CA Paris, 1re ch. B, 15 novembre 1991, n° 90-7302
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Grands Magasins de la Samaritaine (SA)
Défendeur :
Bazar de l'Hôtel de Ville (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gié
Conseillers :
MM. Tailhan, Durieux
Avoués :
SCP Barrier, Monin, Me Olivier
Avocats :
Mes Bartfeld, Guelot.
LA COUR statue sur l'appel principal formé par la Société Grands Magasins de la Samaritaine, ainsi que sur l'appel incident formé par la Société Bazar de l'Hôtel de Ville, d'un jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 23 février 1990 qui a condamné La Samaritaine à payer au BHV la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, et qui a débouté le BHV du surplus de ses demandes.
Pour la promotion de son rayon de bricolage et de décoration, La Samaritaine a fait apposer dans les stations du métropolitain des affiches représentant un jeune homme qui tenait une perceuse électrique, et portant le slogan " Typiquement pas vieux bazar ".
Selon procès-verbal de constat de Maître Daloz, huissier audiencier commis par ordonnance de référé, l'affiche a été apposée du 17 au 27 octobre 1988 en deux cents emplacements du réseau souterrain.
Des cartes postales reproduisant l'affiche ont également été diffusées, portant au dos deux textes différents ; selon la Samaritaine le premier a été adressé exclusivement aux membres de son personnel, qui faisait référence à un concurrent dans les termes suivants : " De quoi nous ôter tout complexe, surtout contre qui vous savez " ; le second aurait été destiné aux fournisseurs ; il résulte du procès-verbal de constat que la facture de l'imprimeur portait la mention : " 2 500 exemplaires Personnel Samaritaine - 1 800 exemplaires Fournisseurs ".
La Samaritaine expose qu'elle entendait rajeunir son image, elle prétend qu'en faisant état de la notion de " vieux bazar " elle se référait à son ancien slogan selon lequel " on trouvait tout à la Samaritaine ", et elle soutient qu'elle n'avait pas l'intention de concurrencer par ce moyen le Bazar de l'Hôtel de Ville qui est connu pour son rayon de bricolage.
Elle fait également valoir que par arrêt du 11 octobre 1989 la Cour d'Appel a infirmé l'ordonnance de référé du 11 janvier précédent qui lui avait fait interdiction de diffuser les affiches et documents publicitaires sur le thème " Typiquement pas vieux bazar ".
En conséquence elle demande que le jugement soit infirmé et que le BHV soit débouté.
Elle demande également que le BHV soit condamné à lui payer la somme de 2 000 000 F à titre de réparation du préjudice qu'il lui a causé en mettant fin intempestivement à sa campagne publicitaire, ainsi que la somme de 80 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le BHV conclut à la confirmation sur la responsabilité de la Samaritaine ; que les dommages-intérêts, il demande que le jugement soit réformé et que La Samaritaine soit condamnée à lui payer la somme de 500 000 F à titre de réparation du préjudice qu'elle lui a causé ; il demande également la publication de l'arrêt à intervenir ; enfin il demande la somme de 25 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Il est référé pour le surplus de l'exposé des faits aux motifs du jugement déféré et pour plus ample développement des prétentions et moyens des parties aux écritures d'appel ainsi qu'aux pièces régulièrement versées aux débats.
Sur quoi, LA COUR,
Considérant que dans son arrêt du 11 octobre 1989 la Cour a retenu que le BHV ne rapportait pas la preuve d'un trouble manifestement illicite ; que toutefois les décisions de référé n'ont pas autorité de chose jugée au principal, et que dès lors La Samaritaine est mal fondée à s'en prévaloir ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des cartes postales, qui auraient été destinées les unes aux membres du personnel, les autres aux fournisseurs, et dont la preuve n'est pas rapportée que La Samaritaine les aurait adressées à la clientèle ;
Mais considérant que celle-ci a été largement touchée par l'affichage ;
Considérant que dans le secteur du bricolage la réputation du Bazar de l'Hôtel de Ville est telle qu'à la lecture du slogan le rapprochement s'imposait au public concerné ; qu'au regard de l'image de jeunesse donnée par La Samaritaine l'expression " vieux bazar " était défavorable au BHV ;
Considérant que la proximité des deux magasins dans le même quartier de Paris excluait l'équivoque;
Considérant,sans qu'il y ait lieu d'examiner qu'elle a été son intention, qu'en ayant recours à un slogan publicitaire qui faisait référence au nom sous lequel le BHV est traditionnellement connu, La Samaritaine a jeté sur celui-ci un discrédit qui était de nature à détourner une partie de sa clientèle; qu'en agissant ainsi qu'elle a manqué aux usages en matière de libre concurrence, et que la faute qu'elle a commise engage sa responsabilité;
Considérant que le Tribunal a justement évalué à 100 000 F la réparation du préjudice subi par le BHV ;
Considérant toutefois qu'à titre de complément de réparation il y a lieu d'adjuger à celui-ci le bénéfice de sa demande de publication du présent arrêt, dans les termes fixés au dispositif ;
Considérant que l'équité commande également de lui allouer la somme de 10 000 F au titre des sommes par lui exposées, qui ne sont pas comprises dans les dépens ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant, ordonne la publication du communiqué suivant, dans deux journaux ou revues au choix de la Société du Bazar de l'Hôtel de Ville et aux frais de la Société Grands Magasins de la Samaritaine, le coût de chaque publication n'excédant pas la somme de 8 000 F ; " Par arrêt du 15 novembre 1991, la Cour d'appel de Paris, 1re chambre, section B, a confirmé un jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 23 février 1990 qui a condamné la Société Grands Magasins de La Samaritaine à payer à la Société du Bazar de l'Hôtel de Ville la somme de 100 000 F à titre de réparation du préjudice qu'elle lui a causé en procédant en octobre 1988 dans les stations du métropolitain à un affichage publicitaire en matière de bricolage et de décoration qui portait le slogan " Typiquement pas vieux bazar " ; Condamne La Samaritaine à payer au BHV la somme de 10 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; La Condamne aux dépens d'appel ; Admet Me Olivier au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.