CA Paris, 4e ch. B, 21 novembre 1991, n° 4164-90
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SNCF
Défendeur :
Jumbo France (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Poullain
Conseillers :
MM. Bonnefont, Gouge
Avoués :
Me Ribaut, SCP Parmentier Hardouin
Avocat :
Me Le Tarnec.
Faits et procédure de première instance
La SNCF (Société Nationale des Chemins de Fer Français) est propriétaire :
1) de la marque Orient Express 256007 / 1027 854 renouvelée le 7 septembre 1987 et déposée dans les classes 12, 39 et 42,
2) de la marque Orient Express déposée le 7 décembre 1987 et enregistrée sous le n° 1425 233 pour désigner jeux et jouets (classe 28) ;
Par acte du 21 novembre 1988, elle assignait la société Jumbo France à laquelle elle reprochait une publicité parue dans un magazine pour un jeu baptisé Orient Express.
Invoquant le caractère notoire de ses marques, elle sollicitait diverses mesures de protection et de réparation ainsi que 10 000 F pour les frais non taxables.
Jumbo France concluait au débouté en réclamant 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Le jugement critiqué
Par son jugement du 6 décembre 1989, le Tribunal de Grande Instance de Paris a débouté la SNCF de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer 5 000 F à Jumbo France en vertu de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
L'appel
Appelante du jugement par déclaration du 1er février 1990, la SNCF a fait grief à son adversaire d'un abus de droit, conclut à son infirmation en priant la Cour d'interdire à Jumbo France, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard, d'utiliser la dénomination Orient Express, d'ordonner le retrait et la saisie des jeux Orient Express déjà mis en vente, d'ordonner la publication de l'arrêt dans 3 journaux de son choix aux frais de Jumbo France, de condamner Jumbo France à lui payer une indemnité de 200 000 F compensatrice de son manque à gagner, une somme de 30 000 F pour résistance abusive et 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Intimée, Jumbo France conclut à la confirmation de la décision attaquée en réclamant toutefois 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Qui pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, se réfère au jugement critiqué et aux écritures d'appel,
Considérant que pour débouter la SNCF, le jugement relève que le principe de spécialité s'impose quelle que soit la notoriété de la marque, qu'il n'y a pas similarité entre les jouets et les moyens de locomotion désignés par la marque renouvelée en 1987 qui n'a subi aucune dégradation du fait de l'usage de la dénomination Orient Express par Jumbo France à laquelle on ne peut reprocher aucun comportement parasitaire ; que d'autre part, la marque déposée le 7 décembre 1987 qui protège les jeux, n'est opposable aux tiers qu'à compter de fin février 1988, alors que la poursuite vise des faits relatés dans un article de presse de septembre 1987, et que n'est invoqué aucun acte de commercialisation postérieur ;
Considérant que dans sa critique de la décision déférée, l'appelante soutient que bénéficiant d'une protection élargie, la marque notoire échappe à la règle de spécialité, que Jumbo France a commis des agissements parasitaires de nature à affaiblir le caractère distinctif de la marque en nommant un jouet Orient Express pour le vendre plus facilement ;
Que le jeu Orient Express est similaire ou accessoire à une activité de chemin de fer ; que d'autre part, peuvent être poursuivis les faits postérieurs à la notification au présumé contrefacteur d'une copie certifiée de la demande d'enregistrement de la marque, la production de différents courriers prouvant qu'après le 7 décembre 1987, Jumbo France a été avertie du dépôt, qu'après la publication fin février 1988 une copie du certificat d'enregistrement lui a été envoyée, la commercialisation ayant persisté pendant un certain temps après ladite publication ;
Considérant cependant que si la publicité incriminée dans l'assignation démontre une offre de vente du jeu en cause dans la dernière semaine de septembre 1987, force est de constater qu'aucun des courriers ou télex mis aux débats et émanant soit de l'intimée, soit de sa maison-mère néerlandaise n'établit la matérialité d'une commercialisation postérieure au dépôt effectué le 7 décembre 1987 ; que dès lors, seule serait éventuellement opposable à Jumbo France la marque renouvelée en 1987 ;
Considérant que si cette marque est très ancienne, elle n'en reste pas moins soumise à la règle de spécialité ; que la similarité invoquée par l'appelante ne peut être retenue car le jeu de Jumbo France est un produit alors que la dénomination Orient Express est attachée à un service ;
Considérant qu'on ne se trouve pas en l'espèce en présence de la forme de parasitisme consistant à revêtir un produit de la marque notoire déjà utilisée par autrui pour des produits non similaires afin de profiter de cette notoriété en insinuant dans l'esprit du public que le nouveau produit mis sur le marché provient du titulaire de la marque ;
Considérant en revanche, qu'à bon droit, les écritures d'appel de la SNCF incriminent un comportement parasitaire de Jumbo France en ce que celle-ci a tiré profit de la réputation du train Orient Express pour vendre son jeu plus facilement et ce sans bourse délier; qu'aussi bien, les pièces mises aux débats établissent que fin 1987 Jumbo France avait dans ses discussions avec la SNCF envisagé de lui verser des redevances et donc admis que la SNCF avait droit à une contrepartie du bénéfice que procurait l'utilisation de la célèbre dénomination Orient Express ; qu'en employant une marque jouissant d'une renommée pour un produit non similaire à ceux désignés dans l'enregistrement, Jumbo France, si elle n'a pas cherché à créer une confusion sur l'origine du produit, s'est livrée à une exploitation injustifiée de la marque d'autrui et a engagé sa responsabilité civile, étant au surplus souligné que l'utilisation fautive reprochée à Jumbo France était bien de nature à gêner les initiatives que la SNCF pouvait être amenée à prendre pour commercialiser directement ou par des licenciés toutes sortes d'objets faisant référence à un train prestigieux ;
Considérant qu'il y a lieu de prononcer les mesures de protection sollicitées par la SNCF et, compte tenu des éléments fournis, de lui allouer pour réparation de son préjudice, l'indemnité fixée au dispositif que complétera la publication de l'arrêt selon les modalités qu'il précisera ;
Considérant que si la résistance de Jumbo France aux prétentions de la SNCF ne justifie pas l'allocation de dommages intérêts, il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais non taxables exposés dans l'instance ; que Jumbo France sera condamnée à lui payer le montant justifié indiqué ci-dessous ;
Par ces motifs : Infirmant sur l'appel bien fondé de la SNCF, Dit que la société Jumbo France a engagé sa responsabilité en employant pour désigner un jeu, la marque Orient Express ; Lui fait défense, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt, d'utiliser de quelque manière et sous quelque forme que ce soit à des fins commerciales la marque Orient Express ; Ordonne le retrait et la saisie des jeux Orient Express mis en vente, Condamne Jumbo France à payer à la SNCF : - une indemnité de 30 000 F, la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Décharge la SNCF de la condamnation mise à sa charge par le jugement ; Ordonne la publication par extraits de l'arrêt dans deux journaux au choix de la SNCF et aux frais de Jumbo France à concurrence de 15 000 F par insertion ; Dit que Jumbo France supportera les dépens de première instance et d'appel ; Admet Maître Ribaut, avoué, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.