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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 18 février 1992, n° 91-15544

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Editions Maréchal Le Canard Enchaîné (SA), Fressoz, Guede

Défendeur :

Bergeron

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hannoun

Conseillers :

Melle Aubert, M. Guerin

Avoués :

Me Bolling, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Souchon, Courrege.

TGI Paris, du 10 avr. 1991

10 avril 1991

Monsieur Alain Guede, journaliste, la société " Editions Maréchal Le Canard Enchaîné " et Monsieur Roger Fressoz directeur de publication de cet hebdomadaire sont appelants du jugement rendu le 10 avril 1991 par le Tribunal de Grande Instance de Paris qui a condamné solidairement les deux premiers au paiement de 20 000 F de dommages-intérêts et de 8 000 F sur le fondement de l'article 700, ordonné la publication d'un communiqué dont le texte précisé au dispositif devait être suivi de la réponse adressée au journal par Monsieur Bergeron le 12 octobre 1990.

Référence étant faite à ce jugement pour un exposé plus complet des faits, de la procédure antérieure et des moyens retenus par les premiers juges, il suffit de rappeler que :

Le 10 octobre 1990, l'hebdomadaire " Le Canard Enchaîné " a fait paraître en page 4 sous la signature de Monsieur Alain Guede un article intitulé " Le CNPF encaisse le jackpot sur le dos des immigrés "...

Estimant que le passage de ce texte qui lui est consacré est diffamatoire, ou à tout le moins fautif à son égard, Monsieur Francis Bergeron a cité la " Société Editions Maréchal Le Canard Enchaîné " ainsi que Messieurs Fressoz et Guede à comparaître pour le faire constater et obtenir réparation du préjudice qu'il affirme avoir subi de ce fait.

Le Tribunal ayant rendu le jugement ci-dessus rappelé, la société Editions le Canard Enchaîné ainsi que MM. Fressoz et Guede en poursuivent l'infirmation.

Contestant l'application en la cause des dispositions de l'article 1382 du Code civil et la réalité du dénigrement fautif par le Tribunal, ils font observer que cette notion nouvelle qui n'est pas légalement définie permet, au mépris du principe de la liberté d'expression et des termes précis de la loi du 29 juillet 1881, d'infliger des condamnations en l'absence de toute diffamation, ce qui constitue selon eux " la porte ouverte à tous les abus ".

Déniant l'existence du préjudice allégué par M. Bergeron, ils soutiennent que contrairement aux allégations de celui-ci, l'article litigieux ne formule à son égard aucune imputation diffamatoire et ne donne pas non plus de lui une image " dévalorisante ".

Contestant avoir commis la moindre faute, ces parties arguant de l'exception de vérité et de celle de bonne foi, sollicitent à titre subsidiaire l'application à leur profit des dispositions des articles 35 et 55 de la loi de 1881.

Rappelant enfin les termes précis de l'article 13 de ce texte, elles demandent à la Cour d'annuler le chef du jugement entrepris qui précise que la lettre que leur adversaire leur a adressée le 12 octobre 1990 ne laissait pas de doute sur la demande d'insertion qu'elle contenant et que l'assignation introductive de la présente instance suffisant à la valider .

M. Bergeron conclut au contraire à la confirmation de la décision entreprise dans la mesure où celle-ci a condamné son adversaire au paiement de dommages-intérêts et à l'insertion d'un communiqué suivi de la réponse qu'il a adressée au journal le 12 octobre 1990.

Se portant appelant à titre incident, il demande à la Cour de constater que l'article litigieux insinuant qu'il était complice du détournement de fonds qui y est dénoncé et qu'il n'avait été nommé au conseil d'administration du FAS qu'avec la mission de voter certaines subventions, a porté atteinte à son honneur et à sa considération.

Il affirme que son comportement professionnel ayant toujours été irréprochable, sa mise en cause dans de telles conditions poursuit en réalité un but politique, selon lui, évident.

Cela étant exposé, LA COUR,

Sur le droit de réponse :

Considérant qu'il échet de constater que le " Canard Enchaîné " ayant procédé le 5 juin 1991 à la publication dans les conditions prescrites par le Tribunal, la Cour n'est pas saisie de la demande d'annulation de l'exercice du droit de réponse, ce que toutes les parties en la cause ont d'ailleurs reconnue à la barre ;

Sur la diffamation :

Considérant que toute allégation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur et à la considération de la personne à laquelle ce fait est imputé est une diffamation .

Qu'aucune allégation de cette nature n'ayant été émise à l' égard de M. Bergeron, c'est à juste titre pour des motifs pertinents que la Cour adopte, que les premiers juges ont débouté celui-ci de la demande qu'il a formée sur le fondement de l'article 29 de la loi de 1881.

Qu'en effetrien dans le texte litigieux essentiellement consacrée au CNPF ne permet de considérer qu'il a été porté atteinte d'une manière quelconque à la probité ou aux qualité professionnelles de l'intimé ;

Sur le dénigrement fautif :

Considérant que l'article 1er de la loi du 29 juillet 1881 précise que l'imprimerie et la librairie sont libres ;

Que ce principe fondamental à valeur constitutionnelle n'est limité que par la répression d'abus dans les cas prévus par la loi ; qu'il impose donc que,en matière de presse l'application des dispositions de l'article 1382 du Code Civil soit restreinte aux cas où la publication incriminée constitutive un tel abus qu'elle porte atteinte aux droits fondamentaux de la personne visée;

Or considérant en l'espèce comme cela est indiqué juste au-dessous du titre de cet hebdomadaire que le " Canard Enchaîné " est un journal satirique ; qu'ayant pour objet avoué celui d'amuser ou de faire rire ses lecteurs, l'insolence et la raillerie dont il use pour y parvenir ne peuvent permettre l'application du texte sus-indiqué que lorsque le dépassement de la limite que ce genre amène à tolérer constitue un tel abus qu'il porte atteinte dans les conditions ci-dessus rappelées aux droits fondamentaux de la personne visée ;

Or considérant en l'espèce que l'article litigieux a manifestement voulu présenter les faits qui y sont relatés sur un ton et selon un registre humoristique et imagés (patron de choc... méthodes musclées) sur le bon goût desquels l'appréciation de chacun reste libre ; que cependant la limite habituelle du genre satirique qui n'est qu'un des aspects de la liberté d'expression n'ayant pas été outrepassée, aucun des propos relevés par l'intimé ne constituant au surplus de dénigrement fautif, il a lieu, infirmant de ce chef le jugement entrepris, de déclarer Monsieur Bergeron mal fondé en sa demande ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 NCPC.

Par ces motifs : Constate que le Canard Enchaîné ayant procédé le 5 juin 1991 à la publication du communiqué de presse dans les conditions prescrites par les premiers juges, la Cour n'est plus saisie des demandes relatives au droit de réponse. Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a débouté Monsieur Bergeron de la demande qu'il a présentée sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881. L'infirmant pour le surplus, Dit que les dispositions de l'article 1382 du Code civil ne sont pas applicables en la cause. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC. Condamne M. Bergeron en tous les dépens de première instance et d'appel. Dit que ces derniers seront recouvrés par Me Bolling avoué dans les conditions prévues à l'article 699 du NCPC.