CA Paris, 1re ch. A, 30 janvier 1992, n° 91-24556
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Infinitifs (SA)
Défendeur :
Jacques, Behra
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dorly
Conseillers :
Mmes Potier, Trochain
Avoués :
SCP Ménard Scelle Millet, SCP Gaultier Kistner
Avocats :
Mes Joannis, SCP Dutaret
Par acte du 8 juillet 1988 la SARL La Peignerie, représentée par sa gérante Mme Lydie Jacques, épouse Couvrat, a cédé à la société Infinitifs un fonds de commerce et artisanal de coiffure pour dames, connu sous le nom de La Peignerie et exploité à Villeneuve-Le-Roi (Val-de-Marne) 41 avenue Le Foll.
Aux termes dudit acte la venderesse s'interdisait expressément :
" la faculté de créer ou de faire valoir, directement ou indirectement, aucun fonds de commerce similaire en tout ou en partie à celui vendu comme aussi d'être associé ou intéressé, même à simple titre de commanditaire, dans un commerce de cette nature pendant une durée de cinq années à compter de ce jour et dans un rayon de cinq kilomètres à vol d'oiseau du lieu d'exploitation du fonds vendu, à peine de tous dommages-intérêts envers l'acquéreur ou ses ayants-cause, sans préjudice du droit qu'ils auraient de faire cesser cette contravention ".
La société Infinitifs, alléguant que, nonobstant cette clause, Mme Couvrat travaillait, en qualité de salariée, au salon de coiffure " Colette " exploité par Mme Colette Behra au 23 avenue Adrien Raynal à Orly (Val de Marne), a assigné ces deux personnes aux fins de cessation de cette situation, devant le Président du Tribunal de commerce de Paris en référé qui, par ordonnance du 24 octobre 1991, a dit n'y avoir lieu à référé.
La SARL Infinitifs a relevé appel de cette décision. Autorisée à assigner à jour fixe, elle conclut à voir :
- " Infirmer l'ordonnance entreprise,
- Ordonner à Mme Couvrat de cesser d'effectuer tout travail au salon " Colette ", et à Mme Behra Colette de cesser d'employer Mme Couvrat à quelque titre que ce soit, et ce sous astreinte définitive de 2 000 F par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir.
- Condamner in solidum Mme Couvrat et Mme Behra à lui payer 6 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ".
Mme Couvrat poursuit la confirmation de l'ordonnance, et, reconventionnellement, l'allocation à son profit de 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Mme Behra sollicite également la confirmation, et, reconventionnellement, l'octroi à son bénéfice de 10 000 F pour frais irrépétibles.
Sur ce, la Cour qui se réfère expressément à la décision déférée et aux écritures des parties pour l'exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties,
Considérant que,même si le vendeur du fonds a été la SARL La Peignerie et non Mme Couvrat personnellement, il n'en demeure pas moins que l'obligation de non-concurrence pèse également sur cette dernière, gérante de ladite SARL; que d'autre part, la présente action visant à l'interdiction du travail salarié de Mme Couvrat chez Mme Behra, il est normal que celle-ci soit également attraite en la cause dans la mesure où, mise au courant de la situation, le maintien des relations de travail qui seraient jugées contraires à l'engagement en question la rendrait alors complice de ces agissements ; que l'action de la SARL Infinitifs à l'endroit des deux intimées est ainsi parfaitement recevable ;
Considérant que Mme Couvrat s'était interdit notamment " ... de faire valoir ... indirectement aucun fonds de commerce similaire ... à celui vendu ", sans qu'il soit nécessaire, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, qu'elle en soit l'exploitante en son nom propre, la commanditaire ou l'associée ; que cette interdiction doit être tenue pour englobant par la généralité des termes employés un travail salarié dans la mesure ou dans le type de commerce dont s'agit le salarié est en contact avec la clientèle et où, au surplus, celle-ci est très attachée par intuitu personae, au professionnel, salarié ou non, prestataire de services; qu'ainsi force est de constater que Mme Couvrat a clairement méconnu l'obligation de non-concurrence à sa charge et que le juge des référés se doit de faire cesser ce trouble qui est en lui-même manifestement illicite, cela sans donc qu'il soit besoin d'établir qu'il y a eu effectivement détournement de clientèle ; qu'il sera donc fait droit à l'appel, sous l'astreinte prévue au dispositif de l'arrêt ;
Considérant que les intimées, succombantes, ne peuvent que voir rejeter leurs demandes reconventionnelles pour frais irrépétibles ; qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la SARL Infinitifs la charge de ses frais irrépétibles, et que les circonstances de la cause militent en faveur du support de tous les dépens par la seule Mme Couvrat ;
Par ces motifs : Infirmant l'ordonnance, ordonne à Mme Couvrat de cesser d'effectuer tout travail au salon " Colette " et à Mme Behra de cesser d'employer Mme Couvrat, ce sous astreinte de 100 F par jour passé un délai d'un mois à compter de la signification de cet arrêt ; Rejette toutes autres demandes des parties ; Condamne Mme Couvrat aux dépens de première instance, incluant les frais d'honoraires des constats des 11 et 12 juillet 1991, et d'appel, ceux-ci pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile par la SCP Ménard Scelle Millet et la SCP Gaulthier Kistner.