CA Toulouse, 2e ch., 9 décembre 1991, n° 2129-90
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Le Prêt (SA)
Défendeur :
Caisse Régionale de Crédit Agricole de Toulouse et du Midi Toulousain
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mettas
Conseillers :
MM. Milhet, Helip
Avoués :
Me Cantaloube Ferrieu, SCP Boyer Lescat Boyer
Avocats :
Me Escoffier, SCP Farne Simon
Suivant convention établie le 15 octobre 1985, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Toulouse et du Midi Toulousain (ci-après dénommée CRCAM de Toulouse) s'est engagée à commercialiser auprès de sa propre clientèle un crédit permanent de la société Le Prêt et garantissait à ce titre la bonne fin du remboursement, ladite société s'obligeant de son côté à fournir jusqu'au 30 avril 1986, terme de la convention, une enveloppe minimale de 60 millions de francs.
Des difficultés sont intervenues entre les parties et la convention n'a pas été reconduite au-delà de son terme.
Le 22 octobre 1986 un protocole d'accord était signé entre la CRCAM de Toulouse et la société Le Prêt.
Considérant que la CRCAM de Toulouse avait détourné les contrats souscrits dans le cadre de la convention susvisée et avait violé le protocole d'accord, la société Le Prêt a sollicité en justice, le 15 décembre 1986, à titre principal la résolution aux torts de la CRCAM de Toulouse du contrat du 15 octobre 1985 et sa condamnation à rétablir l'ensemble des dossiers détournés dans leur situation d'origine ou à défaut l'allocation de dommages et intérêts.
Le Tribunal de Commerce de Toulouse par jugement du 18 mars 1987, a institué une expertise afin de recherche l'éventuel préjudice subi par la société Le Prêt.
L'expert commis a déposé son rapport le 30 mars 1989.
Le Tribunal de Commerce de Toulouse, par jugement du 18 avril 1990, a :
- dit que la CRCAM de Toulouse " avait détourné déloyalement la clientèle de la société Le Prêt à laquelle elle était liée par contrat " ;
- condamné la CRCAM de Toulouse à payer la somme de 1 million de francs à la société Le Prêt, avec intérêt légal à compter de l'assignation et bénéfice de l'article 1154 du Code civil ;
- dit que la CRCAM de Toulouse n'a pas à supporter les intérêts intercalaires en l'absence de clause contractuelle et débouté la société Le Prêt de ce chef de demande ;
- dit ne pas y avoir à dommages et intérêts résultant de la perte de l'effet Revolving ;
- dit ne pas y avoir lieu de rétablir la décision (rétractée) du juge chargé du contrôle des expertises qui avait étendu la mission de l'expert ;
- condamné la CRCAM de Toulouse au paiement de la somme de 100 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
- partagé par moitié les dépens,
La société Le Prêt, puis la CRCAM ont régulièrement interjeté appel de cette décision, et les deux instances d'appel ont été jointes par le Conseiller de la mise en état le 17 septembre 1990.
La société Le Prêt demande à la Cour :
- condamner la CRCAM à payer à titre provisionnel la somme de 3 344 980 F, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation et l'application de l'article 1154 du Code Civil ;
- faire droit à sa demande telle qu'exprimée dans son exploit introductif d'instance ;
- subsidiairement au cas où la Cour estimerait ne pas faire droit à la restitution de l'ensemble des dossiers, condamner la CRCAM de Toulouse au paiement de la somme de 20 millions de francs à titre de dommages et intérêts à valoir sur le préjudice consécutif à la perte de l'effet Révolving et préalablement ordonner un complément d'expertise tel qu'il avait été institué par le juge chargé du contrôle des opérations d'expertise le 29 juillet 1988 ;
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la CRCAM de Toulouse avait détourné déloyalement la clientèle de la société Le Prêt ;
- élever le montant de la condamnation au titre des frais irrépétibles à la somme de 200 000 F ;
- condamner la CRCAM de Toulouse aux entiers dépens.
La société Le Prêt fait valoir essentiellement que dans le cadre de la convention du 15 octobre 1985, les contrats de prêt souscrits par les clients de la CRCAM de Toulouse étaient renouvelables par tacite reconduction, que de ce fait, les ouvertures de crédit étaient consenties pour une durée indéterminée qui pouvait se prolonger bien au-delà de la cessation de la convention susvisée, que la CRCAM de Toulouse avait l'obligation, en tant que mandataire, de ne pas détourner les contrats qui avaient été conclus par son intermédiaire entre la société Le Prêt et les divers emprunteurs et que la CRCAM de Toulouse a cependant mis fin de sa propre autorité à la totalité des contrats en cours.
Elle considère que le terme du mandat au 30 avril 1986 ne modifiait en rien les rapports entre les emprunteurs et la société Le Prêt dès lors qu'il était seulement mis fin au contrat de commercialisation mais que par contre les contrats de " crédit permanent " se poursuivaient.
La société Le Prêt critique les conséquences qu'a tiré le jugement déféré de la violation du contrat quant au rétablissement des dossiers dans leur situation d'origine, quant au préjudice subi (notamment quant à l'incidence de la réutilisation éventuelle des crédits litigieux en fonction de leur effet Revolving par des clients de la CRCAM de Toulouse qu'il convient de rechercher par un complément d'expertise).
La société Le Prêt sollicite la résiliation de la convention transactionnelle du 22 octobre 1986 qui n'a pas été exécutée, et l'octroi des intérêts intercalaires qui avaient été reconnus dans ledit accord en ce qui concerne leur montant, le principe de ces intérêts résultant du contrat.
Par conclusions responsives la société Le Prêt demande à la Cour de :
- dire qu'en sus de la somme de 3 344 981 F calculée par l'expert et des 20 millions de francs réclamés pour compenser le préjudice consécutif à la perte de l'effet Revolving, la CRCAM de Toulouse sera condamnée à payer à la société Le Prêt la totalité du préjudice résultant du fait qu'entre le 5 octobre 1986 pour le montant de 16 755 F et du 5 novembre1986, pour un montant de 46 419 400 F, et ce jusqu'au mois de mai 1987, la société Le Prêt a non seulement perdu le bénéfice légitime qu'elle devait retirer du placement de ces sommes auprès des emprunteurs dans le cadre des contrats conclus par l'intermédiaire de la CRCAM de Toulouse mais encore qu'elle a supporté les frais de financement qu'elle a payés à la Caisse de Crédit Agricole, et commettre expert afin de vérifier le montant du bénéfice perdu et des intérêts et frais payés sur ces sommes pendant tout le temps où elles ont été immobilisées, c'est-à-dire entre les dates précitées, ainsi qu'au paiement des intérêts de retard et des intérêts composés sur lesdites sommes ;
- dire que du fait de la rupture abusive par la CRCAM de Toulouse des contrats conclus par la société Le Prêt avec les divers emprunteurs qu'elle lui avait procurés, il y a eu défaillance de la part des emprunteurs exclusivement due au fait du Crédit Agricole et qu'en conséquence, sous réserve de vérification par expert, en sus des sommes précédemment demandées, la CRCAM de Toulouse à payer ladite pénalité s'élevant à la somme de 5 053 957 F ;
- condamner la CRCAM de Toulouse à payer la somme 295 260,17 F représentant les intérêts intercalaires et subsidiairement commettre expert pour vérifier ce compte ;
- condamner la CRCAM de Toulouse à payer le capital à parfaire sur le remboursement anticipé du 5 novembre 1986 pour la somme de 635 134,96 F retenue par l'expert, outre les intérêts et leur capitalisation.
La société appelante soutient que la convention du 15 octobre 1985 ne peut être qualifiée de prêt à usage non plus que de vente d'un droit d'utilisation d'une ressource appartenant au Crédit Agricole, et qu'elle doit s'interpréter comme constituant un mandat d'intérêt commun assortie d'une clause du croire.
Elle prétend que dans le cadre du contrat de mandat, la CRCAM de Toulouse n'avait pas le droit d'annuler de sa propre autorité les contrats en cours et de les reprendre à son profit, même s'il s'agissait de ses propres clients et qu'aucune clause de la convention ne lui permettait de récupérer ces contrats quand il lui plaisait.
La société Le Prêt en conclut que la CRCAM de Toulouse s'est emparée unilatéralement du produit qu'elle avait placé dans le cadre de son mandat et pour lequel elle avait été rémunérée et qu'elle a donc commis une faute dont elle doit compte qui engage sa responsabilité sur le plan de l'article 1143 du Code Civil et qui l'engage extra-contractuellement sur le plan de l'article 1382 dudit Code.
Elle modifie, enfin, le montant de sa demande de dommages et intérêts dans le cas où il serait décidé que le rétablissement de la situation antérieure n'est pas possible.
La CRCAM de Toulouse demande à la Cour de :
- constater que le contrat du 15 octobre 1985 consacre dans les relations contractuelles le maintien durant et après le contrat de ses droits sur la clientèle concernée par la diffusion des contrats de crédit permanent de la société Le Prêt ;
- dire que les contrats de prêt ainsi diffusés n'ont pu constituer au bénéfice de la société Le Prêt et à l'égard de la CRCAM de Toulouse des droits contraires à ceux mutuellement reconnus dans la convention du 15 octobre 1985 ;
- constater, en conséquence que c'est dans le respect du contrat qu'à la date du 30 avril 1986, la CRCAM de Toulouse a remboursé les encours dont bénéficiaient ses clients issus de l'enveloppe de crédit désencadré prêtée par la société Le Prêt et débouter ladite société de ses demandes de dommages et intérêts ;
- constater que la demande en paiement d'intérêts intercalaires présentée par la société Le Prêt ne trouve pas son fondement dans le convention invoquée par elle ;
- constater que le principe et le montant de ces intérêts se trouvent reconnus dans un protocole d'accord signé le 22 octobre 1986, jamais ratifié définitivement ni exécuté, et dont la société Le Prêt ne sollicite pas l'exécution, et débouter la société Le Prêt de sa demande de paiement desdites sommes ;
- condamner la société Le Prêt au paiement de la somme de 100 000 F au titre des frais irrépétibles.
La CRCAM de Toulouse précise que la convention établie le 15 octobre 1985 tend à lui conserver la maîtrise totale des opérations de crédit consenties au moyen de l'enveloppe fournie par la société Le Prêt, en dépit des apparences dictées par les nécessités administratives, dès lors que la décision même de consentir le crédit, au même titre que les risques de crédit sont pris en charge par le Crédit Agricole.
Elle souligne que la signature de cette convention s'explique par le contexte de l'époque et a directement répondu aux contraintes imposées par l'encadrement du crédit qui ont fait que la Caisse s'est trouvée demanderesse de " crédit désencadré " pour répondre à l'attende de sa clientèle.
Elle résume le fonctionnement économique des relations des parties en indiquant que la société Le Prêt vend un droit d'utilisation d'une ressource appartenant au Crédit Agricole, à l'usage des clients à celui-ci et que ladite société va mettre, dans ce cadre, à la disposition de la caisse régionale une enveloppe de crédit désencadré, sans aucune exclusivité quant à la diffusion de crédits Revolving, pour une durée courte et limitée au 30 avril 1986 en s'interdisant toute appropriation de la clientèle du Crédit Agricole.
Elle prétend que la société Le Prêt qui soutient la CRCAM de Toulouse était tenue de reconnaître, au-delà même de la convention des droits à son partenaire sur la clientèle concernée par l'utilisation de l'enveloppe financière consentie, alors même que cette clientèle était celle du Crédit Agricole et que la convention affirmait la pérennité de ses droits à cet égard, se contredit et dénature la convention dès lors que celle-ci consacre les droits de la CRCAM de Toulouse sur la clientèle auprès de laquelle elle envisage de diffuser le produit et que la société Le Prêt a renoncé par avance à tout droit sur cette clientèle.
Elle considère, en conséquence, qu'il ne saurait être question, en l'espèce, du détournement de la clientèle de la société Le Prêt.
La CRCAM de Toulouse estime que la convention doit être qualifiée de prêt à usage, à durée limitée, d'une droit d'utilisation d'une ressource affectée, couplé à la fourniture financière et technique liée, et qu'elle n'a commis aucune faute en remboursant le crédit utilisé.
A titre subsidiaire, la CRCAM de Toulouse précise, quant à la demande de dommages et intérêts qu'elle n'a pas contracté l'engagement de refinancer les crédits virtuels trouvant leur origine dans l'effet Revolving, mais seulement les encours existant au jour de la dénonciation de la convention de refinancement signée avec la Caisse Nationale du Crédit Agricole.
Par écritures subséquentes, la CRCAM de Toulouse demande qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle n'entend pas revenir sur l'accord donné à l'expert judiciaire sur le calcul du remboursement anticipé du 5 novembre 1986, mais sollicite le rejet des autres demandes qualifiées d'additionnelles présentées par la société Le Prêt dans ses dernières conclusions.
Elle revient sur la qualification de la convention et sur les conditions dans lesquelles celle-ci a été signée.
Sur quoi, la COUR
Attendu qu'il est constant, aux termes de la convention établie le 15 octobre 1985, que la CRCAM de Toulouse s'est engagée à commercialiser auprès de sa clientèle le crédit Uni Personnel Permanent de la société Le Prêt (qui délègue tous pouvoirs en matière de décision d'octroi ou de refus) et à garantir la bonne fin du remboursement ;
Que de son côté, la société Le Prêt s'est obligée à mettre à la disposition de son co-contractant jusqu'au 30 avril 1986 (terme de la convention) une enveloppe minimale de 60 millions de francs (indispensable pour commercialiser le crédit susvisé) et à payer d'une part, une commission de 1 % au titre de la commercialisation et d'autre part, une commission pour risque de 1,25 %, ainsi qu'éventuellement une commission supplémentaire si le taux obtenu était plus rémunérateur que prévu, étant précisé enfin que ladite société s'interdisait de démarcher à son profit les clients présentés par la CRCAM de Toulouse ;
Attendu qu'il apparaît, donc, que la CRCAM de Toulouse est habilitée, dans ce cadre, à proposer à ses clients, à concurrence d'une certaine somme, et moyennant rémunération, un produit financier appartenant à la société Le Prêt auprès de laquelle ces mêmes clients contractent un prêt (cf les formulaires d'offre de prêt) ;
Qu'en l'état de ces énonciations la CRCAM de Toulouse qui, moyennant la mise à sa disposition d'une enveloppe financière, commercialise un produit ne lui appartenant pas et qui sert essentiellement d'intermédiaire rémunéré, ne peut raisonnablement soutenir qu'elle agit uniquement pour son propre compte et dans son propre intérêt et qu'elle était liée à la société Le Prêt par un contrat de vente ou de prêt à usage ;
Attendu qu'en réalité la société Le Prêt a, par la convention susvisée, chargé la CRCAM de Toulouse qui a accepté d'accomplir auprès de la clientèle de cette dernière, un acte juridique (qui consiste, ici, à placer un produit financier en mettant à la disposition du mandant sa compétence en vue de la souscription de contrats de prêt) en l'y représentant, étant relevé que la CRCAM de Toulouse garde la maîtrise du choix des emprunteurs et des conditions du prêt, ce qui n'est pas incompatible avec la qualification de mandat commercial (s'agissant d'un contrat établi entre deux personnes ayant la qualité de commerçant) dès lors qu'il est de principe que le mandataire commercial dispose, dans l'exécution de son mandat, d'une certaine indépendance et d'un pouvoir d'initiative ;
Attendu que ce mandat commercial d'intérêt commun (les parties ayant toutes deux intérêt à l'exécution de l'acte que le mandataire a reçu mission de conclure) ne peut être considéré comme étant assorti d'une convention de ducroire même si la CRCAM de Toulouse s'engage à garantir la bonne fin du remboursement par sa clientèle dès l'instant qu'un lien contractuel existe néanmoins entre la société Le Prêt et les emprunteurs (cf les formulaires d'offre de prêt) ;
Attendu qu'il convient, à présent, d'examiner dans quelles conditions la CRCAM de Toulouse a exécuté ses obligations, étant précisé que l'application du protocole d'accord signé le 22 octobre 1986 n'est revendiquée par aucune des parties et que l'exception de transaction n'est pas invoquée.
Attendu qu'il est constant que la convention du 15 octobre 1985 a pris fin le 30 avril 1986 (terme contractuel) sans que son exécution par la CRCAM de Toulouse (qui a placé 3751 contrats de la société Le Prêt auprès de sa clientèle) ne soit critiquée par la société Le Prêt ;
Que d'ailleurs les griefs de cette dernière sont exclusivement relatifs à l'attitude de la CRCAM de Toulouse postérieurement à cette date ;
Attendu qu'il apparaît, en effet, que la CRCAM de Toulouse a, pendant les mois d'octobre et novembre 1986, suscité dans sa clientèle des demandes massives de remboursement de la part des bénéficiaires des offres de prêt de la société Le Prêt (proposées dans le cadre de la convention susvisée) pour leur soumettre, en remplacement, un produit financier similaire ;
Attendu, certes, que le crédit permanent proposé par la société Le Prêt était consenti pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction et ne prenait fin que si l'emprunteur ou le prêteur en faisait la demande ;
Mais attendu qu'il résulte de l'examen des pièces du dossier que si la CRCAM de Toulouse a bien adressé dans certains cas des listings de remboursement accompagnés de bordereaux de demande signés par les bénéficiaires, il apparaît que ces derniers n'ont apposé leur signature que sur l'instruction formelle de la CRCAM de Toulouse laquelle n'a pas été à même de justifier d'instructions écrite de ses clients ;
Attendu, en effet, qu'à compter du mois de septembre 1986, la CRCAM de Toulouse s'est adressée à ses adhérents en occultant la présence de la société Le Prêt ;
Attendu, également, qu'à partir de l'automne 1986, les listings de remboursement envoyés à la société Le Prêt font référence à des imprimés pré-établis, alors qu'auparavant, les dénonciations se présentaient de manière individuelle et différenciée ;
Attendu qu'il convient, en outre, de relever que l'huissier commis par ordonnance présidentielle du 20 novembre 1986 a constaté que la CRCAM de Toulouse ne pouvait que rarement justifier d'une demande expresse et individualisée de remboursement anticipé et que pour des raisons de secret professionnel, la banque a refusé de communiquer ses propres offres de prêt destinées à remplacer celles de la société Le Prêt ;
Que ces constatations permettent de considérer que le CRCAM de Toulouse a décidé (dans le cadre d'une opération concertée d'envergure et afin de pouvoir proposer un produit concurrent et similaire) de mettre fin délibérément et prématurément à l'exécution des contrats liant certains de ses clients à la société Le Prêt, lesquels avaient été souscrits en application de la convention du 15 octobre 1985.
Que cette attitude fautive et abusive de la CRCAM de Toulouse (qui ne peut trouver de justification ni dans la convention susvisée ni dans l'allégation selon laquelle la banque pouvait disposer de ses clients) est de nature à engager sa responsabilité vis-à-vis de la société Le Prêt sur la plan quasi-délictuel dès lors que la convention des parties à la procédure avait pris fin;
Attendu, que le préjudice, qui ne peut être sérieusement dénié en raison de la faute commise par la CRCAM de Toulouse, la société Le Prêt a subi un dommage constitué par un manque à gagner par la perte d'une chance (c'est à dire la possibilité de voir se dérouler les contrats de prêt souscrits dans le cadre de la convention du 15 octobre 1985 jusqu'à leur terme);
Qu'il y a lieu de prescrire, compte tenu des circonstances de la cause, une réparation par équivalent, ce qui ne permet pas d'ordonner le rétablissement des dossiers de crédit dans leur situation d'origine, ainsi que le demande la société Le Prêt ;
Attendu que l'expert judiciaire, à l'issue de constatations et d'investigations qui ont été faites avec zèle, soins et toutes connaissances désirables, a évalué le préjudice subi par la société Le Prêt, tenant compte de tous éléments (et notamment du nombre de dossiers, du mécanisme contractuel et du manque à gagner) à la somme de 3 344 980 F évaluation qui n'est d'ailleurs pas expressément critiquée par la CRCAM de Toulouse ;
Que cette évaluation, qui correspond au montant du préjudice certain éprouvé par la société Le Prêt et découlant directement de la faute de la CRCAM de Toulouse et qui tient compte des remboursements anticipés, sera retenue sans qu'il y ait lieu de se référer aux mentions du protocole d'accord du 22 octobre 1986 dont l'application n'est pas sollicitée ;
Attendu, sur l'incidence de l'effet Revolving du crédit, invoquée par la société appelante, qu'il ne peut être sérieusement dénié que la CRCAM de Toulouse n'était pas privée de tous droits à l'égard de sa clientèle et que la convention signée entre la Caisse Nationale de Crédit Agricole et la société Le Prêt ne permet pas d'avoir égard à l'effet Revolving du contrat souscrit par l'utilisateur final ;
Attendu que les intérêts intercalaires réclamés par la société Le Prêt ne sont pas dus dès lors que la convention des parties n'a pas prévu le paiement de tels intérêts, et que ladite société n'a pas demandé, en justice, l'exécution du protocole d'accord du 22 octobre 1986,
Attendu que l'expert judiciaire ayant correctement rempli la mission complète (quant à l'évaluation du préjudice), qui lui avait été confiée la demande de complément d'expertise formée par la société Le Prêt n'est pas fondée ;
Attendu que la société Le Prêt, qui s'est abstenue de prélever sur le compte qui était ouvert à son nom dans les livres de la CRCAM de Toulouse, les sommes que celle-ci lui avait virées et qui correspondaient au montant des remboursements anticipés critiqués, ne peut faire supporter les conséquences de sa propre carence à ladite CRCAM de Toulouse ;
Attendu, enfin, que la demande de la société Le Prêt tendant à voir appliquer une indemnité contractuelle de 8 % et qui n'est pas prévue par la convention des parties en date 15 octobre 1985, ne saurait prospérer ;
Que la Cour estime équitable d'allouer à la société Le Prêt la somme de 20 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Que la CRCAM de Toulouse qui succombe, supportera les dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Reçoit, en la forme, les appels jugés réguliers ; Réforme la décision déférée et statuant à nouveau ; Condamne, pour les causes sus-énoncées, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Toulouse et du Midi Toulousain à payer à la société Le Prêt la somme de 3 344 980 F (trois millions trois cent quarante quatre mille neuf cent quatre vingt francs) à titre de dommages et intérêts avec les intérêts au taux légal à compter de la présente décision ; Rejette comme injustifiées ou mal fondées toutes conclusions contraires ou plus amples des parties et les déboute du surplus de leurs demandes ; Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Toulouse et du Midi Toulousin à payer à la société Le Prêt la somme de 20 000 F (vintg mille francs) en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Toulouse et du Midi Toulousain aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction, pour ceux d'appel, au profit de Maître Cantaloube Ferrieu, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.