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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 6 février 1992, n° 1719-91

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

3 V (Sté)

Défendeur :

Lacroix

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Belleau

Conseillers :

MM. Frank, Assie

Avoués :

SCP Merle Doron Carena, Me Delcaire

Avocats :

Mes Mignot, Limonzineau, Baranez

T. com. Versailles, 4e ch., du 17 janv. …

17 janvier 1991

LA COUR,

Statuant sur l'appel interjeté par la société 3V (auparavant dénommée société Locafret) à l'encontre du jugement contradictoirement rendu le 17 Janvier 1991 par le Tribunal de Commerce de Versailles :

Considérant que Jean-Marc Lacroix est voiturier indépendant pour véhicules de petite remise ;

Considérant que par acte sous seing privé du 23 Janvier 1986, il a loué à la société Locafret pour une durée de un an, renouvelable par tacite reconduction, l'usage du central radio créé et exploité par cette société, moyennant le paiement d'une redevance mensuelle de 1 000 F ;

Considérant que par lettre du 20 juillet 1989, il a fait état d'une modification des conditions de son travail imposée, selon lui, par Locafret et résilié la convention qui le liait à cette société ;

Considérant que la société Locafret a allégué que depuis lors, Lacroix aurait conservé certains clients importants avec lesquels elle l'avait mis en rapport, notamment, l'Externat Médico Psychologique " Le Rondo " à Versailles et aurait ainsi violé la clause de la convention du 23 Janvier 1986 par laquelle il s'était interdit, en cas de résiliation de contrat " d'exploiter directement ou indirectement une activité similaire et particulièrement l'activité de taxi à Versailles-Le Chesnay-Rocquencourt-Buc, pendant une période de trois ans dans un rayon de 30 km à vol d'oiseau de la Mairie de Versailles " ;

Considérant qu'elle l'a assigné en dommages et intérêts et en interdiction, à peine d'astreinte, de continuer a exercer son activité professionnelle dans le secteur de Versailles jusqu'au 30 Juillet 1992 ;

Considérant qu'aux termes du jugement qui s'en est suivi, soumis à l'appréciation de la Cour, le Tribunal de Commerce de Versailles a déclaré nulle la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat du 23 Janvier 1986, dit la société 3V mal fondée en ses demandes et condamné celle-ci aux dépens ;

Considérant que, renouvelant sa demande de première instance, la société 3V, appelante, prie la Cour de réformer le jugement, de dire la clause litigieuse licite, de lui allouer 500 000 F à titre de dommages et intérêts, d'interdire à Lacroix, jusqu'au 30 Juillet 1992 et dans un rayon de 30 Km de Versailles, de transporter des clients de la société 3V, à peine d'une astreinte définitive de 1 000 F par infraction constatée, de voire encore ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans deux journaux périodiques distribués dans le ressort de Versailles ; qu'elle réclame enfin l'allocation de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC

Considérant que Jean-Marc Lacroix, intimé, conclut à la confirmation du jugement ; qu'il souhaite se voir allouer 8 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC ;

Considérant que Lacroix allègue que la clause litigieuse porte atteinte à son droit d'exercer de façon indépendante son activité de voiturier ;

Mais considérant que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites; qu'en l'espèce la clause combattue est limitée dans le temps et dans l'espace; que la liceité des restrictions aux libertés individuelles qu'elle stipule est reconnue;

Considérant que Lacroix énonce, sans être utilement démenti, que le préjudice qu'il a causé à la société 3V doit être limité car même s'il n'est pas contesté que cette société, en plus de son activité principale de mise en œuvre d'un central radio, exploite accessoirement celle de voiturier, elle n'utilise que des véhicules de grande remise offrant un service d'un niveau supérieur à celui qui résulte d'un véhicule de petite remise dont il est propriétaire ; qu'en conséquence la concurrence faite à la société 3V ne peut être qu'occasionnelle ;

Considérant que citant par ailleurs l'exemple du transport des enfants fréquentant le centre de handicapés " Le Rondo ", Lacroix fait valoir que s'il a, sur la demande même des éducateurs de ce centre, conservé la clientèle de celui-ci, c'est en raison de l'expérience qu'il avait acquise dans un domaine spécifique et qui lui est personnelle ;

Considérant que les seules pièces justificatives du dommage invoqué par la société 3V sont relatives à ce centre ; qu'il convient donc de ramener à de plus juste proportions le montant des dommages et intérêts qui seront alloués à la société appelante ;

Considérant que la Cour trouve en la cause, à l'examen des pièces versées au débat, des éléments d'appréciation suffisants pour fixer à 50 000 F le montant total du préjudice qu'a subi la société 3V en raison des infractions commises par Lacroix à la clause de non-concurrence ;

Considérant qu'il convient encore de faire interdiction à Lacroix jusqu'au 30 Juillet 1992, à peine d'une astreinte provisoire de 1 000 F par infraction constatée, de prendre en charge dans son véhicule dans un rayon de 30 Km autour de la mairie de Versailles, des clients avec lesquels il aurait été mis en rapport entre le 28 Janvier 1986 et 20 Juillet 1989 par l'intermédiaire du central radio de la société 3V ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt ;

Considérant que les circonstances de la cause ne conduisent pas, en équité, à faire application de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Réformant,

- Dit n'y avoir lieu à annulation de la clause de non-concurrence, stipulée le 23 Janvier 1986,

- Constate que Lacroix n'a pas respecté cette clause ; en réparation le condamne à payer à la société 3V la somme de 50 000 F (cinquante mille francs) à titre de dommages et intérêts,

- Fait interdiction à Lacroix, à peine d'une astreinte provisoire de 1 000 F (mille francs) par infraction constatée, de prendre en charge dans son véhicule, dans un rayon de 30 Km autour de la mairie de Versailles et jusqu'au 30 Juillet 1992, des clients avec lesquels il aurait été mis en rapport entre le 28 Janvier 1986 et le 20 Juillet 1989, par l'intermédiaire du central radio de la société 3V,

- Rejette le surplus des demandes,

- Condamne Jean-Marc Lacroix aux dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP Merle, Carena-Doron avoués à recouvrer, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC, ceux dont elle a fait l'avance.