CA Orléans, ch. civ. sect. 1, 5 février 1992, n° 2315-90
ORLÉANS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Générale Biscuit (SA), Lu (SA)
Défendeur :
Rougier (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lardennois
Conseillers :
M. André, Mme Martin-Pigalle
Avoués :
Mes Parrain, Duthoit
Avocats :
Mes Cornette de Saint Cyr, Potot.
Faits, procédure et prétentions des parties :
Statuant sur les appels principal et incident respectivement régulièrement formés par les sociétés Générale Biscuit et Lu et par la société Rougier, contre un jugement rendu le 26 avril 1990 par le tribunal de Grande Instance de Montargis qui a :
- dit que la SA Rougier avait commis des actes de concurrence déloyale engageant sa responsabilité civile sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil,
- interdit à la société Rougier la poursuite de ces actes et ce sous astreinte de 100 F par infraction constatée passé un délai de deux mois à compter de la signification du jugement,
- ordonné l'exécution provisoire de ce chef,
- condamné la SA Rougier à verser à la SA Lu et à la SA Générale Biscuit, créanciers solidaires, la somme de 50 000 F de dommages et intérêts outre 7 000 F en vertu de l'article 700 du Nouveau code de Procédure Civile,
- autorisé la SA Lu et la SA Générale Biscuits à faire publier le présent dispositif par extraits ou in extenso dans trois journaux ou revues de leur choix, aux frais de la SA Rougier étant précisé que le coût global de ces insertions ne pouvait excéder la somme de 10 000 F hors taxes,
- rejeté toutes demandes contraire ou plus amples des parties.
La société Générale Biscuit titulaire de la marque et la société Lu sa filiale ont lancé sur le marché fin 1987 une galette réalisée à partir d'une recette d'origine américaine ainsi que l'indique son nom cookie.
Ce nouveau produit est vendu dans un emballage spécifique présentant les caractéristiques suivantes :
- une contenance de 12 galettes,
- une présentation verticale,
- un fond blanc,
- une face externe où sont représentés 3 cookies surmontés d'un cartouche où figure l'inscription Hello ! au dessus de laquelle le sigle de la marque Lu est représenté.
Suivant les divers parfums (ananas et noix de coco, nougatine et chocolat, raisins et pépites de chocolat) du produit, ce cartouche est décoré par des dessins aux couleurs fluorescentes, qui font tous référence à des thèmes américains tels que le port de New-York et la statue de la liberté, un orchestre de Jazz, une maison du Sud des Etats-Unis, une voiture sur une plage de Floride.
La société Générale Biscuit , titulaire de la marque Lu a successivement déposé en tant que marque auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), courant 1987 et 1989 les cartouches avec en surimpression la marque Hello et représentant respectivement :
- le port de New-York,
- une plage de Floride,
- un orchestre de Jazz,
- une maison de Louisiane.
Dans le même temps la société Rougier sous la marque Okay (crée en 1973), et OK (acquise en 1988) commercialisait un produit identique en utilisant des emballages d'un même format que ceux employés par son concurrent, avec un fond blanc et comportant pour l'emballage commercialisé sous la marque Okay, des cartouches sur la face externe où sont représentées des scènes de la vie du nord Américain avec des couleurs fluorescentes.
Après l'échec des négociations entreprises de mai à septembre 1989 les sociétés Générales Biscuit et Lu ont fait assigner la société Rougier devant le Tribunal de Grande Instance de Montargis en paiement de dommages et intérêts pour imitation frauduleuse des marques déposées par elles.
C'est ainsi qu'est intervenue la décision déférée. Les sociétés appelantes en sollicitent l'infirmation en ce qu'elle n'a pas accueilli leur demande relative au produit OK commercialisé par la société Rougier sous la marque La Tour Blanche.
Elles reprochent à la société Rougier d'avoir en s'inspirant fidèlement de la conception d'ensemble des emballages de cookies " Hello " plagié le conditionnement de ces gâteaux, de façon à créer à son profit une confusion chez le consommateur moyen et de s'être ainsi livrée à des actes de concurrence déloyale. Elles soulignent la tonalité conceptuelle esthétique et thématique similaire de l'emballage des produits Hello, Okay et OK.
Elles qualifient ce comportement de la société Rougier de parasitisme économique qu'elles demandent à la Cour de sanctionner. Elles attirent particulièrement l'attention sur l'économie d'investissements et de recherches réalisée par la société Rougier et réclament en réparation du préjudice causé de ce fait 100 000 F de dommages et intérêts et 80 000 F pour imitation frauduleuse des marques. Elles sollicitent notamment le retrait de la distribution des emballages et ce sous astreinte ainsi que la publication de cette décision dans trois journaux aux frais de la société Rougier.
La société Rougier conclut à l'infirmation du jugement déféré. Elle oppose en premier lieu que les paquets prétendument copiés n'auraient pas dans leur intégralité été déposés comme marques de sorte que l'imitation frauduleuse invoquée par les sociétés appelantes ne pourrait être retenue. Elle relève la grande banalité des thèmes utilisés sur les paquets de cookies Lu qui ne pourraient être protégés.
Elle fait ensuite valoir que l'apparence des paquets revêtus des sigles Okay et OK qui ne présenteraient aucune ressemblance graphique ou phonétique avec les paquets de cookies commercialisés par la société Lu ne saurait prêter à confusion.
Elle réclame enfin 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile.
Sur ce :
1°) Sur l'imitation frauduleuse :
Attendu qu'en des motifs pertinents que la Cour adopte, les Premiers Juges ont relevé que seules les cartouches figurant sur les paquets de biscuits commercialisés par la société Lu ayant été enregistrées, seules celles-ci peuvent être protégées ;
Or, attendu que ces cartouches se contentent de faire référence à des thèmes d'une grande banalité liés aux standards de la culture Nord-Américaine ;
Attendu que cette seule référence à des dessins généraux prétendus concurrents ne permet pas de conclure à une imitation ou à un risque de confusion, que confirmant le jugement déféré, il y a donc lieu d'écarter la demande en paiement de dommages et intérêts pour imitation frauduleuse présentée par les société Biscuiterie Générale et Lu ;
2°) Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Attendu que si les biscuits commercialisés par la société Rougier sous les marques Okay et OK présentent des similitudes avec le conditionnement des cookies commercialisés par la société Lu au niveau notamment du format de l'emballage, du fond blanc de celui-ci et des cartouches sur la face externe qui portent des références à la culture Nord-Américaine,
A) En ce qui concerne en premier lieu les conditionnements commercialisés sous la marque Okay, il convient de relever qu'ils présentent des dissemblances notables et suffisamment apparentes par rapport au conditionnement des cookies commercialisés par la société Lu ;
Attendu qu'en effet les conditionnements commercialisés sous la marque Okay présentent un sigle écrit en caractères beaucoup plus gros que celui de la marque Lu, que ce sigle est imprimé en jaune tandis que le sigle Lu est imprimé en rouge, que le sigle Okay n'est pas contrairement à celui de Lu suivi d'un point d'exclamation, qu'il n'a pas la même référence thématique, que par ailleurs l'emballage Okay ne présente qu'un seul cookie tandis que celui de Lu présente 3 cookies superposés, que les dessins du conditionnement Okay comportent des couleurs bleues, roses ou vertes contrastées tandis que les références chromatiques utilisées sur les emballages de biscuits Hello commercialisés par Lu sont dégradées ; Qu'enfin le dénomination Rougier écrite en rouge surmontée d'un pâtissier caractéristique de couleur bleue, porteur d'un gâteau est apposée en bas du paquet, alors que la seule dénomination Lu est apposée en haut du paquet de biscuits commercialisés sous la marque Hello ;
Attendu qu'il découle de ces observations que les paquets en cause sont suffisamment dissemblables pour éviter dans l'esprit d'un consommateur même médiocrement averti ou attentif tout risque de confusion ;
Attendu que confirmant le jugement déféré il y a donc lieu d'écarter les demandes en concurrence déloyale et parasitaire présentées par les sociétés appelantes ;
B) Attendu qu'en ce qui concerne le conditionnement des biscuits commercialisés sous la marque OK !, il y a lieu de noter que les tonalités chromatiques employées sont différentes de celles employées sur les biscuits commercialisés sous la marque Hello, que par ailleurs la référence thématique entre Hello et OK est également différente, que matérialisée par un graphisme plus grand la marque OK est suivie d'un point d'exclamation plus long que celui placé après la marque Hello ;
Attendu en outre que le dessin lié à la culture Nord-Américaine courant est beaucoup plus grand sur l'emballage de la marque OK ! que celui de la marque Hello ! qu'il n'est contrairement à celui-ci aucunement encadré par un filet doré, qu'au surplus le conditionnement de la marque OK ! représente 2 cookies alors que le conditionnement de la marque Hello ! comporte 3 cookies, qu'enfin le sigle de la Tour Blanche certes placé au même endroit que celui de Lu est imprimé horizontalement en bleu et non en rouge et surmonté d'un distinctif donjon blanc à 3 tours ;
Attendu qu'il découle également de ces observations que les 2 emballages concurrents dont s'agit, présentent des dissemblances suffisantes pour éviter tout risque de confusion entre eux. Qu'infirmant le jugement déféré il y a donc lieu d'écarter la demande des sociétés Biscuiterie Générale et Lu fondée sur une concurrence déloyale et parasitaire ;
3°) Sur les demandes incidentes de la société Rougier :
Attendu que la société Rougier n'établit ni la faute ni la mauvaise foi qui feraient dégénérer en abus le droit de la demanderesse à agir en justice, que sa réclamation visant à obtenir le paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive doit donc être rejetée ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Rougier les frais non inclus dans les dépens qu'elle a dus exposer ;
Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement déféré sauf à débouter les sociétés Biscuiterie Générale et Lu de leurs demandes fondées sur une concurrence déloyale et parasitaire relative au conditionnement des biscuits commercialisés sous la marque OK ! par la société Rougier, et fondée sur l'article 700 du nouveau code de Procédure Civile ; Y ajoutant, Déboute la société Rougier du surplus de ses prétentions, Condamne in solidum les sociétés Biscuiterie Générale et Lu aux dépens de première instance et d'appel, Accorde à Maître Duthoit, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de Procédure Civile.