déloyale;

Attendu que dès lors que le jugement entrepris est confirmé en ce qui concerne l'action en concurrence déloyale formée par la société Henkel France, il n'y a lieu à lui accorder des dommages et intérêts pour les actes d'exécution provisoire ordonnés par les premiers juges ;

Attendu que les frais et dépens nés des appels seront supportés par moitié par chacune des parties,

Qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties le montant de ses frais non répétibles,

Qu'il n'y a pas lieu à allouer à quiconque une indemnité en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs : et ceux non contraires des premiers juges, Reçoit les appels réguliers en la forme, Au fond, sur l'appel principal le déclare partiellement fondé, infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Henkel France pour dénigrement commercial à verser une somme de 5 000 F (cinq mille francs) à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire majorée des intérêts légaux à compter du jugement querellé, à la société Eurovite BV et à M. Flaitz, Déboute les sociétés Eurovite et Comptoirs des Peintures et Revêtements de l'Est de leur demande reconventionnelle, Autorise la société Henkel France à faire publier le présent arrêt dans trois journaux professionnels solidairement aux frais des intimés, le coût de chaque insertion ne pouvant excéder 5 000 F (cinq mille francs), Confirme pour le surplus le jugement entrepris, Déclare mal fondé l'appel incident et le rejette, Condamne la société Henkel France d'une part et d'autre part in solidum la société Eurovite avec la société "Comptoirs des Peintures et Revêtements de l'Est" à supporter les frais et dépens d'appel chacune pour moitié, Dit n'y avoir lieu à indemnités en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Rejette toutes autres conclusions des parties.