CA Paris, 4e ch. B, 16 janvier 1992, n° 89-19914
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Tomy France (SARL)
Défendeur :
Légo (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poullain
Conseillers :
MM. Gouge, Jacomet
Avoués :
Mes Bolling, Moreau
Avocats :
SCP Buchman Spalter, Me Combeau.
La société Légo (Légo) reprochant à la société Tomy France (Tomy) de commercialiser des trains pour enfants comportant des dispositifs à tenons identiques à ceux disposés sur les pièces de ses propres jeux, l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Bobigny pour la faire déclarer coupable de concurrence déloyale et de parasitisme, lui faire interdire sous astreinte de poursuivre de tels agissements, la voir condamnée à lui payer 200.000 F de dommages-intérêts, 20.000 F pour ses frais non taxables et les frais de publication du jugement.
Tomy concluait au rejet de ces demandes et réclamait des dommages-intérêts pour procédure abusive, un remboursement au titre de l'article 700 du NCPC et la publication du jugement aux frais de Légo.
Le Tribunal de Commerce, par son jugement du 20 juillet 1989, a déclaré que la reproduction par Tomy des tenons d'assemblage des jouets Légo, selon les mêmes formes et dimensions et sans que cette identité soit condamnée par une nécessité technique, constituait une action parasitaire par laquelle Tomy avait tendu à s'insérer dans le système de jeux Légo ce qui justifiait sa condamnation pour concurrence déloyale. Il a prononcé contre Tomy l'interdiction demandée, sous " astreinte communautaire et définitive " de 1 000 F par infraction, condamné Tomy à lui payer 200 000 F de dommages-intérêts à Légo à publier le jugement dans deux journaux de son choix aux frais de Tomy dans la limite d'un coût de 20.000 F, condamné Tomy à payer 20.000 F au titre de l'article 700 du NCPC et ordonné l'exécution provisoire.
Tomy, appelante de ce jugement conclut à son infirmation, à la condamnation de Légo à lui payer 21 013 000 F pour réparation du préjudice causé par l'exécution provisoire, 210 151 F en remboursement de la somme versée pour exécution du jugement, avec intérêts légal depuis le 7 décembre 1989, et 50.000 F au titre de l'article 700 du NCPC. Elle réclame également la publication du jugement dans deux journaux de son choix au frais de Légo, pour un coût minimum de 15 000 F par publication.
Légo conclut à la confirmation du jugement et au paiement de 50.000 F par Tomy au titre de l'article 700 du NCPC.
La clôture était prévue pour le 27 septembre 1991.
Tomy avait déposé ses conclusions d'appel le 15 novembre 1990, puis elle a conclu à nouveau le 12 septembre 1991 pour réévaluer son préjudice en le portant de 16 000 000 F à 21 013 000 F (100 000 F pour préjudice moral du fait de la publication, 15 913 000 francs pour gain manqué et 5 000 000 F pour pertes subies). Légo qui jusque là avait banalement conclu à la confirmation du jugement a communiqué des nouvelles pièces le 25 septembre 1991, puis a conclu le 26. Pour permettre à Tomy de répondre, le conseiller de la mise en état a reporté la clôture au 24 octobre. Tomy a déposé des pièces le 23 octobre et répondu aux conclusions de Légo le 24. C'est alors qu'a eu lieu un second report de clôture, au 14 novembre, les plaidoiries restant fixées au 28 novembre 1991. Le 7 novembre Légo avait communiqué cinq pièces, dont trois en langue allemande. Elle en a communiqué deux autres le 13 novembre. Elle a conclu, pour répliquer à Tomy, le 12 novembre en prenant appui, pour deux points de détail, sur les documents qu'elle avait communiqués le 7 novembre. Le 14 novembre, jour de la clôture, elle a encore communiqué deux pièces.
Tomy a demandé à la Cour, par écritures du 18 novembre, d'écarter des débats par application des article 15 et 16 du NCPC, les pièces communiquées par Légo les 7, 13 et 14 novembre 1991, ainsi que ses écritures du 12 novembre 1991.
Une note en délibéré a été adressée à la Cour par l'avocat de Tomy le 3 décembre 1991 et lui a été retournée en application de l'article 445 du NCPC, la Cour n'ayant pas demandé ou autorisé une telle note.
Sur ce, LA COUR qui pour plus ample exposé renvoie au jugement et aux écritures déposées pendant la procédure d'appel.
Sur la demande de rejet de pièces et d'écritures,
Considérant que Tomy avait conclu les 15 novembre 1990 et 12 septembre 1991 ; que Légo ayant conclu en réponse le 26 septembre 1991, la clôture a été reportée du 27 septembre au 2 octobre 1991, que Tomy ayant communiqué de nouvelles pièces le 23 et conclu en réponse le 24 octobre, la clôture a été repoussée au 14 novembre 1991, ultime délia ; que Légo a communiqué de nouvelles pièces le 7 novembre 1991, conclu en réplique le 12 novembre 1991 et déposé de nouvelles pièces les 13 et 14 novembre 1991 ; que Tomy a demandé que soient écartées des débats l'ensemble des pièces et conclusions déposée en novembre 1991 par Légo ;
Considérant que dans la mesure où elles ne font que répondre par une discussion aux arguments exposés par Tomy dans ses écritures du 24 octobre 1991, les conclusions de Légo du 12 novembre n'ont pas porté atteinte aux droits de contradiction de Tomy qui disposait encore du temps utile pour y répondre ; qu'il en va de même de la pièce n° 1 communiquée le 7 novembre 1991, qui est un extrait du registre du commerce et des sociétés concernant Tomy France daté du 31 octobre 1991 qui n'a pu mettre aux débats un fait inconnu par elle à une date trop tardive pour qu'elle puisse en discuter ; que toutes les autres pièces communiquées par Légo en novembre, en langue allemande sans traduction ou même en français, ne sauraient être retenues sans violer la règle de l'article 15 du NCPC qui impose aux parties de se communiquer les éléments de preuve produits en temps utile pour ne pas nuire à l'organisation de la défense ; qu'ainsi les écritures du 12 novembre seront reçues en tant qu'elles se bornent à discuter de questions déjà connues et rejetées pour tout ce qui prend appui sur les pièces tardivement communiquées ;
Sur les griefs de parasitisme et de concurrence déloyale par compatibilité :
Considérant que Légo fait valoir que la reproduction à l'identique, selon les mêmes formes et dimensions, des tenons mâles qu'elle utilise pour assembler les briques et autres éléments de ses jeux de construction sur les trains Tomy crée entre ceux-ci et ses propres jeux une compatibilité qui lui est préjudiciable puisqu'elle permet à Tomy de s'installer à moindres frais sur un marché qu'elle a créé par ses efforts industriels en détournant ainsi à son profit la notoriété acquise par Légo au termes de 25 années d'effort en France ; qu'ainsi, selon elle, c'est à juste titre que le tribunal a vu dans ces manœuvres un parasitisme condamnable ; qu'elle ajoute qu'il résulte de la présence à la partie supérieure de chacune des pièces composant les jeux Légo d'une part, Tomy d'autre part, de plots de disposition et de dimension absolument identiques, une similitude de nature à créer une confusion inévitable dans l'esprit du public, fait de concurrence déloyale aggravé à raison de ce que la clientèle est jeune et non avertie ;
Considérant que Légo expose encore, au soutien du grief de parasitisme, que si Tomy se défend d'avoir tenté de créer une évocation de Légo par sa publicité, son intention est révélée par la publicité Tomy diffusée aux États-Unis d'Amérique dans laquelle Légo est citée ; qu'enfin la recherche de compatibilité des trains Tomy avec les jeux Légo et fautive, en ce qu'elle est " unilatérale " le bénéfice d'une telle compatibilité allant à Tomy à qui elle épargne des frais au préjudice de Légo qui est en concurrence directe avec elle ;
Considérant que Légo ne prétend pas avoir de droit exclusif sur les systèmes d'assemblage par tenons mâles et femelles sur embase plate qu'elle utilise, les brevets ayant existé pour protéger ces dispositifs étant expirés ; que ce fait ne saurait la priver du droit de se protéger contre des copies serviles qui seraient réalisées de façon fautive ;
Considérant qu'il est vain de prétendre que Tomy et Légo ne seraient pas concurrents pour la vente des produits en cause alors qu'il suffit de consulter les catalogues de ces deux fabricants pour constater que les trains Tomy sont offerts pour des enfants de 3 à 7 ans, que Légo offre des jeux avec attaches " Légo " (et non DUPLO pour tous petits) pour des enfants à partir de 5 ans et des traits en matière plastique, assez proches de ceux de Tomy, pour des enfants de 6 à 14 ans ; qu'ainsi les modèles compatibles, ou mêmes substituables les uns aux autres, sont tous selon les recommandations des fabricants, destinés à des enfants de 6 à 7 ans et, en fait achetés pour des enfants également plus jeunes ou plus âgés, selon l'idée que les parents se font des possibilités de l'enfant, en dépit de son âge effectif ;
Considérant que la clientèle des jouets, constituée de parents ayant leurs propres goûts et étant parfois attentifs aux désirs exprimés par les enfants, n'est ni plus ni moins avertie que l'ensemble des consommateurs de produits de grande diffusion et que l'on ne saurait tirer d'argument utile quant à son éventuelle naïveté du fait que les produits en cause sont des jouets dont les destinataires finaux sont de jeunes enfants ;
Considérant que l'on remarquera encore que Légo n'indique nullement que le fait d'avoir rendu les trains Tomy compatibles avec un jeu d'assemblage serait un pur artifice, la nature de ces jouets n'étant pas d'être constitués de pièces que l'on assemblerait pour faire des éléments plus ou moins complexes, tels les wagons et les locomotives ; qu'ayant une vue réaliste des choses, si elle écrit que " la présence de tenons sur certains éléments du train Tomy n'a de raison d'être que de rendre compatibles les trains Tomy avec les briques Légo " elle complète cette indication qui aurait pu sembler dénoncer le caractère factice de la prétendue compatibilité en précisant ainsi sa pensée : " Ce dispositif apporte incontestablement au train Tomy un surcroît d'intérêt, en l'espèce des développements complémentaires du jeu suivant l'imagination de son utilisateur ", formule qui ne doit pas exclure la volonté parasitaire de Tomy puisque Légo conclut qu'ainsi Tomy France a pu s'installer dans son sillage pour bénéficier du marché qu'elle avait créé, la " compatibilité ", reconnue comme réelle par Légo, étant " unilatérale ", puisqu'elle est avantageuse pour Tomy au détriment de Légo ;
Considérant que le seul reproche de concurrence déloyale, distinctement du parasitisme, fait par Légo à Tomy tient à l'identité absolue des éléments permettant la compatibilité entre les jeux, tenant à la forme des éléments de connexion, à leurs dimensions et à leur position sur les trains Tomy, cette identité entraînant, selon Légo, une confusion entre les produits, d'autant plus que l'acheteur serait spécialement naïf, argument auquel il a déjà été répondu ; que selon Légo, la confusion ainsi créée résulterait exclusivement de l'identité des éléments d'assemblage et de leur disposition, puisqu'elle n'invoque ni le fait que Tomy aurait imité les couleurs ou les formes de ses produits ;
Considérant que le reproche fait à Tomy par le jugement, et repris par Légo dans ses conclusions devant la Cour, est donc d'avoir pratiqué un parasitisme commercial au détriment de Légo, en rendant " compatibles " des jeux vendus par les deux sociétés et d'avoir ainsi tenté de créer une confusion entre ces jeux en disposant sur le haut des éléments du jeu Tomy des tenons d'assemblage sur embrase plate qui sont la copie servile de ceux de Légo ;
Considérant que pour répondre au grief de parasitisme par compatibilité avec les produits Légo, Tomy expose que la question de principe est de savoir si est fautif le seul fait pour un fabricant de rendre certains de ses produits compatibles avec ceux d'un concurrent - et vice versa - sans qu'il résulte pour ce dernier aucune perte de clientèle, ni préjudice d'aucune autre sorte ;
Considérant que la question ainsi énoncée est mal posée ; que tout d'abord, le sens de l'expression " et vice versa " n'est pas clair ; qu'en effet, s'il y a " compatibilité " entre les deux produits, c'est à dire possibilité pour l'utilisateur de former avec les deux produits un ensemble ayant pour lui une utilité et un attrait plus grand que l'un des produits isolément, c'est qu'on peut effectivement former cet ensemble ; que si la compatibilité n'est pas réciproque elle n'existe pas et qu'alors faire croire à sa réalité est un artifice de publicité mensongère et constitue une manœuvre clairement parasitaire qui consiste à évoquer chez le client un autre produit sans rapport de complémentarité possible avec celui offert ;
Considérant que si l'expression " et vice versa " tendait à s'introduire l'idée selon laquelle, pour être licite, la compatibilité doit être avantageuse pour les deux fabricants elle donne de la réalité une vue trompeuse, indépendamment des conséquences qu'il y aurait à en tirer en droit ; qu'en effet celui qui propose au public un produit compatible avec ceux d'un concurrent ne recherche que son intérêt propre, à savoir donner à son produit un attrait supplémentaire pour l'acheteur éventuel qui estimera que ce produit peut recevoir des extensions, ou servir à des extensions, avec ou à partir de produits fabriqués par un autre industriel ; que l'autre industriel peut, éventuellement, y trouver l'avantage secondaire d'une vente plus aisée de produits compatibles auxquels ceux du fabricant qui a réalisé ladite compatibilité ne seraient pas substituables ; qu'il peut au contraire subir un préjudice important du fait qu'avec cet attrait supplémentaire le producteur qui a réalisé la compatibilité aura incité le public à se tourner vers sa gamme de produits et à délaisser un part ou même l'ensemble des produits de la gamme de son concurrent ;
Considérant, en outre, qu'il va de soi que le commerçant qui rend "compatibles" les produits qu'il met sur le marché recherche cette compatibilité avec des produits connus du public ; que cette compatibilité sera établie avec les produits d'un ensemble de producteurs, s'il s'agit d'un marché réparti entre nombre de ceux-ci, avec ceux des producteurs les plus importants s'il s'agit d'un marché tenu par quelques uns voire même avec les produits d'un seul d'entre eux s'il occupe une part considérable du marché ou s'il le domine très largement ; que, bien évidemment, la " compatibilité " facilitera l'insertion du nouveau venu sur le marché et que presque inévitablement cet effet jouera au détriment de la place qu'y occupait le producteur avec les produits duquel la compatibilité est réalisée ; qu'ainsi si l'on exigeait pour que la compatibilité soit licite que chacun des fabricants des produits compatibles y trouve réellement un avantage, elle ne le serait jamais, puisque l'avantage qu'y peut trouver, occasionnellement, le fabricant avec le produit de qui les nouveaux produits mis en vente sont rendus compatibles n'est jamais acquis de façon assurée au moment où ceux-ci sont mis sur le marché ;
Considérant qu'il n'est pas douteux que Légo a une position dominante sur le marché français des jeux de construction par assemblage pour petits enfants ; que Tomy expose dans ses conclusions qu'elle en a le quasi-monopole, en réalisant près de 80 % des ventes, et que Légo ne le nie pas ; qu'il importe peu, comme il a été dit ci-avant, qu'elle détienne une telle part du marché à la suite d'efforts purement commerciaux ou à partir d'inventions qui ont été appréciées du public et qui, à présent, ne sont plus protégées dès lors qu'il n'est pas prétendu que Tomy aurait porté atteinte à un droit de propriété industrielle, qu'il soit de brevet, de modèle ou de marque ;
Considérant que le but recherché par Tomy est d'attirer une part du public vers ses produits à raison de ce qu'ils sont compatibles avec ceux de Légo; que pour autant, il ne lui est pas reproché d'avoir utilisé le nom de Légo dans ses publicités ou dans ses arguments de vente ou d'avoir utilisé des produits Légo en les associant aux siens dans des actions publicitaires; qu'il importe peu qu'une autre société Tomy l'ait ou non fait aux Etats-Unis, où il appartenait à Légo de l'en faire sanctionner, le cas échéant, selon la législation locale; que la Cour n'a à apprécier que les faits qui se sont produits sur le marché français et entre les parties au présent litige,
Considérant que dans ces conditions, il convient d'examiner si en soi, c'est à dire en l'absence de toute manœuvre déloyale ou de tout comportement illicite, une recherche de compatibilité entre produits de fabricants différents doit être permise, en vertu de la liberté de la concurrence, ou si elle doit être interdite comme constituant une atteinte à la loyauté de la concurrence ;
Considérant que l'un des objectifs du droit de la concurrence est l'intérêt du consommateur ; que celui-ci a avantage à pouvoir choisir les produits qu'il désire de la façon la plus libre entre ceux qui lui sont offerts par les différents fabricants et leurs distributeurs ; qu'il doit en principe, pouvoir réunir à son gré, sans contrainte artificielle, les produits offerts par les divers fabricants pour en constituer des ensembles répondant à ses besoins ou à ses goûts, sans rencontrer d'obstacles pour choisir chaque élément en fonction de son prix de ses qualités propres ; que le seul obstacle de principe à un tel choix est l'existence de droits de propriété industrielle qui autoriseraient un fabricant à s'opposer à une combinaison de produits au moyen de procédés de connexion sur lesquels il disposerait d'un monopole d'exploitation ; qu'en dehors de ce cas, les pouvoirs publics français et les autorités communautaires favorisent les combinaisons d'éléments divers qui permettent aux consommateurs de constituer des ensembles à partir des produits offerts à la vente par différents producteurs dont la concurrence est un facteur de progrès technique et d'amélioration du service rendu à l'acheteur ; que, dans cette optique, certaines actions de standardisation sont favorisées et, parfois même, des normes sont rendues obligatoires ;
Considérant que, pour ne citer qu'un exemple récent, la directive du Conseil des Communautés Européennes du 14 mai 1991, a en dépit de difficultés tenant à la préservation des droits des auteurs, autorisé, dans certains cas, la décompilation des programmes d'ordinateurs, pour permettre l'interconnexion de tous les éléments d'un système informatique, y compris ceux de fabricants différents, afin qu'il puissent fonctionner ensemble ;
Considérant à plus forte raison quand aucun droit privatif ne protège l'interface par laquelle des éléments peuvent être assemblés pour coopérer entre eux ou les techniques permettant d'accéder à cette interface, la reproduction des dispositifs permettant de faire coopérer les produits entre eux, c'est à dire des interfaces de compatibilité, est licite dès lors qu'elle n'est pas réalisée à des fins qui seraient illicites ; que les objets comportant de telles interfaces peuvent également être mis librement dans le commerce ;
Considérant dès lors que la création et la mise en vente par Tomy de trains " compatibles " avec les jeux Légo sont licites, en elles-mêmes, et ne sauraient constituer des actes de parasitisme commercial; que le préjudice que peut faire subir cette compatibilité à Légo, par perte de clients détournés de ses produits par l'attrait supplémentaire ainsi procuré aux trains Tomy, et ensuite éventuellement à l'ensemble des jeux Tomy, est un préjudice résultant de l'exercice normal de la concurrence et n'a pas à être indemnisée;
Sur la concurrence déloyale par création de confusion ;
Considérant que l'interface rendant les trains Tomy compatibles avec le système de jeux Légo a été réalisée par la reproduction à l'identique des tenons mâles disposés sur l'embrase plate utilisés sur les éléments de jeux Légo ; que Légo reproche à Tomy d'avoir réalisé cette compatibilité par la reproduction de ce dispositif d'assemblage, dans les mêmes dimensions et en les disposant, tout comme elle, sur le haut des éléments du train ;
Considérant que Légo n'explique pas comment une telle compatibilité aurait pu être réalisée autrement ; qu'il est de la nature même d'une interface de systèmes mécaniques d'assemblage de comprendre une partie et une contrepartie qui sont la reproduction l'une de l'autre, en sens inverse, selon des dimensions rigoureusement établies ; que d'autre part, Légo n'indique pas que la compatibilité entre les trains Tomy et les produits Légo aurait pu être établie par des dispositifs de liaison situés ailleurs que sur le haut des éléments du train ; que si le dispositif de connexion est important par sa taille et doit être situé à un endroit déterminé pour remplir son rôle, il en résultera, nécessairement, une certaine similitude des produits qui en son équipés ; que tel est le cas en l'espèce ; qu'une telle similitude étant la conséquence nécessaire de la réalisation de la compatibilité entre les produits, elle ne saurait être en soi illicite ; qu'aussi bien le reproche de concurrence déloyale par copie servile et disposition à l'identique d'interfaces non protégées par un droit de propriété industrielle et dont il n'est pas prétendu qu'elles auraient pu rempli leur rôle de mise en compatibilité des trains Tomy avec les produits Légo selon d'autres modalités ne saurait être accueilli, alors qu'il n'est pas prétendu qu'une autre caractéristique quelconque de forme ou de couleur aurait été reproduite pour accentuer la ressemblance établie par la mise en compatibilité des trains Tomy avec les jeux Légo ; qu'on notera, au surplus, qu'aucune confusion ne saurait exister sur l'origine des produits, les trains Tomy portant la marque Tomy en caractère très apparents sur chaque locomotive et sur chaque wagon;
Considérant qu'aucun autre grief que ceux de parasitisme par mise en compatibilité et de concurrence déloyale par des manœuvres tendant à créer la confusion entre les produits des deux sociétés n'a été présentée par Légo contre Tomy ; qu'aucun des griefs n'étant fondé, le jugement sera infirmé et Légo sera déboutée de toutes ses demandes.
Sur les demandes de Tomy :
Considérant que Légo étant déboutée de ses demandes, il lui appartiendra de rembourser Tomy des sommes perçues au titre de l'exécution provisoire ; qu'il n'est pas contesté que la somme due à ce titre est de 210 501 francs ; que contrairement à ce que soutient Tomy les intérêts au taux légal ne seront dus qu'à compter de la signification du présent arrêt, Légo détenant la somme versée jusqu'à cette date, comme l'ayant reçue de bonne foi ;
Considérant que l'action menée par Légo n'avait pas un caractère abusif ; qu'en appel Légo a pu légitimement se tromper sur le bien fondé d'une demande à laquelle les premiers juges ont estimé devoir faire droit ; que sa responsabilité civile n'est engagée que par le risque qu'elle a pris en faisant procéder à l'exécution provisoire du jugement ;
Considérant qu'en faisant publier le jugement au titre de l'exécution provisoire, Légo, par imprudence, a causé à Tomy qui n'est pas condamnée un préjudice par atteinte à son image de commerçant respectueux des lois ;
Considérant qu'en mettant en œuvre l'exécution provisoire pour obtenir paiement de la condamnation à son profit et surtout pour publier le dispositif du jugement, Légo a rendu impossible la commercialisation par Tomy, jusqu'à la décision d'appel, des trains comportant le dispositif à tenons dont la présence avait été jugée fautive ; que Légo devra donc indemniser le préjudice subi par Tomy au titre du gain manqué et de la perte de position commerciale ;
Considérant qu'ayant tenté d'obtenir la suspension de l'exécution provisoire, Tomy n'a pourtant pas tenté de limiter le préjudice dont elle se plaint en demandant une procédure à jour fixe, ni même, de façon pratique, en continuant à commercialiser ses trains dans une version légèrement modifiée, dépourvue des tenons litigieux ; qu'elle n'a pas même cherché à évaluer le coût d'une telle opération de sauvegarde de ses ventes et de sa progression sur le marché ; que pourtant, ces tenons sont, selon ses écritures, un élément très secondaire de ses modèles, le train étant " vendu pour ses qualités propres " ;
Considérant qu'après avoir longuement détaillé son préjudice dans ses écritures, Tomy fournit, pour en justifier ;
- un document signé par un expert comptable permettant, à partir de relevés détaillés, de constater que Tomy, au cours de l'année 1988, a fait procéder dans des magasins de grande distribution à des actions publicitaires qui, outre d'autres jouets de son catalogue, portaient sur les trains et dont le coût a été de 211.031 F ;
- un extrait du journal " Jeux et jouets magazine " d'avril 1991 indiquant qu'en 1990, c'est à dire au cours d'une année durant laquelle Tomy indique ne pas avoir commercialisé ses trains, elle aurait fait des dépenses publicitaires de 25 894 000 francs ;
- un document signé par son gérant, certifiant que pour l'exercice 1989-1990, la société a dépensé 19 101 537,32 francs en frais de publicité, auquel est joint un extrait du bilan pour l'exercice allant de février 1989 à mars 1990, et un compte de résultat, documents sur lesquels rien ne permet de connaître les dépenses afférentes à la promotion des trains ;
- une attestation de son gérant indiquant qu'au 31 août 1989 Tomy avait en portefeuille " 6 954 KF " de commandes de trains, à laquelle est joint un tableau récapitulatif des factures et commandes de trains, intitulé " chiffre d'affaires et portefeuille en quantités " qui fait apparaître pour l'année complète, sans indiquer qu'elle est l'unité de compte, un total en portefeuille de l'ordre de 45.200 et des factures dont le total est de l'ordre de 20.100, tableau dont il ressort qu'aucune facture n'a été émise après le mois d'août et que la plupart des commandes ont été reçues au dernier trimestre et qui fait apparaître une différence entre les commandes reçues sur l'année et celles honorées de l'ordre de 25.100, ce qui, quelle que soit l'unité retenue, est sans aucun rapport avec des commandes de 6 954 KF au 31 août ;
- neuf lettres de clients faisant savoir à Tomy qu'ils n'ont pu compléter par de nouveaux éléments des trains Tomy qu'ils ont achetés et auxquels il a été répondu qu'il était impossible de leur donner satisfaction à raison du procès en cours ;
Considérant que le catalogue Tomy de 1988 consacre 2 pages sur 50 aux trains en litige ; qu'ainsi l'ensemble des dépenses non déterminées par articles ne peuvent concerner que très partiellement les trains ; que l'on ne saurait tirer de grands enseignements de la comparaison des progressions de ventes constatées par Tomy en Grande Bretagne dans les années qui ont suivi la mise de ses trains sur le marché ou de la progression des ventes, en France d'autres articles pour lesquels Tomy indique avoir fait une publicité semblable à celle consacrée aux trains, la publicité ayant d'ailleurs été menée encore plus activement après 1988, comme il résulte des documents produits par Tomy elle-même, et les produits n'ayant pas tous les mêmes chances de réussite bien qu'émanant du même producteur ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise pour déterminer l'importance du préjudice de Tomy qui détenait des éléments comptables pertinents et qui a omis de fournir à la Cour des pièces précises, exposées utilement et vérifiables ; qu'en effet il n'appartient pas au juge d'ordonner une mesure d'instruction pour pallier la carence des parties dans l'administration de la preuve ; qu'il est certain, néanmoins, que Tomy a perdu des ventes sur des commandes déjà faites, qu'elle a perdu la chance d'en réaliser de nouvelles durant les années 1989, 1990 et 1991 et qu'elle a également subi une atteinte à son image ; qu'il lui sera aisé, grâce au présent arrêt, de se réintroduire dans les circuits de la grande distribution ;
Considérant qu'au vu de l'ensemble des éléments fournis à la Cour le dommage subsistant pour Tomy après la réparation qui résultera de la publication du présent arrêt, doit être évalué, tous chefs de préjudice confondus, à 1 100 000 F ;
Considérant que l'équité commande de faire application de l'article 700 du NCPC en faveur de Tomy comme il sera dit au dispositif ;
Par ces motifs, Sur la procédure : Écarte des débats les pièces communiquées par la société Légo les 7, 13 et 14 novembre 1991 à l'exception de la seule pièce n° 12 communiquée le 7 novembre 1991 ainsi que les conclusions déposées par elle le 12 novembre 1991 dans la mesure où elles sont fondées sur les pièces rejetées ; Reçoit pour le surplus, au dossier, les conclusions que la société Légo déposées le 12 novembre 1991, Sur le fond : Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau : Déboute la société Légo de toutes ses demandes, La condamne à restituer à la société Tomy France la somme de 210.561,00 F qui lui a été payée au titre de l'exécution provisoire ; la condamne en outre à payer à la société Tomy France la somme de un million cent mille (1.100.000) francs à titre de dommages-intérêts et celle de trente mille (30.000) francs au titre de l'article 700 du NCPC ; Autorise la société Tomy France à faire publier dans deux journaux ou périodiques de son choix des extraits du présent arrêt aux rais de la société Légo et ce pour un coût total maximum de quarante mille (40.000) francs ; Déboute la société Tomy France du surplus de ses demandes et condamne la société Légo en tous les dépens. Admet Maître Bolling, avoué, au recouvrement direct des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.